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OEuvre est abstrait et formel; ouvrage, con- | tat de cette action. L'une et l'autre sont toutes cret et matériel. OEuvre s'emploie surtout en mo- françaises, et de là vient que les synonymes rale, parce qu'on y considère le mérite intrinsè- qu'elles servent à former expriment des actions que des actes, eu égard à l'intention seulement et communes, des opérations manuelles : ce sont indépendamment des effets réels, des conséquen- des termes la plupart en usage dans les arts et ces extérieures des actions. L'ouvrage est l'œuvre métiers. Cependant ce dernier caractère convient matérialisée ou la matière mise en œuvre; c'est plus particulièrement encore aux mots terminés quelque chose de réel, un produit, au lieu que en age, et c'est par là principalement qu'ils se l'œuvre est quelque chose d'idéal, une production. distinguent de leurs synonymes. La création est l'œuvre de la Toute-Puissance; le monde sorti des mains du Créateur, dans six jours d'exécution, est son ouvrage. On donnera le nom d'œuvres de Dieu aux œuvres de la grâce, comme on dit, travailler à l'œuvre de son salut, faire de bonnes œuvres; les ouvrages de Dieu sont le monde et toutes les parties de la création. Voltaire dit, en parlant des miracles : « Les œuvres de Dieu ne doivent ressembler en rien aux œuvres des hommes.... Dieu, qui ne descend plus sur la terre, y descendait souvent, au temps des patriarches, pour voir lui-même ses ouvrages. » On se met à l'œuvre quand on se met à travailler; on se met à l'ouvrage quand on commence à donner, par son travail, des formes à la matière. Les sciences et la littérature sont les œuvres de l'es-exemple, des pièces de toiles qui sortent des prit, et on appellera ouvrages de l'esprit les traités de logique, de mathématiques, les poëmes, les discours, etc., ou bien les livres qui les contiennent.

Ainsi lavement et lavage signifient également l'action de laver; mais en ce sens lavement a plus de noblesse et ne s'emploie que dans des locutions qui appartiennent au langage de l'Eglise : le lavement des pieds, le lavement des autels. « Le lavement du baptême est la figure de la régénération spirituelle. » P. R. De même arrosement est plus noble qu'arrosage et se prend plus volontiers dans le sens figuré. « L'aridité dans les âmes regarde la privation de la grâce et de l'arrosement céleste, où l'âme tombe par son péché. » Boss. Blanchiment et blanchissage expriment tous deux l'action de blanchir et le résultat de cette action. Mais le premier se dit en parlant de choses moins communes et moins basses, et, par

α

mains du tisserand, de la monnaie d'argent et de la cire: non pas que ces choses soient sales comme celles qu'on met au blanchissage; c'est une préparation qu'on leur fait subir pour qu'elles perEn un mot, œuvre signifie absolument, en soi, dent une couleur qu'elles ne doivent point avoir. ce qui est fait; ouvrage donne l'idée de telle ma- - Rapatriage est encore plus commun, plus fatière ayant reçu d'un ouvrier, dans l'espace, ou,milier que rapatriment. Sosie dit à Cléanthis dans tout au moins, dans le temps, telle forme ou l'Amphitryon de Molière : telle façon. On dit bien d'une manière entièrement générale à l'œuvre on connaît l'ouvrier; mais si on spécifie, si on descend aux réalités, si on se représente quelque chose comme sorti des mains d'un ouvrier, comme subsistant, il faudra se servir du mot ouvrage.

On dit bien aussi, en parlant des productions de l'esprit, mais au pluriel et d'une manière tout idéale, tout abstraite, œuvres mêlées, œuvres complètes, œuvres posthumes, œuvres morales; mais, dès qu'on spécifie, l'esprit se représente une chose comme un résultat, comme le produit de l'action d'ouvrer, et alors il faut préférer le mot ouvrage. Il y a dans les OEuvres de Boileau un petit ouvrage bien précieux.

Vous trouverez quantité de locutions et de proverbes où entre le mot œuvre et où celui d'outrage ne conviendrait pas; c'est, encore une fois, que le premier est absolu, idéal, général, abstrait; tandis que le second, concret et particulier, ne se dit que d'un objet travaillé ou façonné, d'une certaine matière qui a reçu d'un ouvrier une certaine forme.

