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pable de recevoir ce corps. » S'agit-il d'exprimer PRENDRE, COMPRENDRE. Concevoir, entenun rapport étroit entre deux choses, J. J. Rous-dre, se faire une idée. seau se sert de correspondre. « C'est un ton qui correspond très-bien aux regards dont j'ai parlé.» Si, au contraire, on veut affaiblir ce rapport ou le nier, on préfère répondre. « Je crois bien que la pure aristocratie héréditaire des républiques d'Italie ne répond pas précisément au despotisme de l'Asie. » MONTESQ. « Vouз, & prêtres, dont la vie ne répond pas à votre état. » Boss.

D

Prendre, c'est saisir sans effort, instantanément, tout d'un coup, à la première audition, à la volée, une chose qui d'ordinaire est peu étendue. « Tout traité de paix doit toujours être pris simplement dans son sens le plus naturel et interprété par l'exécution immédiate. » FEN. « S. Thomas et Hugues de S. Victor ont pris ce passage plus simplement et l'ont entendu de la pénitence ordinaire. » BOURD. Comprendre exprime un acte moins simple: c'est concevoir dans tous les détails et dans toutes les parties quelque chose de complexe, comme une démonstration de mathématiques. « Le peu d'étendue de notre esprit fait qu'il ne peut comprendre parfaitement les choses un peu composées qu'en les considérant par parties. » P. R.

α

PLAIRE, COMPLAIRE. Se rendre agréable. Plaire marque un fait tout simple; pour complaire, il faut s'en donner la peine, user de soins et de prévenances. On plait au premier abord, par des charmes naturels, par des agréments attachés à la personne, et souvent sans être disposé à complaire. On ne complaît qu'à force d'attentions, de complaisance, en s'accommodant à l'humeur, au sentiment de celui à qui l'on veut être agréable. La différence est souvent des plus frappantes. Il y a des personnes à qui c'est un devoir de complaire, mais non pas de plaire, car ce dernier fait ne dépend pas de nous. « Je dois et je veux leur complaire. » J. J. C'est un père, après tout; il faut qu'on lui complaise. Les deux mots s'emploieraient bien encore en LAF. parlant d'une chose de même étendue; mais alors Xipharès dit à Monime, au sujet de Mithridate: prendre signifie n'en saisir qu'une partie, ou ne Moins vous l'aimez, et plus tâchez de lui complaire. | la saisir que par un côté, ce qui fait que ce verbe

RAC.

A la place de complaire, dans cet exemple, plaire formerait un véritable contre-sens, car Monime ne plaît déjà que trop à Mithridate. Il en serait de même dans ce passage de l'École des Femmes.

ARNOLPHE.

En me voyant si bon, en revanche aime-moi.

AGNES.

Du meilleur de mon cœur je voudrais vous complaire.
Plaire exprime le fait seul, sans accessoire.
Mais si mes vers ont l'honneur de vous plaire, etc.

LAF.

Ma foi, je ne sais pas Quand on verra finir ce galimatias; Depuis assez longtemps je tache à le comprendre. MOL. On peut bien prendre chacune des phrases d'un discours, et ne pas bien comprendre le discours lui-même.

se trouve souvent accompagné des adverbes mal, de travers, à contre-sens, qui dénotent une conception erronée, parce qu'elle est partielle et incomplète, faute d'attention, d'étendue d'esprit. Comprendre, au contraire, indique qu'on conçoit la chose dans sa totalité, qu'on l'embrasse tout entière.

CESSION, CONCESSION. Acte par lequel on cède, on accorde quelque chose à quelqu'un, on dispose d'un bien en sa faveur.

La cession est une donation; la concession, une donation pleine et entière, c'est-à-dire gratuite. Complaire est propre à marquer l'empressement La cession peut n'être qu'un retour, quelque et le zèle. chose d'obligé ou même d'arraché. « Jacob avait Vous les verrez toujours ardents à vous complaire. reçu de son frère la cession de son droit d'aî

RAC.

