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le monde ne sait pas apprécier, et les objets de l'appréciation sont considérables; mais il n'est pas besoin d'être fort expert pour priser, et ce qu'on prise peut n'avoir qu'une valeur médiocre. Apprécier semble aussi être plus rigoureux c'est taxer, mettre un prix qui fait loi. « Il y á plus de rétribution pour un mariage que pour un baptême; on dirait que ce soit un taux sur les sacrements, qui semblent par là être appré- | ciés. » LABR. « Eutiphron trouve que vous êtes heureux avec dix mille livres de rente, pendant que lui a cinquante mille livres de revenu, et croit n'avoir pas la moitié de ce qu'il mérite: il vous taxe, il vous apprécie, il fixe votre dépense.» ID. « Les fonctions ecclésiastiques les mieux payées sont les plus courues: on apprécie | les fonctions sublimes du sacerdoce comme des ouvrages vils et mécaniques. » MASS. Priser signifie plutôt une décision d'arbitre qui indique à peu près le prix de la chose, mais sans en faire une règle. « Je dis au maquignon que je m'en rapportais à sa bonne foi; qu'il n'avait qu'à priser la bête en conscience, et que je m'en tien drais à la prisée. » LES. » Le fripier me proposa un autre habillement qu'il prisa dix pistoles. » ID. « Qu'on ne juge du travail d'Emile, devenu menuisier, qu'en le comparant à celui des bons maîtres.... Que son travail soit prisé par le tra- | vail même, et non parce qu'il est de lui. J. J. Au figuré, on estime ce qui a une valeur essentielle, principalement une valeur morale; on apprécie et on prise ce qui a une valeur d'opinion. On estime la vertu ou un homme vertueux; on apprécie et on prise les choses et les personnes susceptibles de bonne et de mauvaise réputation, de vogue ou de décri, un écrivain, par exemple ou ses ouvrages. Une personne estimée est jugée avoir du mérite et on la respecte; une personne appréciée ou prisée est en renom, à la mode, et on la recherche.

Thaïs veut qu'on l'estime, à parler franchement : Peu voudront toutefois qu'elle entre en leur famille; Veuve, on la doit priser un peu moins qu'une fille. LAF.

Quant à apprécier et à priser, l'un est plus usité que l'autre. Néanmoins Voltaire a tort d'affirmer absolument à propos de ce vers de Corneille,

Vous me faites priser ce qui me déshonore,

que priser n'est plus d'usage. Voltaire lui-même en use quelquefois, comme d'autres bons écrivains, pour dire attribuer une petite valeur. « Ces coquins de convulsionnaires n'auront pas grand crédit au parlement, où ils sont prises ce qu'ils valent, VOLT. « De tous ceux qui prisent ces bagatelles (pièces de théâtre) ce qu'elles valent, je suis peut-être celui qui y met le plus bas prix. » ID.

D

Que me servent ces vers avec soin composés? N'en attends-je autre fruit que de les voir prisés? LAF.

Mais monsieur Trissotin n'a pu duper personne.... Hors céans on le prise en tous lieux ce qu'il vaut.

MOL.

a On prétendait que la poésie avait un vice essentiel qui devait la faire réprouver ou du moins priser fort peu par les gens sensés. » LAH. «< Au

tant les arts qui sont proprement de l'esprit ont été peu prisés en Italie, autant ils ont été honorés en France. » ID. « Des histoires peu prisées.» Boss. Mais apprécier se dit plutôt en bonne part, et en parlant de choses dont on fait grand cas. En outre, ce qui le distingue éminemment, c'est qu'il suppose de l'habileté, de la finesse. « Il y a peu de gens qui sachent apprécier la métaphysi que. » BUFF. « Où est l'homme qui sache apprécier le temps? » LAH. « Le mérite de la difficulté vaincue (dans cette ode de Lefranc de Pompignan) ne peut être apprécié que par ceux qui connaissent également notre poésie et celle de l'Ecriture. ID. « Corneille et Racine n'avaient peut-être jamais été appréciés avec tant de sagacité et de justesse que dans les Réflexions critiques de Vauvenargues. » ID. « Il est aisé de critiquer un ouvrage; mais il est difficile de l'apprécier. » VAUV.