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Hé bien tu vois, Cléanthis, ce ménage.
Veux-tu qu'à leur exemple ici
Nous fassions entre nous un peu de paix aussi,

Quelque petit rapatriage?

MOL.

De même babillement appartient au langage de la médecine, au lieu que babillage est un mot familier et de la conversation.

Ensuite, le substantif en ment exprime plutôt encore une action qu'un résultat; pour le substantif en age, c'est le contraire. Frottement et frottage rappellent l'idée exprimée par le verbe frotter. Mais, outre que frottage est seul un terme de métier et désigne seul ce que fait un frotteur, il exprime moins l'action elle-même que son résultat, c'est-à-dire, l'ouvrage du frotteur, ce pour quoi on le paye. C'est, au contraire, l'action que désigne frottement: on électrise un corps par le frottement. — Il en est de même des mots équarrissement et équarrissage, dont le premier appartient au langage commun et le second est un terme technique de charpenterie; l'un signifie plutôt l'action, l'autre le résultat : une poutre qui a subi l'équarrissement a tant de pieds d'équarrissage.

Enfin, à la terminaison age s'attache toujours une idée d'ensemble, de totalité, d'action plus étendue. Ainsi l'arrosement se dit en parlant d'une seule plante ou d'une chambre; l'arrosage est l'arrosement en grand, ou l'action d'arroser des terres, des prairies entières au moyen d'eau qu'on fait venir d'une rivière ou d'un ruisseau. Une plante a besoin d'arrosement, et une prairie d'arrosage (ACAD.). On dit l'arrosement d'un oi

seau (BUFF.), des vaisseaux lymphatiques (VOLT.), | phore qui exprime la qualité du style boursouflé et l'arrosage des places publiques et des rues d'une manière détournée et affaiblie, au lieu (BEAUM.). Le dégraissement, le nettoiement, que boursouflage n'ayant que le sens figuré, est, le débâclement, à l'égard du dégraissage, du net- pour qualifier le meme style, le mot propre, cetoyage et du débâclage, non-seulement se disent en lui qui le caractérise de la manière la plus nette parlant de choses plus nobles, et ont plus de rapport et la plus forte. à l'action qu'au résultat, mais encore expriment une action simple, un fait particulier, et non pas une opération étendue qui constitue une profession ou un métier. On dira donc plutôt, par exemple, le nettoiement d'un peigne ou d'une glace, et le nettoyage des rues.

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Age et ure terminent quelques synonymes à base verbale qui expriment le résultat de l'action signifiée par le verbe radical. Ce qui fait la différence de ces synonymes, c'est que la terminaison age marque plus particulièrement ensemble, réunion.

Aussi l'Académie définit parfaitement l'engrenure et l'engrenage, qui sont deux termes de mécanique : « l'engrenure est la position respective de deux roues dont l'une engrène dans l'autre ; et l'engrenage est la disposition de plusieurs roues qui engrènent les unes dans les autres. >> Boursouflage et boursouflure se disent tous deux de l'enflure du style. Mais le premier de ces mots semble signifier plus que le second. Boursouflure s'emploie au propre ainsi qu'au figuré, et au propre il exprime, comme enflure, comme brûlure, quelque chose de local et de restreint. Il doit en être de même au figuré; tandis que boursouflage est plus général, plus étendu. Un style plein de boursouflure est boursouflé dans plusieurs endroits; un style plein de boursouflage l'est partout. On ne dirait pas qu'un discours, dans lequel il y a de la boursouflure, n'est que boursouflure, pas plus qu'on ne dit qu'un corps brûlé n'est que brûlure; mais on dit bien qu'un discours n'est que boursouflage.

TERMINAISON TÉ (OSITÉ).

Sommet, sommité. Efficace, efficacité. (Cal,
callosité).

La terminaison té, en latin tas, et en grec The (acidité, aciditas, atis, džúτns, nos; légèreté, levitas, xoupóτng), désigne les qualités abstraites et indépendantes de tout ce qui les accompagne dans les objets.

