Page images
PDF
EPUB

s'accomplissent; et en secret, en parlant des choses secrètes en elles-mêmes.

Qu'on dise à Josabet

Que Mathan veut ici lui parler en secret. RAC. Mathan se soucie peu qu'on le voie causer avec Josabet; ce n'est pas le fait de l'entretien qui est qualifié, mais l'entretien lui-même, les choses qui doivent en faire le sujet. Pardonner, désirer, soupirer, pleurer en secret, ce n'est point faire ces actions de manière à n'être pas vu les faisant, c'est les faire sans qu'elles soient sues ou con

nues.

PUBLIQUEMENT, EN PUBLIC. Devant tout le

monde.

PARTICULIÈREMENT, EN PARTICULIER. Spécialement. Il aime tous les arts en général et particulièrement la peinture, ou, et la peinture en particulier.

En particulier signifie simplement, entre autres: particulièrement entraîne toujours, si légère qu'elle soit, une certaine idée de préférence, de prédilection de la part du sujet, laquelle détermine celui qui parle à choisir cet art parmi les autres pour le citer. C'est pourquoi on dirait bien : Il aime tous les arts en général, mais particulièrement la peinture, et non, mais la peinture en particulier.

PLEINEMENT, EN PLEIN. Complétement, non à moitié, à demi, jusqu'à un certain point.

L'adverbe n'est usité que pour exprimer des états subjectifs de l'âme humaine : être pleinement convaincu ou justifié. En plein ne s'emploie qu'objectivement, en parlant d'objets matériels. Le soleil donnait en plein sur nous. Donner en plein dans un piége.

Publiquement, de manière à être vu ou entendu de tout le monde; en public, de manière qu'on est vu ou entendu de tout le monde. En public exprime une circonstance objective, indépendante du sujet, considérée en elle-même, et publiquement, une circonstance toute relative au sujet. Aussi le premier s'emploie-t-il dans des locutions absolues, et le second dans des locutions particu- GRANDEMENT, EN GRAND. On pense, on agit lières et déterminées paraître ou parler en pu- | grandement ou en grand, c'est-à-dire d'une mablic, faire ou dire telle ou telle chose publique-nière grande. ment. Quand on dit de quelqu'un qu'il a parlé ou paru en public, la proposition a un sens complet, se suffit à elle-même, vous n'en demandez pas davantage. Si on rapporte qu'il a fait ou dit telle ou telle chose publiquement, vous n'êtes pas satisfait, vous voulez savoir pourquoi il n'a pas craint d'agir ainsi, vous songez aux raisons qui l'ont porté à ne point se cacher. On ne fait point en particulier ce qu'on fait en public, ni en cachette ce qu'on fait publiquement.

DÉFINITIVEMENT, EN DÉFINITIVE. Par jugement définitif.

|

|

Grandement annonce une grandeur propre au sujet, et en grand une grandeur établie en dehors et indépendamment de lui, à laquelle il se conforme. L'un le caractérise lui-même en tant que pensant et agissant, l'autre caractérise la nature de ses pensées et de ses actions. Celui qui pense et agit grandement, répugne à s'occuper de détails; les pensées et les actions de celui qui pense et agit en grand, n'ont rien de mesquin ni de futile. Ensuite, grandement se dit plutôt en parlant | du fait, de la manifestation, de l'appareil extérieur, et en grand du fond même, de la réalité. Il peut y avoir de l'ostentation, de renflure dans celui qui agit grandement; agir en grand suppose toujours une grandeur, une noblesse, une élévation effectives.

qualificative.

