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Allez, mademoiselle, la maisonnette d'un garde-chasse, bon vivant, vaut mille fois mieux que le plus beau couvent du monde. » MARM. « Mon père avait réalisé mon songe. Le moulin, la vigne, le petit verger, bordé de haies et peuplé de troupeaux, s'offrirent à mes yeux tels que je les avais rêvés. Le plus intéressant manquait encore à mes désirs, lorsque je vis sortir de la nouvelle maisonnette le meunier, la meunière, avec leurs deux enfants imaginera qui pourra l'ivresse de ma joie en ce moment. » ID. Voltaire écrit au président Hénault : « Honorez-moi de vos remarques sur ce second volume (du Siècle de Louis XIV). Vous qui avez bâti un si beau palais, mettez quelques pierres à ma maison

nette. »

« Par l'effet de l'enfantement de Marie, les palais et les trônes sont à bas, les cabanes sont relevées. » Boss. « Après avoir vu Jésus couché dans une crèche, jamais nous ne nous plaindrons de notre misère nous préférerons nos cabanes aux palais des rois. » ID. « La vieille reine métamorphosée en jeune paysanne, charma toute l'assemblée; mais il fallut qu'elle se retirât dans un village et sous une cabane, étant couverte de haillons. Corysante, la jeune paysanne, au contraire, devint hideuse, et elle demeura dans ce superbe palais, où elle commanda en reine. » FÉN. << Oserait-on comparer les palais magnifiques de ces grands seigneurs avec la cabane de Curius? >> ROLL.

<< Permettez-moi de vous parler de la réflexion que vous faites sur les chaumières des laboureurs, sur ces cabanes, sur ces asiles du pauvre; vous condamnez ces expressions dans le poëme des Saisons. Vous dites qu'une cabane ne peut pas être le logement d'un agriculteur considérable. Mais comparez les hôtels des fermiers généraux avec les logements de nos fermiers de campagne, et vous verrez que les termes de chaumière, de cabane ne sont que trop convenables. » VOLT.

Hutte et cahute (voy. Ire partie, p. 163) signifient des cabanes informes, faites sans aucune industrie avec de la terre et du bois ou de la paille. Mais les huttes sont plutôt des cabanes de sau

La chaumière et la cabane sont des maisons de vages ou de soldats grossiers, qui ignorent l'art village, de méchantes maisons.

Mais la cabane est encore pire que la chaumière. Dans les chaumières on trouve sans doute des hommes peu fortunés, qui mènent une vie laborieuse; dans les cabanes on ne trouve qu'indigence c'est proprement la maison du pauvre. La chaumière, sans être ni élégamment bâtie, ni précisément gracieuse, comme la maisonnette, n'exclut pourtant pas l'idée d'une certaine aisance. Gil Blas, après avoir fait figure à la cour, et essuyé une disgrâce, «achète du peu de bien qui lui reste une chaumière pour y aller mener une vie retirée. LES. « La vieille reine pleurait tous les jours et disait : Hélas? si j'étais Péronnelle, à l'heure que je parle, je serais logée dans une chaumière, et je vivrais de châtaignes; mais je danserais sous l'orme avec les bergers au son de la flûte. » FÉN. « Je ne suis plus qu'un vieux soldat, retiré dans sa chaumière. » VOLT. « Que je voudrais avoir l'honneur de vous donner à dîner dans ma chaumière, avec des philosophes tolérants qui daignent y venir quelquefois! » ID.

D

α

La cabane, au contraire, se conçoit nécessairement comme misérable. « La fertile contrée d'Arpine, disait-on à Télémaque, doit vous faire oublier la pauvre Ithaque avec ses cabanes. »

FEN.

Tout est pour eux bon gite et bon logis, Sans regarder si c'est Louvre ou cabané. LAF. Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre.

MALH.

