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sacrés, et n'y donnent leurs soins, que selon la mesure des émoluments qu'ils en peuvent retirer. » BOURD. « Si l'homme avide est en charge et en dignité, rougira-t-il des émoluments sordides qu'il tire et qui décrient son ministère?» ID. Aldovrandi était pressé de retourner jouir des grands émoluments de la nonciature d'Espagne.» S. S. « Les titulaires des grandes places ne les possèdent pas toujours pour les remplir; on convient d'une espèce de partage qui donne le pouvoir, les honneurs et les émoluments aux chefs, et le travail aux subalternes. » LAH.

Lucre ne se dit qu'au singulier, dans le style soutenu, pour exprimer le gain d'une manière tout abstraite et générale. « Travailler moins pour le lucre que pour l'honneur. » ACAD. D'ailleurs, ce mot annonce presque toujours quelque chose de bas ou d'odieux. « Ne respirer que le lucre.» SCARR. « Cette ardeur, cette âpreté du lucre est le caractère dominant des capitales et des villes commerçantes.» RIV. Le grand pape saint Léon, dans son épître décrétale dit Quidam lucri turpis cupiditate capti.... Voilà déjà l'usure un lucre malhonnête.» Boss. A Rome on ne donnait à celui qui avait sauvé la vie à un citoyen qu'une couronne de feuilles de chêne.... On n'attacha à ce service d'autre récompense que celle de l'honneur, et on crut devoir en écarter sévèrement tout motif de lucre et d'intérêt (ROLL.). Dans la tragédie d'Agathocle de Voltaire, le vieux guerrier carthaginois, Ydasan, apporte la rançon de sa fille, et demande s'il peut présenter cette rançon au roi. On lui répond :

A ce détail indigne il ne veut plus descendre; Sa grandeur abandonne à l'un de ses enfants Du lucre des combats les soins avilissants. GALIMATIAS, PHÉBUS, PATHOS. Langage obscur par affectation.

Le galimatias dénote un défaut logique, un défaut de justesse; le phébus et le pathos annoncent un défaut littéraire, un défaut de goût. C'est dans les matières de raisonnement surtout que se commet le galimatias; c'est dans les ouvrages d'esprit qu'on met ou qu'on remarque du phébus et du pathos. L'auteur du galimatias croit à tort prouver, expliquer, être vrai; l'auteur du phébus ou du pathos croit à tort plaire, frapper, être beau. On reproche du galimatias à un dialecticien ou à un docteur; du phébus et du pathos à un écrivain dont on critique le style plutôt que la suite des pensées. « C'est là non-seulement un parfait galimatias et une doctrine absolument inintelligible, mais encore une erreur manifeste. » Boss. Tout nous plaît de Malebranche, jusqu'à son explication de la manière dont Dieu est auteur de l'action du libre arbitre comme de tous les autres modes; quoique je ne me souvienne pas d'avoir jamais lu aucun exemple d'un plus parfait galimatias. » ID. « Que peut-on dire des raisonnements d'Aristote, qui deviennent un galimatias impertinent et ridicule lorsqu'on se sert de cette règle?» MAL. « Il semble que ce soit un galimatias incompréhensible de dire, comme le fait Aristote, que........ » ID. — Galimatias a si peu rapport à la forme, au caractère esthétique,

qu'il se dit même des affaires. « Pour achever le galimatias qui règne dans toute cette affaire.... >> VOLT.

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Le phébus est le langage ampoulé de quelqu'un qui a la prétention d'être sublime ou bel esprit : c'est surtout en poésie et en conversation qu'il s'étale. « Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables, les diseurs de phébus, c'est l'esprit, et il y a en vous une chose de trop, qui est l'opinion d'en avoir plus que les autres : voilà la source de votre pompeux galimatias. » LABR. « La langue française n'admet point la simplicité majestueuse du latin, et, pour peu qu'on l'orne, donne dans un certain phébus, qui la rend sotte et fade. » BOIL. « Je vais prendre devant eux un ton si sublime, que mon phébus leur fera croire que je suis le plus bei esprit du monde. Vous savez que les galimatias pédantesques imposent infiniment aux provinciaux. DEST. « C'était jeter un comique extravagant sur tout le cérémonial de la cour, que d'aller en grand appareil étaler du phébus à un petit marmot (le haranguer) avant qu'il le pût entendre. » J. J. « Soupir illustre (de Corneille) tient un peu du phébus. » VOLT. « La magnificence des paroles avec de faibles idées est proprement du phébus. » VAUV. « Une pensée triviale, revêtue d'une image pompeuse ou brillante, est ce qu'on appelle du phebus. » MARM. Voiture trouva le moyen de tomber dans ce qu'on appelle le phébus, comme tant. d'autres en voulant être sublimes. » LAH. « La versification de Tarare (de Beaumarchais) est l'amalgame le plus hétéroclite de la platitude et du phébus. » ID. « Les poëtes, en donnant l'essor à leur imagination, peuvent aisément s'éloigner du naturel, et donner dans le phebus. » LES. Ces vers bouffis où sa muse hydropique Nous développe, en style magnifique, Tout le phebus qu'on reproche à Brébeuf. J. B. Rouss.