Je donne dans son sens en tout pour lui complaire.

REGN.

Sans doute, on cherche aussi quelquefois à plaire, mais par soi-même, par ses qualités propres, si bien que le verbe ne partage pas l'attention et la fait porter toute sur le sujet.

Et pour n'avoir personne à sa flamme contraire, Jusqu'au chien du logis il s'efforce de plaire. MOL. Quand on tâche de complaire, on flatte les goûts, les caprices, les désirs de celui près de qui on veut être bien venu, et le mot complaire a toujours une signification relative, à double face, plus complexe. On se plaît à une chose, et on se complait dans une chose. D'une part, c'est l'aimer, y avoir goût; de l'autre, c'est l'aimer à l'excès, la savourer, en quelque sorte, en détail, avec insistance et obstination.

On a beau réfuter ses vains raisonnements,
Son esprit se complait dans ses faux jugements. BOIL.
- Louis XIV se complaisait à en imposer par son
air.» VOLT.

nesse, confirmée par serment. » Boss. « Jules II, au lieu d'aider le duc de Valentinois à recouvrer ses places, le fit arrêter pour tirer de lui la cession de celles qui lui restaient. » ID. « Si on se laisse entamer par des cessions de pays, on nous mènera jusqu'aux partis les plus honteux. » FÉN.

François Ier avait racheté sa liberté par la cession de toutes ses prétentions sur ces fiefs (la Flandre et l'Artois). » VOLT. « Batailles presque toujours favorables aux Romains par le succès final et par la cession de plusieurs places. » ROLL. Mais la concession est faite de plein gré, c'est une pure libéralité. « Les princes peuvent avoir reçu les droits de souveraineté par la concession ou par le consentement des peuples mêmes. » FÉN. «La concession d'une île par don Quichotte à son écuyer Sancho Pança. » VOLT. « Il y a cent bulles d'évêques de Rome, qui assurent expressément que les royaumes ne sont que des concessions de la chaire pontificale. » ID. « Othon I n'aurait pas dû souffrir qu'on traitât ses droits comme des concessions faites par le saint-siége. » COND.

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<< Les Romains n'oublièrent rien pour faire re- | personnes; le boisseau tient tant de litres. Autregarder ces concessions comme des grâces passa- fois le muid tenait tant de pintes, et on disait d'un gères et qui ne fondaient point de droit. » Vert. muid réel et particulier qu'il contenait tant de La concession porte aussi généralement sur un pintes. objet plus considérable, plus étendu, presque toujours appartenant au domaine public; au lieu que la cession n'est souvent qu'un transport de droits entre particuliers. L'Etat fait la concession Contenir, retenir. Convenir, revenir. Commettre,

d'une mine ou d'un chemin de fer; Voltaire reproche à Polyeucte la cession qu'il fait de sa femme à un païen.

SE FIER, SE CONFIER. Ne pas craindre de communiquer à quelqu'un ses affaires, ses secrets, de lui commettre le soin de ses intérêts.

On ne se fie que sous un certain rapport ou pour une seule affaire; on se confie sans restriction et pour toute sa fortune. Se fier témoigne une confiance sans abandon; se confier, une confiance pleine, complète, illimitée, qui fait qu'on se donne tout entier, pour ainsi dire. « On se fie à quelqu'un qu'on connaît ou qu'on ne suspecte pas; on se confie à quelqu'un qu'on connaît bien et dont on se croit sûr. On se fie à quelqu'un pour de légers intérêts; on se confie à un ami dans les choses importantes.» ROUB. On se confie en Dieu; on ne dit pas s'y fier, ce serait une expression injurieuse, à cause de cette sorte de réserve dont l'idée s'y trouve toujours jointe. On n'ose se fier (Boss.), on ne se fie pas trop (PASc.), ou on commence à se fier (FÉN.) à quelqu'un; on se confie absolument en Dieu (Boss.).