Lorsqu'on veut peindre les deux extrêmes de l'opulence et de la pauvreté, on oppose le palais habité par l'une à la cabane occupée par l'autre.

de bâtir; et les cahutes, des cabanes de pauvres paysans ou de pauvres bergers, répandues dans la campagne ou dans les bois. La rudesse du mot hutte annonce celle du constructeur et de l'habitant de la hutte; la misère marquée par cahute est telle que ce mot, à la différence de cabane, par exemple, ne saurait être admis dans le style un peu soutenu. Lafontaine le met dans la bouche d'un paysan qui parle patois.

A cahute, dans le langage familier, on donne pour synonymes baraque et bicoque, qui, comme cahute, se disent en raillant et par mépris d'une mauvaise petite maison.

Mais ce qui frappe surtout dans la cahute, c'est le peu de prix de la matière. Ce qu'on considère dans la baraque, c'est qu'elle a été bâclée, faite à la hâte, sans proportion, sans ordre. En effet, baraque, au propre, sert à exprimer, comme hutte, les petites maisons improvisées par les soldats en campagne; avec cette différence que la baraque est en planches, au lieu d'être en terre, comme la hutte, et que baraque s'applique aux soldats d'à présent, et non pas, comme hutte, à des soldats barbares ou à des sauvages.

Quant à la bicoque (place de guerre de peu d'importance et de peu de défense), elle est. ce semble, bâtie sur une hauteur ou bien hors d'état de résister beaucoup ou longtemps à l'action du vent et de la pluie.

1° MAISON, LOGIS, HABITATION; 2° DEMEURE, DOMICILE, RÉSIDENCE, SÉJOUR. Ces mots indiquent le lieu ou ont rapport au lieu dans lequel on se tient d'ordinaire. La première condition pour trouver une personne, c'est de

connaître sa maison, son logis, son habitation, sa demeure, son domicile, sa résidence ou son séjour.

Maison, logis et habitation expriment quelque chose de concret. « Mon logement est tombé par terre; j'ai une autre maison dans le ciel, qui n'est pas bâtie de main d'hommes. Boss. Demeure, domicile, résidence et séjour désignent quelque chose d'abstrait. Changer sa maison, son logis ou son habitation, c'est modifier, réparer ou augmenter le local qu'on occupe; changer sa demeure, son domicile, sa résidence, son séjour, c'est aller ailleurs. Comme, en tel pays, les maisons, les logis ou les habitations se vendent ou se louent à vil prix, vous y choisissez votre demeure, votre domicile, votre résidence ou votre séjour. Un homme a sa demeure, son domicile, fait sa résidence, son séjour dans une maison, un logis ou une habitation. «Dans ces maisons éparses et champêtres je plaçais en idée notre commune demeure. » J. J. « Je passais dans une grande rue devant une maison qui me parut devoir être la demeure de quelque homme opulent. » LES.

J'ai peur, si le logis du roi fait ma demeure,
De m'y trouver trop bien dès le premier quart

d'heure.

MOL.

« La cigogne blanche choisit nos habitations pour domicile; elle s'établit sur les tours, sur les cheminées et les combles. » BUFF.

1° Maison, logis, habitation. Maison désigne le bâtiment la maison est grande ou petite (c'est un palais ou une cabane), vieille ou neuve, faite de pierres ou de briques, couverte de tuiles ou de chaume, etc.

Le logis est la maison considérée par rapport à la manière dont on s'y trouve un bon logis. Aussi appelle-t-on de ce nom les hôtelleries, les maisons où on est plus ou moins bien traité pour Son argent. Mais ce qui distingue principalement logis, c'est qu'il est vieux. « Ce fut Anne, duc de Montmorency, qui entra un beau jour à cheval dans la cour du logis du roi, et y monta ensuite. S. S. Etant vieux, il n'est plus resté usitė que dans un petit nombre de locutions du langage familier: garder le logis (ACAD.); de retour au logis (J. J.): nous reprenions le chemin du logis (ID.); le maître du logis (MoL., Sév.). « Un infâme eunuque avait fait écrire sur la porte de sa maison: Qu'il n'entre rien de mauvais par cette porte. Diogène dit : Et le maître du logis, par où entrera-t-il ? » FÉN. Quelquefois même logis est un terme de mépris. Dans sa dixième satire, Boileau dépeint, sortant de leur logis, le lieutenant criminel Tardieu et sa femme, ces modèles de la sordide avarice. « Cette grâce fut procurée à des gens dont le logis était le lieu des assemblées des cabales du parlement et des ennemis de la régence. » S. S.