<< Tous ceux qui veulent parler de ce qu'ils n'entendent point ne peuvent pas manquer de donner dans le galimatias. Ceux qui, sans avoir étudié les grands maîtres de l'art, ni approfondi le goût de la nature, prétendent se distinguer par une élocution brillante, sont en grand danger de ne se distinguer que par le phébus. » BEAUZ.

Le pathos est le langage ridiculement véhément de quelqu'un qui a la prétention d'être pathétique; c'est une affectation de chaleur et d'enthousiasme qui se montre seulement dans les discours oratoires. Je voudrais que les avocats de la famille des Calas eussent mis dans leurs mémoires moins de pathos et plus de pathétique. » VOLT. « Je voudrais bien que l'avocat Beaumont eût un peu plus de goût, et qu'il ne mît pas dans ses mémoires tant de pathos de collége. » ID. « Il lui fit tout de suite un pathos qui tenait d'un assez plaisant sermon. » S. S. Laharpe dit à propos d'une citation de Séneque : «< Voilà de la véhémence. Mais l'auteur n'était pas homme à s'en tenir là; il ajoute.... Voilà le pathos. »

GARDER, RETENIR. Ne pas se dessaisir, rester en possession.

Garder, c'est simplement continuer à avoir; | pour vous, et vous pourrez vous en servir un retenir, c'est tenir ou avoir entre les mains de manière à empêcher de retourner à un premier maître. On garde plutôt ce qu'on ne veut pas donner; et on retient ce qu'on ne veut pas rendre nous gardons notre bien, nous retenons celui d'autrui.

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jour; ce que vous retenez ne vous est point repris ou simplement enlevé, grâce à votre résistance. Ce qui frappe dans garder, c'est la continuation de possession pour un usage futur; et dans retenir, c'est la lutte qu'il faut soutenir pour rester maître. On garde ce qu'on a, et c'est d'ordinaire par précaution; on retient ce qui menace d'échapper, ce qui est demandé, réclamé, disputé. « Les États généraux avaient envoyé à Marlborough les sauf-conduits, avec ordre de les remettre à la reine. Cependant il ne l'avait point fait: comme il n'avait pas même de prétexte pour les retenir, il paraissait que, dans l'attente d'une révolution, il les gardait pour retarder l'ouverture des conferences. COND.

Garder ses conquêtes, c'est ne pas les perdre, continuer à les avoir; les retenir, c'est ne pas les laisser reprendre, se maintenir en leur possession, malgré toutes les attaques.

Mais garder, de l'allemand warden, warten, soigner, veiller à, attendre, marque du soin, de la prévoyance; en sorte qu'on garde pour l'avenir, en cas de besoin, comme une ressource. Avec cet accessoire, on peut dire garder le bien d'autrui. On dit pour se dispenser de restituer: Je suis obligé de maintenir mon état; et du moins, dans ma condition, puis-je garder ce qui m'est nécessaire pour une honnête médiocrité. » BOURD. Bossuet écrit à Fénelon que si, en lui rendant ses papiers, « il a gardé ses lettres, c'était pour avoir un moyen de le rappeler en secret à ses soumissions. » L'Espagne voulait retenir la Sardaigne. L'Angleterre représenta qu'Al- On a toujours les habitudes et les sentiments béroni voulait garder la Sardaigne comme un qu'on garde; on est le même sous ce rapport: entrepôt nécessaire pour ses entreprises. » S. S. on retient des habitudes et des sentiments, malEt non-seulement on peut dans ce cas se servir gré toutes les causes qui auraient pu ou dû les de garder, en parlant du bien d'autrui, mais faire perdre, comme le temps, l'exemple, l'inencore cette expression doit être préférée à rete-struction. « Il y a en Amérique une espèce de nir toutes les fois qu'on demeure maître tranquille, qu'on n'a pas à vaincre des efforts qui tendent à faire rendre, des réclamations, des attaques, des poursuites, des remords. Retenir est | le mot propre dans cette phrase de J. J. Rousseau Mon ouvrage n'est pas à l'Opéra, mais à moi; je le redemande; en le retenant, on le vole.» Mais Voltaire a eu raison de dire et de répéter: « En vertu de la bulle de composition il est permis de garder le bien qu'on a volé, pourvu que l'on n'en connaisse pas le maître. » Car dans ce cas on n'a pas à résister à des instances, à des sollicitations.