SOMMET, SOMMITÉ. Ces deux mots signifient le haut de certaines choses, telles que les montagnes, les rochers, les tours, les toits.

L'un est concret, l'autre abstrait; l'un exprime une partie de la chose, l'autre sa surface la plus élevée, et ce dernier n'emporte absolument d'autre idée que celle de hauteur. Un oiseau s'élève jusqu'à la sommité d'une tour, ef s'abat sur son sommet. Quand on dit, l'armée ennemie occupa les sommités des montagnes, ou absolument les sommités, on n'a égard qu'à la position élevée ou supérieure occupée par les ennemis. Mais on dira bien que les ennemis ont dépouillé de leurs forèts les sommets des montagnes. « Une partie des Alpes est couverte d'énormes sommets de glaces qui s'accroissent incessamment. » J. J. « On voit palpiter, dans quelques enfants nouveau-nés, le sommet de la tête à l'endroit de la fontanelle. BUFF. C'est parce que sommité est seul abstrait et dégagé de toute idée accessoire, qu'il peut seul s'employer au figuré, pour marquer en littérature ce qu'il y a dans les matières qu'on traite de plus superficiel. Cet auteur n'a traité que les sommités de son sujet.

EFFICACE, EFFICACITÉ. Force, vertu de quelque cause pour produire son effet. Ils correspondent aux mots latins, efficacia et efficacitas.

« Le premier, dit Condillac, a été plus usité, le second prévaut aujourd'hui. >> De même Voltaire : « Efficace, pris comme substantif, n'est plus d'usage: on dit efficacité. » Ce changement, combattu d'abord par Bouhours, est fondé en raison, car la terminaison té est particulièrement destinée à marquer une propriété.

Il semble aussi que dans le boursouflage il y C'est ici le lieu de déterminer la valeur de ait, non-seulement une vaine pompe et une ma- la terminaison composée osité, qui contient la gnificence outrée, comme dans la boursouflure, différence des deux mots synonymes cal et callomais encore de l'embarras, de l'obscurité résul-sité, en latin callus et callositas. Tous deux tant d'une certaine complication.

Enfin, boursouflure s'employant au propre ainsi qu'au figuré, n'est au figuré qu'une méta

4. Au propre on dit aussi boursouflement. Mais le boursouflement est un fait, un phénomène, quelque chose qui arrive, qui passe; au lieu que la boursouflure est un effet, un état, quelque chose qui est, qui demeure. « Je ne sais si le grand boursouflement que l'alun prend au feu ne doit être attribué qu'à la raréfaction de son eau de cristallisation. » BUFF. Avoir de la boursouflure dans le visage. (Acad.)

signifient des durillons qu'on a aux pieds ou aux mains, et qui consistent dans une peau plus épaisse et plus forte que dans les autres parties. Le cal est un durillon unique, bien distinct; la callosité est proprement la qualité de ce qui est calleux, ou plein de cals, et par suite une partie des chairs calleuse ou remplie de cals; elle a donc plus d'étendue, sans former un cal aussi déterminé. Il vient des cals aux mains, à force de travailler, et aux pieds, à force de marcher. Buffon dit que le chameau naît avec des callo

sités sur la poitrine et sur les genoux. « Les babouins et les guenons ont aussi des callosités audessous de la région des fesses, et cette peau calleuse est même devenue inhérente aux os du derrière. » BUFF.

Callosité n'exprime pas déterminément un cal, mais une chose de la nature du cal, comme sérosité une chose de la nature du sérum, carnosité une chose de nature charnue; et c'est pourquoi callosité se dit improprement des excroissances de chair solide et sèche qui s'engendrent sur les bords d'un ulcère et ressemblent à des cals.

TERMINAISONS TÉ ET ION.

Connexité, connexion. Variété, variation. Perversité, perversion. Autorité, autorisation. Maturité, maturation. Continuité, continuation. Perpétuité, perpétuation. Humilité, humiliation. Gravité, gravitation.

une selle?» VOLT. « Dieu a ordonné, pour la connexion de toutes les choses, que les plus grandes fussent soutenues par les plus petites. » Boss. « Les Pères de l'Église avancent sur cette matière des propositions d'une connexion admirable entre elles. » BOURD.