Habitation diffère considérablement de maison, et par conséquent de logis. D'abord l'habitation comprend et le bâtiment où on est à l'abri des intempéries, et ses dépendances. « Ils entourent leurs habitations de palissades. » ACAD. « Je ne sais quelle idée tu as de notre habitation; mais si tu t'imagines que c'est une maison magnifique, une terre de grand seigneur, je t'avertis

que tu te trompes.» LES. De plus, une habitate peut très-bien n'être pas une construction élere par des hommes sur le sol. « Les abeilles se f des habitations commodes: on les détruit, le les rebâtissent. » VOLT. Fouler aux pieds uz habitation de fourmis. » ID. « Sans la philosop nous ne serions guère au-dessus des ating qui se creusent des habitations, qui en éleven qui s'y préparent leur nourriture. ID. Les ma mottes travaillent en commun à leur habitatis (BUFF.). Chaque couple d'oiseaux travaille l'envi à l'habitation commune (ID.).

2

2o Demeure, domicile, — résidence, séjour. Demeure et domicile sont absolus, ils marquez) quelque chose de constant; résidence et séjour sont relatifs, ils signifient quelque chose d'accidentel et de passager. Qu'un oiseau ait tel iie. pour demeure ou pour domicile, cela suppose qu'il n'en sort point; mais on dit bien qu'il a te. lieu pour résidence principale (BUFF.) ou pour séjour principal. Après une résidence ou un si jour de quelques années sur cette terre, notre âme, si nous avons bien vécu, retourne au ciel, où elle doit avoir sa demeure ou son domicile. Après beaucoup de voyages, Pythagore revint dans sa patrie, où il ne fit pas un long séjour. Il passi en Italie et fixa sa demeure à Crotone (ROLL. Outre cela, demeure, ainsi que domicile, annonc: quelque chose d'étroit et de précis; résidence, ainsi que séjour, au contraire, quelque chose d'étendu, de vague. Vous donnez votre adress: en faisant connaître votre demeure ou votre domicile, c'est-à-dire exactement votre rue, votre numéro; en faisant connaître votre résidence o votre séjour, vous apprenez seulement la ville ou le pays où vous restez. Enfin demeure et domicile sont objectifs, résidence et séjour subjet tifs. On a sa demeure ou son domicile; on fait sa résidence ou son séjour. « La synagogue deva: avoir sa demeure, et faire son séjour sur È terre. » Boss.

Demeure, domicile.

Demeure, dérivé du latin demorari, s'arrêter est le mot ordinaire. Domicile, pure reprodue tion du latin domicilium, qui a le mème sens, est une expression noble. « Le ciel comme le plus noble et le principal domicile demeura à Jupiter, et le reste échut à ses frères et à sa sœur. » Boss « Pour que le maître fasse chez vous la pâque, î faut que votre cœur, qui est comme le domicil et le sanctuaire qu'il a choisi, soit pur. » BOOK), « Marseille était dans les Gaules comme le domicile des muses et le centre de la politesse. ROLL Vous direz, au contraire, dans le langage com mun, que Dieu promit à Abraham une terre po servir de demeure fixe à sa postérité (Boss). qu'un maître doit à ses domestiques l'aliment et la demeure (BOURD.), etc. « Voici la chimère, qu habite tantôt l'hôpital et tantôt les petites ma sons, comme des demeures qui lui sont égale ment propres.» MONTESQ. Par la même raison, domicile se dit plutôt en termes de jurisprudenc et a rapport à la société civile et au gouverne ment. « Des seigneurs voulaient ravir à leurs s jets le premier droit qu'ont les hommes de choisir leur domicile; ils craignaient qu'on ne les qui

tât pour aller dans les villes libres. » VOLT.¦ de sa majesté dans la simplicité et la frugalité « Violation du domicile. » ACAD. de ces pasteurs illustres, et si la dignité de Résidence, séjour. l'épiscopat fut jamais regardée avec plus de vé