En général, et quand il s'agit d'une action volontaire, nous gardons comme bon ce qui nous appartient ou ne nous appartient pas ce qui est Fon à prendre est bon à garder. Toutes les ressources du royaume étant épuisées, on parla d'offrir au roi toute la vaisselle d'argent des particuliers.... Les uns la gardaient pour une dernière ressource dont il les fàchait de se priver; d'autres.... » S. S. Dans le partage fait entre les barbares et les Romains, possesseurs des Gaules, « le Bourguignon, guerrier, chasseur et pasteur, ne dédaignait pas de prendre des friches; le Romain gardait les terres les plus propres à la culture. MONTESQ. « Il faut bien que les Anglais trouvent leur profit à garder Bombai, un établissement si triste.» VOLT. Mais nous retenons contre le droit ou malgré des efforts ayant pour but de nous déposséder. Le superflu est un bien que les riches ne peuvent retenir sans commettre la plus criminelle injustice. » BOURD. «On ne peut nous ravir ce que nous aimons, sans que nous pensions à le retenir. » MAL. « Milon (l'athlète) empoignait une grenade de manière que, sans l'écraser, il la serrait suffisamment pour la retenir, malgré les efforts de ceux qui tâchaient de la lui arracher. » ROLL.

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Ce que vous gardez vous reste, n'est pas perdu

chiens qui retient encore la haine qui lui fut inspirée du temps de la découverte. » VOLT.

1o GATER, CORROMPRE ; 2 DEPRAVER, PERVERTIR. Ces mots signifient, au moral ou dans les choses de morale, faire changer de bien en mal.

Mais gåter et corrompre expriment une action qui attaque le fond des choses, leur substance, leur masse, leurs qualités essentielles ; au lieu que l'action de dépraver et celle de pervertir en modifient le sens, les détournent, les mettent ou les font aller de travers, leur impriment une direction mauvaise. Ce qu'on empêche de rester sain, pur, intègre, on le gâte ou on le corrompt; ce qu'on empêche d'être ou d'aller droit, d'avoir de la régularité ou de la rectitude, on le déprave ou on le pervertit.

On gåte et on corrompt proprement le cœur qui est, comme l'eau, la viande ou un fruit, une matière susceptible de s'altérer, d'être infectée et d'entrer en décomposition; on déprave et on pervertit proprement le jugement, qui est susceptible de déviation, de dérangement, de désordre.

La mollesse, la prospérité, le mélange des personnes ou des choses gâtent et corrompent, elles agissent à l'intérieur, elles minent, consument, font dépérir; mais les mauvais conseils, les mauvais exemples, les passions, les fausses doctrines dépravent et pervertissent en détournant du bien, en débauchant, en déréglant.

Des mœurs, des personnes gâtées ou corrompues ne sont pas intactes, pures, innocentes; des mœurs, des personnes dépravées ou perverties ne sont pas régulières, droites, bien ordonnées.

La corruption est une sorte de gangrene (Boss.); elle a pour effet d'infecter (VOLT.); on en prend le germe ici ou là (BARTH.). Mais la dépravation et la perversion sont un renversement ou se manifestent par des désordres. « L'irrégularité

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L'action de gâter et de corrompre est plus spé-« Mon intention n'est pas de me plaindre quand cialement contraire à la bonté; celle de dépraver on souffre de l'oppression, on gémit et on ne se et de pervertir, à la beauté et à la justesse. « Le plaint pas. » BARTH. Pendant l'exécution des franc de Pompignan dit, dans sa harangue a chefs d'une sédition, « leurs complices demeul'Académie, que tout porte l'empreinte d'une rèrent immobiles, et tellement saisis de crainte, morale corrompue et d'une littérature dépravées» qu'il ne leur échappa ni aucune plainte ni même VOLT. Si le naturel du peuple se corrompt, si aucun gémissement. » ROLL. On gémit dans le son bon sens se déprave, ... » MARM malheur; on se plaint du malheur. Les gémissements sont plus ou moins pitoyables; les plaintes, plus ou moins fondées.

