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pays se trouve l'idée d'une infériorité abstraite, d'une importance moindre : plat pays signifie la campagne, les villages, par oppositions aux villes. << Il est injuste que les riches, les grands, les nobles ne payent point, et les pauvres gens du plat pays payent tout. » CHARR. « Tout le plat pays était conquis, et Famagouste était la seule ville qui ne se fût pas rendue. » DELAF. « On ne savait alors ni fortifier les frontières ni faire la guerre dans le plat pays.» VOLT.

Un homme plaisant plaît par des manières enjouées; un plaisant homme ne plaît pas du tout; c'est un homme bizarre, ridicule, singulier. L'homme grand est d'une grande taille; le grand homme a un grand mérite moral. L'homme honnéte, conformément à l'idée primitive, a l'honnêteté des manières et des procédés; l'honnéte homme a celle des mœurs et de l'âme. L'homme malhonnête manque de politesse, est incivil, rude, blessant; le malhonnête homme | manque à la probité et à l'honneur: « Que celui que j'ai pu offenser sans le vouloir dise de moi que je suis un homme malhonnéte, j'y consens; mais qu'il ne dise pas que je suis un malhonnête homme, car je jure que je le prendrai à partie, et | le forcerai à prouver son dire, ou à se rétracter publiquement.» BEAUM. De même, l'homme galant est adonné à la galanterie; le galant homme a des mœurs et des procédés nobles et honnêtes: « L'homme galant se rapproche plus du petitmaître, de l'homme à bonnes fortunes; le galant homme tient plus de l'honnête homme. » VOLT. Un homme brave a de la bravoure; un brave homme a de la probité, des vertus, des qualités sociales.

Un ami vrai ne nous ment pas, ne nous cache pas nos vérités, mais nous les découvre franchement : « Un ami vrai, qui ose nous dire nos défauts, est, disait Socrate, le plus grand présent des dieux. » COND. Un vrai ami nous aime vraiment et prend au besoin nos intérêts : « Un vrai ami est une chose avantageuse, même pour les plus grands seigneurs, afin qu'il dise du bien d'eux, et qu'il les soutienne en leur absence même. » PASC. Un homme pauvre manque de biens; le pauvre homme inspire du mépris ou de la compassion. << Lorsqu'on dit d'un homme, ce pauvre un tel, ce n'est jamais dans le sens d'esurientes implevit bonis, mais toujours dans celui de beati pauperes spiritus. BEAUM. Linière voyant ensemble Chapelain et Patru, disait que le premier était un pauvre auteur, et le second un auteur pauvre. Une chose nouvelle est une chose nouvellement faite, arrivée, mise à la mode; une nouvelle chose est une chose autre que celle qu'on tenait, dont on s'occupait. Les termes propres conviennent, sont appropriés à ce qu'on veut exprimer : vous répétez les propres termes de quelqu'un, ou ses mêmes termes. Voir commune, qui ne s'élève pas audessus de l'ordinaire; commune voix, accord de toutes les voix, de tous les suffrages, unanimité.

Air mauvais, air redoutable; mauvais air, vilain air.

Cléon, lorsque vous nous bravez,
En démontant votre figure,

|

Vous n'avez pas l'air mauvais, je vous jure,
C'est mauvais air que vous avez.

Le comte de CHOISEUL.

Une épigramme méchante, des vers méchants ne sont pas bons, sont pleins de méchanceté, en laissant à ce mot toute sa force radicale; une méchante épigramme et de méchants vers ne sont pas bons en ce sens détourné et affaibli, qu'ils ne valent rien, qu'ils ne sont pas bien faits. De même dans l'homme méchant la méchanceté est plus vive, plus énergique, plus cruelle que dans le mé| chant homme, qui manque simplement de bonté morale, qui fait ou a fait de mauvaises actions.