L'un caractérise la chose comme événement, comme ayant lieu. On a jugé une affaire définitirement tel jour, en présence de telles personnes, après avoir longtemps différé. L'autre caractérise la chose en soi : une affaire jugée en définitive ne peut plus être remise en question. Une affaire | S III. Adverbe et phrase adverbiale substantiven'est point encore jugée définitivement quand on doit faire de nouveau l'action de l'examiner, de la discuter; elle n'est point encore jugée en définitire, quand la sentence déjà rendue n'a pas en elle-même la force d'arrêter toute enquête, toute décision ultérieure. Ainsi l'adverbe est phénoménal et extrinsèque; la phrase adverbiale est essentielle et intrinsèque. GÉNÉRALEMENT, ÉN GÉNÉRAL. A peu d'ex-nées diffèrent de l'adverbe par un caractère d'obceptions près.

Sagement, en sage; aveuglément, en aveugle; lâchement, en lache; héroïquement, en heros; philosophiquement, en philosophe; fraternellement, en frère; amicalement, en ami; saintement, en saint; sottement, en sot; cavalièrement, en cavalier; etc. Toutes les phrases adverbiales ci-dessus exami

jectivité. Ainsi se conduire avec sagesse fait pen

des démarches; au lieu que se conduire sagement place la sagesse dans l'agent et la montre comme lui étant inhérente. De même agir à l'aveugle, c'est agir n'étant pas éclairé ou selon un mode constitué hors du sujet, à la manière aveugle; et agir aveuglément, c'est agir en aveugle qu'on est, en s'aveuglant.

L'un se dit dans l'ordre des faits, des événe-ser à la sagesse de la conduite, des entreprises et ments; il est empirique : l'autre s'emploie dans l'ordre des idées; il est ontologique et logique. Opinion généralement reçue, bruit généralement répandu; homme généralement estimé; on remarque assez généralement que.... Il est vrai en général que.... Généralement parlant, les hommes à systèmes sont obstinés: on en rencontre peu qui ne le soient pas. Quand on soutient que telle forme de gouvernement conviendrait mieux aux peuples parvenus à tel degré de civilisation, on parle en général, on ne prétend pas que cela soit vrai absolument, sous tous les rapports, dans toutes les circonstances.

Mais voici une sorte de phrase adverbiale qui est subjective comme l'adverbe lui-même, c'est-àdire modificative de l'action avec rapport à une qualité du sujet : en sage, en aveugle, en lâche, etc. Est-ce donc à dire qu'il y ait alors complète identité entre l'adverbe et son explication, entre sage

ment et en sage, aveuglément et en aveugle, et | phénoménalité ou de la contingence. A celui qui ainsi des autres?

se conduit sagement, aveuglément, sottement, il arrive de se conduire ainsi; c'est un fait, quelque chose d'accidentel et de passager celui qui se conduit en sage, en aveugle, en sot, est un sage, un aveugle, un sot; c'est en lui une qualité portée au plus haut point et permanente. « Ce médecin suivait en aveugle les règles des anciens. » LES. « Catinat reçut cette mortification en philosophe, et fit admirer sa modération et sa vertu. > S. S.

Donc enfin ce qui distingue dans tous les cas la phrase adverbiale substantive-qualificative, c'est la plénitude et la constance de la qualité qu'elle représente comme possédée par le sujet.

SYNONYMIE DES EXPRESSIONS QUI NE DIFFÈRENT

QUE PAR L'ORDRE DES MOTS.

Savant homme, homme savant. Habile ouvrier, ouvrier habile. Véritable ami, ami véritable. Tendres regards, regards tendres. Etc. Maltraiter, traiter mal. Mal parler, parler mal. Mal interpréter, interpréter mal. Mal mener, mener mal. Bien ou mal faire, faire bien ou mal. Surveiller, veiller sur.