1° Gâter, corrompre.

Gåter, faire tort, causer un dommage, un changement désavantageux, annonce une altération légère ou partielle, un commencement de corruption. Corrompre, corrumpere, rompre intérieurement, tout à fait, marque une décompositron des parties, une altération intime, profonde, complète, qui dénature la chose, qui tend à la pourrir, à la détruire. Aussi corrompre se met d'ordinaire après gâter comme augmentatif. « Vos actions dans la substance sont les mêmes que celles des justes: mais ce péché secret, dont votre conscience est infectée, gåte tout, corrompt tout. BOURD. « Les Syracusains étaient gate's et corrompus par les discours flatteurs et complaisants des orateurs. ROLL. « Alexandre, non encore gâté et corrompu par la prospérité. » ID. On ne désespère pas tant de ramener au bien un prince gâté qu'un prince corrompu.

2° Dépraver, pervertir.

Entre ces deux verbes la différence est la même qu'entre les deux précédents; le second enchérit sur le premier. La dépravation éloigne du bien ou de la droite voie; la perversion met sens dessus dessous. L'homme dépravé ne pense plus, ne sent plus, n'agit plus d'une manière juste ou convenable; l'homme perverti est une espèce de monstre moral dont la raison est à l'envers, et qui agit tout de travers, d'une manière extravagante. «Que votre élève sache que l'homme est naturellement bon; mais qu'il voie comment la société déprave et pervertit les hommes. » J. J. « Burrhus, dans une cour dépravée, résiste à l'ambition inquiète d'Agrippine, et à la perversité de son maître. » LAH..

1o GÉMISSEMENT, PLAINTE, LAMENTATION; 2° COMPLAINTE, JEREMIADE, DOLÉANCE. Différentes manières d'exprimer par la voix un sentiment de douleur.

1o Gémissement, plainte, lamentation. Dans le gémissement, la voix n'est pas articulée; elle l'est dans la plainte. On pousse des gémissements; on profère des plaintes. Les bêtes gémissent ainsi que l'homme, la douleur leur arrache aussi des cris et des soupirs; gémir se dit même, dans certains cas, des objets inanimés. Le chien est le seul animal qui, lorsqu'il a perdu son maître et qu'il ne peut le retrouver, l'appelle par ses gémissements. » BUFF. Mais l'homme seul se plaint, parce que c'est le seul animal qui parle. On ne peut guère défendre à l'opprimé les gémissements, ils sont comme l'effet

Lamentation enchèrit sur gémissement et sur plainte, mais plutôt encore quant à l'étendue et à la montre que quant à l'intensité: la lamentation est un grand gémissement ou une grande plainte, une grande démonstration de douleur, ou la démonstration d'une grande douleur, d'une désolation, ou bien de la douleur de tout un peuple, causée par une calamité. Lorsque les Carthaginois envoyèrent aux Romains les otages demandés par ceux-ci, « jamais spectacle ne fut plus touchant; on n'entendait que cris, on ne voyait que pleurs. Tout retentissait de gémissements et de lamentations.» ROLL. « Les malades et les blessés, sentant qu'on les abandonnait, remplirent le camp de tumulte et de confusion, avec des cris, des hurlements et des lamentations horribles. » ID. « On n'entend parler que de calamités et de misères : chacun tient le même langage, et ce ne sont partout que plaintes et lamentations. » BOURD. « J'appelle piété stérile et infructueuse pour les morts celle qui ne consiste qu'en de vains regrets, qu'en d'inutiles lamentations, qu'en des cris lugubres, qu'en des transports de douleur, qu'en des torrents de larmes, qu'en des emportements et des désespoirs. » In.. « Jérémie a pu seul égaler les lamentations aux calamités. » Boss. Quand le boeuf Apis mourait, tout le peuple prenait le deuil, pleurant et faisant de grandes lamenta. tions. » RAC.

2° Complainte, jérémiade, doléance. Complainte, jérémiade et doléance sont, fami

liers.

