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propre. Nourrir du bétail (Boss.). « Le duc de Russie payait un tribut aux Tartares en argent, en pelleteries et en bétail. » VOLT. « Le cinquième ordre de Linnæus, pecora, ou le bétail, comprend le chameau, le cerf, etc. » BUFF. « Au moyen âge le plus grand nombre des hommes était une espèce de bétail. » VOLT. « C'est un bétail servile et sot que les imitateurs. « LAF. « Les filles sont un maudit bétail à gouverner. » REGN. Mais s'il s'agit d'animaux considérés distributivement ou successivement, et non plus ensemble, le terme convenable sera celui de bestiour. Joseph en vendant du blé aux Egyptiens durant la famine acquit pour le prince tous leurs bestiaur. » Boss. « Toutes les fois que les bestiaur venaient lécher la statue de sel, en laquelle avait été changée la femme de Lot, elle reprenait sur-le-champ sa grosseur ordinaire. » VOLT. « Cette inondation fit périr une infinité de bestiaur. BUFF. D - < Les sorciers avaient, diton, le pouvoir de faire mourir des bestiaux; et il fallait opposer sortilège à sortilège pour garantir son bétail. VOLT.

ENTOURAGE, ENTOURS. L'entourage est plus compréhensif; il s'entend de toutes les personnes avec qui l'on est en relation, de près ou de loin; les entours sont plus intimes, et le mot ne se dit guère que des parents ou des amis avec qui l'on vit familièrement. « Le père Tellier me courtisait par rapport au duc de Bourgogne et à ses plus intimes entours. » S. S. « Philipeaux voulait pour rien cette fille à marier, à cause des alliances et des entours.» ID. Entourage, d'ailleurs, signifie plutôt l'ensemble des entours, et les entours s'emploie plutôt quand il faut qualifier les individas qui entourent. Vous avez un bel entourage! ne vous laissez pas influencer par vos entours. < Le caractère et les entours influent beaucoup en bien ou en mal sur le talent de l'écrivain. » LAH.

CAMPAGNE, CHAMPS. Bouhours et Beauzée ont déjà marqué la différence qui existe entre ces deux mots dans les expressions, maison de campagne et maison des champs.

Bouhours dit simplement que la première expression est plus noble que la seconde. Cela doit être, puisque, suivant la règle, le nom collectif est plus pittoresque et plus poétique. Beauzée ajoute qu'une maison de campagne est une habitation avec les accessoires nécessaires aux vues de liberté d'indépendance et de plaisir qui en ont suggéré l'acquisition, comme, avenues, remise, jardins, parterre, bosquets, parc même, etc.; au lieu qu'une maison des champs est une habitation avec les accessoires nécessaires aux vues économiques qui l'ont fait construire ou acheter, comme un verger, un potager, une basse-cour, des écuries pour toute sorte de bétail, un vivier, etc. Il n'y a là rien que de conforme aux distinctions ci-dessus établies.

La campagne doit donner l'idée de quelque chose de très-grand, de très-étendu, où l'on se meut librement. et aussi de quelque chose de gracieux et de poétique, où l'on goûte surtout les plaisirs de la vue. « Nous apercevions sur les deux rivages du Nil des villes opulentes et des maisons de campagne agréablement situées. »

FEN. « Le logement de l'évêque d'Evreux est très-beau, l'église des plus belles, la maison de campagne est des plus agréables qu'il y ait en France. » SÉv. Mais les champs doivent réveiller les idées des qualités physiques propres à chaque champ, lesquelles sont d'être cultivé et de porter des fruits d'une certaine espèce et en plus ou moins grande abondance. Esope, acheté comme esclave, fut envoyé par son maître à sa maison des champs pour labourer la terre (LAF.). « L'enfant prodigue se mit au service d'un des habitants du pays, qui l'envoya à sa maison des champs pour y garder des pourceaux. >> MASS. « Ces hommes appelés au festin regardaient comme un inconvénient; l'un, d'abandonner sa maison des champs; l'autre, son commerce. >> ID. - « On exige que vous qui profitez des travaux de tant d'infortunés qui habitent vos terres et vos campagnes, connaissiez ceux qui traînent au fond des champs les restes de leur caducité et de leur indigence. » MASS.