Le mot de résidence, par sa terminaison, ex-nération que lorsqu'elle ne brilla que par la prime quelque chose de plus long. « Parmi les sainteté, l'humilité et la pauvreté évangélique. » étrangers qui venaient faire à Paris leur rési- MASS. « Dans nos temples la duchesse d'Orléans dence ou quelque long séjour, Mme Geoffrin fai- venait soutenir par la majesté de sa présence la sait un choix des plus instruits, des plus aima- | dignité de notre ministère. » ID. « Quand vous bles. » MARM. « En 324, Constantin fit quelque paraissez dans les palais où le souverain se séjour à Nicomédie, qui était en Orient la rési- trouve, vous marquez par la dignité et la dédence ordinaire des empereurs. » COND. « Féri- cence d'un habillement grave et sérieux le resclès évita de se mêler des affaires publiques, qui pect que vous devez à la majesté de sa présence.» demandaient une résidence assidue à la ville. » ID. « Seigneur, rendez la majesté à tant de ROLL.- Résidence vient du latin residere, résider, temples profanés, le culte et la dignité à tant au lieu que séjour a été formé du français jour d'églises dépouillées. » ID. « Tigrane parut dans (passer ses jours, à part, separatim, seorsum). tout l'éclat dont il pouvait briller, pour donner Par conséquent, résidence signifie le séjour une plus grande idée de la majeste royale à l'amque doit faire et que fait dans le lieu de ses bassadeur, qui, de son côté, soutint parfaitement fonctions un certain personnage, un évêque ou la dignité d'un ambassadeur des Romains. » un magistrat, par exemple. << Ravenne, rési- ROLL. « Cinéas dit qu'en voyant le sénat ro=dence des exarques. » Boss. Conformément à l'u- main il avait cru voir une assemblée de rois, nion de Calmar, le souverain était obligé « de tant il paraissait de dignité, de grandeur et de = partager tour à tour sa résidence dans les trois majesté dans leur maintien, dans leurs discours, royaumes, et de consommer dans chacun le re- et dans toute leur personne. » ID. venu de chaque couronne. » VERT. De son côté, séjour a cela de particulier qu'il est tout relatif aux sentiments qu'on éprouve dans la situation qu'il représente un séjour agréable (MOL., BUFF.), heureux (J. J.), chéri (BUFF.), délicieux (LABR.), triste (BOURD.), mélancolique (MOL.). Séjour se prend aussi dans une acception figurée et poétique, étrangère au mot résidence. « Paris est le séjour de tous les arts. » VOLT. « L'enfer est un séjour d'horreur et de désolation éternelle. » ID. « Quitter cette vie infortunée pour aller dans le séjour des délices. » MONTESQ. « Ne faisons point de notre retraite le séjour de la faim et de la pauvreté. » LES.

MAJESTÉ, DIGNITÉ. Ces mots signifient une sorte de grandeur ou d'excellence propre à attirer ou qui attire les respects.

