Page images
PDF
EPUB

naisseuse, et me demanda ce que je voulais. Lorsque je lui eus détaillé les motifs de ma visite, elle parut réfléchir, puis m'offrit, en baissant les yeux, d'accepter une chambre chez elle. Cette offre de loger dans sa maison me parut une simple politesse, et cependant je l'acceptai, mais je crus devoir excuser mon empressement en racontant à ma belle hôtesse l'accueil qu'on m'avait fait au village; elle me fit dire les circonstances qui l'avaient précédé, et alors elle s'écria avec un véritable étonnement.

[ocr errors]

Mon Dieu, monsieur, qu'avez-vous fait là? Comment, pendant l'orage, vous avez été vous cacher dans la loge à l'enfant?

Qu'est-ce donc que la loge à l'enfant?.

[ocr errors]

Mais, me répondit la perceptrice, c'est la maison des sor

cières.

Je me pris à rire.

Ne riez pas, me dit-elle, c'est là qu'elles font leurs maléfices; la dernière fois que c'est arrivé, c'était pour découvrir un trésor qu'on disait enfoui dans une closerie de M. de Talleyrand. (M. de Talleyrand possède dans cette partie du dépar tement quantité de petites fermes nommées closeries dans le pays.) Ces femmes ont volé un enfant nouveau-né, avant qu'il ne fût baptisé, et elles l'ont emporté dans leur repaire; il leur faut pour leur charme un garçon non baptisé ou une jeune fille vierge; et de peur de se tromper, elles préfèrent les petits enfans.

Cette épigrammė fut dité avec une sainte naïveté ; ma perceptrice continua :

Elles ont ouvert la poitrine au pauvre petit, et lui ont arraché le cœur après l'avoir mutilé.

Comment ?

De manière à le rendre bien malheureux, s'il eût survécu ! Elle rougit; je compris.

– Enfin, ajouta-t-elle, elles ont fait ensuite bouillir tout cela dans une chaudière, et, leur opération achevée, elles ont dispersé les lambeaux du cadavre tout autour de la loge. 1,

- Voilà, répondis-je, une bien belle histoire, qui certes n'a pas moins de deux cents ans de date, j'en suis sûr.

- Comment, deux cents ans! voilà deux ans que cela s'est passé, et il y a quinze mois à peine qu'on est venu exécuter les

deux sorcières dans la commune pour épouvanter les horribles femmes qui sont encore vendues au diable.

L'anecdote avec deux cents ans de date m'avait paru drôle : en se rapprochant à une distance de quelque mois, elle me sembla horrible; toute chose a sa perspective.

Mais, ajouta ma jolie perceptrice, étiez-vous seul dans cette masure?

J'étais, lui répondis-je, avec Marie la folle qui me servait de guide et qui n'a fait que prier tant que nous y sommes restés. Je comprends alors ce qui vous a empêché d'être foudroyé. Comment! foudroyé?

Oui, foudroyé il arrive toujours malheur à ceux qui osent aborder la loge à l'enfant, lorsque le tonnerre donne. Il y a cinq mois, un fermier fanfaron y étant entré pendant l'orage, a été tué par la foudre, qui a enfoncé le toit.

Je compris comment cette hutte étant le seul point un peu élevé, au milieu d'une vaste lande, avait pu être précisément frappé de la foudre, avant tout autre, et je compris aussi comment l'ignoronce avait attribué à ce lieu une sorte de malédiction. Je ne comprenais pas également bien comment ma jolie hôtesse, que je savais être au-dessus de beaucoup de préjugés du grand monde, était soumise aux préjugés du peuple; c'est que probablement pour s'affranchir des premiers, il est inutile de savoir la physique. Comme j'allais m'en expliquer avec elle, on frappa à la porte de la maison; elle regarda par la fenêtre, et s'en retirant vivement, elle s'écria avec un mouvement d'humeur: -Ah! voilà ces messieurs !

Elle alla ouvrir, et je vis entrer deux hommes, dont un monsieur; ce monsieur jeta autour de lui un regard rapide et soupçonneux, l'autre le regarda avec un sourire de singe.

Le premier mot de la conversation m'apprit que le monsieur était le maire de la commune, et son compagnon le mari de la perceptrice; le maire me salua et me dit avec une sorte de politesse impérative:

— Monsieur, j'étais prévenu de votre arrivée par M. le préfet, je vous ai reconnu au signalement que m'a fait de vous le maître du cabaret où vous êtes descendu, et comme vous seriez horriblement mal dans ce bouchon, j'ai fait prendre votre portemanteau, et je vous ai fait préparer une chambre chez moi.

Chez vous, dit la perceptrice en s'inclinant, et en me considérant comme un homme qui 'devait être de grande importance; j'avais osé offrir une chambre à monsieur!

-Vous! reprit le maire d'un air courroucé.

Je renonce à cet honneur, puisque M. le maire le réclame; d'ailleurs, ajouta-t-elle, monsieur sera plus en sûreté. Elle lui expliqua ce qui m'était arrivé.

- Monsieur, me dit le maire, toujours avec son langage bref, vous venez ici exécuter une loi qui est odieuse à la population; mais il vaut mieux encore lui apprendre tout de suite qui vous êtes, que de vous laisser soupçonner de sorcellerie.

Il ordonna au percepteur d'aller chercher le bedeau et le garde champêtre, et celui-ci ayant convoqué toute la commune au bruit de son tambour, devant la maison où nous étions, le maire en écharpe me présenta à ses administrés, comme charge de recenser la population et les portes et fenêtres par où elle respirait; j'étais entre le bedeau et le percepteur, j'avais l'air d'un Colin d'opéra-comique, qui va épouser une rosière et que le bailli offre en exemple aux villageois. Un long cri d'étonnement répondit à la déclaration du maire. Ah! c'est le recensou! disait-on de tous côtés, gare le recensou, gare! Ceci ne me parut pas trop rassurant.