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Enfin, non-seulement apprécier indique un travail difficile et qui demande du savoir, mais il est tout relatif à ce travail; au lieu que priser et estimer regardent le sentiment de l'âme qui s'ensuit, le cas qu'on fait de la chose ou de la personne. Celui qui apprécie cherche à fixer sa croyance; celui qui prise ou estime a une opinion faite, une opinion favorable, et éprouve de la bienveillance. On apprécie bien ou mal; on prise, on estime beaucoup ou peu. On a ou on n'a pas le talent d'apprécier certaines choses; on a ou on n'a pas tort de priser ou d'estimer certaines choses.

ÉTABLIR, INSTITUER, FONDER, ÉRIGER. Créer ou donner l'être à une chose nouvelle.

Entre établir et instituer il y a d'abord cette différence, que instituer, venant du latin ou plutôt étant le latin instituere, établir, est un terme plus noble ou une expression consacrée dans quelque science: instituer des magistrats, un ordre religieux, instituer un héritier; établir des commis, un gardien, etc. Ensuite établir, c'està-dire mettre, installer, asseoir, se dit des objets ou des choses considérées comme telles, et a rapport au lieu; instituer, régler, disposer, convient davantage en parlant de pratiques, de couet se rapporte au temps: on établit un

tumes,

impôt, une société, un corps, une secte; mais on institue des fêtes, des juridictions, des offices. << Il fallut un prodige sans doute pour instituer

l'oracle de Dodone.... Une colombe s'étant posée sur un chêne, prononça ces mots : Établissez en ces lieux un oracle en l'honneur de Jupiter. » BARTH. On choisit tel lieu pour y établir un ordre religieux qu'on vient d'instituer.

Fonder fait concevoir quelque chose qu'on commence à bâtir, dont on pose les fondements, ou pour quoi on fournit des fonds: on fonde une ville, un empire, un système, ou bien des prix dans une académie, une messe, un hôpital, etc. Ériger, latin erigere, dresser, se dit de quelque chose qu'on élève : on érige des statues, des autels, des tombeaux, ou bien on érige une terre en duché, une église en cathédrale, etc. « Il y a un autre tombeau érigé la reine Brunehaut, au xve siècle, dans l'abbaye de Saint-Martin d'Autun qu'elle avait fondée. » VOLT.

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Le christianisme a été établi à diverses époques ne lui sont qu'inutiles feraient peut-être son dans les différents pays de l'Europe; les sacre- malheur dans un état plus élevé. » MARM. « Il y ments, ou au moins quelques-uns, ont été insti- a, en France, trois sortes d'états, l'Eglise, tués par J. C., par celui-là même qui a fondé la l'épée et la robe. » MONTESQ. Trois sortes d'états, religion chrétienne, et au nom duquel ont été c'est-à-dire évidemment de conditions considé partout érigées des chaires, d'où découle la pa-rables. role divine.

Le czar Pierre 1er établit des manufactures dans ses États, y institua différentes cérémonies, y fonda des villes, y érigea des monuments.

ÉTAT, CONDITION. Position d'un homme. État, latin status, participe passé de stare, être, se tenir, a un sens absolu. Condition, de condere, fonder, établir, est un substantif verbal à terminaison active, qui a, par conséquent, un sens relatif. L'état d'un homme se considère en lui-même; la condition d'un homme se considère par rapport à celle des autres ou par rapport à une autre. Chacun est mécontent de son état; chacun trouve sa condition pire que celle d'autrui, aspire à une condition supérieure. « Les pécheurs sentent tout le dégoût de leur état, et tout le bonheur de la condition du juste. » Mass. < Plus un pécheur examine la condition des gens de bien, plus son état lui paraît insupportable. » ID. L'homme, déchu de son état naturel, s'est précipité dans la condition des bêtes (PASc.).

