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lande où s'élevaient çà et là des tertres assez rapprochés. C'était la lande de la Croix Bataille, fameuse par une victoire remportée par les nobles du pays contre les Anglais, plus fameuse par la victoire de l'armée catholique vendéenne sur l'armée républicaine. Chacun des tertres avait une désignation dans la mémoire des habitans, quoiqu'aucun signe extérieur ne les distinguât. Le plus élevé recouvrait le corps d'une grande quantité de prêtres, qui, pendant le combat, placés en prière dans cet endroit, y avaient été surpris et massacrés par les républicains. Cette fosse est d'ordinaire fréquentée par les sectaires de la petite église, sorte de puritains catholiques qui ne reconnais sent pas la hiérarchie des évêques et la suprématie du pape, et qui les considèrent comme déchus de leurs droits par leur alliance sacrilége avec Napoléon. Quelques prêtres errans et nourris en secret par ces sectaires les catéchisent en plein air, et lé rendez-vous le plus ordinaire de ces prêches est la lande de la Croix-Bataille. C'était, à cette époque, l'ultracisme de la religion. Absend', IPS, Sty ine

Nous traversâmes cette lande sans y rencontrer autre chose que quelques vieilles paysannes accroupies sur ces tombes, où elles récitaient des prières. Malgré sa réputation de sainteté, le père G... n'obtint d'elles qu'un signe de croix, comme elles eussent fait pour se garantir du mauvais esprit. Sous un autre point de vue, le papisme est aussi odieux à cette petite secte fanatique qu'il peut l'être en Angleterre aux presbytériens les plus intolérans.

Après cette lande nous rencontrâmes le petit village de Saint et nous) (nous arrêtâmes, pour prendre un peu de reposan sejaпoM, 9196: 94520

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#b 291299 tii de devais avoir ce soir-là deux tableaux bien opposés de la puissance des souvenirs de famille dans ce pays, 292liom 292 an

Bentrai avec le père G.., dans une chaumière à la porte de laquelle était assis un vieillard. Cette chaumière était toute tapissée des cornets en terre de la forme de ceux que portaient les anciens chevaliers Les père G. aborda le vieillard baveć une cordiale amitié et une sorte de considération. J'en fus tout surprisint as zip upang 1476 li 3nob 3898192 nu veq danəb — Quel est ce marchand de poteries? lui dis-je.

Nous voici, me dit de père G. dans la maison du descen

dant du porte-croix de la grande bataille livrée contre les Anglais dans la lande que nous venons de quitter.

-

Oui, monsieur, me dit le vieillard, un des mes ancêtres était porte-croix de l'église de Saint Pierre. Lors de la bataille dont vient de vous parler le père G..., il marcha en tête des chevaliers, portant la croix d'une main et de l'autre son cornet, dont il donnait de toutes ses forces. Les chevaliers ayant été repoussés, il demeura seul en avant, élevant sa croix en l'air et sonnant plus que jamais de son cornet. Les chevaliers, honteux de voir un vilain montrer un si ferme courage, recommencèrent le combat et remportèrent la victoire.

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Et votre aïeul obtint sans doute une belle récompense ? - Aucune, monsieur ; il abandonna l'église et se fit fabricant de cornets. Cette industrie est restée dans notre famille depuis quatre cents ans, et personne n'avait osé la partager avec nous jusqu'à la révolution. Mais, maintenant, tout le monde s'en mêle.

Comment se fait-il que votre aïeul n'ait pas été récompensé? lui dis-je.

Oh! me répondit le vieillard, bien souvent depuis ce temps on a voulu anoblir notre famille; mais de père en fils nous nous y sommes refusés. Il y a assez de nobles comme en fait le roi, il n'y a que nous de notre espèce; voici mon petit-fils: it fera des cornets, et son fils aussi et les fils de son fils, pour montrer que les seigneurs et les puissans ont été toujours ingrats envers le peuple.

Aujourd'hui que je me rappelle ce grand vieillard dans sa misérable chaumière, je me dis que la poésie est partout, et partout plus originale dans la réalité que dans l'invention; Moustache est un héros bien au-dessus de Caleb ; le fabricant de cornets, c'est une de ces singularités qu'on ne crée pas.

Cependant la nuit était tout-à-fait fermée ; je quittai mon trappiste et je gagnai la maison de M. M... Je ne le connaissais pas; je demandai son fils, on me fit entrer et on alla le prévenir; venez, me dit-il, c'est aujourd'hui la fète de mon père et nous lui avons ménagé une surprise; mettez-vous dans un coin du salon, je vous présenterai tout à l'henre.

