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la bête. Je ne parle point des bénédictions que ce peu qu'il donne, attirera sur son travail; je ne parle point des grandes promesses que l'évangile en tant de lieux fait aux charitables; je dis seulement, et qui ne le dira avec moi? que cet artisan, que ce laboureur qui aura de si nobles sentimens, méritoit de naître avec assez de fortune, pour n'ètre point obligé de travailler par nécessité.

Mais le travail qui est proprement de l'homme, c'est celui qui n'a pour but que le bien public, que le service de la patrie. Il est louable, à la vérité, de travailler pour soi-même, pour sa femme, pour ses enfans, pour soulager la calamité de quelques nécessiteux: mais servir sa patrie, c'est un degré de vertu infiniment plus élevé. C'est-là le désir, c'est le beau feu qui brûle les belles âmes. C'est à ces divins personnages que les couronnes, que les triomphes sont réservés : et à vrai dire, ces honneurs sont bien justement dûs. Car, Messieurs, comme naturellement l'homme est tout plein de l'amour-propre, et que cette passion est sa passion dominante: pour se donner à yeux clos et tout entier au bien commun, il faut s'oublier en quelque sorte soi-même, il faut s'arracher du cœur ces inclinations basses, à la vérité, mais qui sont nées avec nous. Combien faut-il de grandeur d'esprit, combien de force, pour arriver à ce haut point d'excellence et de vertu?

Aussi toutes les histoires, tous les livres ne nous parlent-ils que des héros dont les immortelles actions ont autrefois embelli le monde; de ces héros, qui foulant aux pieds les molles déli ́ces de l'oisiveté, et tout ce que le vulgaire adore, ont heureusement fondé et les villes et les empires, établi de justes lois, ou donné de saintes instructions à toute la terre. En effet, nous leur devons tout ce qu'il y a de merveilleux et dans les siècles passés et dans le nôtre. Sans eux la vie civile, les sciences, les beaux-arts, toutes les richesses et de la terre et de la mer seroient inconnues et comme abimées dans les ténèbres du premier cahos. Car, Messieurs, pour fouiller dans les monumens de l'antiquité la plus reculée, qui fonda l'empire et des Perses, et des Grecs? Ne fut-ce pas la valeur de deux conquérans 3) dont le nom vivra à jamais dans les annales? Ils

3) Cyrus und Alexander. Letzterer ist der Stifter des griechischen Reichs, einer der vier sogenannten / Monarchien, an welche bekanntlich die alten Universalhistoriker in ihrer beschränkten Ansicht die ganze Geschichte knüpften.

ne craignirent l'un et l'autre ni la fatigue, ni les dangers, pour porter leur nation à ce haut faîte de gloire où elles se virent sous ces deux grands rois que rien ne pouvoit ni lasser ni vaincre. Et d'où vient l'énorme grandeur de Rome, de cette ville triomphante, qui mit à ses pieds tout l'univers? La vertu, l'amour immense de la patrie éleva un édifice si merveilleux. Les Fabrices, les Scipions, tous ces Romains si fameux et par leur vaillance et par leur sagesse, que cherchoient-ils dans les hasards et les sueurs de la guerre, dans les ardeurs de l'été et la rigueur des hivers? Rien que l'exaltation, rien que le bonheur de Rome. Quelques-uns d'entr' eux moururent si pauvres, que le public fut obligé de faire la dépense de leurs funérailles. Ils méprisoient et les richesses et les faux honneurs; ils méprisoient ces idoles vaines de la terre: mais ils aimoient leurs concitoyens, et en les comblant de félicité, de joie et de gloire, ils se contentoient de prendre part avec eux à la fortune publique. Heurenses les villes, heureux les royaumes, qui ont des rois, des capitaines, des magistrats de si grand cœur, et d'une vertu si élevée!