D

D

L'état est plutôt idéal, et la condition réelle. Suivant Pascal, plusieurs jeunes seigneurs se laissent emporter dans des voies brutales « faute de bien connaître l'état véritable de leur condition. On dit les devoirs des différents états, et l'inégalité des conditions. Tel est votre état, c'està-dire tel il est essentiellement, voilà ce que vous devez faire : « Laissez les dévots mentir, médire, cabaler, nuire; c'est leur état. » LABR. Telle est votre condition, c'est-à-dire telle elle est de fait ou effectivement, voilà à quel degré de la hiérarchie sociale vous vous trouvez.

Enfin, l'état se conçoit comme étant, la condition comme donnée et obtenue. « Les premiers chrétiens, mécontents de leur état, ne pensaient qu'à s'assurer une meilleure condition dans la patrie céleste. » MASS. La condition humaine est la destinée assignée par Dieu aux hommes. « Nous passons par trois états, la naissance, le cours de la vie, et sa conclusion par la mort. Plus je remarque de près la condition de ces trois états, plus je suis convaincu que la nature n'a pas voulu qu'il y eût grande différence d'un homme à un autre. » Boss. La condition de ces trois états, c'est-à-dire le sort relatif fait à chacun d'eux par la nature.

ÉTERNEL, PERPÉTUEL, CONTINUEL, IMMORTEL, SEMPITERNEL. Sans fin.

Dans tel état on est bien ou mal; dans telle condition on est mieux ou pis qu'ailleurs ou que les autres, au-dessus ou au-dessous. État marque plutôt la manière d'être ou le genre de vie; et condition, le rang, c'est-à-dire une position relative, de convention ou d'institution. L'état est heureux ou malheureux, pauvre ou aisé, à en- Éternel est le latin æternus, contraction d'ævivier ou à plaindre, sûr ou chancelant; la condi- ternus, qui a été formé d'ævum, la durée infinie, tion est basse, vile, obscure, médiocre, ou bien et de la désinence temporelle ternus ou rnus. grande, élevée, brillante. « Les diverses condi- L'être ou l'objet éternel est absolument sans fin, tions des hommes, qui sont reconnues dans une et par conséquent subsiste par delà même le nation, établissent des différences dans leur temps ou les siècles; aussi oppose-t-on bien éterétat. D'AG. On est dans un état de maladie ou nel à temporel apprendre à souffrir des supde santé, de pauvreté ou d'opulence; on cherche plices temporels pour éviter les éternels (Boss.); à s'élever au-dessus de sa condition. Le mariage, préférer les choses visibles et passagères aux inle célibat, le veuvage, la jeunesse, la vieillesse, visibles et aux éternelles (ID.). Éternel, éternité, les diverses professions sont des états; la robe et réveillent seuls cette grande et effrayante idée l'épée, la noblesse et la roture, la bourgeoisie, d'un toujours ou d'un avenir tout à fait illimité. la domesticité, l'esclavage, sont des conditions. « Tout arrive par les ordres immuables de l'éterL'état est plus général, la condition plus parti- | nel souverain de la nature. » VOLT. « Un miraculière. « Soit que nous ayons égard aux obliga- cle est la violation des lois mathématiques, tions générales que la loi de Dieu impose à tous divines, immuables, éternelles. » ID. « Les dieux les états; soit que nous considérions les règles lui ont voué sans doute une haine éternelle. » particulières qu'elle trace à chaque condition, FÉN. Que si éternel se prend parfois dans un sens elle est partout souverainement raisonnable. » affaibli, on conçoit aussitôt et sans peine que BOURD. c'est une exagération et qu'à la rigueur il n'y a d'éternel que Dieu et ce qui s'y rapporte : reconnaissance éternelle, par exemple, est comme reconnaissance infinie, une expression sensiblement hyperbolique sur laquelle personne ne se trompe.