Mais majesté, de major, plus grand, supérieur, au-dessus des autres, ne se dit que des personnes ou des choses les plus élevées, que des classes de personnes ou de choses les plus générales, de Dieu, des rois, des princes, et de ce qui s'y rapporte; au lieu qu'on peut avoir de la dignité dans tous les rangs, dans le sacerdoce, dans la magistrature, même dans une condition privée, parce qu'il y a pour tous les états une grandeur relative, une bienséance à laquelle les actions et les choses peuvent être conformes ou contraires. Les rois portent le titre de majestés; on appelle dignités des charges considérables, des postes éminents, mais non pas suprêmes, à moins qu'on ne le dise d'une manière expresse. « L'empereur grec et son clergé, dans leur soumission réelle, gardèrent en apparence la majesté de leur empire et la dignité de leur Eglise. » VOLT. « Voilà ce qui a rendu si vénérable aux fidèles la majesté des temples, la sainteté des autels, la dignité des prêtres. BOURD. « On voit que ces omissions de l'histoire de notre auteur affaiblissent la primauté du saint-siége, la dignité des conciles, l'autorité des Pères, la majesté de la religion. » Boss. Voyez si l'Eglise perdait quelque chose

Pour l'ordinaire et surtout dans les circonstances solennelles, un roi a de la majesté; il a de la dignité dans la vie privée. « De ce fonds de sagesse sortait la majesté répandue sur la personne de Louis XIV: la vie la plus privée ne le vit jamais un moment oublier la gravité et les bienséances de la dignité royale.... Quelle grandeur quand les ministres des rois venaient au pied de son trône! quelle précision dans ses paroles, quelle majesté dans ses réponses!» MASS.

MASS.

D'autre part, majesté est un mot concret, qui exprime quelque chose d'extérieur, de l'éclat et de la pompe. « Le vulgaire appelle majesté une certaine prestance et une pompe extérieure qui l'éblouit. » Boss. « La majesté des cérémonies. » MASS. Dignité, au contraire, est un terme abstrait, qui a plutôt rapport aux qualités intérieures et essentielles. « Toute notre dignité consiste dans la pensée. » PASC. « Il y a tant de dignité et de grandeur d'âme à prendre sous sa protection ceux que tout le monde abandonne ! » La majesté de son front (ACAD.); la dignité de son caractère (ID.). « Faites, Seigneur, que la gloire et la majesté de la dignité royale éclate dans le palais aux yeux de tout le monde. >> Boss. « Les saints avaient-ils de la majesté de la religion des idées moins nobles et moins sublimes que vous? Etaient-ils moins instruits de la foi et de la dignité de ses préceptes? » MASS. « Minerve avait mis dans les yeux de Télémaque un feu divin, et sur son visage une majesté fière, qui promettait déjà la victoire. Il marchait; et tous les rois, oubliant leur âge et leur dignité, se sentaient entraînés par une force supérieure qui leur faisait suivre ses pas. » Fén.

La dignité du style ne demande guère que de la décence et l'exclusion d'une trop grande familiarité; la majesté du style veut de plus de l'éclat. « L'éloquence de la louange et du blâme ayant reparu dans la chaire, y reprit enfin la décence, la dignité, l'éclat qu'il avait eu dans la tribune, et plus de majesté encore.» MARM.

« Le vieux naturel du style de Montaigne et d'Amyot n'était pas propre à la majesté de l'éloquence et de la poésie. »> ID.

I. MAL, PEINE, DOULEUR, SOUFFRANCE, AMERTUME, TOURMENT, AFFLICTION, DÉSOLATION. - II. TRISTESSE, MELANCOLIE, CHAGRIN. III. ENNUI, MALAISE, INQUIÉTUDE, DÉPLAISIR, MÉCONTENTEMENT. Tous ces mots représentent notre âme comme passive et comme pâtissant, comme étant soumise à quelque chose de fâcheux qui l'affecte désagréablement et met obstacle à son bonheur. Pour être véritablement heureux, il faudrait n'éprouver jamais ni mal ni peine, etc.