Le maire reprit:

[ocr errors]

Songez que je vous surveille, et que le premier qui insulte un agent du gouvernement sera immédiatement enlevé et incarcéré.

Lestyle du maire me semblait en général si acrement impératif, que je demandai à la perceptrice quelle espèce d'homme c'était.

-

Mais c'est M. P...

[ocr errors]

- Comment M. P...? M. P... l'ancien chef de la police impériale.

– Lui-même, qui depuis 1815 est retiré dans notre bourg du reste vous arrivez à propos, il y a chez lui dans ce momentci son ancien collègue M. Desmarets.

Je ne m'étonnai plus d'avoir été si facilement reconnu à mon signalement M. P... gouvernant le bourg de V..., me fit l'effet de Denys le tyran devenu maître d'école.

Comme ma perceptrice achevait cette confidence, le maire

nous invita tous à dîner pour le jour même, et me proposa d'aller me reposer chez lui. Son insistance me déplut, je voulus résister, la perceptrice passa près de moi et me dit à l'oreille. Faites attention; il est très jaloux.

C'était donc M. le maire qui était jaloux de la perceptrice? Que faisait donc le percepteur? Il était dans un coin regardant nos trois figures d'un air de chat sauvage. Quand son regard rencontra le mien, il eut l'air de me dire: - C'est comme ça. Les mœurs du village me semblèrent un peu plus avancées que sa civilisation.

Dès que je fus chez le maire, l'amant jaloux fit place à l'homme poli, et je fus fort étonné de rencontrer dans un bourg de trois cents habitans, enterré parmi des landes sans chemins praticables, deux hommes qui savaient les secrets de la France et de ses personnages les plus éminens ; j'essayai de les faire causer, mais je ne me trouvais avoir ni assez de bêtise pour qu'ils parlassent sans précaution devant moi, ni assez d'esprit pour les faire parler à leur insu; je n'y recueillis que beaucoup d'anecdotes sur le théâtre. M. P..... avait été l'amant de la Raucourt. De toutes celles qu'il me raconta, je demande la permission d'en extraire une seule ; c'est la plus honnête de toutes; je l'ai quelquefois dite en confidence à mes amis avec les noms propres, je les prie de les oublier.07)

[ocr errors]

ཀ ཟི ་ སྐ མཱ ༞ འོ

M. de B... homme immensément riche, voit dans un théâtre de Paris une comédienne fort célèbre. M. de B... ne craint pas de se en rivalité avec les princes qui occupaient la et sans autre préambule, il envoie le lendemain, à l'hôtel de cette dame, une lettre d'invitation pour dîner chez lui, et enveloppe en même temps dans la lettre un paquet de billets de banque, il y en avait vingt, de mille francs chacun. Le jour de l'invitation venu, la belle comédienne arrive chez M. de ans un état de toilette à faire désirer les plus froids, dans espérer les plus timides; cette toilette voulait dire: Marché conclu.

à faire

La belle conviée fut d'abord introduite dans un vaste salon éclairé de bougies, comme si une grande fête devait avoir lieu; un moment après, M. de B... entra en costume d'étiquette, culotte courte et bas de soie (ceci était sous l'empire de Napoléon et de la culotte); il salua sa belle invitée avec ce respect

[ocr errors]

qu'ont volontiers les grands seigneurs pour ceux qui sont très au-dessous d'eux. Après un quart d'heure de conversation toute littéraire et dramatique, un grand laquais vint avertir que M. de B... était servi. Si le salon illuminé avait étonné l'actrice, la salle à manger la stupéfia tout-à-fait. Une table immense était servie magnifiquement, mais deux couverts seulement y étaient placés en face l'un de l'autre. Le tête-à-tête parut singulier à la dame : cinq ou six laquais en grande livrée servaient dans un silence profonde; quant à M. de B..., il parlait toujours de Molière, de Corneille, de Racine; le dîner achevé, l'actrice se leva en poussant un gros soupir qui voulait dire assurément : Sans doute, nous allons en finir; elle l'espéra, car au lieu de rentrer dans le salon, M. de B... lui présenta la main et la conduisit par une autre porte que celle du salon dans une chambre à coucher d'une rare coquetterie. L'habile comédienne commença à baisser les yeux et à rougir, en se disant tout bas :-enfin! Sa main même tremblait dans celle de M. de B... Si j'osais vous dire son nom, vous verriez que c'était une femme d'un grand talent. Mais au lieu de s'arrêter dans la chambre à coucher, M. de B... ouvre une autre porte, et la belle tremblante aperçoit le boudoir le mieux apprêté, lumières voilées, douce chaleur, parfums enivrans... Ce n'est plus la main qui tremble, c'est la poitrine qui bondit, c'est la voix qui devient entrecoupée... il faut bien un peu résister. - Non vraiment, monsieur le marquis, retournons salon; pourquoi entrer là? que voulez-vous faire ? M. de B... insiste un peu, bien peu, on cède... mais au lieu de s'arrêter dans le boudoir, M. de B... ouvre encore une autre porte.

au

Où me menez-vous?... c'est mal... vous abusez... dit la charmante actrice, en détournant la tête pour ne pas voir le paradis où sans doute elle va devenir un ange de bonté,Holo Laissez-moi... où me conduisez-vous?

98ch

[ocr errors]

A votre voiture qui vous attend. Elle regarde, elle était dans l'antichambre, un laquais lui présente son cachemire, et M. de B... la salue, et se retire en lui disant :

[blocks in formation]
[ocr errors]
[ocr errors]

D'abord l'actrice demeure interdite; enfin elle relève la tête,

« PreviousContinue »