Un ministre citoyen a les qualités d'un bon citoyen, est zélé pour les intérêts du pays; citoyen ministre, formule dont on se servait du temps de la république en s'adressant aux ministres, ne laisse plus au mot citoyen qu'une signification vague, réminiscence obscure et éloignée de la signification originelle. « Je vous ai prévenu, citoyen ministre, et ministre citoyen, que.... » BEAUM. « Glorieux parallèle renferme un sens ironique, que parallèle glorieux n'indiquerait pas. » D'AL. Enfin, dans les substantifs composés, beaufrère, beau-fils, grand-père, grand-oncle, francmaçon, sage-femme, que reste-t-il du sens primitif des adjectifs beau, grand, franc et sage?

6° Avant le substantif, l'adjectif qualifie plutôt d'une manière vague et indéterminée; après, d'une manière précise.

Ce vague et cette indétermination de la locution où l'adjectif précède tiennent à ce qu'elle exprime la qualité absolument, sans détermination ni spécification quelconque; et, à son tour, cette indétermination explique pourquoi la même locution est toujours celle qui se prête aux acceptions détournées. L'année dernière indique nettement la dernière année qui vient de s'écouler; la dernière année ne détermine pas par rapport à quelle époque, à quelle période, à quelle série d'années on doit l'entendre. De même, l'heure dernière exprime toujours précisément le dernier moment de la vie : « Un père de famille, sentant approcher son heure dernière, dispose de ses biens par son testament. » Boss. La dernière heure se dit d'une heure, qui n'est pas si déterminément dernière en quelque sorte, qui ne l'est que relativement à une période de temps qu'il faut désigner: dans cette école on étudie trois heures de suite le soir : quand vient la dernière heure on s'occupe de telle chose. Si vous dites un père bon, je conçois un père qui a de la bonté, de la douceur, de l'indulgence; si vous dites un bon père, je conçois un père qui remplit tous les devoirs de la paternité, mais je ne sais en quoi consiste précisément sa bonté, à pardonner ou à châtier, pas plus que je ne sais quel est le degré et l'espèce de grosseur de la grosse femme. Qu'on prononce les mots rue sale, je comprends aussitôt qu'il s'agit d'une rue malpropre, pleine d'ordures et d'immondices; sale rue n'indique pas quelle sorte de saleté on reproche à la rue dont il est question, et si on l'appelle ainsi parce qu'il s'y commet des actions déshonnêtes.

Il est inutile de multiplier les exemples; tous ceux qui ont été cités plus haut, ou au moins la plupart, conviennent également ici; il n'y a qu'à se les rappeler. Nous ajouterons seulement une remarque. Si la poésie, comme le prétend Roubaud, emploie de préférence la construction qui met l'adjectif avant le nom, ce n'est pas que celle-ci soit plus forte, plus énergique, plus expressive que le tour synthétique, car nous avons prouvé le contraire au paragraphe 3, mais c'est que la poésie aime le vague et hait la précision.

De toutes ces distinctions résulte, par rapport aux adjectifs auxquels elles s'appliquent, une conséquence importante, c'est que la propriété qu'ils ont de changer de valeur dans le discours suivant leur position, de même que les chiffres dans les nombres supérieurs à dix, constitue pour notre langue une véritable richesse. Les langues, l'allemand et l'anglais, auxquelles manque ce moyen de varier le sens d'une locution qualificative, en variant seulement l'ordre de ses termes, sont obligées d'avoir deux mots pour exprimer ce que nous exprimons par un seul en ayant soin de le mettre à la première ou à la seconde place. Le mot bon de bon père se traduirait en allemand par gut, et le mot bon de père bon par gutig. Seul, dans le sens où nous le prenons quand nous disons un seul homme, correspond à l'allemand einzig, et dans le sens qu'il a dans la locution, un homme seul, il se rendrait exactement par allein.

chercherait en vain dans traiter mal. Traiter mal,
c'est simplement ne pas traiter avec tous les
égards, avec toutes les attentions qu'on mérite,
user de procédés mauvais.