Mais d'abord et pour commencer par la fin, les cinq derniers mots, savoir, ennui, malaise, inquiétude, déplaisir et mécontentement diffèrent bien de tous les autres. Ce sont visiblement des diminutifs. Ils désignent quelque chose de vague ou de léger qui ne fait qu'effleurer l'âme, et qui est de peu de conséquence. Ils sont moins forts et moins expressifs; ils nient le bien-être plutôt qu'ils n'affirment la peine. Ils signifient l'idée commune d'une manière indirecte et marquent un vide, une absence de bien plutôt que la présence positive du mal ou d'un mal. C'est ce qui résulte même de la manière dont sont composés malaise, inquiétude, déplaisir et mécontente

ment.

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Ensuite tristesse mélancolie et chagrin sont à leur tour bien distincts de tous les mots qui les précèdent, mal, peine, douleur, souffrance, amertume, tourment, affliction et désolation. Ils expriment, non pas, comme ceux-ci, des coups dont l'âme est frappée, des impressions passagères reçues immédiatement des objets, mais des situations ultérieures qui se prolongent et durent, et qui se distinguent moins par la vivacité, par une sorte d'aiguillon, que par l'abattement et la langueur. « Idoménée s'apaisa. Il restait seulement en lui une douleur douce et paisible; c'était plutôt une tristesse et un sentiment tendre qu'une vive douleur. » FEN. Les philosophes qui ont traité de la sensibilité, et notamment Bossuet et Malebranche, ont regardé la douleur et tous les phénomènes semblables, la peine, la souffrance, etc., comme l'effet immédiat produit sur l'âme par quelque chose de fâcheux, et la tristesse avec ses variétés, la mélancolie et le chagrin, comme une passion ou mieux comme un sentiment, comme une manière d'être subséquente, qui est la continuation affaiblie et durable des sensations marquées par mal, peine, et les autres mots de la même classe. D'ailleurs, mal, peine, douleur, etc., sont plus relatifs aux objets avec lesquels ils nous supposent actuellement en rapport; aussi Ics adjectifs qui en dérivent, mauvais, pénible, douloureux, amer, affligeant, servent-ils à qualifier ces objets. Au contraire, tristesse, mélancolie et chagrin ne regardent que l'âme, que le sujet, à distance, ou même indépendamment des impressions; témoin les adjectifs correspondants, triste, mélancolique et chagrin, qui se disent bien du caractère et des dispositions intérieures.

1. Mal, peine, douleur, souffrance, amertume, tourment, affliction, désolation. L'idée commune à tous ces mots est celle de la pre mière modification produite en notre âme par la présence, par l'action vive et sensible d'objets nuisibles ou fâcheux.

Mais mal et peine ont l'un et l'autre cela de particulier, qu'ils indiquent, non pas la modification elle-même, la sensation désagréable. mais ce qui en est l'occasion ou la matière. Mal vient de malum, fléau, malheur, mauvais traitement, coup, tort, dommage; et peine, de poena, punition, ce qu'on donne à souffrir aux coupables, comme les fers, les verges, l'exil. Montrez-moi votre mal, dit-on à quelqu'un qui souffre ou qui paraît souffrir; un homme qui est tombé s'est fait du mal ou ne s'est pas fait de mal. «Atosse, fille de Cyrus, et l'une des femmes de Darius, fut attaquée d'un cancer au sein. Tant que la douleur fut médiocre, elle la supporta avec patience, ne pouvant se résoudre, par pudeur, à découvrir son mal. » ROLL. C'est dans le même sens, qu'on dit, conter ou confer ses peines à quelqu'un, épancher ses peines dans le sein d'un ami. C'est en faisant du mal ou de la peine qu'on cause de la douleur, de la souffrance, etc. C'est en enlevant le mal ou la peine qu'on peut faire cesser complétement la douleur, la souffrance, etc. Le mal et la peine appellent des remèdes, comme les blessures et les maladies; la douleur, la souffrance, les amertumes, les tourments, l'affliction et la désolation excitent la pitié et demandent à être calmės. Dans le mal et dans la peine, on est dans une situation anormale, difficile, qui ne convient pas à notre nature; dans la douleur, dans la souffrance, etc., on est en proie au mal ou à la peine, la sensibilité est offensée.