Il est à remarquer d'abord que l'adverbe, quoiqu'il soit de la même famille que le substantif de la phrase adverbiale, apassé par l'adjectif dont il a dû prendre les nuances. Cela est évident pour les adverbes héroïquement, philosophiquement, fraternellement, amicalement, comparés aux substantifs des phrases adverbiales, en héros, en philosophe, en frère, en ami. Quelquefois, il est vrai, et l'adverbe et le substantif paraissent venir ou plutôt viennent réellement de l'adjectif qui leur correspond. Exemples: Sagement, en sage; saintement, en saint; aveuglément, en aveugle; lâchement, en lache. Alors, comme toujours, il y a dans la signification de l'adverbe quelque chose qui rappelle son origine; ce qui n'a pas lieu pour le substantif. En général, l'adverbe n'existe pas par lui-même, mais en rapport nécessaire avec l'adjectif dont toujours il dérive. Il n'en est pas de même du substantif, partie du discours de sa nature indépendante. De là il suit que l'adverbe n'a pas la même plénitude de signification que la locution adverbiale, parce qu'il a subi l'influence ordinairement atténuative de l'adjectif. En héros, en sage, en sot, signifient, comme le héros, le sage, le sot, comme le type accompli de l'hé- Dans certaines langues, l'adjectif occupe, par roïsme, de la sagesse, de la sottise, c'est-à-dire rapport au substantif, une place invariable. En héroïquement, sagement, sottement, d'une ma-allemand et en anglais, par exemple, il se met nière pleine et absolue. Mais héroïquement, sagement, sottement reviennent à, d'une manière qui tient de l'héroïsme, de la sagesse, de la sottise, qui y a rapport, qui en donne simplement l'idée. Se conduire cavalièrement, c'est se conduire d'une manière cavalière, qui tient du cavalier, lequel | est quelquefois, et sous certains rapports, brusque et hautain : c'est là, en effet, le sens de l'adjectif. En cavalier suggère l'idée du cavalier tout entier, telle qu'elle est exprimée par le substantif, et non une idée partielle, relative, approximative, comme celle que désigne l'adjectif. Ainsi, le sens de l'adverbe correspond exactement à celui de l'adjectif qui l'engendre, et de plus, comme l'ad-remplis d'exemples choisis avec discernement, jectif a la propriété de se placer avant le substantif, l'adverbe, en cela différent de la phrase adverbiale, a celle de se placer avant le verbe, ce qui modifie et l'adjectif et l'adverbe de telle sorte qu'ils deviennent des expressions plus indéterminées, plus éloignées de la signification native et rigoureuse, expressions qu'on emploie sans conséquence et sans en bien peser la valeur '.

toujours avant. Il n'en est pas de même en français : des adjectifs y précèdent constamment les noms qu'ils qualifient, tandis que d'autres, et ce sont les plus nombreux, doivent les suivre dans tous les cas. Ainsi nous disons: habile avocat, cher ami, bonne personne, hautes pensées, dure nécessité, etc.; d'un autre côté, lettre anonyme, habit rouge, zone torride, homme altier, intrépide, inébranlable, absurde; affaire grave, lieu charmant. Auxquels convient-il d'accorder la première place et auxquels la seconde? Il faut consulter, pour le savoir, l'usage, l'oreille et les dictionnaires; ceux-ci, quand ils sont bien faits et

peuvent fournir sur ce point d'utiles instructions.

Mais, outre ces adjectifs qui n'ont qu'une place déterminée, les uns avant, les autres après leurs substantifs, il en existe dans notre langue toute une classe qui ont le privilége de se mettre tantôt avant, tantôt après. Nous disons également: savant homme, homme savant; habile ouvrier, ouvrier habile; véritable ami, ami véritable; D'autre part, il importe de considérer dans l'ad- tendres regards, regards tendres; suprême intelliverbe un des caractères qu'il tient de son rapport gence, intelligence suprême; profond savoir, saavec le verbe, c'est-à-dire, non pas celui de la voir profond; malheureuse affaire, affaire malsubjectivité dont il ne peut être question ici, heureuse; magnifique appartement, appartement puisqu'il lui est commun avec la phrase adver-magnifique; absurde système, système absurde; biale substantive-qualificative, mais celui de la accablante nouvelle, nouvelle, accablante; d'ar