L'étendue de la confiance distingue si bien se confier, qu'en latin confidentia, comparé à fiducia, signifie une confiance téméraire, présomptueuse. Il est vrai qu'ensuite le verbe confidere perd cet accessoire défavorable et se trouve, relativement à fidere, dans le même rapport que se confier relativement à se fier.

TENIR, CONTENIR. Ces deux verbes servent à exprimer combien il entre de certaines choses ou d'une certaine chose dans un certain espace.

Tenir, en sa qualité de radical pur, fait abstraction de toute circonstance réelle et marque la capacité à priori, et, pour ainsi dire, la capacité idéale ou de droit. Par la raison contraire, contenir exprime la capacité de fait. Un vase tient tant, quand il est susceptible de recevoir telle quantité de liquide; il contient tant, quand il s'y trouve actuellement tant de liquide. La cassette d'Harpagon, dans l'Avare, est petite, parce qu'elle tient peu de chose; mais maître Jacques l'appelle grande, « pour ce qu'elle contient (dans le moment où il parle). » MOL. Vous achetez une bourse qui tient tant, à raison de la quantité d'argent que vous voulez y mettre; pour récompenser une personne, vous lui donnez une bourse qui contient tant. « La bourse que je vous renvoie contient le double de ce qu'elle contenait la première fois. » J. J. « Il y a dans la cave un grand sac de cuir qui contient vingt mille francs. » REGN. Un champ contient, et non pas tient, tant d'arpents, c'est un fait, et non une possibilité.

Si quelquefois contenir se prend aussi dans le sens apriorique de tenir, ce n'est point pour exprimer de même une mesure ordinaire, réglée, légale. Une salle de spectacle contient tant de

PREFIXES CON ET RE.

remettre. Conserver, réserver.

CONTENIR, RETENIR. Ces mots signifient tous deux s'opposer au mouvement, à l'action, au développement d'une chose, de manière à le modifier.

Mais on contient une chose de peur qu'elle ne s'écarte, en réglant son cours; on la retient de peur qu'elle n'échappe ou n'aille trop loin, en empêchant ou en ralentissant son cours. On contient et on dirige; on retient et on modère. Un général contient des troupes dans le devoir, en s'opposant à ce qu'elles fassent abus de leurs forces, à ce qu'elles pillent où se révoltent; il retient dans le devoir ses troupes qui menacent de déserter. On se contient en parlant, afin de ne pas parler autrement qu'il ne faut; on se retient, afin de ne pas aller trop loin et de ne pas en trop dire. Contenir ses passions, c'est les empêcher de se répandre de tous les côtés pour ainsi dire, de prendre de mauvaises directions, de s'égarer; les retenir, c'est, ou absolument ne pas permettre qu'elles se développent, ou seulement ne pas leur lâcher la bride, ne pas les laisser se développer avec excès. Toutes nos passions sont bonnes de leur nature; mais il faut savoir les contenir, avoir soin de les contenir; toutes nos passions sont violentes de leur nature; il faut avoir la force de les retenir.

D'ailleurs, on contient comme on arrête par des moyens apportés du dehors, et on retient par des moyens qui se trouvent dans la chose même; car contenir, c'est mettre une digue ou des bornes, et retenir, c'est faire sentir le frein ou refréner. << Dans la république, comment contenir des domestiques, des mercenaires, autrement que par la crainte et la gêne? Mais on retient les citoyens par des mœurs, des principes, de la vertu. » J. J. CONVENIR, REVENIR. Avoir du rapport; agréer, plaire.

Convenir enchérit sur revenir dans tous les sens. Une chose convient à une autre quand elle va bien avec elle, quand elle s'y adapte ou s'y ajuste; une chose revient à une autre, quand elle ne s'en éloigne pas, quand elle n'y répugne pas, quand elle ne jure pas avec elle: telle est une couleur relativement à une autre. Ce qui convient,revient entièrement, sous tous les rapports; ce qui revient, convient d'une certaine manière.