J'entrai dans le salon, je vis M. M... assis dans un vaste fauteuil. C'était un vieillard de quatre-vingts ans, couronné de

longs cheveux blancs; sa figure sévère était impassible, et il paraissait méditer profondément. Il était aveugle. A peine fusje entré dans le salon que les enfans de ses enfans, bande nombreuse de petits garçons et de petites filles, s'avancèrent l'un après l'autre et lui présentèrent chacun un bouquet, en lui souhaitant sa fête. Le vieillard prenait les enfans dans ses bras, et leur recommandait la sagesse et l'obéissance, après avoir touché de ses vieilles mains les fraîches fleurs qui s'entassaient à ses pieds; puis, quand vint le tour du dernier de ses petits-fils, il le mit sur son genou, et lui dit en souriant ;

Reste avec moi, tes frères sont déjà trop grands pour que je joue avec eux ; il n'y a que toi qui t'amuses avec moi, Il n'y a que l'enfance qui ose toucher à la vieillesse.

En effet, le petit garçon passait ses mains d'enfant dans la blanche chevelure du vieillard. Pendant ce temps les deux fils de M. M..., deux hommes dont l'un avait été officier de la garde impériale, et dont l'autre était une des plus fortes natures que j'aie connues, tous deux tremblans et attendris, s'avançaient vers leur père, en soutenant un immense cadre où se trouvait une gravure. Les brus et les filles du vieillard, les enfans de ces brus et de ces filles, suivaient, avec une crainte respectueuse, la marche de ces deux hommes. Enfin, posant la gravure devant le visage du vieillard aveugle, l'aîné dit à son père :

-

Mon père, voici notre présent.

- Qu'est cela? dit le vieillard en posant les mains sur le cadre; un tableau, une gravure !

– C'est la gravure du tableau de David, représentant le Serment du jeu de paume.

Le Serment du jeu de paume, s'écria le vieillard d'une voix émue; j'y étais...

Oui, mon, père, répondit le fils, et David ne vous a pas oublié dans son tableau.

J'y suis! s'écria encore le vieillard, en tendant les mains vers le tableau... j'y suis!

Qui, mon père, au moment où vous vous faites apporter mourant pour jurer la délivrance de la nation.

- Où cela? où cela? répéta le vieillard en parcourant de sa main débile la glace du cadre, et en laissant tomber de grosses larmes de ses yeux qui ne voyaient plus.

- Là, papa... dit l'enfant en prenant la main du vieillard et en la posant sur l'endroit où était représentée l'action de cet

héroïque par

-Là! répéta le vieillard ; là !

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Il se fit un profond silence, et le vieillard ajouta :

- Voici vos lettres de noblesse, mes enfans.

C'est alors que je remarquai que dans ce pays de gentilshommes les deux seuls actes d'héroïsme qui m'eussent été révélés par hasard appartenaient l'un à un homme du peuple, l'autre à un homme de la bourgeoisie.

Mais le paysan et le bourgeois en avaient tous deux fait un droit de noblesse.

On a beau faire, la gentillâtrerie tient le Français aux reins; il ne peut s'en débarrasser.

FRÉDÉRIC SOULIÉ.

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C'est très bien de condamner la noblesse, très bien de traîner la chevalerie dans la cendre et la boue, très bien de se venger d'une grandeur de quinze siècles. Je trouve même commode et permis de créer des systèmes platonico-utopiens et de faire valoir l'égalité humaine; de montrer sous des couleurs odieuses les vices des hautes classes, l'immoralité des grandes dames, les passions effrénées des nobles suzerains d'autrefois, l'ignorance des grandes d'Espagne, les voluptueux caprices des princesses d'Italie et les scandaleuses orgies des maîtresses des papes! Très bien !

D'abord toutes ces couleurs sont tranchantes et attirent l'attention; ensuite nous tous, qui ne sommes pas de vieille descendance, nous tous, nous sommes flattés, vengés et joyeux! Et le public répétera que l'aristocratie est fatale au bonheur des peuples. Je ne veux discuter avec personne; je ne suis point dogmatique. Arrière la querelle! Loin de moi la fureur ! Que l'invective aille chercher en d'autres lieux ses franches coudées!

L'arène ne lui manque pas, à l'invective; elle trouve en France une carrière assez belle, ainsi que la dispute, le sophisme, le paralogisme, l'analyse, la critique, le sarcasme, la médisance, la criaillerie, l'avocasserie, et tout ce qui se rapporte au plus hargneux des gouvernemens, au gouvernement représentatif. Si l'on me permet une seule petite observation, je dirai seulement que les suzeraines d'Italie, ces grandes dames si perverses, ont trouvé des rivales dans notre Gazette des Tribunaux, et que s'il fallait choisir entre l'immoralité de la place Maubert,

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