1. La phrase adverbiale substantive ressemble sous ce rapport à la phrase adverbiale substantivequalificative. La locution avec sagesse, par exemple, diffère aussi de sagement par la rigueur et la précision avec lesquelles elle rappelle l'idée radicale. Mais la locution en sage, outre qu'elle est subjective, ce qui la distingue déjà d'avec sagesse, exprime la qualité dans le sujet, non pas seulement à la rigueur, mais pleinement. Se conduire sagement, c'est

se conduire d'une manière sage, d'une manière qui tient de la sagesse; se conduire avec sagesse et en sage, c'est faire preuve d'une véritable sagesse. Toutefois avec sagesse fait considérer cette qualité dans les effets, dans les œuvres, et en sage la représente dans l'agent; ensuite, si en sage ne reproduit pas mieux, avec plus de force, l'idée de sagesse, il la reproduit à un plus haut degré, il l'exprime dans le sujet comme étant parfaite, accomplie.

[ocr errors]
[ocr errors]

dents désirs, des désirs ardents; céleste bonté, | sont formés tant de mots composés d'un adjectif bonté céleste, etc. Or, la position de ces adjectifs et d'un substantif, encore bien distingués l'un de devant ou après les substantifs importe si fort, l'autre, tels que petit-maître, gentilhomme, sagequ'elle produit quelquefois deux sens, deux locu- femme, si ce n'est parce que la position des adtions tout à fait differentes, comme grosse femme jectifs les rendait caractéristiques et singulièreet femme grosse, grand homme et homme grand, ment propres à faire corps avec le substantif? Et unique tableau et tableau unique; c'est naturelle- n'est-ce pas à cause de l'union intime établie par ment aux dictionnaires à signaler ces variations la seule position de l'adjectif entre lui et le subconsidérables dans la valeur des termes suivant stantif, qu'on se permet de les envisager et de les leur place respective. Mais d'autres fois, comme traiter comme une seule expression complexe en on a pu déjà le remarquer par les exemples, les faisant précéder ou suivre d'un nouvel adjechomme savant, savant homme; habile ouvrier, tif : parfait honnête homme (RAC.); l'honneur ouvrier habile, etc., la manière de placer l'ad- qu'on nous rend pour de véritables actions verjectif paraît indifférente, tant est légère et peu tueuses (Boss.); le vrai honnéte homme (LAROCH.); apparente la modification qu'elle apporte dans cepauvre honnête homme, infortuné grand homme l'idée concurremment exprimée par l'adjectif et | (VOLT.); ce grand homme sec, un savant homme par le nom auquel il est joint. C'est alors aux syno- aimable? Au contraire, la science de l'homme sanymistes à indiquer en quoi consiste cette modi- vant ne lui est qu'ajoutée ; c'est une qualité partification, à la faire sentir, à la mettre en lumière, culière qui s'en détache aisément, et qui n'indiet à établir une règle générale qui guide sûrement que pas l'idée principale et prédominante qu'on dans le choix du rang qu'il convient de donner à se fait de lui. l'adjectif dans telle ou telle circonstance. C'est ce que nous allons essayer de faire en nous aidant des observations de Roubaud.

4o Ľ'adjectif préposé exprime une qualification essentielle, caractéristique; c'est une épithète de nature. L'adjectif postposé exprime une qualification accessoire, accidentelle; c'est une épithète de cir

constance.

En mettant l'adjectif avant le substantif, nous les unissons si étroitement, qu'ils s'identifient en quelque sorte et deviennent comme inséparables, la chose ne se concevant plus sans sa qualité. Dans le savant homme, vous considérez surtout et vous présentez l'homme comme savant; sa science fait corps avec lui, fait partie de sa substance. Au contraire, l'adjectif postposé n'est jamais au substantif que comme l'accident à l'égard de la substance; son idée n'est que secondaire, indicative. Dans l'homme savant, vous remarquez et faites remarquer la science comme un fait, et non comme une qualité inhérente à sa personne. Le

savant homme est constitué savant, l'homme sarant est reconnu savant; un savant homme est un savant, un homme savant n'est que savant.