VARIÉTÉ, VARIATION. Ces deux mots donnent l'idée d'une certaine diversité.

Mais la variété signifie la diversité inhérente aux choses variées; et la variation la diversité qui arrive aux choses qui varient. L'une est dans les êtres, suivant le langage de l'Encyclopédie. l'autre dans les actions. Et l'on peut ajouter, en empruntant les exemples de Girard: « Il n'y a point d'espèces dans la nature où l'on ne remarque beaucoup de variétés; et il n'y a point de gouvernement où il n'y ait eu des variations.>> La rariété des usages indique plusieurs et différents usages; la variation des usages indique plusieurs et différents états par lesquels passent les usages qui changent. L'un est relatif à l'être, l'autre au devenir ou au phénomène. Dans un livre plein de variété il n'y a pas d'uniformité; une mode sujette à variation change, est inconstante.

PERVERSITÉ, PERVERSION. Une idée de corruption est commune à ces deux mots.

La désinence té désigne une propriété inhérente aux choses, et la désinence ion une action; l'une est qualificative et tient plus de l'adjectif, l'autre est active et tient plus du verbe. Quand elles terminent deux mots synonymes à radical commun, celui qui est en ion marque, ou bien la réalisation, la présence effective et actuelle de la qualité exprimée par l'autre, ou bien un ache-changement qui se fait dans les mœurs, lorsminement, un progrès vers cette qualité, ou du moins, dans tous les cas, l'action d'un verbe correspondant.

CONNEXITÉ, CONNEXION. Ces mots expriment le rapport, la liaison, la dépendance, qui se trouvent entre certaines choses.

Roubaud les a parfaitement distingués. « La connexité, dit-il, ne dénote qu'un simple rapport qui est dans les choses, et dans la nature même des choses: la connexion énonce une liaison effective qui est établie entre les choses, et fondée sur ce rapport. Par la connexité, les choses sont faites pour être ensemble: par la connexion, elles le sont. La connexité est, pour ainsi dire, en puissance la connexion est de fait. Deux idées ont de la connexité; leur connexion forme un jugement. Par le raisonnement vous établissez la connexion entre des propositions qui n'avaient qu'une connexité. La connexité de l'astronomie avec la navigation est démontrée par la connexion établie, par exemple, entre la connaissance des satellites de Jupiter et la détermination des longitudes. Deux affaires qui ont de la connexité sont, par leur connexion, jointes, examinées, discutées, jugées ensemble. Malgré la connexité du savoir et de la capacité d'enseigner, leur connexion

est assez rare. »

La connexité est en soi, en idée, de droit, essentielle. « Il y a une grande connexité entre la morale et la jurisprudence. » ACAD. « Les péripatéticiens désavouent la connexité et couture indissoluble des vices entre eux. » MONTAIGN. « La force de la pensée enthymématique consiste dans la connexité de la sentence avec sa raison. » MARM. Mais la connexion est effective ou de fait; elle a été mise entre les choses. « Dis-moi quelle connexion secrète la nature a mise entre une idée et

Mais, « la perversion, dit Condillac, est le

qu'elles se corrompent, et la perversité est l'état de corruption. » L'une est un acheminement, un progrès vers la qualité exprimée par l'autre ; l'une indique ce qui se fait, un changement, l'autre ce qui est, une qualité ou un état. La soif des richesses cause la perversion des mœurs. Cet homme ne peut détruire la perversité de son naturel.

AUTORITÉ, AUTORISATION. Pouvoir d'agir.

L'autorisation est une part d'autorité concédée, révocable, une simple permission. Au lieu que l'autorité a la permanence et la plénitude d'une qualité inhérente au sujet, l'autorisation n'est qu'accidentelle au sujet et survenue en lui en vertu d'une action, ne lui convient que par communication et en passant. Tant que les enfants, placés par la nature et par les lois sous l'autorité paternelle, ne sont point émancipés, ils ne sauraient faire d'actes authentiques sans autorisation.

MATURITÉ, MATURATION. L'idée de fruits mûrs est commune à ces deux mots.