De même la chose qui me convient me plaît, parce qu'elle répond à mes besoins, parce qu'elle m'est utile ; la chose qui me revient me plaît par je ne sais quoi d'agréable, qui me frappe d'abord, à la première vue, et dont l'appréciation dépend plus de l'humeur que du jugement. Je suis fait pour la personne qui me convient; toutes ses qualités sont en parfait accord avec les miennes; j'ai simplement du goût pour celle qui me revient. Une jeune fille épouse un homme qui lui convient,

parce qu'il revient à ses parents. « Songeons à ma | fant reçoit, comme prix de son travail, un livre fille. Tu sais l'amour que Cléonte a pour elle: c'est un homme qui me revient, et je veux aider sa recherche. » Madame Jourdain. MOL.

On renvoie un domestique, parce qu'une longue épreuve a démontré qu'il ne convient pas. « Qui vous oblige à m'abandonner, dit un maître à son domestique. Vous m'avez témoigné plus d'une fois que mon humeur vous convenait, et je suis trèssatisfait de la vôtre. LES. On refuse un domestique qui se présente, parce que sa physionomie ne revient pas. « Je reçois à mon service le garçon que tu m'amènes; il me revient assez. » LES. «Je le reçois d'autant plus volontiers que sa physionomie me revient. » ID.

Ce qui nous convient fait notre affaire; ce qui nous revient nous affecte et nous dispose favorablement. Il n'y a pas de personnes, douées d'assez de qualités, pour convenir à tout le monde; il y en a d'assez aimables pour revenir à tout le monde (LES., S. S.).

COMMETTRE, REMETTRE. Donner la garde de quelqu'un ou de quelque chose.

Le premier se rapporte surtout au prix qu'on attache à l'objet confié, au soin qu'on attend de la personne à qui on le confie et à la responsabilité qui pèse sur celle-ci.

Cache tes pleurs, Céphise; et souviens-toi
Que le sort d'Andromaque est commis à ta foi. Rac.
Enlever le dépôt commis au soin du garde. LAF.
Hortense est commise à tes soins. LAF.

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précieux: au lieu de le lire, il le conserve ou il le réserve; il le conserve, s'il s'abstient de le lire, de peur de le gâter, et il le réserve, s'il ne fait qu'en différer la lecture.

« Je vous prie de conserver soigneusement cette estampe. » J. J. «Qui ne mourrait pour conserver son honneur, celui-là serait infâme.» PASC. << Cette femme a grand soin de conserver son teint. » ACAD. « Dans ce traité, Carthage fut principalement attentive à se conserver l'empire de la mer. » ROLL. Mais dans Lafontaine, la jeune souris prise par le vieux chat lui demande la vie en ces termes :

A présent je suis maigre; attendez quelque temps.
Réservez ce repas à messieurs vos enfants.
Réservons cet enfant pour un temps plus heureux.
RAC. (Athalie. Josabet à Joas.)

« Je ne puis mêler un tel sujet à celui-là dans la
même lettre; je le réserve pour la première que je
vous écrirai. » J. J.

PREFIXE DE.

Livrer, délivrer. Laisser, délaisser. Sécher, dessécher. Montrer, démontrer. Vouer, dévouer. Couler, découler. Périr, dépérir. Peindre, dépeindre. Marche, démarche. Nier, dénier. Nommer, dénommer. Nombrer, dénombrer.

En français, comme en latin, cette particule initiale n'est autre chose primitivement que la préposition latine de, qui marque mouvement de

effet, le sens que présente de dans les verbes descendere, descendre; dependere, dépendre; deducere, déduire, faire descendre; deponere, déposer; decidere, déchoir; desecare, abattre en coupant.