Lorsque les consuls romains avaient eu des succès, leurs soldats les saluaient empereurs; et si le sénat leur confirmait ce titre, ils pouvaient se flatter d'obtenir le triomphe. Mais dès qu'ils avaient triomphé, ils perdaient le titre d'empereur ainsi que le commandement. Or ce titre, qui n'était que passager dans les consuls, devint perpétuel dans César, et on y ajouta, pour prérogative, qu'il disposerait de toutes les armées avec un pouvoir absolu. Pour étendre ainsi la signification du mot, on le mit devant et non plus après le nom du prince, et on dit : Imperator C. J. Casar, au lieu de dire, comme on avait fait jusqu'alors, C. J. Cæsar imperator (COND.).

[ocr errors]

Si, dans le courant d'un discours, je veux caractériser d'un seul mot Démosthène, je l'appelle un éloquent orateur; je l'appellerai orateur éloquent, si mon dessein est de détailler ses qualités particulières, si son éloquence est l'une des faces sous lesquelles je le présente successivement. On est habile homme en général, absolument, sous tous les rapports. On dit que le président de Novion est habile homme. » FÉN. «Aristote fut le premier philosophe de son temps et le plus habile homme qui ait jamais été. » ROLL. Dans l'occasion on agit en homme habile. « Octave se conduisit avec Cicéron en homme habile: il le flatta, le loua, le consulta. » MONTESQ. « Molière se conduisit en homme habile (pour faire jouer avec succès le Misanthrope). » LAH.

Dites d'un homme que c'est un savant homme, d'un ouvrage que c'est un excellent ouvrage, d'un chrétien que c'est un parfait chrétien, vous n'avez plus rien à ajouter, et en effet on ajoute rarement d'autres qualifications à celles-là, parce qu'on a déjà fait connaître du sujet sa qualité es

sentielle et fondamentale. Mais on dira bien, c'est un homme savant, généreux, poli: c'est un ouvrage excellent, profond, lumineux : c'est un chrétien parfait, tolérant, sociable, instruit.

2o L'adjectif préposé exprime une qualification déjà établie, connue, incontestée; il est analytique. Postposé, il exprime une qualification nouvelle, une union d'idées faite à l'instant même; il est synthétique.

Les connaissances que nous possédons et les jugements que nous portons sont de deux sortes, les uns analytiques, les autres synthétiques, les uns par lesquels nous développons ce que nous savons, nous tirons d'un concept ce qui y est contenu, les autres par lesquels nous ajoutons à ce que nous savons ce que nous apprenons; ou bien, en considérant la chose, non pas relativement à

La science du savant homme tient à lui, est incorporée à lui, parce que, dans le langage, l'ad-nous, mais relativement à ceux à qui nous parjectif savant, placé avant homme, se fond avec lui et devient partie de lui-même; ce n'est plus qu'in seul mot composé. En effet, comment se

lons, les uns par lesquels nous énonçons ce qui est su ou connu, nous nous exprimons en gens qui savent, s'adressant à des gens qui savent, et

les autres par lesquels nous énonçons quelque chose d'intellectuellement nouveau que nous faisons savoir ou connaître, nous nous exprimons en gens qui viennent d'apprendre, s'adressant à des gens qui ignorent. Or, la locution composée d'un adjectif qui précède et d'un substantif qui suit, convient particulièrement dans les propositions analytiques, au lieu que la même locution, ses termes étant intervertis, s'emploie mieux dans les propositions synthétiques. Un passage de Roubaud que nous nous bornons à citer peut servir ici d'éclaircissement et de justification.

« Lorsque vous dites un savant homme, vous supposez que cet homme est savant; et lorsque vous dites un homme savant, vous assurez qu'il l'est. Dans le premier cas, vous lui donnez la qualification par laquelle il est distingué; dans le second, celle par laquelle vous voulez le faire distinguer. Là, sa science est hors de doute; ici, vous voulez la faire connaître.