Mais ils different absolument de la même manière que les précédents. L'un se dit en parlant de fruits qui sont mûrs, et l'autre en parlant de fruits qui mûrissent. « La maturité, dit l'Académie, est l'état où sont les fruits quand ils sont mûrs, et la maturation est le progrès successif des fruits vers la maturité.»

CONTINUITÉ, CONTINUATION. Ils marquent également une absence d'interruption.

Mais la continuité a lieu entre les choses qui sont continues, et la continuation entre les choses qu'on continue. L'une, suivant l'observation de Girard et de Condillac, se dit des choses qui se touchent et a plus de rapport à l'étendue, l'autre se dit des actions qu'on continue à faire et se

rapporte davantage à la durée : continuité des il exprime la qualité d'être humble; humiliation parties, solution de continuité; continuation d'une se rapproche davantage du verbe c'est l'action action, d'une même conduite. de s'humilier, ou l'état de celui qui est humilié,

GRAVITÉ, GRAVITATION. Ils se disent tous deux des corps considérés comme pesants, comme entraînés dans une certaine direction.

Toutefois, les deux mots s'emploient quelque-mortifié. fois également pour signifier une absence d'interruption entre les choses qui durent. On dit pareillement, continuité et continuation d'un travail, d'un bruit. Mais, dans un cas, le travail et le bruit sont considérés comme des tous ou des continus ayant des parties juxtaposées sans intervalles: et, dans l'autre, ils le sont comme des actions qu'on continue à faire. La continuité du bruit n'est relatif qu'au bruit et à sa qualité de ne pas cesser; la continuation du bruit se rapporte à un agent et à son action. La continuité de ce bruit m'importune; la continuation de ce bruit annonce de la malignité.

En général, continuité se dit des choses qui continuent, des états, de ce qu'on éprouve. << Cette convention, loin de détruire l'état de guerre, en suppose la continuité. » J. J. « La mémoire nous fait sentir la continuité de nos maux. >> ID. « La continuité du même sentiment nous cause du dégoût. » BOURD. « Le plaisir nous devient insipide et fatigant par une trop longue contimuite.» ID. « Le plaisir s'émousse par la continuité même. » D'AL. — Mais continuation se rapporte aux choses qu'on continue, aux actions, à ce qu'on fait. S'endurcir dans le crime par la continuation de ses rechutes. » BOURD. « Se laisser mourir de tristesse est une continuation de crimes que rien ne peut excuser. » LAF. « Surprise et offensée de l'insolence de ce discours, elle n'en put souffrir la continuation. » LES. « Vous pouvez compter sur la continuation de mon amitié. » SEV. « La vie chrétienne doit être une imitation et une continuation de la vie de Jésus-Christ. » NIC.

α

La gravité est dans les corps une propriété; la gravitation se manifeste dans les corps comme une tendance et une sorte d'aspiration. Par la gravité, les corps sont graves; par la gravitation ils gravitent. On mesure la gravité, la gravité augmente ou diminue; on prouve la gravitation La gravité ne s'attribue guère qu'aux corps qui à la surface de la terre ont la propriété de descendre ou d'être entraînés vers son centre; la gravitation est plutôt une tendance manifestée par tous les corps de l'univers, tendance en vertu de laquelle ils s'attirent les uns les autres.

α

TERMINAISONS TÉ ET URE.

Rancidité, rancissure.

« Té marque la qualité; ure marque l'effet. » RANCIDITÉ, RANCISSURE. Ces termes désignent la corruption des graisses et des huiles qui ont contracté un goût fort et âcre, une odeur puante ou désagréable, et ordinairement une couleur jaune, soit en vieillissant, soit par la chaleur. Le lard, la viande salée, les confitures même, deviennent rances. »

« La rancidité est la qualité du corps rance; la rancissure est l'effet éprouvé par le corps ranci. La rancidité gît dans les principes qui vicient le corps: la rancissure est dans les parties qui sont viciées. Il faudrait combattre la rancidité comme on combat la putridité, cause du mal: il faut ôter la rancissure, s'il est possible, comme on ôte la

Même différence entre discontinuité (D'AL.) et pourriture, produit du mal. » ROUB. discontinuation.

PERPÉTUITÉ, PERPÈTUATION. Durée interruption.