Cette ingrate de fièvre, injuste, malhonnête,
Qui traite mal les gens qui la logent chez eux. MOL.
Vous traitez mal, Pauline, un si rare mérite,
c'est-à-dire Sévère, en supposant qu'il vient ici
braver un malheureux.
Polyeucte. CORN.

<< Il est bien triste que cet officier, qui sert si bien
depuis 22 ans, soit traité si mal, pendant qu'on
prodigue les rangs à une foule de gens sans nom
et sans service. » FÉN. « Marat, dans son livre,
traite mal ses contemporains (manque pour eux
de ménagements, déprise les vérités qu'ils ont an-
noncées). » VOLT. - Maltraiter, c'est traiter beau-
coup plus rudement, se porter à des injures et à
des violences. « Télémaque sentit dans son cœur
une douleur extrême de voir son père si maltraité
(rudement frappé à l'épaule par Antinoüs). » FÉN.
« Si on maltraite un homme, si on le tue, cette
action peut être commandée par la justice. » Boss.
« Si ce serviteur est méchant et qu'il commence à
maltraiter ses compagnons, à s'enivrer et à me-
ner une vie dissolue.... >> ID.

Dans un autre sens, maltraiter dit plus encore que traiter mal: on maltraite généralement, habituellement; on traite mal dans une circonstance particulière. On maltraite ses domestiques, et on traite mal un domestique qui vient de commettre une gaucherie. Ce serait parler sans justesse que de dire qu'un enfant depuis le berceau a été traité mal par son père.

Mais les adjectifs ne sont pas les seuls mots qui se chargent ainsi d'accessoires différents selon leur place relativement aux substantifs. 11 en est de même de certains adverbes et même de certaines prépositions par rapport à de certains verbes, que tantôt ils précédent, et que tantôt ils suivent. De là de nouveaux synonymes analogues aux précédents pour l'origine, et tout à fait semblables, comme il est facile de s'en convaincre, quant aux MAL PARLER, PARLER MAL. Parler d'une ma règles de distinction qui leur conviennent: mal-nière contraire aux règles.

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Enfin, maltraiter désignant le mauvais traitement d'une manière pleine, absolue, accomplie, est moins propre à signifier faire faire mauvaise chère à ses hôtes, que traiter mal qui veut dire seulement traiter d'une manière peu convenable, avec trop peu d'égards.

trailer, traiter mal; mal parler, parler mal; mal Beauzée pense que l'un signifie parler d'une interpréter, interpréter mal; mal mener, mener manière contraire aux règles de la morale, dire mal; bien ou mal faire, faire bien ou mal; sur-du mal, et l'autre parler d'une manière contraire teiller, veiller sur.

On doit remarquer d'abord une circonstance commune à tous ceux de ces verbes composés dont les termes constitutifs s'écrivent encore séparément: mal parler, mal interpréter, mal ou bien faire; ils s'emploient uniquement à l'infinitif, et au participe ou seul ou accompagné de l'auxiliaire avoir. Or, l'antipathie de ces locutions pour les temps proprement personnels n'est-elle pas déjà une marque de leur impuissance à exprimer ce qui est relatif? N'est-ce pas là une preuve que ce qu'elles rendent particulièrement bien, c'est le général et l'absolu? Mais traitons séparément et sans esprit de système chacune d'elles; cherchons à les distinguer des expressions synonymiques dont elles ne diffèrent, sous le rapport grammatical, que par l'ordre de leurs éléments. MALTRAITER, TRAITER MAL. Traiter d'une manière qui n'est pas convenable.