<< Si un homme est renommé par sa science, ou si vous venez de parler de sa science éminente, vous direz plutôt ce savant homme; sinon, vous direz plutôt cet homme savant ou qui est savant. Après que vous avez parlé des émotions qu'une mère éprouve à la vue de son enfant, vous direz ses tendres regards plutôt que ses regards tendres: les regards d'une mère émue sont nécessairement tendres, et c'est ce que vous exprimez par de tendres regards; mais lorsque la qualité des regards n'est point déterminée, vous la distinguez en mettant après le sujet l'épithète de tendres. Vous allez raconter une affaire malheureuse; et, après le récit, vous dites, voilà une malheureuse affaire. Dans la première position, le substantif précède l'adjectif par la raison qu'il est naturel que le sujet soit annoncé avant sa qualité, le principal avant l'accessoire; l'esprit reste d'abord en suspens sur la nature de l'affaire : dans la seconde position, l'adjectif précède le substantif, parce que l'esprit est déjà instruit et décidé sur la nature de l'objet et que les deux idées sont déjà indissolublement liées ensemble; et que si la qualification suivait le sujet, elle paraîtrait oiseuse et lâche, à moins que vous n'y ajoutassiez une modification, voilà, par exemple, une affaire bien malheureuse, ce qui présenterait une idée nouvelle d'estimation. >>

3° L'adjectif préposé qualifie d'une manière pleine, entière, accomplie, et, postposé, d'une manière vive et saillante.

sèque; ici, elle est extrinsèque et plus remarquable '.

Un excellent fruit est parfait; un fruit excellent produit une sensation plus douce. Un tendre regard est un regard tel que ceux qu'on appelle ordinairement de ce nom; un regard tendre flatte davantage, parce qu'il est spécialement tendre. Il y a bien plus de force dans un combat sanglant que dans un sanglant combat, la dernière expression ne réveillant qu'une idée commune sans rien mettre de particulier sous les yeux. De même, horrible aspect, affreux séjour, triste accident, malheureuse aventure, fâcheuse affaire vous font distinguer l'espèce d'aspect, de séjour, etc., car il y a des aspects attrayants, des séjours agréables; mais ce sont là des locutions toutes faites dont on se sert sans. conséquence; et en disant un aspect horrible, un séjour affreux, vous appuyez, bon grẻ, mal gré, sur le dernier mot, dont l'idée vous émeut davantage: c'est un aspect particulièrement horrible, un séjour particulièrement affreux. Un cruel homme est un homme ennuyeux, importun; un homme cruel est un homme inhumain, insensible, qui aime à faire ou à voir souffrir.

La raison de cette règle réside dans une règle plus générale : c'est que, dans les substantifs composés, le premier mot perd de sa force et s'efface en partie. En allemand, avec les deux mots Oel, huile, et Baum, arbre, on forme deux substantifs composés, l'un signifiant huile d'olive, Baumöl, et l'autre olivier, Oelbaum. Un étranger a peine à se rappeler lequel des deux exprime l'arbre, et lequel le fruit; une simple observation peut le tirer d'embarras celui-là exprime le fruit, dans lequel le fruit est indiqué le dernier, Baumöl; et celui-là l'arbre, dans lequel le mot arbre se montre en dernier lieu, Oelbaum. Quant à la première partie du mot complexe, elle reste, pour ainsi dire, dans l'ombre. De même dans nos mots composés, venus du grec, philosophe, logomachie, et dans ceux qui sont tout français, petit-maître, sage-femme, c'est le dernier élément qui attire principalement l'attention.

4° Avant le substantif, l'adject qualifie d'une manière absolue; après, d'une manière relative.