La porte dans le chœur à sa garde est commise. BOIL. << Les maîtres doivent se rendre habiles pour in-haut en bas, dégradation, déjection. C'est, en struire ceux qui sont commis à leurs soins. » MAL. << Les rois faisant eux-mêmes les grâces ont commis à des magistrats particuliers la distribution des peines. MONTESQ. Les peuples sont commis aux princes (Boss.), les fidèles aux pasteurs (MASS.), les domestiques à la vigilance des maîtres (BOURD.). « Le souverain peut commettre le dépôt du gouvernement à tout le peuple. » J. J. « L'éducation du roi fut commise à Eulée. » ROLL. Remettre indique à peu près exclusivement l'action ou le fait de livrer, le changement de possesseur : l'objet était dans mes mains, je vous le remets, il passe dans les vôtres; c'est, pour ainsi dire, une seconde mise en possession. Averti de sa fin prochaine, Moïse remit à Josué le commandement qu'il avait possédé lui-même, et, suivant la juste expression de Bossuet, a lui commit ce qui restait à faire. »

Le rejeton des rois, à leur garde commis,
Entre les mains d'Octar est-il enfin remis ? VOLT.
CONSERVER, RÉSERVER. Garder une chose,
ne pas s'en défaire, ne pas s'en servir, ne pas
l'user.

Conserver marque l'attention avec laquelle on veille sur la chose, les précautions dont on l'entoure. Réserver indique retour, exprime qu'on reviendra à la chose, qu'on la garde pour une autre occasion, pour s'en servir plus tard. L'un est le fait d'un homme soigneux, l'autre, celui d'un homme prévoyant et prudent. On conserve en éloignant les dangers, en prenant garde que la chose n'éprouve quelque dommage: on réserve en gardant pour une destination ultérieure. Un en

Cette idée en appelle naturellement une autre, celle d'ablation, de vide fait, d'exemption, de décharge ou de dénûment, soit par rapport au sujet, soit en ce qui concerne la chose ou la personne qui est l'objet de l'action. Ainsi, pour emprunter des exemples au latin, mori c'est simplement mourir, et demori, c'est mourir de manière à laisser un vide dans la société à laquelle on appartient; fungi, c'est exercer une charge, et defungi, l'exercer de manière à en être quitte, s'en acquitter, et généralement passer par certains maux et partant n'avoir plus à les subir. D'un autre côté, detinere aliquem, c'est en arrêtant quelqu'un l'empêcher de vaquer à ses affaires, de veiller à ses intérêts; negare, c'est nier, faire savoir qu'on n'avoue, qu'on ne convient ou n'accorde point, et denegare, c'est nier de manière à affliger, à porter préjudice.

Il y a plus, cette particule n'est pas seulement dégradative et ablative, mais encore et le plus souvent, surtout en français, privative et négative, c'est-à-dire qu'elle donne au mot composé un sens contraire à celui du simple auquel elle est ajoutée. Exemples decolor, décoloré, sans couleur; deformare, déformer, défigurer; degenerare, dégénérer; deflorare, déflorer; dementia, démence, sine mente, sans raison; depopulari, dépeupler; desperare (non sperare), désespérer; desuetudo, désuétude.

D'autres fois, la même particule est complétive | à celui à qui elle est due ou à qui on l'a promise ; analytique, elle est propre à décrire les états successifs par lesquels passe le sujet entre les points de départ et d'arrivée, ou, d'une manière plus générale, elle représente une action quelle qu'elle soit pendant qu'elle s'effectue, dans tous ses degrés, avec ses détails, ses circonstances, jusqu'à l'entier épuisement de la chose sur laquelle elle porte; au lieu que le verbe simple énonce le genre d'action sans se charger de tous ces accessoires. En latin, metiri signifie mesurer, et demetiri, mesurer les subdivisions; vincere, vaincre, et devincere, faire essuyer une défaite complète; narrare, raconter, et denarrare, raconter au long, avec toutes les circonstances; pareillement deamare, deflagrare, depeculator, deservire, devorare, describere rendent plus complètes en les détaillant, en les développant, les idées attachées aux simples, amare, flagrare, peculator, servire, vorare et scribere.