HUMANITÉ, HOMMES. L'humanité ne se prend jamais, comme les hommes, dans un sens partitif, relatif, successif ou incomplet. L'humanite ne meurt pas, quoique les hommes meurent. L'humanité comprend tous les individus du genre måles et femelles; les hommes se prennent quelquefois par opposition aux femmes. Ce qu'on dit de l'humanité s'applique à l'ensemble des hommes, mais non pas toujours à chaque homme en particulier; ce qu'on dit des hommes s'entend des individus de l'espèce. Le seul moyen de concilier la providence divine avec la liberté humaine, c'est d'admettre que Dieu règle d'avance les événements de l'humanité, sans prédéterminer pourtant les actions des hommes. Les hommes passent par trois âges, l'enfance, la virilité et la vieillesse.

SYNONYMIE DES SUBSTANTIFS ORDINAIRES AVEC DES INFINITIFS PRIS SUBSTANTIVEMENT.

Sortie, sortir. Volonté, vouloir. Sensation, sentir. Usage, user. Couchée, coucher. Pensée, penser. Ris, rire. Etc.

L'infinitif est une forme abstraite du verbe, ou une formule du verbe dépouillée de toute modification de temps, de modes, de personnes, de nombre. Pris substantivement, l'infinitif signifiera donc l'abstrait, l'indéterminé, l'absolu. Il ne particularisera rien, il n'aura rien de concret, il présentera la chose en elle-mème, sans détermination accessoire, et .ne recevant de qualifications que celles qui la font connaître dans sa nature ou son essence. Les synonymes des noms infinitifs se distingueront par des caractères opposés au lieu d'être abstraits, ils seront concrets, ils exprimeront la chose avec des circonstances et des déterminations particulières, et leurs qualifications beaucoup plus nombreuses marqueront, non pas seulement ce qu'est la chose en elle-même, mais ce qu'elle est dans ses rapports de temps, de lieu, de personnes, de contenu, d'étendue ou autres, suivant que leurs terminaisons leur imprimeront l'un ou l'autre de ces sens. L'usage de transformer ainsi les in

finitifs en substantifs, qui sont en quelque sorte des radicaux nus, nous vient du grec, langue essentiellement philosophique et propre à l'abstraction.

USAGE, USER. Ces mots sont synonymes quand ils se prennent pour exprimer le parti qu'on tire des choses. On dit indifféremment de certaines choses dont on vante la bonté, qu'elles sont d'un bon usage et d'un bon user.

Usage emporte l'idée d'une détermination étrangère à user, celle d'une fin, d'une application à quelque chose. Un instrument est d'un bon usage, quand il est bon pour ce à quoi on le fait servir. Une étoffe est d'un bon user, quand on peut en user longtemps. Il y a des étoffes qui

Lorsque les synonymes des noms infinitifs sont objectifs et passifs, comme pensée, ris, parole, marche, les noms infinitifs ayant seuls rapport | à l'action, indiquent la manière dont elle se fait, non point dans un cas particulier, comme leurs synonymes, mais habituellement, car ils ne cessent jamais d'être abstraits et généraux. SORTIE, SORTIR. Ces deux mots ne sont sy-deviennent plus belles à l'user, c'est-à-dire, pennonymes que dans les locutions prépositives, à la sortie de et au sortir de, qui signifient toutes deux, au moment où l'on sort de.

dant qu'on en use, qu'on s'en sert. On reconnaît par l'usage (BUFF.), c'est-à-dire en s'en servant pour une fin particulière, la qualité bonne ou mauvaise d'une pierre à rasoir ou d'un remède; on reconnaît un domestique à l'user (DEST.), c'est

sert d'un domestique; ici la destination s'entend de soi-même.