La complainte et la jérémiade sont fastidieuses, importunes, fatigantes; mais la complainte l'est à cause de l'insipidité des plaintes, des griefs, des raisons qu'elle contient, et la jérémiade, à cause de sa longueur ou de la répétition des mêmes choses.

C'est une composition, une pièce ou une requête pitoyable que la complainte, elle fait hausser les épaules. « L'Académie ne fit pas plus d'attention à cette apologie que les magistrats n'en font aux complaintes de ces criminels, dont la réponse aux preuves qui les condamnent est qu'ils ont le malheur d'avoir des ennemis. » D'Alembert, de qui est cette phrase, dit ailleurs, en parlant des reproches adressés aux anciens par La Monnaye : « Peut-être cette complainte annonce-t-elle plutôt le chagrin d'un savant que

Dans sa à des lois plus sévères : le goût, plus froid. plus dédaigneux, ne pardonne rien au génie.» MARM.

la délicatesse d'un hommé de goût. critique des Mois de Roucher, Laharpe signale un morceau moins mauvais que les autres, mais mauvais encore : « Je m'arrêterai à la complainte de l'auteur sur la destruction de ces bois épais qui couvraient autrefois la fontaine de Budé, à

Hières. »

La jérémiade n'en finit pas, ou elle rabâché. Une longue jérémiade (VOLT.), de longues jérémiades (J. J.). « La jérémiade sur Lisbonne est actuellement un poëme de deux cent cinquante vers.» VOLT. « Ces scènes (du cinquième acte des Guèbres) n'étaient que des jérémiades où l'on ne faisait que répéter ce qui s'était passé, et ce que le spectateur savait déjà. » ID. « Pardon, prince: voilà trop de jérémiades; mais c'est un peu votre faute si je prends tant de plaisir à m'épancher avec vous.» J. J. « Soyons court, mais pas ennuyeux. Opposons ces lettres aux narrations du libelle que j'attaque, aux jeremiades hypocrites qui en accompagnent les récits. » BEAUM.

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La doléance est peu grave: c'est une petite plainte, ou une plainte relative à un petit chagrin, par laquelle on cherche à se rendre intéressant. Il n'y a rien parfois qui soit si touchant qu'un amant qui vient chanter ses doléances aux gonds et aux verrous de la porte de sa maîtresse.» MOL. Dans Sganarelle, Gorgibus dit à sa fille, qui refuse l'époux qu'il lui destine :

Trêve donc, je vous prie, à vos impertinences:
Que je n'entende plus vos soltes doléances. ID.
Et, dans une des fables de Lafontaine, un mari
ne se croyant point aimé de sa femme,

Il en faisait sa plainte une nuit. Un voleur
Interrompit la doléance.

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GÉNIE, GOÛT; — SAVOIR. Qualités qui ont leur application et sont des conditions de succès en littérature et dans les beaux-arts.

Le génie, de generare, engendrer, est une qualité de la même espèce que l'esprit et l'imagination i invente, il crée. Le goût, comme le goût physique, est un moyen ou une faculté d'apprécier les choses par les sensations de plaisir ou de peine qu'elles nous causent; c'est le discernement esthétique. De là vient d'abord que génie se dit toujours par rapport à ceux qui imaginent, qui composent, qui sont auteurs, au lieu que souvent le goût se prend pour la qualité de ceux qui ne font que juger, qui se bornent au rôle d'amateurs ou de critiques. On admire les productions du génie; on se rend aux décisions du goût. « Chapelain, avec une littérature immense, avait du goût, et il était un des critiques les plus éclairés. Il y a une grande distance de tout cela au génie. VOLT. « Vous avez un goût infini; je suis charmé de vos judicieuses réflexions sur ma tragédie. Si j'avais autant de génie que vous avez de lumières, on verrait beau jeu. » ID. « Le goût et le génie sont distingués l'un de l'autre en ce que le génie est le sentiment qui crée, et le goût, le sentiment qui juge. » D'AL. « Il y a loin du goût qui analyse avec justesse au génie qui analyse avec chaleur; le plus grand tort de La Motte n'est pas d'avoir critiqué l'Iliade, c'est d'en avoir fait une » ID. « Le poëte est aujourd'hui soumis