Enfin, un dernier trait qui distingue certains mots composés commençant par de, et qui apparaît principalement quand on les compare avec les mots simples, leurs primitifs, c'est qu'ils expriment l'idée commune d'une manière, non-seulement plus complète, mais plus déterminée, plus rigoureuse, plus caractéristique; ce qui fait qu'ils s'emploient très-bien en style de pratique et de chancellerie, c'est-à-dire là où il est besoin surtout de peser ses termes. De est déterminatif par excellence, aussi bien dans les mots composés où il entre que quand il joue en français le rôle de préposition. Il n'y a rien en cela que de conforme à son origine par suite de laquelle il marque ablation, séparation, distinction, définition, détermination. Le latin fournit encore, à cet égard, des instructions décisives. Les verbes simples, flere, plorare, lacrymare, expriment l'action générale de verser des larmes, mais sans spécification, sans indiquer sur quoi et pourquoi, car ils sont intransitifs. Au contraire, deflere, deplorare, delacrymare, sont propres à marquer le sujet des pleurs, et la preuve c'est que d'ordinaire ils prennent un complément direct à l'accusatif. Clamator est un crieur, un criailleur, et se dit de toute personne qui crie; declamator était le nom spécial donné aux rhéteurs qui faisaient des exercices d'éloquence dans leurs écoles. Finire, terminare, signare, ne s'emploient qu'au propre dans le sens de poser des bornes, ou de marquer, d'imprimer; definire, determinare, designare, sont comme leurs correspondants français des termes rigoureux, qui indiquent qu'on circonscrit, qu'on caractérise les choses ou les personnes de manière à les séparer nettement de tout ce qui n'est pas elles. On dit bien legare, pour, donner une commission de particulier à particulier, et delegare, déléguer, envoyer en mission ou en ambassade par acte d'autorité; de même poscere pour, faire une demande quelconque, et deposcere pour, demander l'extradition d'un transfuge, ou, en justice, la punition d'un coupable.

LIVRER, DÉLIVRER. Mettre en main, au pouvoir de quelqu'un.

Délivrer, dit Condillac, c'est livrer une chose

la justice a ordonné qu'on lui délivrât son legs; cet ouvrier m'a promis de me délivrer dans peu l'ouvrage que je lui ai demandé. » C'est-à-dire que délivrer se rapporte au sujet qui délivre, et le montre comme s'acquittant, comme se déchargeant d'une obligation; c'est-à-dire qu'ici la particule initiale est ablative. Roubaud le marque d'une manière encore plus expresse. « Celui qui délivre une chose, dit-il, la livre en se libérant, ou en s'acquittant, ou se libère, s'acquitte en la livrant. Délivrer ajoute au sens de livrer l'idée d'une charge dont on s'acquitte, ou d'un marché qu'on exécute. Vous délivrez la chose que vous devez livrer; vous gardez ce que vous ne livrez pas: vous retiendriez à la personne ce que vous avez à lui délivrer. La livraison change la possession; la délivrance acquitte l'un et satisfait l'autre.» « Nous proposerons aux fermiers généraux de nous livrer du sel au même prix qu'ils le vendent à Genève. » VOLT. « Des pêcheurs ayant vendu ce qui se trouverait dans leurs filets, il s'y trouva un trépied d'or, qu'ils refusèrent de délivrer. » COND.

Mais de a de plus ici le caractère déterminatif; si bien que délivrer est un terme de rigueur, usité seulement au palais et dans les bureaux d'administration, où il signifie une certaine action réglée, soumise à des formalités, demandant des vérifications ou des signatures. « Ces richesses, qui m'appartenaient par la mort de mon frère, ne me furent délivrées qu'après tant de formalités, qu'on peut dire que les officiers de la justice furent mes cohéritiers. » LES. On délivre des passeports, des mandats, des certificats, des permis, la copie d'un acte, les titres d'une acquisition. En un mot, délivrer, comme le dit encore Roubaud, c'est livrer dans les formes ou dans les règles. En langage ordinaire, on dira: je vous livrerai telle ou telle marchandise, pour indiquer simplement le fait de la livraison; mais devant un tribunal il faudra dire: la marchandise a été délivrée sous telle ou telle condition.