Au sortir de est visiblement plus abstrait : on dira bien, au sortir de là, au sortir de l'enfance, au sortir du berceau, et dans aucun de ces exem-à-dire en s'en servant comme d'ordinaire on se ples à la sortie de ne conviendrait, parce que cette locution retient quelque chose de concret et n'exprime pas l'époque simplement, d'une manière toute figurée, tout idéale. A la sortie de rappelle l'action de sortir, la représente à l'esprit, ce que ne fait nullement au sortir de : ainsi, on dit bien, à la sortie et non au sortir des juges.

VOLONTÉ, VOULOIR. Faculté ou action de celui qui veut.

Dans les deux sens, la volonté est relative et le vouloir absolu. On trouve, chez les uns, une volonté ferme et inébranlable, chez les autres une volonté faible et vacillante. Le vouloir ne reçoit point de qualifications semblables, parce qu'il n'est ni relatif, ni concret, ni individuel. L'essence du plaisir indélibéré est de produire le vouloir.» FEN. Considérés comme actes, la volonté se rapporte à la chose qu'on veut, et elle est durable, au lieu qu'au vouloir ne correspond pas un objet qui le rende tel ou tel, il exprime l'acte sans plus telle est ma volonté; c'est Dieu qui nous donne le vouloir et le faire.

COUCHÉE, COUCHER. Un voyageur paye tant à l'hôtellerie pour sa couchée ou pour son coucher. Couchée est descriptif. Il détaille plusieurs circonstances ou impliquées dans coucher ou qui lui sont étrangères. La couchée comprend le souper, le nettoiement de la chaussure, des habits, l'arrangement de la chambre. Le coucher indique purement et simplement l'usage du lit, il ne marque aucune détermination accessoire, pas plus que le manger, le dormir, etc.

PENSÉE, PENSER. Action de celui qui pense et ce qu'il pense.

L'un est relatif et particulier, l'autre absolu et général : « Le mot pensée, dit Roubaud, ne désigne que l'action de penser, tandis que penser en marque la manière d'être propre et distinctive. » Ces deux mots ont donc entre eux le même rapport que ris et rire. Autrefois on disait penser en poésie, parce que les vers s'en trouvaient bien (LABR.), et c'est en le considérant

Les chrétiens n'ont qu'un Dieu, maître absolu de tout, comme terme poétique que Roubaud le caractèDe qui le seul vouloir fait tout ce qu'il résout.

CORN.

Il faut réprimer les volontés de l'enfant, car il ne doit point avoir de vouloir. La volonté est effective, elle se manifeste au dehors par le moyen des organes, le vouloir consiste uniquement dans l'acte intérieur; c'est pourquoi l'on peut bien arrêter l'une, mais non pas l'autre.

SENSATION, SENTIR. Ces deux mots expriment l'état passif de l'âme en présence des objets.

rise. On l'emploierait plutôt aujourd'hui en metaphysique pour exprimer d'une manière tout abstraite et tout absolue la pensée : « Qui peut assurer, dit Voltaire, qu'il est impossible à Dieu de donner à la matière le sentiment et le penser? »

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une action ou une manière de penser accidentelle et propre à un seul homme. · On disait autrefois le mentir pour le mensonge, mais ce n'était que dans les propositions d'une généralité absolue. « En vérité le mentir est un maudit vice. » MONTAIGN.