La même distinction s'applique à saleté et à
salissure.
sans

TERMINAISONS TÉ ET AGE.
Parenté, parentage.

PARENTÉ, PARENTAGE. Consanguinitė, liaison par le sang, rapport qui existe entre personnes de la même famille.

Il y a dans le second une idée d'action qui n'est pas dans le premier. Le premier se dit des choses qui durent ou se conservent telles qu'elles ont commencé, et le second des choses qui durent ou se conservent parce qu'on les renouvelle ou qu'elles se renouvellent toujours. C'est la distincParentage tombe en désuétude et ne peut guère tion établie par Condillac. La perpétuité est la qualité des choses qui sont perpétuelles, et la de même que cousinage. Quoique parenté ne déaujourd'hui figurer que dans le style familier, perpétuation est l'état des choses qu'on rend ourive pas du latin quant à sa désinence, car paqui se rendent perpétuelles par le renouvellement. La perpétuation des espèces.

rentas n'a jamais existé, il est formé néanmoins à l'imitation des noms latins, et c'est à sa termiHUMILITÉ, HUMILIATION. Une idée d'abaisse-naison qu'il doit sa supériorité de noblesse sur ment fonde la synonymie de ces deux mots.

Mais l'un marque la qualité, la vertu qui fait qu'on s'abaisse, et l'autre l'action de s'abaisser ou l'état de celui qui est abaissé; en sorte que l'humiliation est un acte d'humilité, ou un affront qu'on reçoit. « Il y avait dans notre saint un fonds admirable d'humilité. » MASS. « Les pratiques extérieures d'humiliation ne sont que comme le corps de la pénitence. » ID. - « Saint Bernard dit que le chemin à l'humilité c'est l'humiliation. Boss.

Humilité est beaucoup plus près de l'adjectif :

parentage, dont la terminaison toute française ne convient pas aux substantifs de haut style.

En outre, la terminaison de parentage en fait spécialement un nom collectif du même genre que voisinage et entourage, par exemple; ce mot serait donc plus propre que parenté à exprimer tous les parents ensemble. « Le parentage était assemblé à la cérémonie de ses noces. » TREV. Il fut conclu par votre parentage,

Qu'on vous ferait au couvent épouser. LAF.
Si nommer en son parentage

Une longue suite d'aïeux, etc. MAL

TERMINAISON ESSE.

La finale esse n'est point latine, mais toute française. Pour certains mots, elle paraît venir du latin issa, comme messe, de missa; promesse, de promissa; dans d'autres, elle correspond à itia ou ities: tristesse, de tristitia; mollesse, de mollitia ou mollities. Roubaud la dérive de l'infinitif latin esse, qui marque l'existence d'une manière indéfinie. Quoi qu'il en soit, il est essentiel d'observer que cette désinence, inconnue en latin, désigne ordinairement des noms abstraits, comme rudesse, tendresse, adresse, politesse, ou un titre de femme, comme prophetesse, princesse, diaconesse'. Nous n'avons guère en français que deux mots de cette terminaison qui soient synonymes d'autres mots à radical commun et à terminaison différente, savoir, déesse et sim- | plesse, lesquels ont beaucoup d'analogie, l'un avec déité, l'autre avec simplicité.

TERMINAISONS ESSE ET TÉ. Déesse, déité. Simplesse, simplicité. DÉESSE, DÉITÉ. Divinité fabuleuse du sexe

féminin.

L'un marque le titre, l'autre la qualité ou l'essence: Junon était une déesse du premier ordre, et une puissante déité. C'est la même différence qui se trouve entre Dieu et divinité.

MOL.

La géante paraît une déesse aux yeux.
Moi(Vénus) dont les yeux ont mis deux grandes déités
Au point de me céder le prix de la plus belle,
Je me vois ma victoire et mes droits disputés
Par une chétive mortelle (Psyché)! ID.
-J'irais, j'irais pour vous, ô mon fidèle espoir !
Implorer aux enfers ces trois fières déesses
Que jamais jusqu'ici nos vœux ni nos promesses
N'ont eu l'art d'émouvoir.