La seule place de mal dans maltraiter donne à ce dernier mot une plénitude de sens que l'on

aux règles de la grammaire, y manquer en parlant. Il se peut que cette difference soit la vraie; car l'analogie est pour que mal parler se prenne dans le sens le plus abstrait, pour médire ou dire des paroles offensantes; et la même analogie exige qu'en employant parler mal on conserve au mot mal un sens moins éloigné ou plus voisin du sens propre et primitif, et c'est ce qu'on fait en lui donnant celui de parler sans correction. Cette distinction est aussi confirmée par l'usage. On dit plutôt mal parler de quelqu'un (Boss., FÉN., LABR., MOL., VOLT., J. J., MAL., COND., ROLL.), et parler mal sa langue (VOLT.) ou le français (ID.). Absolument, mal parler, c'est médire : « Heureux est l'homme qui ne se porte point à mal parler, et qui ne s'arrête pas même à écouter le mal. >> BOURD. Absolument, parler mal, c'est être mauvais orateur ou mauvais écrivain. « Dans ce conseil de régence le duc d'Orléans parla bien, parce qu'il ne pouvait pas parler mal, même dans les plus mauvaises thèses. » S. S. « Au partir ne vaut pas

mieux qu'au départ, et c'est parler mal sans y rien gagner.» LAH. On dit de même mal penser de quelqu'un (J. J.), et c'est en penser du mal, sorte de faute contre la charité, au lieu que penser mal annonce une infraction à d'autres règles que celles de la morale : « On peut penser mal sans être hérétique, si l'on est soumis et docile. Boss.

Mais supposons avec Roubaud ces deux locutions, mal parler et parler mal, unies par un rapport de synonymie plus étroit, toutes deux usitées moralement et grammaticalement, toutes deux signifiant et médire et exprimer sa pensée autrement qu'il ne faut. Elles se distingueront alors comme maltraiter et traiter mal, c'est-àdire que l'adverbe mal précédant le verbe étendra l'idée de l'expression entière, la rendra plus complète mal parler annoncera donc une atteinte plus grave aux lois de la charité ou à celles de la grammaire. C'est cette dernière différence qu'il faut mettre entre mal juger (COND.) et juger mal (COND., NIC.), entre mal raisonner (VOLT., P. R.) et raisonner mat (VOLT., COND., LAH.), entre mal écrire et écrire mal (VOLT., LAH.);

MAL INTERPRÉTER, INTERPRÉTER MAL. Donner un sens qui n'est pas le vrai.

Toujours mêmes distinctions. Mal interpréter, plus abstrait, plus éloigné de la signification première, voudra plutôt dire prendre en mauvaise part un discours, ou une action, et interpréter mal, par la raison contraire, traduire mal d'une langue dans une autre, ou expliquer mal ce que contient un écrit, une loi. Et chacun des deux tours étant employé dans l'une et dans l'autre acception, la première aura plus de force et signifiera donner un sens qui non-seulement n'est pas le véritable, mais qui s'en écarte étrangement, interpréter tout de travers.

On distinguerait de même mal prendre et prendre mal, dans le cas où le mot prendre signifie comme interpréter, entendre d'une certaine ma

nière.

Un tel avis m'oblige; et, loin de le mal prendre,
J'en prétends reconnaître à l'instant la faveur.

(Célimène à Arsinoé. Misanthrope). MOL. MALMENER, MENER MAL. Mener autrement qu'il ne faut.

Le premier convient mieux, et peut être seul, dans le sens idéal et moral de, avoir des procédės rudes et sans ménagement, tandis que le second se dit toujours ou presque toujours au propre pour, mal diriger ou mal conduire. Si quelquefois ils expriment tous deux, ou l'idée abstraite et figurée, ou l'idée propre et primitive, alors, de même que maltraiter par rapport à traiter mal, malmener dit plus que mener mal.

BIEN ou MAL FAIRE, BIEN ou MAL FAIT, avoir BIEN ou MAL FAIT; FAIRE, FAIT, avoir FAIT BIEN ou MAL. Faire, fait ou avoir fait d'une manière qui convient ou qui ne convient pas.