Le raisonner tristement s'accrédite. VOLT. Il peut signifier encore la manière de penser de toute une classe ou espèce d'hommes, comme on le voit dans cette phrase de J. J. Rousseau : « Le penser måle des âmes fortes leur donne un idiome parLe sentir, comme le penser, comme le vouloir, ticulier.» La pensée est relative aux circonstances, comme le connaître, n'est d'usage qu'en métaphy-à l'objet sur lequel elle porte, ou elle exprime sique, science où l'on considère les actes de l'esprit d'une manière tout abstraite et indépendamment de toutes circonstances. « Le sentir ne dépend pas de nous, mais le vouloir en dépend. » FÉN. « Dieu n'entend et ne veut que ce qu'il faut entendre et vouloir; son entendre et son vouloir sont sa nature, qui est toujours excellente. » Boss. Mais la sensation et le sentiment sont variables en force et en intensité, en même temps que relatifs à l'in-mer cette action dans les cas particuliers; rire est dividu qui les éprouve; le sentir reste toujours identique et n'indique pas même, comme les deux autres mots, si le phénomène qu'il exprime a pour cause quelque chose d'extérieur ou d'intérieur.

RIS, RIRE. Ces mots signifient la même chose suivant l'Académie, l'action de rire. Cependant ris est plus concret et sert à expri

plus abstrait et plus propre à caractériser la chose en elle-même. Que le premier soit concret, le second abstrait et représentatif de la chose en soi c'est ce que Condillac a bien saisi: «Le ris, dit-il

est proprement le bruit que fait celui qui rit, le | ou du sourire. Le sourire est la manière d'expririre est la manière dont il rit: on entend des ris; le mer une joie douce, modeste, délicate de l'âme; rire est agréable ou désagréable. » Mais nous de- le souris en est l'expression actuelle et passagère. LIDA vons à Roubaud une distinction plus complète et Ensuite, vous ne concevez pas le souris sans une plus détaillée: Ris, dit-il, n'est qu'un acte, unintention, un motif, un sentiment, une pensée effet individuel. Nous disons le rire, comme nous qui l'anime; vous concevez le sourire comme un disons le boire, le manger, le lever, le coucher; or. cette manière de parler désigne le genre, la manière, l'habitude de la chose. L'on a le rire agréable et l'on fait des ris. Vous qualifiez le rire d'une personne selon sa manière habituelle de rire; et vous qualifiez ses ris selon la manière dont elle rit actuellement. Chacun a son rire, comme son maintien habituel : la forme du ris varie comme la contenance, suivant les occasions. D

jeu naturel de la figure. » On dit cependant, un sourire de pitié, d'indignation, d'approbation; mais alors on désigne, non pas un fait ou un cas particulier, mais toute une espèce d'actions. « Les arguments de l'amour sont de tendres pleurs et un gracieux sourire. » LAF. « Jupiter regarda Vénus avec complaisance: il lui fit un doux souris. » FEN. On a le sourire ou un sourire tel ou tel; on fait dans l'occasion un souris tel ou tel. Il y a le sourire de l'amitié (VOLT.), le sourire du dédain (BEAUM.); on reçoit quelqu'un dans un cas particulier avec un souris amical ou dédaigneux.

Le ris est donc le rire se produisant et se montrant dans un cas particulier. Le rire est l'expression du contentement; et le ris d'un homme VIE, VIVRE. Existence d'une chose animée. exprime la joie qu'il éprouve en un moment La vie est effective: cette expression convient donné. On dit proprement le rire : c'est un en langage historique, quand il s'agit de réalité : genre d'action. « L'enfant a comme nous le rire, le vivre est idéal; c'est un terme de spéculation les cris, les plaintes. » J. J. « Le rire est ami de qui a sa place dans le raisonnement où on traite l'homme, lui appartient privativement au reste des choses en soi, non comme étant ou ayant été, des animaux...; il est le partage des dieux...; il mais abstractivement ou comme ayant tels caraca quelque chose de vif et de sensible. » LAF. « Dis-tères. « Le même passage que vous fites de la mort courir de la comédie et du rire en philosophe platonicien. ID. « Établir un impôt sur les chansons et sur le rire. » VOLT.

D

à la vie, refaites-le de la vie à la mort. » MONTAIGN. << La nature apprit à Thalès que le vivre et le mourir étaient indifférents. » ID. On lit dans le même écrivain : « Je sais avoir retiré de l'aumône des enfants, pour m'en servir, qui bientôt après m'ont quitté et ma cuisine et leur livrée, seulement pour se rendre à leur première vie.