L'état est aussi plus relevé que la condition. Si, dans l'application de la loi du jeûne, l'Eglise devait avoir des égards, ce serait plutôt pour les personnes qui sont nées dans une condition obscure et dans une fortune médiocre, que pour celles qui vivent dans un état brillant et dans l'opulence (MASS.). « Certains prêtres ont du zèle et quelquefois du zèle le plus violent pour certaines conditions, et en manquent pour d'autres états plus relevés. » BOURD. « Je veux tirer la bergère de cette condition trop malheureuse et trop indigne d'elle.... Mais, hélas ! ces dons qui

Perpétuel, perpetuus, de perpeti, endurer ou durer jusqu'au bout, signifie sans fin, relativement, c'est-à-dire par rapport à un but fixé, à une époque déterminée, dans un certain espace de temps. « Qu'est-ce qu'un esclavage perpétuel? N'est-ce pas une espèce d'éternité ?» Bourd, « Que ne fait point la médisance, lorsque pour se

α

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Immortel, non susceptible de mourir, n'offre aucune difficulté. C'est une épithète réservée pour les êtres vivants ou personnifiés, pour tout ce qui vit ou semble vivre sans terme, à perpétuité, pour toujours. Dans sa douleur, Calypso se trouvait malheureuse d'être immortelle. » Féx. << Anaxagoras affirma que l'âme était un esprit aérien, mais cependant immortel. » VOLT. « Dieu rendra à l'âme son corps immortel, plutôt que de laisser l'âme, faute de corps, dans un état imparfait.» Boss. « Non loin de là, des chênes, qui semblent immortels, portent au ciel une tête qui se dérobe aux yeux.» MONTESQ. La haine vivace et la gloire qui vit dans la mémoire des hommes peuvent recevoir aussi la qualification d'immortelles. « Les haines (en Germanie) ne sont pas immortelles. » VERT.

répandre, et même, autant qu'il lui est possible, pour se perpétuer et s'éterniser, elle se produit dans des libelles? » ID. « Le roi Charles VII fit un fonds pour la subsistance des gens de guerre, et pour cela il imposa la taille, qui, depuis ce temps-là, a été perpétuelle. » Boss. L'édit du préteur fut alors appelé perpétuel, comme n'étant plus sujet à variation pendant toute l'année pour laquelle il était dressé. » ROLL. Un dictateur perpétuel, un secrétaire perpétuel, sont à vie; les décrets éternels et les flammes éternelles ne supposent dans leur durée aucune sorte de bornes. Continuel, continuus, de cum, avec, et de tenere, tenir, c'est ce qui tient ou se tient ensemble, ce qui forme suite. Ce mot indique, comme perpétuel, une sorte d'éternité, une éternité relative, une durée sans fin dans certaines Pour gagner vingt écus ce fou de La Beaumelle limites après avoir essuyé ici-bas une persécuInsulte de Louis la mémoire immortelle. VOLT. tion continuelle, les justes trouveront au ciel Sempiternel, latin sempiternus, de semper, une éternelle consolation (Boss.). Travail, mouvement, exercice continuel; prière, illusion, toujours, est dans notre langue un mot sans fatigue, inquiétude continuelle. La médisance famille, dépaysé, dont on ne se sert que familieest un péché dont Toccasion nous est fréquente rement et en plaisantant. Dans une lettre å et presque continuelle. » BOURD. « Dans le monde M. d'Argental, Voltaire écrit: « Que Dieu acse voit, en apparence, un continuel triomphe, et corde à mes anges (M. et Mme d'Argental) la vie dans l'Église une continuelle persécution.» Boss. sempiternelle le plus tard qu'il pourra! » Il se dit Mais ce qui est perpétuel est un tout indivisible surtout en parlant dédaigneusement d'une vieille qui dure d'une manière permanente ou persévé-femme. J. B. Rousseau, dans une pièce badine, rante; au lieu que ce qui est continuel est un tout ou comme un tout composé de parties qui se succèdent sans cesse, sans interruption, sans lacune. Le chêne vert a un feuillage perpétuel (VOLT.); l'esprit humain fait dans les sciences un continuel progrès (PASc.). On est condamné à un exil perpétuel (VERT.), on se condamne à un silence perpétuel (LABR.); mais on se fait d'une chose une continuelle occupation (MAL.), une expérience continuelle nous apprend ceci ou cela (MONTESQ.), tous les corps sont sujets à un continuel changement (ACAD.). Ce qui est perpétuel est ou demeure toujours; ce qui est continuel va ou se fait toujours. Un dictateur perpétuel, un bruit continuel; un monument perpétuel, une plainte continuelle.