Dans un auteur et relativement à la composi tion, le génie et le goût font deux choses distinctes : le génie trouve les idées, et le goût en fait le triage; celui-là invente, celui-ci règle; parmi les choses que le génie suggère le goût discerne celles qui doivent produire l'effet désiré. Il faut du génie dans l'invention, et du goût dans le choix. » MARM. « Trouver la vérité relative à l'effet que se propose l'art, c'est l'invention du génie, la choisir ou la composer telle que l'art la demande, c'est l'inspiration du goût et du goût le plus éclairé. » ID. Sans génie on est stérile; et sans goût, plein de défauts. Toutefois une chose faite de génie peut encore être belle, indépendamment des règles du goût; mais elle a quelque chose de négligé, d'irrégulier, d'inculte ou de sauvage. La beauté que donne la conformité aux préceptes du goût est finie, correcte, élégante. << Racine a beaucoup plus de goût et autant de génie que Corneille. » VOLT.

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Le génie est un pur don de la nature. Le goût s'acquiert; il est l'ouvrage de l'étude et du temps: il se fortifie et se perfectionne par l'habitude de réfléchir, de considérer et de comparer les bons ouvrages, et de fréquenter les personnes de goût. Or, c'est comme contribuant à cette formation du goût que le savoir a aussi son prix sous le point de vue esthétique; il donne la connaissance exacte des règles suivies par les artistes, et des moyens qu'ils ont employés. En sorte que toutes nos principales facultés spirituelles concourent dans les productions des arts: le satoir y représente l'entendement ou l'intelligence, le goût le jugement, et le génie l'imagination. Le goût profite des instructions du savoir, et empèche les écarts ou les chutes du génie.

GÉNIE, TALENT. Disposition naturelle à réussir dans un art.

Mais avec du génie on a de l'invention, et avec du talent de l'industrie. Le génie implique la faculté de concevoir, d'imaginer, de créer, et le talent regarde l'exécution seule. Le génie produit proprement; le talent met en œuvre. On a le génie de la poésie, et le talent des vers; du génie pour composer, et du talent pour débiter ou pour écrire. « J. B. Rousseau n'a qu'un talent de détail; c'est un ouvrier, et je veux un génie. VOLT. Un homme de génie est fécond, original: un homme de talent est habile ou adroit. « Les singes sont tout au plus des gens à talents que nous prenons pour des gens d'esprit. » BUFF. Å la place d'esprit, on peut mettre son synonyme génie.

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Mais autant le travail de la tête l'emporte sur celui de la main, l'inspiration sur le savoir-faire, autant le génie l'emporte sur le talent. Aussi Voltaire le définit-il un vrai talent, un rare talent, un talent très-supérieur dans lequel il entre de l'invention. Son père était un petit génie; mais il avait le talent de bien gouverner ses affaires. » LES.

Soyez plutôt maçon, si c'est votre talent. BOIL. Un grand auteur a du génie; un écrivain es

timė a du talent. On a du génie pour les sciences, et du talent pour écrire : « Du génie pour les sciences, du goût pour la littérature, du talent pour écrire. » BUFF. Avec du talent on peut être un bon militaire; avec du génie un bon militaire devient un grand général.

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Le talent n'est pas aussi essentiellement natuque le génie. On dit acquérir des talents, et donner des talents à ses enfants. « L'étude avait donné à Boileau tout le talent qu'on peut avoir sans la sensibilité et la chaleur de l'âme; il lui manquait ces deux éléments du génie. » MARM. Considérés par rapport à un même art, génie désigne quelque chose d'intérieur, qui n'est encore qu'à l'état naturel, et en puissance, au lieu que le talent signifie la même chose, mais extérieure, effective, et actuellement appliquée. Un roi doit favoriser le génie, afin qu'il se développe, et exercer les talents. « Envoyez chez vos alliés qui ont la guerre ceux de vos jeunes gens en qui on remarquera le génie de la guerre et qui seront les plus propres à profiter de l'expérience. Par là, sans avoir la guerre chez vous et à vos dépens, vous aurez toujours une jeunesse aguerrie et intrépide. Quoique vous ayez la paix chez vous, vous ne laisserez pas de traiter avec de grands honneurs ceux qui auront le talent de la guerre; car le vrai moyen de conserver une longue paix, c'est d'honorer les hommes qui excellent dans cette profession. FÉN. « Si une jeune fille a de la voix et du génie pour les beautés de la musique, n'espérez pas de les lui faire toujours ignorer. »ID. Une jeune fille qui a du talent pour la musique ou le talent de la musique excelle dans cet art, est bonne musicienne. Le génie promet un talent ou du talent. Le XVIe siècle était grossier, le dernier siècle a amené les talents, et celui-ci a de l'esprit. Si par hasard il y avait quelqu'un aujourd'hui qui eût du génie, il faudrait le bien traiter. » VOLT.