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Il ve

La joie est passagère, et le rire est trompeur. ID. Mais on dit proprement des ris: ce sont les manifestations, les réalisations du rire. « Les ris et les éclats qu'excitent les bons mots. » BOURD. « Troubler les sacrés mystères par des ris immo-nait de dire: «Regardez la différence du vivre destes et par des éclats. » ID. • A cette vue tous de mes valets à bras, à la mienne. >> - On disles voleurs éclatérent en ris immodérés. » LES. tinguera à peu près de même ces deux mots, « Je renouvelai mes ris à cette saillie. » ID. quand ils signifient la nourriture. Le vivre se dit Vos ris complaisants d'une manière tout abstraite, sans rien particuTirent de son esprit tous ces traits médisants. lariser. «J. C. défend à ses disciples de se mettre MOL. en peine du vivre et du vêtement. » Nic. La vie, au contraire, est le vivre effectif, dans telles circonstances. « Solon voulut que chaque citoyen rendît compte de la manière dont il gagnait sa vie. » MONTESQ. Ou bien le vivre, comme le penser, comme le vouloir, est un terme de la poésie familière et naïve.

-On dit bien également un rire et un ris; mais
un rire est une espèce du rire, qu'on caractérise,
et un ris est un fait qu'on décrit. Avoir un rire
fin et malicieux (LES.): rire d'un rire de méchan-
ceté (J. J.), d'un rire de mépris (VOLT.).

On peut avoir un rire et des pleurs de commande.
DEST.

Mais un ris a lieu ou a eu lieu, on le rapporte.

... Mon faquin, qui se voyait priser, Avec un ris moqueur les priait d'excuser. BOIL. « Pourquoi ce ris dédaigneux, quand on vous raconte ce que la main de Dieu a fait? » FÉN.

Mon vivre n'est qu'un peu de gland. SCARR
Le vieillard, tout cassé, ne pouvait plus qu'à peine
Alle querir son vivre.
LAF.
Le même Lafontaine a dit dans ses Contes le jeu-
ner pour le jeûne:

La sainteté n'est chose si commune
Que le jeuner suffise pour l'avoir.

Enfin, rire est tellement abstrait et si peu propre à indiquer les circonstances accessoires, qu'il Et dans la fable le Savetier et le Financier,

ne suppose pas même, comme ris, que l'action de rire ait lieu avec intention ou sous l'influence de certains sentiments ou mouvements de l'âme particuliers. «Charles XII avait le bas du visage défiguré par un rire fréquent qui ne partait que des lèvres. » VOLT. « Le rire, qui est par le chatouillement des aisselles, n'est point naturel ni

doux. CHARR.

SOURIS, SOURIRE, action de rire légèrement. Même difference entre ces deux mots qu'entre les deur qui précédent. « Le souris, dit Roubaud, est proprement un acte, l'effet particulier de sourire

Et le financier se plaignait
Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.

PAROLE, PARLER. Langage.

Le mot parole est objectif, et, comme tel, il a un sens très-étendu : Dieu a donné la parole à l'homme; un orateur a ou demande la parole. Cela n'empêche pas ce mot de se prendre dans un sens plus restreint pour signifier le langage par rapport à la manière dont quelqu'un l'em

loie, auquel cas il est synonyme de parler. On

Mais dans les deux sens, ces mots diffèrent de même l'un est plus concret, l'autre plus abstrait.