Puissantes déités, qui peuplez cette rive,
Préparez, leur dirai-je, une oreille attentive

Au bruit de mes concerts. J. B. Rouss. Ensuite, la terminaison latine imprime au mot déité un caractère de noblesse qui le rend exclusivement propre au style poétique.

SIMPLESSE, SIMPLICITÉ. Qualité de ce qui est simple, simplex, sine plexu, sans composition, sans épaisseur, sans doublure, sans mélange, sans apprêt, sans recherche, sans ornement, sans artifice, sans feinte, sans art.

Simplicité a toutes les acceptions de son adjectif. Simplesse, avec sa terminaison française, est dans notre langue, comme liesse et prouesse, par exemple, un mot du bon vieux temps, et nos écrivains qui en font encore usage, comme Montaigne et Marot, l'emploient dans le style familier, uniquement pour qualifier un homme ingénu, doux, uni. Les deux mots n'ont donc quelque rapport de synonymie que dans le sens moral.

Moralement, la simplicité est la vérité d'un caractère innocent et droit, qui ne connaît ni le dé4. Les titres de femmes, ainsi terminés, viennent du grec ou sont formés à l'imitation du grec. nesse est le grec Atazón; et comme nous disons princesse, les Grecs disaient dans le même sens Easiλιστα οι άνασσα.

Diaco

guisement, ni la malice; la simplesse est l'ingėnuité d'un caractère bon, doux et facile, qui ne connaît ni la dissimulation, ni la finesse, ni, pour ainsi dire, le mal. « On dit que ce que j'appelle franchise, simplesse et naïveté en mes mœurs, c'est art et finesse, et plutôt prudence que bonté. » MONTAIGN. «Ce mémoire est partout un chef-d'œuvre de simplesse et de bonne foi. » BEAUM.

« Autant la simplicité est naturelle, dit Roubaud, dont nous suivons ici les distinctions, autant la simplesse est naïve. La simplicité tient à une innocence pure; la simplesse à une bonhomie charmante. La simplicité, toute franche, montre le caractère à découvert; la simplesse, toute cordiale, s'y abandonne sans réserve. En un mot, la simplesse est la simplicité de la colombe. Nicole et Lafontaine étaient des hommes simples : dans Nicole, c'était de la simplicité, et dans Lafontaine, de la simplesse. La simplicité fait qu'on ne cherchera pas à donner bonne opinion de soi aux autres, et qu'on demeure souvent méconnu; la simplesse fait qu'on s'ignore, soi, lors même qu'on est bien connu de tout le monde. Avec de la simplicité, on conviendra que son ouvrage est bon; avec de la simplesse, on ne sait pas s'il l'est. »

TERMINAISON ANCE OU ENCE.

Repentir, repentance. Peine, pénitence. Souvenir, souvenance. Etc. Ordre, ordonnance. Aise, ai

sance.

La terminaison ance ou ence vient d'antia ou entia, lesquels terminent en latin beaucoup de substantifs qui ont des correspondants en français, comme constantia, constance; intelligentia, intelligence. Elle est évidemment la terminaison des participes présents actifs légèrement modifiée; d'abundans on a fait abundantia, et d'abondant abondance; d'intelligens intelligentia, et d'intelligent intelligence. Les substantifs terminés en ance ou en ence doivent donc avoir le plus grand rapport de signification avec les participes présents actifs, c'est-à-dire participer du verbe et de l'adjectif en même temps. En tant qu'ils participent du verbe, ils marquent l'action, et une action présente, ou l'état, et un état présent; c'est pourquoi plusieurs se trouvent avoir pour synonymes des substantifs en ion. Mais, en tant qu'ils participent de l'adjectif, ils désignent quelque chose de durable, de permanent, d'habituel, action, état ou qualité.

Avant d'appliquer ces deux règles à des mots d'une synonymie assez étroite, nous indiquerons comment Roubaud a établi la seconde, en prenant pour exemples des noms, la plupart faciles à distinguer.

« La repentance, dit-il, est au repentir ce que la pénitence est à la peine. Le repentir et la peine peuvent être bornés à un acte, à un mouvement, à un sentiment, à un ressentiment passager; mais la repentance et la pénitence annoncent une durée, une succession, une habitude, un exercice ou une souffrance continue ou habituelle de

f

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