A vrai dire, l'adjectif précédant le substantif ne jouit de cette plénitude de signification, qui le

4. Les participes passés pris adjectivement se mettent toujours après le substantif: enfant chéri, En donnant le premier rang à l'adjectif, nous juge éclairé, censeur instruit, prophète inspiré. C'est le fordons, pour ainsi dire, avec le substantif, si qu'il est de leur nature (voy. p. 36) d'exprimer bien que la qualité devient substantielle, et, pour une qualité survenue, acquise, résultant d'une modilui ôter toute idée d'accidence, nous ne lui lais-fication accidentelle, qualité saillante et qui attire particulièrement l'attention. sons, non plus qu'à la substance, aucune détermination, soit quant à l'étendue, soit quant au degré. En terminant par lui, nous le mettons plus en relief, nous le rendons plus frappant, plus saisissant. Là, la qualité est achevée, portée au comble, on ne peut plus rien y ajouter; ici, comme la dernière impression est toujours la plus forte, la qualité produit souvent plus d'effet, est plus expressive et se fait plus vivement sentir. Là, elle est entière, mais en quelque sorte intrin

<< M. le Prince, dit Voltaire, est toujours appelé le grand Condé.... Si on l'avait nommé Condé le grand, ce titre ne lui fût pas demeuré. » Le grand, mis après le substantif, eût trop fait saillir la qualité exprimée par ce mot. C'est à cause de cela qu'on ne permet cette disposition du mot qu'à l'égard des rois : culiers tout ce qu'on peut accorder, c'est de dire le Louis le Grand, Alexandre le Grand. Pour les partigrand un tel. « On a dit le grand Condé, le grand Colbert, le grand Corneille, comme on a dit Louis le Grand.» MARM.

D

Dans un seul homme, un unique tableau, seul et unique sont abstraits et purement numériques; on les oppose à plusieurs. « Un homme inégal n'est pas un seul homme, ce sont plusieurs. » LABR. « Un seul homme suffit pour peupler toute la terre. » Boss. «L'homme orgueilleux qui a tant de possessions, ne peut plus se compter pour un seul homme. » ID. Dans un homme seul, un tableau unique, seul et unique prennent une valeur plus concrète et plus réelle. D'une part, un homme seul est un homme isolé, sans société, réduit à lui-même. « On trouve une grande utilité dans l'union; si l'un tombe, l'autre le soutient. Deux hommes repasés dans un même lieu se réchauffent mutuellement: qu'y a-t-il de plus froid qu'un homme seul? » Boss. « Qu'un homme seul, sans livre et sans aucun secours des lumières communiquées, parvienne à devenir de

assertion ridicule à faire. » J. J. « Le renne se défend d'un loup seul. » BUFF. D'autre part, un tableau unique n'est pas comparable à d'autres, on n'en trouverait pas un qui le valût.