Comme l'observe justement Roubaud, ces termes correspondent aux deux mots latins potentia et potestas, lesquels signifient, suivant Gardin et Doderlein, l'un une force de fait, l'autre une force ou faculté de droit, l'un ce que nous pouvons effectivement, l'autre ce qui nous est per

dit également qu'un homme a la parole rude, | quent aux souverains, ces deux mots expriment et un parler rude: un homme a la parole rude ce que peuvent ceux qui possèdent la qualité dont quand la parole, commune à tous, se trouve ils sont les signes. Ils ont ensuite une acception modifiée chez lui d'une façon qui lui est pro- plus restreinte, suivant laquelle ils indiquent une pre; et il a un parler rude quand il a un genre faculté ou disposition dans le sujet, par le moyen de parler qui est rude, genre applicable à plu- | de laquelle il est capable d'agir ou de produire sieurs autres. Parole signifie le langage, et par- un effet. ler, un langage. Or, quoique le mot parole soit plus général séparément, il l'est moins que le mot parler, quand tous deux servent à qualifier la manière dont quelqu'un parle. De sorte que, dans le sens particulier, la parole est plus particulière que le parler. Chacun a sa parole, douce, rude, brève; et on distingue différents parlers, un parler rude, un parler doux, un parler picard, normand, provençal, etc. Ensuite, le parler est plus constant, plus habi-mis. Ainsi puissance a plus de rapport avec tuel et dépend moins des circonstances: un homme a la parole tremblante, faible, la parole d'un | homme malade par suite de certains accidents, et dans ces exemples parler ne conviendrait pas. « Lorsque nous nous trouvons empêtrés dans un dangereux pas, nous savons bien couvrir notre jeu d'un bon visage et d'une parole assurée. » MONTAIGN. « C'était une certaine afféterie qui rendait le parler d'Alcibiade mol et gras. » ID. « Le parler que j'aime, c'est un parler simple et naïf. » ID.

force et se dit bien des agents naturels, la puissance d'une machine; pouvoir exprime une idée plus abstraite, plus idéale, il serait plutôt synonyme d'autorité ou de droit. C'est parce qu'il est abstrait et idéal que pouvoir, à la différence de puissance, signifie le crédit, l'empire, l'ascendant, l'influence toute morale qu'on exerce sur les hommes. « Le pouvoir, dit Condillac, est le droit d'user de la puissance; » et puissance marque les moyens qui sont à la disposition du pouvoir. Le despotisme est une puissance, puisqu'il a des forces; mais ce n'est point un pouvoir, puisqu'il n'a point de droit. Un pouvoir sans puis

D'un autre côté, le parler est plus abstrait que la parole, plus indépendant de tout ce qui n'est pas l'action de parler, c'est un terme purement for-sance est un pouvoir sans force. « La puissance, mel; au lieu que la parole conserve toujours une certaine relation au sens, à l'esprit, aux idées qu'elle représente. C'est pourquoi on dit avoir le parler ou un parler gras (MONTAIGN., S.S.), et non la parole ou une parole grasse; c'est pourquoi Descartes accorde un parler aux perroquets, et leur refuse la parole. La rudesse ou la douceur du parler est une qualité de l'organe seul; la rudesse ou la douceur de la parole tient un peu à

celle du caractère.

MARCHE, MARCHER. Mouvement des animaux et particulièrement de l'homme, en tant qu'ils

vont ou s'avancent.

L'une se considère relativement, l'autre absolument; l'une d'une manière concrète et comme un fait particulier, l'autre d'une manière abstraite et comme un certain genre d'action. Dans telles circonstances votre marche a été ralentie ou accélérée par telles causes.

Ne te donna-t-on pas des avis quand la cause
Du marcher et du mouvement,
Quand les esprits, le sentiment,
Quand tout faillit en toi? LAF.

» Vous

dit encore Condillac, est plus relative à la force
et le pouvoir se rapporte plus à la liberté, c'est-
à-dire à un usage raisonnable de la force; et c'est
pourquoi l'homme juste use de son pouvoir,
l'homme injuste abuse de sa puissance.
pouvez soulever ce fardeau, renverser cet ob-
stacle, vous en avez effectivement la force; voilà
la puissance : vous pouvez vous permettre telle
action, vous en avez le droit, vous y êtes auto-
risé; voilà le pouvoir. « Attribuer à Dieu quelque
puissance et quelque liberté de faire le mal, c'est
lui attribuer le pouvoir de pécher.» FÉN.