LAISSER, DÉLAISSER. Quitter, se séparer d'une personne ou d'une chose, ne pas continuer à la garder ou à rester auprès.

Dans cet exemple de est ablatif en sens contraire: il fait entendre que quelque chose est ôté, non pas à la personne qui agit, mais à la personne ou à la chose vers laquelle l'action est dirigée. Délaisser signifie laisser sans secours ni assistance, à l'abandon, dans l'isolement, dans le dénûment. << Anges saints, faites la garde autour du berceau d'une princesse si grande et si délaissée. » Boss. On n'est pas plus ou moins laissé.

Ensuite, délaisser doit à sa particule initiale d'être complétif; on délaisse totalement, et pour toujours. Thésée délaissa Ariane. « La justice doit une assistance particulière aux faibles, aux orphelins, aux épouses délaissées et aux étrangers. » Boss. Au contraire, laisser emporte l'idée d'une séparation momentanée : on laisse ses amis pour aller faire un voyage; un matelot laisse sa famille pour courir les mers; on laisse un ami malade pour aller querir le médecin. J'ai laissé mon ami seul dans sa chambre, est une phrase

qui suppose un retour plus ou moins prochain d'une preuve qui conclut du fait à la possibilité. vers mon ami, outre qu'elle n'annonce pour lui« Passez la mer, dépouillez votre père, montrez aucune privation fâcheuse. Dans Britannicus à tout l'univers qu'on peut chasser un roi de son Agrippine, abandonnée de tous et réduite à n'ètre royaume.» LABRUYÈRE (parlant du prince d'Oplus rien, s'écrie: range). « Dans ma neuvième satire, je pense avoir montré assez clairement que, sans blesser l'Etat ni sa conscience, on peut trouver de méchants vers méchants.» BOIL. On montre qu'un corps tombe, et on démontre selon quelle loi.

Que dis-je? L'on m'évite, et déjà délaissée....
Ah! je ne puis, Albine, en souffrir la pensée.
Mais dans Iphigénie Clytemnestre dit en s'éloi-
gnant un moment de sa fille pour courir à Aga-
memnon et revenir ensuite:

Auprès de votre époux, ma fille, je vous laisse.
Seigneur, daignez m'attendre, et ne la point quitter.
SÉCHER, DESSÉCHER. Oter l'humidité, rendre

sec.

De imprime au second mot une signification ablative et complétive. Quand vous séchez un corps, vous ne lui ôtez rien d'essentiel, dont le besoin se fasse sentir en lui après votre action, vous faites seulement qu'il ne soit plus humide ou mouillé. Ainsi, les vents sèchent les chemins; on sèche les larmes de quelqu'un. Mais dessécher indique une privation: c'est ravir à un corps son jus, son suc, sa séve, de manière qu'il devienne dur, coriace, sans saveur ou sans vie, en un mot, qu'il se dénature plus ou moins. Après la pluie, les herbes sèchent bien vite, grâce au soleil; mais si son ardeur est trop grande, elles se dessèchent et meurent. Viendra l'été, ô herbe terrestre, viendra l'ardeur du grand jugement qui te desséchera jusqu'à la racine. Boss.

D'ordinaire la difference consiste seulement en ce que la particule initiale dans dessécher est complétive analytique: sécher exprime la sorte de changement; au lieu que dessécher dépeint le changement s'effectuant ou représente l'état qui s'ensuit comme complet, comme aussi grand qu'il peut l'être. « Dans le nouveau continent, les hommes n'ont ni borné les torrents, ni séché les marais. » BUFF. A mesure que l'on a défriché les terres et desséché les eaux, la température du climat sera devenue plus douce.» ID. << La vertu est comme une plante qui peut mourir en deux sortes: quand on l'arrache, ou quand on la dessèche.... Il arrivera quelque intempérie qui la fera sécher sur son tronc : elle paraîtra encore vivante: mais elle aura cependant la mort dans le sein. Boss. Une fleur desséchée est tout à fait séchée et ne conserve pas même l'apparence de la vie. « Dieu, dit l'Ecriture, dessèche les racines des nations superbes. Vous voyez qu'il les dessèche, c'est-à-dire qu'il les fait mourir jusqu'à la racine.» FÉx.