Quant à la différence de mal et de peine, elle est évidente: elle consiste en ce que ces deur mots se disent presque uniquement, l'un par rapport au corps, et l'autre par rapport à l'esprit ou à l'âme. En latin pœna, d'où vient peine, ne signifie pas seulement punition, mais aussi peine ou souffrance intérieure, comme on le voit par pænitere, se repentir, qui a formé pœnitentia, pénitence. Du reste, chacun de ces deux mots, dans sa sphère, savoir, mal relativement au corps, et peine relativement à l'esprit, est très-général; en sorte que, lors même qu'on les prend comme signifiant les sensations désagréables, ils diffèrent toujours bien des mots suivants, qui expriment des espèces nettement caractérisées.

Douleur et souffrance sont également propres à désigner le sentiment des maux du corps ou le sentiment des peines de l'esprit.

A l'égard du corps, douleur, de dolere. éprouver du mal, être sensible à une chose, indique des maux ou le sentiment de maur aigus, poignants; et souffrance, de sufferre. supporter, endurer, marque l'effet de maur moins vifs, mais qui agissent continûment. et sans intermittence: un coup, un accès de mal de dents nous cause une grande douleur, mais on vit dans la souffrance ou dans les

Tout ce que j'ai souffert, mes craintes, mes trans-
ports,

La fureur de mes feux, l'horreur de mes remords,
Et d'un refus cruel l'insupportable injure,
N'étaient qu'un faible essai du tourment que j'en-
dure.

Ils s'aiment!

(Phèdre). RAC.

Affliction, du latin affligere, frapper, renverser, est le nom d'une peine produite par le vent de l'adversité qui abat l'édifice de notre bonheur, par un revers de fortune, par une catastrophe, par la perte d'une personne qui nous est chère. De plus, l'affliction éclate: elle se manifeste par le deuil, par des pleurs et des gémissements; et, dans cet état, la grandeur de la peine qui nous opprime va quelquefois jusqu'à troubler notre raison. Achille, afflige, crie, se frappe, se roule sur le sable, devant sa tente. Cependant, l'affliction n'atteint son plus haut degré que quand elle devient la désolation. La désolation est l'extrême affliction. C'est l'affliction inconsolable, comme le dit le mot, de de, négatif, et de solatium,

consolation 1.

souffrances. Même différence entre ces deux mots quand il est question de l'âme ou de l'esprit la douleur résulte d'une peine, ou c'est une peine, vive, cuisante, très - sensible, au lieu que la souffrance vient d'une peine ou est une peine prolongée, qui a de la durée, et qu'on endure avec plus ou moins de patience et de résignation. Dieu nous réveille de temps en temps par des coups ou des éclats (FLECH.) de douleur, et nous éprouve continuellement par des souffrances. On a la douleur de voir arriver ceci ou cela; on est endurci à la souffrance. C'est, d'une part, quelque chose d'accidentel et de passager; c'est, de l'autre, quelque chose de constant. « C'est par un chemin tout seme de ces serpents venimeux que Caton mène ses soldats endurcis à la souffrance, et il a la douleur de les voir périr de blessures presque invisibles et dans des tourments inouïs. » MARM. Douleur vive, aiguë, violente, immodérée, brûlante, cuisante, déchirante, atroce; passer des années dans des souffrances sans relâche (J. J.), une éternité de souffrance (BOURD.), le reste de ma vie me paraît une longue souffrance (DELAF.).— Je suis dans un état de souffrances continuelles; j'aimerais mieux de plus vives douleurs et des intervalles (J. J.). L'amertume est le contraire de la douceur, au figuré comme au propre. C'est ici une peine extrêmement désagréable, déplaisante, importune, mais moins grave, moins profonde que la douleur et la souffrance, et ne provenant pas, ainsi qu'elles, de causes très-nuisibles qui produisent des blessures et tendent à détruire les principes de la vie. D'ailleurs, comme l'amertume est une saveur désagréable qui reste en la bouche après certaines boissons qu'on a prises, l'amertume, au figuré, est souvent une peine éprouvée à la suite et en conséquence des actions que nous avons faites: c'est un regret. « David passa le reste de ses jours dans des sentiments de componction et d'amertume. » MASS. Gémir saintement parmi les amertumes de la pénitence. Boss. Enfin il est bon, en employant ce mot, de l'opposer autant que possible à celui de douceur (les douceurs et les amertumes de la vie) et de rap peler l'idée primitive de la sensation du goût: abreuver d'amertume. « Il faut boire toute l'amertume de ce calice. MASS. Attendez vous à des dégoûts et à des amertumes. » ID. « Il nous est resté une petite goutte de joie pour rendre la vie supportable et tempérer par quellations et de misère. » Sév. « Ils peuvent choisir de que douceur ses amertumes infinies. » Boss.