Mais, Messieurs, ne nous imaginons pas, que ces hommes si merveilleux n'ayent été merveilleux que dans les batailles. Je les admire dans le cabinet, dans le sénat, dans les assemblées, autant et plus que dans les combats. Redresser les mœurs et la discipline corrompue, établir de saintes lois, donner aux peuples d'illustres exemples de modération, de patience et de justice ne sont-ce pas à votre avis des actions dignes du triomphe? Tout ce qui s'est fait de louable dans le monde, ne s'est pas toujours fait la cuirasse sur le dos, et les armes à la main. La paix a ses héros comme la guerre; je ne sais même si les Lycurgues, les Numas, les Aristides, les Catons, et pour passer aux philosophes, je ne sais si les Socrates, les Epictètes, et tous ces grands personnages, qui furent les précepteurs, ou plûtot, si je l'ose dire, les magistrats du genre humain, ne sont point plus admirables aux yeux des sages, que ces fameux conquérans qui ont rempli toute la terre du bruit de leur nom. Les uns n'ont fait que du bien, les autres n'ont presque fait que du mal aux hommes; les uns n'ont érigé leurs trophées que sur le massacre et le ravage des nations; les autres n'ont triomphe de la mort et de l'oubli qu'en inspirant à tout l'univers l'esprit de justice, et l'amour de la vertu.

Mais je ne puis en cet endroit oublier Cléanthe, le nourris

son bien-aimé, le successeur du grand Zénon *). Depuis le matin jusques au soir il étoit ou à l'étude, ou dans son école à instruire ses auditeurs: il ne vouloit rien prendre d'eux; il croyoit déshonorer la sagesse s'il la rendoit mercenaire. Cependant il étoit pauvre, et il falloit vivre: que faire en cette importune extrémité? Il étoit d'une complexion forte et vigoureuse: il se mit donc, pour gagner son pain, à tirer de l'eau toutes les nuits en la maison d'un jardinier. Voilà cet homme qui dédaigne les présens des rois, qui dédaigne même un gain légitime. Que je trouve de grandeur à tirer ainsi de l'eau ! Il travaille pour sa nourriture, mais il ne travaille que la nuit: il se réserve tout le jour; et pourquoi? pour le donner à ses études et ses disciples, ou plutôt à toute la terre, qui peut encore aujourd'hui profiter de ses exemples et de ses sages enseignemens. Peut-on rien imaginer de plus magnanime? Ne faut-il pas avouer que si son corps fut infiniment robuste, son âme fut plus forte encore; et que son siècle étonné de son courage et de ses labeurs, fit bien voir, en lui donnant le surnom d'Hercule, qu'il savoit connoître et honorer la vertu.

Donc, Messieurs, pour me recueillir, la nature, les nécessités de la vie, la charité, la raison, l'honneur, la voix de l'antiquité, les enseignemens des sages, les exemples de tant de héros, nous appellent au travail. Mais il ne faut pas ici se tromper: tout excès est vicieux: rien de trop, dit un ancien. Il ne faut ni toujours veiller, ni toujours dormir. La nature a fait le jour et la nuit pour marquer les heures et du travail et du repos, et pour nous apprendre qu'ils sont l'un et l'autre également nécessaires à la vie. Si, comme disent deux grands poëtes de l'antiquité, les choses les plus agréables nous dégoûtent ou nous ennuyent avec le temps; si on se lasse de la musique, de la danse, et de la beauté des fleurs, que sera-ce du travail qui épuise enfin les forces? Il faut donc que par intervalles l'esprit et le corps prennent du relâche: mais ce relâche ne doit pas être tout entier pour le sommeil: les jeux innocens, les promenades, une lecture, une conversation enjouée, tous les honnêtes divertissemens doivent emporter une partie d'un temps si doux. Si l'enclume et le marteau fatiguent le corps, les grandes affaires, les hauts emplois fatiguent l'esprit, et quelquefois même le corps: il faut se remettre, se ra

4) Des Stifters der Sekte der stoischen Philosophen. Den hier von seinem Schüler und Nachfolger Cleanth erzählten Zug hat uns Diogenes Laërtius aufbewahrt. De vit. phil. VIL 5,

fraîchir de temps à autre, pour revenir à son ouvrage avec de nouvelles forces.