Enfin, génie et talent représentant la même chose, l'un par rapport à l'âme comme faculté, l'autre par rapport au dehors comme puissance d'exécution, il s'ensuit que génie est général, et doit toujours être employé au singulier, au lieu que talent est particulier et peut très-bien se dire au pluriel; car la faculté d'imaginer est une, et, pour se produire, les conceptions des arts, même celles de chaque art, ont besoin de divers moyens, de plusieurs talents. Un bon poëte doit avoir le génie de la poésie, et ensuite réunir le talent de la versification, le talent du style, et le talent d'observer la nature et de l'imiter fidèlement. De là vient qu'on dit, avoir du Egénie, et avoir des talents; homme de génie, et homme de talents. Les projets et les négocia=tions passent pour étendue de génie et pour su=périorité de talents. » MASS. « Louis XIV n'avait peut-être pas le génie de son caractère, ni les talents de son ambition. » MARM. GENS, PERSONNES. Des hommes.

Gens a pour singulier gent, peu usité, et qui vient du latin gens, gentis, race, espèce, famille, nation. Personnes est le pluriel de personne, latin persona, personnage, rôle, individu. Au singulier, gent signifie une sorte, une

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espèce, une classe; et personne, un individu : la gent moutonnière, la gent trotte-menu; la personne du roi, une personne éclairée.

Au pluriel, les deux mots, par cela seul qu'ils sont au pluriel, marquent une reunion. Mais alors personnes est distributif et relatif aux individus, au lieu que gens est purement collectif et indéfini. C'est pourquoi d'abord personnes est capable, et gens incapable, de s'unir avec un nombre. On dit trois, quatre, six personnes, et non trois, quatre, six gens. Vous dites indéterminément, il y avait en tel lieu beaucoup de gens ou bien des gens, et précisément, il y avait plusieurs personnes ou tant de personnes. Que si on exprime aussi quelquefois combien il y a de gens exactement, c'est quand gens est précédé d'un adjectif avec lequel il s'incorpore et se confond de manière à perdre son caractère propre d'indétermination et à prendre celui de l'adjectif qui l'absorbe, pour ainsi parler: on dira donc trois braves gens, quatre sottes gens, six pauvres gens, comme on dirait trois braves, quatre sots, six pauvres.

Même différence relativement aux qualités que sous le point de vue du nombre. Gens n'a rapport qu'à l'ensemble, il est synthétique, général et vague; personnes fait penser aux individus dans l'ensemble, il est analytique ou particulier. Comme gens désigne la quantité indéfinie, de même il n'indique que l'espèce, la qualité générique ou commune; et comme personnes signifie des individus qui se comptent, d'un autre côté il porte l'attention sur la personnalité, sur les qualités propres ou particulières des hommes dont il marque l'assemblage.

Un prédicateur prêche contre les gens de théâtre ou les gens de guerre, et cherche à persuader les personnes qui l'écoutent. Pour ne pas accuser les gens sans preuves, il faut dépeindre les personnes, rapporter fidèlement leurs paroles et signaler toutes les circonstances de temps et de lieu. Ces gens-là, s'applique à des hommes d'une classe, qui ont un caractère commun; ces personnes-là, suppose qu'il s'agit de tels ou tels hommes ayant tels caractères particuliers. Des gens choisis, annonce des hommes du même ordre ou ayant la même espèce de mérite; des personnes choisies, veut dire des hommes de toutes conditions distingués chacun dans son genre et à sa manière. Les honnêtes gens composent comme une ligue ou un corps; les personnes honnêtes sont considérées chacune à part. On remarque en un lieu toutes sortes de gens, et les premières personnes de la ville ou de l'Etat. Bourdaloue dit d'une manière générale, et en employant le mot gens comme significatif d'une foule, que ceux qui changent trop souvent de domestiques « font un flux et reflux continuel de gens qui entrent et qui sortent. » Mais quelques lignes plus haut, parlant des plaintes que nous formons contre toutes les personnes engagées à notre service, il continue en faisant l'énumération des défauts particuliers que nous leur reprochons : l'un est un emporté; l'autre es lent et paresseux, etc. Il faut travailler à rendre les gens de bien agréables aux enfants; mais il

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