l'applique à Cybèle, amoureuse du jeune Atys. La vieille Mme Dudeffand se traite elle-même de sempiternelle dans une de ses lettre à Walpole : « Je crois que vous avez autant d'amitié pour moi qu'on en peut avoir pour une sempiternelle. » Qui voit-on venir aux bains de Plombières: D'impotentes sempiternelles

Qui toutes pensent rajeunir.

VOLT.

Il vous sied mal, jeune encor, belle et fraiche,
D'aller crier d'un ton de pigrièche
Contre les ris, les jeux et les amours,
De blasphémer ce Dieu de vos beaux jours,
Dans des réduits peuplés de vieilles ombres....
Je vais, je vais de ces sempiternelles
Tout de ce pas égayer les cervelles.
ÉTOUFFER, SUFFOQUER. Empêcher ou faire
perdre la respiration.

ID.

Dans toutes ses acceptions, étouffer, quelle La distinction est rigoureuse; en conséquence, continuel ne se dit jamais des choses qui sont, qu'en soit l'étymologie, exprime particulièrement des objets. Toutefois, la réciproque n'est pas la privation de l'air : c'est en interceptant l'air vraie perpétuel a quelquefois le sens de conti- qu'on étouffe du charbon ou de la braise; et, nuel et se dit bien des choses qui se font, se pas- quand des plantes meurent étouffées, c'est que sent ou arrivent. Mais alors il les représente syn- d'autres qui les surmontent leur dérobent l'air thétiquement, abstraction faite de toute idée nécessaire à leur végétation. Suffoquer, suffode succession, et c'est pourquoi il s'emploie de care, de sub, sous, et de faux, gorge, signifie On étouffe préférence au singulier. Une guerre perpétuelle prendre ou s'attaquer à la gorge. est comme un tout sans parties ou à parties in- en ôtant l'air qui entretient la respiration; on distinctes qui dure, au lieu qu'une guerre conti- suffoque en obstruant ou en gênant de quelque nuelle se compose de combats continuels, d'ac-manière le canal par lequel l'air arrive aux poutions qui se suivent, qui ont lieu à plusieurs mons. Étouffer a rapport à l'aliment de la respireprises. Le chrétien doit se faire une guerre ration; et suffoquer, à l'organe. On fait l'action d'étouffer toutes les fois qu'on perpétuelle (BOURD.); les saints ont observé des jeûnes continuels (ID.). Outre la circulation per-supprime l'air, soit au moyen de la machine pétuelle de l'eau dans la terre, semblable à celle du sang dans le corps humain, il y a le flux et le reflux continuels de la mer (FÉN.). On attribue à Démocrite un rire perpétuel; ces ris continuels étaient fondés sur une profonde méditation de la faiblesse et de la vanité humaine (ID.).

pneumatique, soit en couvrant la tête d'un oreiller, d'une toile épaisse, d'un tas de couvertures. soit en embrassant trop fortement et en comprimant les poumons. Quand Toinette, dans le Malade imaginaire, jette rudement un oreiller sur la tête d'Argan, celui-ci s'écrie: « Ah! coquine,

tu veux m'étouffer. » MOL. « Au hasard de m'étouffer, ils roulèrent la toile et m'enveloppèrent dedans. » LES. « Les animaux carnassiers ne peuvent ni violenter les pangolins, ni les écraser, ni les étouffer en les surchargeant de leur poids.» BUFF.« Délacez cette femme, elle étouffe. » ACAD. C'était Myrtis que l'on voyait enceint des longs replis de ce serpent qui l'étouffait. » MARM.

J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer.

RAC.