distingue, que parce qu'il se prend alors ab- | pas ne pas être abstrait, ne pas représenter quelque solument, c'est-à-dire indépendamment de tout chose d'idéal, car ces caractères ne conviennent à rapport particulier, abstraction faite de toute dé- aucune qualité réelle. Les exemples confirment termination, de toute spécification. C'est là ce qui pleinement cette conclusion. ⚫le rend propre à exprimer la qualité constante, habituelle, à signifier que l'objet est tel ou tel de tout point; tandis que, placé après le substantif, il exprime la même qualité comme partielle, accidentelle, passagère. Différence tranchante et féconde, surtout quand les deux locutions ne se considèrent pas sous le point de vue de la force, par rapport à l'effet que produit sur nous le sujet qualifié, mais seulement par rapport à leur étendue. Le savant homme l'est absolument, a de grandes connaissances en tout genre; l'homme savant ne l'est que relativement à une science dans laquelle il est versé; et de là vient que cette locution est beaucoup plus propre que la précédente à recevoir des déterminations ultérieures: homme savant en histoire, en mathématiques; ouvrier habile dans la menuiserie, pour la confection de certains meubles; appartement ma-lui-même un très-médiocre botaniste, c'est une gnifique par l'ameublement, les ornements, les tentures. En un mot, le savant homme l'est substantivement en quelque sorte, il possède la science ou le savoir; et l'homme savant ne l'est qu'accidentellement, il a du savoir ou de la science. L'ouvrier habile a de l'habileté dans sa partie; l'habile ouvrier peut exécuter habilement tout ce qui se rapporte à son art, même trouver des perfectionnements, même concevoir des procédés nouveaux. Un appartement magnifique ne l'est qu'à certains égards: ou il ne l'est qu'aux yeux de celui qui le juge tel, ou il doit son éclat à des décorations faites spécialement pour une occasion; magnifique appartement donne l'idée d'embellissements plus durables, plus solides, plus essentiels, tenant plus à l'édifice même, à sa construction, à sa hauteur, à sa grandeur en tous sens. Un ami vous a rendu un service: vous dites qu'il s'est comporté comme un ami véritable. « M. de Kaiserling s'est conduit avec le roi en serviteur vertueux et auprès du prince en ami véritable. » VOLT. Le véritable ami est tel absolument, et non relativement à un fait, à quelque chose d'effectif et de déterminé, qui ait eu lieu. << Je fis en cette occasion au delà de ce qu'on pouvait attendre d'un véritable ami. » DELAF. Un sage philosophe est un sage ou tout près de l'être; un philosophe sage est encore loin de là, il travaille à y parvenir. Un dévot personnage est un dévot de profession; un personnage dévot ne professe pas la dévotion, quoiqu'il la pratique. La gros seur d'une grosse femme s'étend à tout son corps et dure indéfiniment; la grosseur d'une femme grosse, c'est-à-dire enceinte, n'est que partielle et accidentelle. La chagrine vieillesse est le caractère commun de l'âge: un individu a une vieillesse chagrine.

5° Avant le substantif, l'adjectif qualifie plutôt
d'une manière abstraite et en s'éloignant du sens
propre, après, il qualifie plutôt d'une manière
concrète et en restant plus près du sens primitif.
Si, placé avant le substantif, l'adjectif est signi-
ficatif de l'essence, analytique et absolu, il ne peut

Le véritable ami est une sorte de type ou d'idéal de l'amitié; un véritable ami s'y conforme. Un habile homme sait se tirer d'embarras, d'un mauvais pas, sait manier l'intrigue; un homme habile est plutôt un homme adroit, qui a de la dextérité, au propre. Un parfait imbécile, un parfait coquin se disent tous les jours; déplacez l'adjectif, c'est-à-dire, rendez-lui son sens propre, il y aura contradiction dans les termes.

Qu'on parcoure toutes les locutions différentes (et non pas les différentes locutions) qui contiennent le même adjectif, mais placé ici avant, là après le substantif, on trouvera toujours à la locution où l'adjectif précède un caractère d'abstraction et d'idéalité, une valeur plus éloignée de la valeur réelle et fondamentale. Un taureau furieux est en furie; un furieux taureau est d'une grandeur énorme. Dans pays plat se trouve l'idée première de platitude, d'infériorité physique : pays plat, pays de plaines, par opposition aux pays de montagnes. « Ordinairement je trouve à douter en ce que le commentaire n'a daigné toucher : je bronche plus volontiers en pays plat; comme certains chevaux que je connais, qui choppent plus souvent en chemin uni. » MONTAIGN. «Il se peut que les pays montagneux aient éprouvé par les volcans et les secousses de la terre autant de changements que les pays plats. » VOLT. Dans plat

1. Différentes ou diverses choses signifient simplement plusieurs choses. On trouve en plusieurs endroits des sources d'eaux chaudes, des agates et differentes pierres précieuses. BARTH. a Terpandre composa pour divers instruments des airs qui servirent de modèles. » ID. - Des choses différentes ou diverses sont des choses bien distinctes ou éloignées les unes des autres, opposées ou même qui se combattent. Les dieux proposent des avis differents, el les soutiennent avec chaleur. » BARTH. « Les Néréïdes sont toutes distinguées par des agréments divers. » ID. «Des agitations diverses. » J. J.

D

« PreviousContinue »