On émousse la douleur, on abrége la souffrance, et on adoucit l'amertume.

Tourment est un mot d'une singulière énergie. Il vient de torquere, tordre, et rappelle la torture, le supplice qui consistait à tordre les membres. Le tourment est, quant à l'intensité, le comble de la douleur ou de la peine: il torture. C'est, au physique et au moral, quelque chose d'extrême, d'excessif, d'insupportable. « Les tourments des âmes du purgatoire. » BOURD. « Quel tourment est comparable à celui d'un esprit blessé qui aime et qui s'aperçoit qu'il n'est pas aimé ? » ID.

Ah! douleur non encore éprouvée ! A quel nouveau tourment je me suis réservée!

SYN. FRANC.

α

II. Tristesse, melancolie, chagrin. État pénible dans lequel se trouve plongée une âme inaccessible au sentiment de la joie, peu expansive, et pour ainsi dire retirée en elle-même. « Gaspard Bartholin croit qu'une humeur qu'il appelle atrabile est conservée dans les cavités des glandes pensée affligeante qui met dans nousmêmes un principe de melancolie et semble faire

1. Girard a comparé ensemble peines, afflictions et croix, comme signifiant des maux dont est semée la vie. On pourrait y joindre tribulations.

Peine est un terme général; il n'a rien de particulier qui le caractérise.

Les afflictions sont des peines causées par de grands et graves accidents, par des pertes, des calamités, des désastres.

Tribulation, tribulatio, vient de tribulum, sorte de herse pour battre le blé, fléau, de τpibe, fouler, broyer, harceler.

pas, comme les afflictions, à être abattu par de grands Les tribulations sont des peines qui consistent, non coups de la fortune, mais à souffrir persécution, à être traversé, harcelé, agité, soit par les événements, soit par les hommes. « La guerre de Troie n'est pas plus connue que les succès des révérends pères jésuites à la Chine et leurs tribulations. » VOLT. « Je veux écrire dans mes Heures ce que dit M. de Comines voir que, dès ce temps-là, il était question de tribusur les traverses de la vie humaine. Il y a plaisir de

ne me laisser justifier mon livre qu'avec toutes sortes de tribulations, ou de me le laisser justifier en paix.» FÉN. « Je m'en vais à Jérusalem, disait saint Paul, et l'esprit de Dieu me fait connaître que des tribulations et des chatnes m'y sont préparées. » BOURD.

Les croix sont des peines envoyées par Dieu pour mériter par des souffrances semblables à celles de exercer les chrétiens, et leur donner occasion de leur divin modèle. Ce mot ne s'emploie qu'en termes de dévotion, et presque toujours de manière à rappeler la passion et l'instrument de la passion de JésusChrist. Des croix légères, pesantes. « Il y a des croix dont le sort est de demeurer cachées à l'ombre de celle de Jésus-Christ. » FLECH. « Ces âmes, chargées des mêmes croix que vous, en font un usage bien différent. » MASS. « Dieu nous aide lui-même porter les croix que lui-même nous impose. » ID.

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