« Toute la cour pensa l'étouffer de compliment et d'amitiés. » SÉV. Mais suffoquer rappelle toujours la gorge on est suffoqué par des vapeurs; de longues toux suffoquent les enfants (J. J.); la femme de Constantin, Fausta, fut suffoquée dans le bain (Boss). « Je n'ai jamais vu le chancelier avec de telles vapeurs, ni avec une poitrine si malade. Quel homme! à quel âge! où est-il? où devrait-il être ? quelle réputation ! quelle fortune étranglée, suffoquée! » SÉV. « Le pancratiaste Arrachion, saisi à la gorge par son adversaire, expira suffoqué. » COND. Cette pierre passa jusque dans le gosier du monstre, et pensa le suffoquer. » LES. « Il semble que la nature ait pourvu à ce que le pélican ne fût point suffoqué, quand, pour engloutir sa proie, il ouvre à l'eau sa poche tout entière; la trachée-artère se jette en devant, etc. » BUFF.

L'étouffement est caractérisé par la suppression de l'air; et la suffocation par l'embarras de la gorge, par l'obstruction du passage de l'air. On étouffe ou on est étouffé, parce qu'on n'a pas d'air: « Je me trouve étouffée ici, j'ai besoin d'air.» SÉv. On suffoque ou on est suffoqué parce qu'une cause quelconque arrête le jeu de l'organe par lequel l'air est reçu et rejeté alternativement. Par une chaleur étouffante, l'air est raréfié et semble manquer; par une chaleur suffocante, on est oppressé, on ne respire qu'avec peine.

De là suit une autre différence indiquée par l'Académie. Ce qui nous étouffe, ce qui nous enlève l'air est plutôt placé en dehors de nous. Au contraire, la suffocation, la gène de la gorge, sauf le cas où elle est causée par une vapeur nuisible, provient de quelque chose d'intérieur, d'une maladie du corps ou d'une passion de

qu'elles ont l'être ou l'existence, qu'elles ne sont point à néant.

"

Mais subsister, de sub stare, c'est continuer à être ou à exister sous et malgré les coups, les atteintes, les circonstances fâcheuses auxquelles la chose a dû résister : il a donc pour accessoire l'idée de durée et celle d'un obstacle à surmonter, d'une cause de ruine ou de destruction à vaincre. « Ce peuple (juif) est singulier en sa durée.... Ceux-ci subsistent toujours; et, malgré les entreprises de tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, ils ont toujours été conservés néanmoins. >> PASC. Les mœurs, les lois, les rites du peuple juif subsistent et dureront autant que le monde, malgré la haine et la persécution du reste du genre humain. » J. J. << Si une sagesse imparfaite, telle que la nôtre, ne laisse pas d'étre; à plus forte raison devons-nous croire que la sagesse parfaite est et subsiste, et que la nôtre n'en est qu'une étincelle. » Boss. . Cette espèce d'éléphants a autrefois existé, subsisté et multiplié dans le nord, comme elle existe, subsiste et se multiplie aujourd'hui dans les contrées du midi. » BUFF.

Etre et exister signifient tous deux l'existence. Mais être la signifie moins expressément et toujours en relation avec une modification ou qualification quelconque. Ce qu'il y a de moins essentiel, quand on emploie être, c'est l'existence; c'est, au contraire, la seule chose essentielle, quand on se sert d'exister. Ce manuscrit est dans telle bibliothèque, appelle toute l'attention sur le lieu où il se trouve; ce manuscrit existe dans telle bibliothèque, met surtout en saillie l'existence, et se dira quand cette existence aura été ou niée ou ignorée. Toutes les vertus sont dans cette personne, se dira pour faire l'éloge d'une personne, et un orateur, après la peinture de certaines vertus, ajoutera, pour montrer que ce ne sont pas des chimères, qu'elles existent dans une personne qu'il désignera. Du reste, malgré l'assertion de Girard, exister ne s'applique pas seulement aux substances, mais à tout ce dont on veut affirmer l'existence avec insistance et force. On dit d'un projet, d'une conception quelconque qu'ils existent depuis longtemps; il n'y a point de couleurs qui n'existent dans la nature; cette coutume existe depuis quarante ans; il existe des Enfin, quand ces deux verbes sont le plus sy-traces de son passage, des preuves de son crime, nonymes, quand ils désignent une même action etc. « La servitude ne saurait exister sans quelproduite par une même cause, sans rapport pré- que mécontentement. » J. J. dominant à l'aliment ni à l'organe de la respiration, étouffer enchérit sur suffoquer. Faute d'air, la respiration cesse; la respiration est seulement gênée ou suspendue par ce qui suffoque. Lorsque ce ballon vient à s'ouvrir, la vapeur qui en sort suffoque, étouffe ceux qui la respirent.» BUFF. « Mon ami, lui dis-je, la joie me suffoque. J'étoufferais, si je ne déchargeais mon cœur. » LES. De même au figuré. « Le frémissement public augmenta avec une sorte de bruit suffoque, lorsque les bâtards se mirent à traverser le parquet.... Jusque-là, toute voix avait été étouffée, et jusqu'aux soupirs retenus. » S. S.