Bien faire, mal faire se disent plutôt au figuré et au moral. Bien faire, c'est ou agir en homme de bien ou être bienfaisant. « Sa Majesté polonaise n'est pas le seul bienfaisant en Lorraine : vous savez bien faire comme bien dire. » VOLT. Mal

faire, c'est se rendre coupable de mauvaises actions. « Délivrez-moi, Seigneur, de cette fatale liberté que j'ai de mal faire. » MAL. Au contraire, faire bien ou mal, avoir fait bien ou mal se disent plutôt au propre et au physique. « Je n'entends pas qu'Emile ne fera jamais de dégât; il pourrait faire beaucoup de mal sans mal faire, parce que la mauvaise action dépend de l'intention de nuire et qu'il n'aura jamais cette intention. » J. J. Si faire beaucoup de mal n'est pas nécessairement mal faire, c'est précisément et toujours faire mal. Dans une acception particulière, faire mal, c'est, au propre, faire du mal, causer de la douleur., De même, faire bien se dit à la rigueur, dans le propre, et non dans le sens éloigné et moral de bien faire. « Dans les repas ou les fètes que l'on donne aux autres et dans les plaisirs qu'on leur procure, il y a faire bien, et faire selon leur goût: le dernier est préférable. » LABR. « Je suis embarrassé sur l'origine du mal; mais je supposerai que le bon Oromase, qui a tout fait, n'a pu faire mieux. » VOLT.

Dans les locutions abstraites où le verbe faire ne conserve presque plus rien du sens primitif, tant il est idéalisé, on ne doit se servir que de bien faire ou de mal faire: je croyais bien faire; il a mal fait de vous avertir.

SURVEILLER, VEILLER SUR. Avoir l'œil sur quelqu'un ou quelque chose, y prendre garde.

Surveiller a plus de généralité; il indique une surveillance plus étendue, qui embrasse plus de choses, attentive aux moindres mouvements, de tous les jours, de tous les instants, qui ne laisse rien échapper, et qui suppose qu'on surveille d'en haut avec charge ou autorité; en un mot, surveiller rappelle toujours un peu l'espionnage de la police, à part tout ce qu'il peut avoir d'odieux. « Depuis qu'on me surveille et qu'on éclaire tous mes secrets. » J. J. « Tout ce qu'on peut faire pour la sûreté publique est de le surveiller si bien, qu'il n'entreprenne rien qu'on ne le sache, qu'il n'exécute rien d'important qu'on ne le veuille. » ID.

La surveillance de veiller sur n'est pas sans relâche, elle ne suit pas son objet aussi attentivement; c'est pourquoi, quand c'est à une personne qu'elle s'attache, elle emporte quelquefois l'intention de la protéger, de faire qu'il ne lui arrive aucun mal, et non pas toujours, comme surveil ler, celle de la trouver en faute pour avoir à la reprendre ou à la punir. « Il faut veiller sur ces enfants de choix de la patrie, les protéger, les aider, les soutenir, fussent-ils même de mauvais sujets. » J. J. « Les yeux de Dieu sont attachés sur les justes, parce qu'il veille sur eux pour les protéger. » Boss.

Mais non-seulement la surveillance de veiller sur est moins détaillée, moins continuelle, mais elle s'étend à moins de choses ou de personnes différentes; on surveille même les personnes qui veillent sur, et par une inspection supérieure, comme chef, comme conducteur : le général surveille les officiers qui veillent sur les soldats; dans une grande maison, le maître surveille les agents chargés par lui de veiller sur les subal ternes les plus bas placés.

III. SYNONYMES QUI ONT LE MÊME RADICAL ET DONT LES DIFFÉRENCES DÉPENDENT DE LA VALEUR DES PRÉFIXES.

PRÉFIXE RE.

Luire, reluire. Jaillir, rejaillir. Sentir, ressentir. Se sentir, se ressentir. Épandre, répandre. Abaisser, rabaisser. Abattre, rabattre. Avilir, ravilir. Emplir, remplir. Assurer, rassurer. Assembler, rassembler. Éveiller, réveiller. Vétir, revêtir. Souvenir, ressouvenir. Nom, re

nom. Etc.

du reste, paraît appartenir à tous les mots composés qui commencent par une particule. Ainsi nous employons plutôt au figuré entraîner que traîner, attirer que tirer. « On dit plus ordinairement se repaître que se paître de vent ou de chimères.» ACAD. Quand on étale un grand luxe, il semble aux spectateurs qu'on repait leurs yeux de ce qui devrait paître leur ventre. » CHARR. Il en est de même de redoubler par rapport à doubler: « La vue des Tarquins parut avoir doublé les forces des Romains en redoublant leur courage. » ROLL.