Girard et Roubaud donnent à peu près la même distinction, mais le premier la propose d'une manière beaucoup plus nette, quand il considère puissance et pouvoir dans leur sens restreint, dans le sens physique et littéral où ils sont synonymes de faculté. « Le pouvoir, dit-il, vient des secours ou de la liberté d'agir; la puissance vient des forces. L'homme, sans la grâce, n'a pas le pouvoir de faire le bien; la jeunesse manque de savoir pour délibérer et la vieillesse manque de puissance pour exécuter. L'habitude diminue beaucoup le pouvoir de la liberté; l'âge n'affaiblit que la puissance et non le désir de satisfaire ses passions. » Condillac établit la même différence en termes encore plus catégoriques : « Notre puis sance consiste, dit-il, dans les forces que nou sommes maîtres d'employer, notre pouvoir dan l'éloignement des obstacles qui pourraient gêne notre liberté. » Et ailleurs : « La puissance d l'âme est plus relative aux facultés nécessaire pour exécuter, le pouvoir est plus relatif aux dé PUISSANCE, POUVOIR. Dans leur sens le plus terminations de la volonté.» «Se figurer des con étendu, dans celui, par exemple, où ils s'appli-tradictions entre le pouvoir souverain de la grâc

Vous dites dans un récit que la marche des ennemis a été lente; mais vous caractérisez l'éléphant et la tortue en disant qu'ils ont un marcher lent (LAF.). Le marcher, dans ce dernier sens, est la démarche ou la manière habituelle de marcher de quelqu'un, mais sous le rapport physique seulement et indépendamment des sentiments qui animent cette personne. « Je ne connais pas J. C. à la voix, ni au visage, ni au marcher, ni par le rapport d'aucun de mes sens. » Boss.

sur le libre arbitre et la puissance qu'a le libre arbitre de résister à la grâce.» PASC.

Telle est bien la différence de puissance et de pouroir, et cette difference résulte bien de ce que le premier de ces mots est un substantif ordinaire à terminaison significative et le second un infinitif pris substantivement. Mais la terminaison de puissance étant significative doit imprimer à ce mot une nuance propre dont nous n'avons encore rien dit. Ance, outre l'action, indique quelque chose de durable, de permanent, tandis que l'infinitif pouvoir marque l'action simplement. D'où il suivrait que pouvoir signifierait spécialement l'acte. et puissance l'état permanent de pouvoir: pouvoir serait distributif, exécutoire relativement à puissance, il aurait un rapport particulier à l'acte, une idée particulière d'efficacité et le soin de l'exécution. « Affirmer que Dieu n'ait pas le pouvoir d'accorder la pensée à tel être qu'il voudra. c'est borner la puissance du Créateur qui est sans bornes. » VOLT. En conséquence, on a la puissance et on exerce le pouvoir de faire une chose. « Quand, étant enfermé, vous voulez rester chez vous, vous exercez le pouvoir que vous avez de demeurer: vous avez cette puissance, mais vous n'avez pas celle de sortir.» VOLT. Ce caractère a été longuement développé par Roubaud. Mais, quoique également réel, il a moins d'importance que le premier. Rien n'empêche, néanmoins, de les garder l'un et l'autre.

SCIENCE, SAVOIR. Choses apprises et sues. La science est relative, le savoir absolu; on dit la science du navigateur, les sciences naturelles, les sciences philosophiques. « Quelque éclairé que vous soyez, vous apprendrez du moins, dans les instructions de l'Eglise, que votre savoir n'est rien, si vous ignorez la science du salut. » MASS. Non, le savoir chez moi n'est pas tout retiré; Mais, en un mot, je sais, pour toute ma science, Du faux avec le vrai faire la différence. MOL.

desquelles on puisse les distinguer de leurs synonymes; ils équivalent donc à des substantifs sans terminaisons significatives, et c'est comme tels que nous avons traité repentir et souvenir, dont la différence d'avec repentance et souvenance provient de ce que la terminaison de ces deux derniers marque une durée, un exercice continu, habituel, modification étrangère, comme toute autre, aux noms infinitifs repentir et souvenir. SYNONYMIE DES SUBSTANTIFS ORDINAIRES AVEC

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DES PARTICIPES PASSÉS PASSIFS PRIS SUBSTAN

TIVEMENT.