l'âme.

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ÉTRE, EXISTER, SUBSISTER. Ces trois verbes se disent également des choses pour marquer

L'existence marquée par être est si peu essentielle, qu'elle semble s'évanouir tout à fait dans certains exemples: alors, étre n'est plus que simple copule, il exprime seulement l'affirmation, ou, comme dit Beauzée, l'existence intellectuelle, subjective: l'homme est inconstant. S'il n'y avait pas d'exemples, comme ceux qui sont cités plus haut, où être conservât quelque idée d'existence objective, il ne serait point synonyme des deux autres mots.

ÉTROIT, STRICT. Ces deux mots formés du latin strictus, resserré, qui a peu de largeur, ne sont synonymes que dans le seul sens où on emploie strict, dans le sens figuré de rigoureux ou sévère.

Étroit, qui avec le temps s'est transformé de façon à ressembler fort peu à son primitif, est dans notre langue un mot ancien et commun. Strict, au contraire, est un terme nouveau et savant; désapprouvé par Voltaire, il ne parut dans le Dictionnaire de l'Académie qu'en 1762, et comme il reproduit exactement le type latin moins la terminaison, il a conservé un air de science et d'école, de même que, par exemple, rationnel par rapport à raisonnable.

Étroit est du discours ordinaire.

α

Mais la scène demande une exacte raison; L'étroite bienséance y veut être gardée. BOIL. Strict appartient au style des logiciens, des grammairiens, des philosophes. « La liquéfaction primitive de la masse entière de la terre par le feu est prouvée dans toute la rigueur qu'exige la plus stricte logique. » BUFF. - Une mère exhortera son fils à réduire sa dépense à l'étroit nécessaire (MARM., LAH.); mais dans un traité de morale on prescrira de se burner, pour la satisfaction des besoins du corps, au strict nécessaire (ACAD.).

Et par cela même que strict est le mot usité en termes de sciences, il est d'une précision plus énergique qu'étroit, expression plus vague et plus libre comme le style de la conversation. On dira donc plutôt une obligation étroite (D'AL.), et un devoir strict (ACAD.); recommander étroitement, et enjoindre strictement. Le sens strict d'un mot est son sens le plus étroit.

Entre apprendre et s'instruire existe une dif férence presque aussi frappante. On travaille, on étudie, pour s'instruire; pour apprendre il n'est pas toujours besoin d'effort: n'est-ce pas involontairement qu'on apprend des nouvelles? N'arrive-t-il pas même quelquefois d'apprendre des choses qu'on ne voudrait pas savoir? Nul ne s'instruit qu'il ne le veuille. On a plutôt le bonheur d'apprendre; on a plutôt soin de s'instruire. << Il faut plus de docilité pour apprendre, et il y a beaucoup plus de peine à s'instruire.» GIR.