LUIRE, RELUIRE. Éclairer, jeter ou répandre de la lumière; au figuré, briller, paraître.

Reluire est adversatif ou réactif, et quelquefois augmentatif. Ce qui luit brille d'une lumière qui lui est propre. « La vérité universelle n'a pas besoin de rayons empruntés pour luire. » FÉN.

La particule re se trouve, en français comme en latin, placée au commencement d'un grand nombre de mots composés. Originairement, elle donne l'idée d'un espace parcouru de nouveau, soit en sens inverse, soit dans le même sens; et de là vient qu'elle est tantôt adversative ou réactive, comme dans répugner, résister, réprouver, repousser, et tantôt itérative, comme dans relire, reprendre, revenir, refaire. Le verbe ré-Ce qui reluit brille d'une lumière d'emprunt, crire se prend dans les deux significations; car il veut dire, d'un côté, écrire à qui nous a écrit, lui faire réponse écrite, et de l'autre, écrire une seconde, une troisième lettre.

éclaire par réflexion. « Toutes les surfaces extrêmement polies reluisent, et renvoient la lumière. » ACAD. Le soleil luit; une glace reluit, lorsqu'elle renvoie la lumière qu'elle reçoit. Dans luire la lumière est égale et continue, parce qu'elle vient de la chose même; dans reluire elle est accidentelle et variable, parce qu'elle dépend des circonstances.

Par cela seul qu'elle est itérative, cette particule doit être augmentative, c'est-à-dire marquer une augmentation d'efforts, d'énergie de la part du sujet de l'action, et une augmentation de difficulté de la part de ce qu'il fait. Car, outre Au figuré se trouve la même différence. Luire que la répétition des actes prouve qu'on tient à se dit de ce qui paraît dans une chose, et reluire arriver au but, qu'on y emploie toutes ses forces, de ce qui paraît dans une chose, mais comme ce qu'on ne fait qu'à plusieurs reprises offre né-un reflet. Dans cet exemple de Boileau, cessairement plus de difficulté à vaincre, et quelque chose de plus extraordinaire que ce qui se fait en une seule fois. Ce caractère d'augmentation sert surtout à déterminer le sens des mots dans lesquels re ne désigne pas une succession d'actions, mais une action continuée, comme dans retenir, rabaisser, remplir. Quelquefois, au lieu d'être précisément augmentative, la particule désigne seulement de la part du sujet une intention, et par conséquent une action expressément volontaire, tandis que cette même action apparaît, dans le mot simple, comme spontanée et naturelle. D'autres fois, au contraire, l'augmentation va jusqu'à l'excès.

Et dès qu'un mot plaisant vient luire à mon esprit,
Je n'ai point de repos qu'il ne soit en écrit.
Luire fait entendre que le mot plaisant sort de l'es-
prit même de l'auteur qui l'a trouvé. Mais le ca-
ractère contraire se montre bien dans cette phrase
de Bossuet : « Où a-t-on pris qu'il n'y ait pas en
Dieu une justice dont celle qui reluit en nous ne
soit qu'une étincelle?» Et dans cette autre de Fé-
nelon : « C'est la vérité par elle-même qui reluit
dans cette vérité particulière et communiquée. »
On dit également que l'espérance luit et reluit
dans le cœur de quelqu'un la première expres-
sion marque simplement qu'il espère; et la se-
conde représente en lui l'espérance comme un
effet dont elle rappelle la cause.

Ensuite, reluire a parfois plus de force que luire : ce qui est reluisant est deux ou trois fois luisant, c'est-à-dire très-luisant.