C'est, dit le prince des philosophes'), c'est le secours que nous tirons des beaux-arts, parce qu'en effet tout ce qu'ils ont inventé de plus merveilleux, n'est que pour nous délasser, que pour adoucir les amertumes de la vie. La peinture, la musique, la poésie, et toutes les autres divines productions de la curiosité et de l'industrie humaine, sont dans la société civile ce que les lis et les roses, les œillets et les anémones sont dans un verger plein de fruits, où l'utilité est sagement jointe au plaisir des sens. Un beau tableau, des vers' éxcellens, le chant d'une belle voix, les spectacles magnifiques, réjouissent et dissipent insensiblement cette morne pesanteur que la fatigue, surtout excessive, traîne toujours à sa suite. Arrière donc cette farouche austérité, qui ne connoît ni limites, ni paix, ni trève, et qui n'a le plus souvent qu'une sordide avarice pour objet. Arrière cette austérité inhumaine qui nous épuise, qui nous tue au commencement de la carrière, en nous chargeant d'un fardeau qui nous accable. Il faut travailler, mais avec mesure, et sans précipitation. La vie, qui n'est rien en soi, qui en tout cas n'est qu'amertume et que misère, est pourtant un grand trésor, si nous en faisons un bon usage: et dans l'écriture, c'est la souveraine bénédiction des justes que de mourir plein de jours et de bonnes œuvres. Travaillons donc, mais travaillons sagement: ménageons-nous, ménageons nos forces, quand ce ne seroit que pour servir plus long-temps la patrie et tout ce que nous avons de plus cher au monde.

SAINT-ÉVREMONT.

CHARLES DE SAINT-DENYS, SEIGNEUR DE SAINT-ÉVREMONT, wurde den 1sten April 1613 zu Saint-Denis-leGuast, unweit Coutances, geboren. Man schickte ihn im 9ten Jahre seines Alters (1622) in das Collège de Clermont zu Paris. Hier blieb er 4 Jahre, und bezog alsdann (1627) die Universität zu Caen, um daselbst einen philosophischen Cursus zu machen. Er kehrte aber bereits nach Verlauf ei– nes Jahres nach dem vorhin genannten Collège zurück, und legte sich hierauf (1629) auf das Studium der Rechte. Sey

"Aristoteles,

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es nun eigene Neigung oder der Wunsch seiner Eltern gewesen, er gab diese Beschäftigung auf, und trat im 16ten Jahre seines Alters in Kriegsdienste. Nachdem er einigen Feldzügen als Fühnrich beigewohnt hatte, wurde er Lieutenant und erhielt (1637) nach der Belagerung von Landrecy eine Kompagnie. Der kriegerischen Beschäftigungen ungeachtet, gab Saint-Évremont seinen Umgang mit den Musen nicht auf, und da es ihm überdies, an Talenten nicht fehlte, so erwarb er sich die Achtung der vorzüglichsten Offiziere der Armee, als die der Marschälle d'Estrées und de Grammont, des Vicomte de Turenne u. a. m. Im Jahre 1640 befand er sich bei der Belagerung von Arras. Ein Jahr nachher wurde er unter die Reiterei versetzt, und dies gab ihm neue Gelegenheit sich auszuzeichnen. 1642 ertheilte ihm der Herzog von Enguien, welchen seine Talente und die Annehmlichkeiten seiner Unterhaltung bezaubert hatten, die Stelle eines Lieutenants unter seiner Garde, um ihn beständig bei sich zu haben. Saint-Évremont benutzte diese Gelegenheit, um auf den gebildeten jungen Herzog durch zweckmässige Lectüre und Unterhaltung wohlthätig zu wirken. Diese Verbindung dauerte mehrere Jahre. Saint-Évremont wohnte unterdefs verschiedenen Feldzügen bei, und wurde (1645) in der Schlacht bei Nördlingen am linken Knie durch eine Falkonetkugel schwer verwundet. Kaum war er wieder hergestellt, als den Herzog von Engui en ein ähnliches Schicksal traf. Während seiner Krankheit war unser Saint-Évremont beständig um ihn, und erwarb sich dadurch die Gunst dieses Fürsten in einem so hohen Grade, dafs dieser ihn seines vollkommenen Zutrauens würdigte. 1646 wurde ihm der ehrenvolle Auftrag zu Theil, die Nachricht von der Einnahme von Furnes nach Paris zu bringen. Wir haben bisher der schriftstellerischen Arbeiten von Saint-Évremont noch nicht erwähnt. Schon im Jahr 1643 hatte er eine Satire gegen die Französische Akademie, betitelt Comédie des Académistes, abgefafst, welche lange als Manuscript circulirte, und endlich 1650, jedoch sehr entstellt, in Druck erschien; sie wurde nachher von Saint-Évremont wieder hergestellt, und so findet man sie im ersten Theil der Amsterdammer Ausgabe seiner Werke. Ungefähr um das Jahr 1647 wurden seine Abhandlungen: que l'homme qui veut connoître toutes choses, ne se connoît pas lui-même; qu'il faut mépriser la fortune, et ne pas se soucier de la cour; qu'il ne faut jamais

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