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armées, au trésor public, à tout, hormis à une pauvre ame désolée qui gémit sa plainte dans un coin de Rome, et dont toi, tu distingues bien la voix douloureuse, ô mon père! 1 jab Graces donc te soient rendues et pour tes soins passés, et pour ta compassion présente; il ne t'a pas été donné de me sauver...qu'importe ? tu n'en es pas moins venu sur mon chemin, d'un pas précipité et les bras ouverts, comme aurait fait Priam pour une de ses filles. Aussi je t'offrirai tout le parfum de cette belle fleur qui ne se flétrit jamais, la reconnaissance; je te donnerai tous les noms chers à ton cœur, et chers aux Romains, je t'ap→ pellerai Octave, Auguste, dictateur, pontife, dieu pacifique de l'univers; mais non, je me mettrai à tes genoux, je prendrai tes mains dans mes mains, je regarderai avec ravissement ta tête sacrée, et je te dirai: ami et père !

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Quand tu recevras cette lettre, je serai déjà loin de Rome; j'aurai pris la voie Appienne, ou la voie Flaminienne, ou tout autre chemin; il te serait facile de le découvrir; tu pourrais, sì‹ tu voulais, envoyer un préteur et des soldats pour m'atteindre, me ramener dans ma maison: ce serait arbitraire; n'importe tu le pourrais, tu es l'empereur; mais tu ne le feras pas, toi magnanime.

Que tous les dieux te protégent, et quand tu seras triste ete chagrin, songe à notre amitié, César l'amitié est l'étoile du matin et du soir.

Je te salue.

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Je l'écris de la rive de Carthage. J'ai touché le sable brûlant de l'Afrique, région moins dangereuse que la délicieuse Italie. Une galère de Syracuse m'a tranportée ici. Ce navire a continué sa route pour Alexandrie et la mer Tyrienne; il devait ramener en Orient mon esclave bien-aimée; mais Énoë, l'affranchie, n'a jamais pu quitter les bras de Sylvia. Cette belle Juive a fait l'admiration de tous ceux qui nous entouraient sur le port. Prête à me laisser, au moment où le pilote invoquait Neptune ›

elle s'est écriée : « Périsse ma liberté s'il faut qu'elle me coûte la moitié de mon cœur!... » Et puis, la voilà qui s'est mise à mes pieds et qui m'a regardée d'un œil suppliant; et moi je l'ai soulevée dans mes bras; nous avons pleuré... et le'navire est parti.

César, je te recommande Jérusalem, la ville d'Énoë. Jéru– salem a un temple élevé et consacré par la sagesse au Dieu universel. Assurément le divin Platon l'avait visité.

Moi, j'ai voulu voir Carthage, grande et triste, comme une reine vaincue et qui pleure au bord de la mer. Assise entre l'Occident et l'Orient, elle écoute en silence le bruit que Rome fait dans l'univers; elle n'espèré plus, elle n'attend plus..mais sans cesse elle regarde à l'horizon. Oh! combien d'autres, comme elle, laissent errer çà et là leurs regards désolés! Bien que le temps et le travail aient beaucoup réparé à Carthage, on trouve ici, cependant, à chaque instant, dés traces profondes de la colère romaine. Eh! quelle si grande haine animait les deux villes? Pourquoi tout ce sang et toutes ces flammes ?... L'empire des mers?... la conquête, la domination, des provinces, des trésors, des triomphes?... Dieux immortels, il est des fléaux pires que les trois fléaux connus de la terre ; ce sont les hommes avides et turbulens. Deux villes florissantes veulentelles s'égorger l'une l'autre? Soyez sûrs qu'elles ont chacune en secret! deux ou trois citoyens ambitieux qui les excitent en

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- Dis-moi, Cornélius Scipion, dis-moi, que l'avait falt, à toi, la ville de la reine Didon? Tu vengeais ta patrie?... Ah! Cornélius, dis plutôt que tu te préparais le grand triomphe et que tu rêvais le surnom d'Africain. Va, bien que tu sois mon aïeul, et bien que je sois Romaine, en voyant la tristesse de Carthage, mon cœur a gémi profondément,o: 28 206b al