De ce que la particule re est itérative, il ne s'ensuit pas seulement qu'elle doive être augmentative dans un grand nombre de cas, mais aussi qu'elle doit marquer souvent une rénovation ou le rétablissement d'un état antérieur. Alors le mot Enfin reluire peut signifier luire de nouveau qu'elle commence suppose un changement qu'on après avoir cessé de luire, revenir à un état antérépare, et le retour à l'état primitif. Ainsi rega-rieur de lumière ou de clarté. « Que les fidèles gner ne signifie pas proprement gagner une seconde fois, ni gagner avec beaucoup d'efforts, mais gagner ce qu'on avait perdu, revenir à la possession d'une chose.

Enfin, une dernière remarque au sujet des mots qui ont cette initiale, comparés aux mots simples qui ne l'ont pas, c'est que les premiers sont d'un usage généralement plus étendu, et se disent plus volontiers au sens moral et figuré. Propriété qui,

travaillent tous à se réformer, afin que l'Eglise refleurisse, et qu'on voie reluire sur elle la beauté des anciens jours!» FÉN.

JAILLIR, REJAILLIR. Ils se disent de l'action d'un liquide qui sort avec impétuosité et s'élance rapidement.

Dans rejaillir la particule re est réactive, ou augmentative, ou l'un et l'autre en même temps. « Rejaillir, dit Condillac, se dit proprement des

α

fluides. qui, ayant jailli contre un corps, réflé- | exprimer l'affection de l'âme, forte ou faible; et, chissent et retombent dans des lieux où ils n'é- au contraire, de ressentir quand on veut faire entaient pas d'abord dirigés. » L'eau jaillit, puis, tendre qu'elle est la suite ou l'effet de telle ou rencontrant un obstacle qui la renvoie, elle re- telle chose. On sent les atteintes de la goutte, jaillit. Dans rejaillir, il y a non-seulement jet, quand on commence à en souffrir; à la suite d'un éruption, mais aussi répulsion de l'obstacle contre excès de table, on ressent les atteintes de la lequel le liquide va frapper. « C'est le même amour goutte. On ressent plutôt qu'on ne sent les effets (de Dieu le Père) qui va droit à son fils et rejaillit de la haine ou de la libéralité de quelqu'un. Lasur nous.» Boss. « Polyphème se saisit de deux bruyère dit que nous ressentons de la colère contre de mes compagnons et les écrase contre une roche ceux qui nous raillent; et dans cette phrase sentir comme de jeunes faons; leur cervelle rejaillit de serait impropre, parce que la colère est ici claitous côtés. >> FÉN. rement l'effet de la raillerie. Quelquefois ressentir

α

Le plus souvent rejaillir signifie, non pas rigou-signifie sentir bien après l'impression, à une époreusement jaillir une seconde fois et en un autre sens, mais jaillir beaucoup de fois et çà et là, en divers sens, de toutes parts, avec force et abondance, jaillir et jaillir encore.

Faites courir, bondir et rejaillir cette onde. DEL. « Jaillir, dit Roubaud, exprime proprement l'action de s'élever avec force, de sortir comme un trait, de former un jet subit; et rejaillir, l'action de se répandre à la suite du jaillissement, de suivre des directions différentes, de former par son abondance des jets divers. »

Jaillir se dit plutôt des liquides pour lesquels le mouvement semble être en quelque sorte naturel, et qui ne sont pas jetés fort loin; au lieu que rejaillir convient mieux en parlant de ceux qui s'échappent violemment de l'endroit où ils étaient retenus, et qui sont lancés à une grande distance. « Le tuyau, par lequel l'eau rejaillit, la contient pour la jeter bien haut au milieu des airs et pour la verser dans le bassin de marbre qu'on lui a préparé. » Boss.

D'autres fois rejaillir exprime un retour du liquide vers sa source, ou vers le lieu d'où il est parti. De l'eau qui tombe rejaillit. « Les fontaines se souvenant toujours de leurs sources, portent leurs eaux, en rejaillissant, jusqu'à leur hauteur, qu'elles vont chercher au milieu de l'air. » Boss.