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D'ailleurs, à démontrer s'attache l'idée d'une preuve rigoureuse, irrésistible, et produite avec appareil, ou du moins conformément à des règles dont il n'est pas permis de s'écarter; on ne se sert guère de ce terme que dans l'école et en matière de sciences.

VOUER, DÉVOUER. Se dépouiller de quelque chose pour en faire offrande à Dieu, à la patrie ou à une personne qu'on révère.

Ils correspondent de tout point aux mots latins vovere et devovere, dont le second, en vertu de sa particule initiale, est ablatif et complétif. C'est une remarque que font expressément Gardin pour le latin, et Roubaud pour le français. Vouer annonce un simple renoncement, et dévouer un sacrifice; celui-ci exprime le détachement sur tout ou un plus grand détachement. Vouer a rapport à l'engagement, à la promesse qu'on fait de céder, d'abandonner telle chose; ce qui caractérise dévouer, c'est la plénitude du renoncement, la totale abnégation. C'est pourquoi on ne dit pas se vouer, mais se dévouer à la mort, le sacrifice n'admettant ici aucune réserve. « Siméon et Marie, au jour de la purification, se dévouent à Dieu comme des hosties. » Boss.

On voue ses services à un prince, en se mettant à sa disposition; quand on est dévoué à quelqu'un, on est tout à sa disposition, on lui est entièrement soumis, jusqu'à ne plus s'appartenir. « On se voue à Dieu ou au public, dit Condillac, lorsqu'on s'engage à donner tous ses moments à l'un ou à l'autre; on se dévoue à une personne à qui on se donne entièrement, de sorte qu'on n'a plus d'autres intérêts que les siens. >>

Une femme qui quitte le monde pour entrer dans le cloître se voue à Dieu (BOURD.). Mais « Marie s'est dévouée sans exception à Dieu, dans les plus rigoureux sacrifices qui devaient être les épreuves de sa vertu. » ID. Et les religieuses de Port-Royal s'étaient dévouées d'une manière pleine et entière au mystère de l'Eucharistie (PASC.). D'autre part, les prêtres sont spécialement voués au Seigneur (BOURD.). Mais « combien y a-t-il de MONTRER, DÉMONTRER. Prouver, établir, prêtres qui veuillent soutenir les fatigues du safaire voir qu'une chose est, ou est telle ou telle. cerdoce, y consumer leur vie, s'y dévouer et s'y On aperçoit sans peine dans démontrer son dou-sacrifier? » ID. On est voué à Dieu par le bapble caractère complétif analytique et déterminatif. On montre, quand il n'est besoin que d'une indication, ce sur quoi il n'y a qu'à jeter les yeux pour comprendre ou pour croire; on démontre par des raisonnements ce qui ne se comprend qu'avec effort. Démontrer emporte qu'on De dans le second mot est dégradatif et analyfait passer l'esprit par une suite d'idées. Le phy-tique. L'action de découler se fait de haut en bas sicien montre la divisibilité des corps; le méta-d'une manière lente et continue; elle a trait à un physicien démontre l'existence de Dieu, la divisibilité de la matière à l'infini, l'immortalité de l'âme. On se sert bien de montrer quand il s'agit

tême, dévoué par le martyre. Deux personnes se vouent l'une à l'autre par le mariage; Eustache de Saint-Pierre se dévoua pour sa patrie.

COULER, DÉCOULER. Se mouvoir, ou passer avec fluidité, se répandre.

point de départ, à quelque chose d'élevé d'où tombe le liquide: ainsi l'eau découle d'une voûte, du linge étendu; la sueur, du front; le sang, d'une

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