I. Narration, narré. Exposition, exposé. Enonciation, énoncé. Prononciation, prononcé. Délibération, délibéré. Production, produit. Composition, composé. Dénégation, déni. Contradiction, contredit. Institution, institut. Fusion, fonte. Perdition, perte. Imposition, impôt. Croissance, crue.

§ II. Rôt, rôti. Arrêt, arrêté. Fosse, fossé.

Suivant que les substantifs, avec lesquels les participes passés passifs ont des rapports de synonymie, sont ou ne sont pas à terminaisons significatives, les synonymes de cette classe se partagent en deux espèces, qui exigent chacune une règle de distinction particulière. Cet article doit donc se diviser en deux parties. Ensuite, il est à remarquer que dans la première espèce on ne trouve, comme synonymes des participes passés, que des substantifs en ion, à l'exception d'un seul qui est en ance. Ce dernier devra faire l'objet d'un examen à part. La seconde espèce donne lieu à une remarque analogue: parmi les` substantifs à terminaison indifférente, qui ont pour synonymes des participes passés, deux, rôt et arrêt, sont eux-mêmes des participes passés; seulement ils s'éloignent un peu plus, par la forme, du verbe primitif et ne s'y rattachent pas aussi directement; mais un troisième, fosse, semble ne devoir pas être soumis à la même règle que les deux précédents, parce qu'il ne tire pas comme eux son origine d'un verbe anté

rieur.

Saroir se dit absolument par rapport aux travaux de l'esprit, et c'est pourquoi il ne s'emploie qu'au singulier. Ensuite, le savoir n'étant pas spécial comme la science, est moins approfondi par cela même. Le savoir n'est que la science d'un homme qui n'est pas ignorant. « COND. « Quel-SI. Substantifs à terminaisons significatives comparés avec des substantifs primitivement participes passés passifs et synonymes des pre

ques-uns. par une intempérance de savoir, arment mieux savoir beaucoup que de savoir bien, et être faibles et superficiels dans diverses scices. que d'être sûrs et profonds dans une seule.» LABR. - Enfin, comme le savoir suppose des connaissances étendues, mais superficielles sur chaque chose, il a naturellement plus de rapport à la pratique: la science en a davantage à la spéculation. Ce médecin a acquis un grand savoir par son expérience. ACAD. Molière fait voir dans la comédie des Femmes savantes que la science messied aux femmes, qu'elles la doivent laisser aux docteurs.

R

miers.

La différence des uns aux autres varie nécessairement suivant la valeur de la terminaison des substantifs proprement dits. Or, ceux-ci se terminant presque tous en ion, tout se réduit à savoir d'abord ce qui distingue les substantifs français ainsi terminés d'avec les substantifs participes dont il s'agit ici. Ion marque l'action, la réalisation présente de l'idée exprimée par le verbe; c'est une désinence subjective, c'est-àdire qui montre le sujet faisant l'action. Le parREPENTIR, REPENTANCE; SOUVENIR, SOUVE-ticipe passif signifie un résultat, la chose constiNANCE. Les deux premiers mots signifient regret tuée et faite; c'est une désinence objective, de ses fautes: les deux derniers, idée que la mé- c'est-à-dire qui désigne la chose comme un objet moire conserve de quelque chose. ayant des qualités, mais sans rapport à l'agent qui l'a produite. De là résulte une telle distance entre les noms en ion et les participes correspon

Linfinitif étant abstrait, les substantifs à forme infinitive n'offrent point de déterminations à l'aide

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