Au figuré, même différence. Les idées, les expressions jaillissent d'un esprit fécond, d'une bouche éloquente. Rejaillir marque le contrecoup, le retour, l'action de retomber de l'un sur l'autre la gloire des grands hommes rejaillit sur les princes qui savent les employer.

SENTIR, RESSENTIR. Eprouver quelque chose d'agréable ou de désagréable.

que qui en est éloignée : les femmes de la Chine auxquelles on casse les pieds, pour les rendre petits, « ressentent cette douleur pendant toute leur vie.» BUFF. «< Damon ressent la perte de son ami dans ce moment, tout comme il la sentait au moment de ses funérailles. » MARM.

Se SENTIR, se RESSENTIR. Éprouver quelque reste d'un mal qu'on a eu, les suites d'un malheur, ou l'influence, soit heureuse, soit funeste de quelque chose.

Nous nous sentons de ce qui vient de nousmêmes, de notre bonne ou de notre mauvaise conduite; nous nous ressentons de ce qui vient des autres, des fautes de nos parents, par exemple.

Ensuite, on se ressent longtemps après, ou à une grande distance: Quiconque a négligé son éducation s'en ressent toujours. « Ce n'est pas que mon cœur se ressente encore de ses anciennes blessures. » J. J. Dans la hiérarchie administrative, si l'un des employés principaux obtient de l'avancement, le moindre commis peut quelquefois s'en ressentir. « De cette autre mienne vie qui loge en la connaissance de mes amis, je sais bien que je n'en sens fruit ni jouissance que par la vanité d'une opinion fantastique: et, quand je serai mort, je m'en ressentirai encore beaucoup moins. » MONTAIGNE.

ÉPANDRE, RÉPANDRE. Laisser tomber, jeter çà et là, en plusieurs endroits.

Répandre enchérit sur épandre; il marque plus d'impétuosité dans l'action, une plus grande dispersion de la chose versée. On épand un liquide en l'étendant, en l'étalant doucement; on le répand, en le jetant de tous côtés avec force ou de haut. Montaigne dit, pour marquer que les princes doivent être modérés dans leurs libéralités, qu'il faut épandre le grain, non pas le répandre. Épandre est d'un usage très-borné, et se dit principalement en parlant d'un fleuve dont les eaux se déploient paisiblement sur un espace plus ou moins étendu. « Ce fut alors, dit Fléchier, que la charité, comme un fleuve, rompit ses bords et s'épandit sur tant de terres arides. » « La lame Sentir marque quelque chose d'intime, de affaiblie qui vient s'épandre sur la rive basse en subjectif; ressentir est relatif à une cause étran-un léger réseau. » BUFF. « Un embrasement qui, gère dont on reçoit l'action. Ainsi, l'âme, dis-poussé par les vents, s'épand au loin dans une tincte du corps, sent ses maux, et ressent ceux forêt. » LABR.

Ressentir, c'est sentir par réflexion, par contrecoup. On sent ses propres maux, on ressent ceux des autres. « Ressentir les maux du prochain.» Boss. «Voyait-il un membre affligé, il ressentait toute sa douleur. » ID. « Dans toutes les épreuves de l'Église et dans toutes ses douleurs, elle ne sent rien que je ne ressente avec elle. » BOUrd.

du corps. « L'âme, dit Pascal, ressent les pas- ABAISSER, RABAISSER. Ils expriment l'action sions du corps.» « Le premier homme, dit Male- de faire passer de haut en bas, de diminuer la branche, ressentait du plaisir dans ce qui perfec-hauteur, la valeur, le prix, la dignité, le métionnait son corps, comme il en sentait dans ce rite, la réputation. qui perfectionnait son âme. » On doit se servir de sentir toutes les fois que l'on veut simplement

Abaisser marque une dépression modérée. L'action de rabaisser est plus forte; car rabaisser,

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