Apprendre, apprehendere, prendre, saisir, c'est recevoir; et s'instruire, instruire soi, c'est se former des idées; en sorte que l'homme qui s'instruit a une plus grande part d'action que celui qui apprend. On apprend d'un maître qui donne des leçons, ou dans un livre qui donne des résultats, des solutions toutes faites; on s'instruit par le malheur, par l'exemple, par des voyages, par tout ce qui fournit matière à des méditations, à des comparaisons, à des inductions. Pour apprendre, il n'y a qu'à écouter et à être docile; pour s'instruire il faut s'en mêler davantage, il faut interroger, rechercher, réfléchir, ruminer. On sait d'une manière moins analytique, moins détaillée, et on oublie plutôt les choses qu'on a apprises que celles dont on s'est donné la peine de s'instruire.

Par conséquent, s'instruire est propre à enchérir sur apprendre. « Le jeune Denys se livra dès lors avec autant d'empressement au désir d'apprendre et de s'instruire qu'il en avait eu auparavant d'éloignement et d'horreur. ROLL.

ÉVÉNEMENT, ACCIDENT, AVENTURE. Faits qui arrivent dans le monde et ont de l'influence sur le sort des hommes ou s'y rapportent.

Enfin, étroit est objectif, et strict subjectif; l'un se rapporte aux objets, aux choses en soi; l'autre, aux sujets, aux hommes, à ce qu'ils sont ou à ce qu'ils font. On garde l'étroite bienséance; on est strict sur les bienséances. Une conséquence est étroite, une conclusion stricte. Une loi est étroite en elle-même, elle ne souffre ni exception, ni excuse, elle est absolue; elle est stricte eu égard à la manière dont on l'entend ou dont on doit l'entendre, elle a un sens précis, sur le-toire et de la politique. « La Providence divine quel il n'est pas permis d'équivoquer.

ÉTUDIER, APPRENDRE, S'INSTRUIRE. Une idée d'acquisition de connaissances ou de savoir est commune à ces trois verbes.

Mais d'abord le premier se distingue essentiellement des deux autres.

L'événement est plus général; ce mot se dit de faits relatifs à tout l'univers, à toute l'humanité, ou au moins à un peuple, à un État. C'est le mot de la théologie naturelle, de l'his

préside à tous les événements humains grands ou petits. ROLL. « Tous les peuples qui ont paru et disparu dans l'univers, toutes les révolutions d'empires et de royaumes, tous ces grands événements qui embellissent nos histoires.... » MASS. « Tous les événements sont produits les uns par les autres.... Il y a un arbre généalogique des événements de ce monde. » VOLT. «Si l'on tenait pour vrais tous les prodiges que le peuple et les simples disent avoir vus, il y aurait plus de prodiges que d'événements naturels. » J. J. Les événements de l'histoire (MASS., ROLL., BARTH.). « Toute l'Europe a les yeux sur cet événement. » VOLT. « Chercher à démêler dans les événements l'histoire de l'esprit humain. » ID.

Étudier, c'est chercher à connaître, travailler à devenir savant; apprendre et s'instruire, c'est le devenir effectivement. Il se peut qu'après avoir beaucoup étudié on ne soit qu'un âne; mais quand on a beaucoup appris ou qu'on s'est beaucoup instruit, on est nécessairement savant ou instruit. Plus on étudie, plus on se fatigue; plus on apprend et plus on s'instruit, plus on gagne en lumières. En un mot, étudier marque l'application, la bonne volonté; apprendre et s'instruire signifient le succès, qui consiste en L'événement étant plus général, s'étendant à ce que l'esprit est éclairé ou enrichi de connais- un plus grand nombre d'êtres, a par cela même sances. « J'ai pris le parti de renoncer à toute plus d'importance, est plus considérable. « Cet lecture et de vendre mes livres et mes estampes, accident (la chute d'une statue de la Victoire) pour acheter des plantes gravées sans avoir le fut regardé comme un présage funeste. Pour plaisir d'apprendre, j'aurai celui d'étudier. »nous, contentons-nous d'observer dans ce petit J. J. Dieu fit sentir par expérience à Grotius, qu'il est naturel à l'homme d'apprendre en vieillissant et en étudiant. » Boss.

événement comment.... ROLL. « Dans le poëme épique le poëte ne fait que raconter les aventures de ceux dont il parle. Il est naturel d'aimer les

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