César, la maison que j'habite est située sur le penchant d'une colline, à quelques milles de la ville; elle domine la vaste mer. N'as-tu pas remarqué que presque toujours les affligés cherchent les grands horizons?... Pour moi, j'étouffais dans Rome! La côte africaine étincelle au soleil comme une coupole d'or, et le soir elle se couvre de voiles bleuâtres pareils à ceux d'une veuve près d'un mausolée. Quelques palmiers balancent leurs feuilles à l'entour de ma demeuré, et j'entends d'ici le murmure d'une eau cristalline qui sort d'un rocher; rare et douce rencontre sur ces rives désolées. Quelquefois les cavaliers numides pas

sent au bord de la mer et suivent les sinuosités du rivage en chantant des hymnes dont le langage mystérieux n'est connu que des vieillards habitant les montagnes. Pour moi, j'écoute ces sons monotones avec un secret ravissement ; et voilà que souvent j'évoque le passé et que je me crois une femme tyrienne arrivée d'hier sur les vaisseaux de la grande reinen2

– Oui, César, j'irai sur les hauteurs et dans les vallées qui m'environnent; je chercherai les profondeurs des bois; je visiterai les grottes sacrées et les ruines des temples; je suivrai de loin le bruit des clairons et les aboiemens des grandes meutes; j'écouterai le tintement des pas des chevaux ; je me mêlerai à la suite de Didon.... je la verrai, belle et fière comme Diane, entourée de ses lévriers ; je m'approcherai de son coursier éeumant, et tandis que tous ceux qu'elle a conviés seront à la poursuite du sanglier, moi, je toucherai de la main la tunique éclatante de la royale chasseresse, et je lui dirai à voix basse!

« Reine, je sais ton secret... Si tu es pâle, si tes yeux sont distraits, si tu interromps tout à coup un discours commencé, la cause m'en est connue. Je te plains... mais, va, ne cherche point à guérir du mal qui t'a gagnée............. mieux vaut encore mourir à ton âge, avec la fleur de ta beauté, que d'aller mendier à tous les autels, quelques années de vie encore, et l'oubli d'une haute passion, et la glace de l'âge, et les ennuis et les cheveux blancs. Je sais ton déplorable amour, Ô Didon!... je t'envie cependant, et je te trouve heureuse, car il viendra un poète qui te chantera dans son livre et dont tu seras la plus chère pensée..... »

A

César, reçois cette lettre avec ta bienveillance accoutumée, lis-la dans un moment de repos, quand ton ame est plus à ellemême qu'aux affaires de l'empire; ensuite, je te prie de la brûler, Le feu du trépied est un confident discret. Je crois, d'ailleurs, que les cendres de cette lettre amie ne seront pas l'encens le moins pur que tu puisses offrir aux dieux immortels. Je te salue quon abhi saitumes bale2 yg jilan, as antrele „loy

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& colliurat zang) in CÉSAR AUGUSTE A SYLVIA.DANE can'b summum of tor'b ebusbet 19 Si tu portes envie à l'infortunée Didon, moi je me souhaite aujourd'hui la mort de Jules. N'y a-t-il done plus un seul conjuré

dans l'empire? Sera-t-il impossible de trouver un Cimber, un Casca, un Brutus, un Cassius, ou le poignard de tout autre?... Oh! ma fille, quelle coupe amère tu m'as laissée!.... Je suis resté solitaire et triste comme un aigle blessé sur une roche des Alpes. J'ai erré, j'ai cherché, j'ai demandé avec larmes... nul ne m'a répondu; Sylvia, tu passais la mer. Dis-moi que je n'avais pas assez de tendresse pour toi, afin que je puisse m'accuser... car te savoir ingrate, serait plus amer encore à mon ame.

Que fais-tu donc sur la terre d'Afrique? Ah! l'insensée! tu es un de ces malades à qui rien ne manque, ni maison à la campagne, ni médecins, ni soins fraternels, rien au monde, sinon la volonté de guérir. Crois-tu avoir si bien voilé ton secret, que mes yeux ne l'aient surpris?..... Belle patricienne, ma fille, il y a long-temps que tu m'as tout dit sans m'adresser une parole. Va, je ne te demanderai pas un nom, je ne te questionnerai pas sur son âge, son rang ou sa figure; tu as bien raison; car je sais mieux que toi toutes ces choses de ton cœur. Sylvia, tu es semblable à ces beaux agneaux que je fais élever dans mes pâturages de la Campanie; quand on s'approche d'eux, ils vont cacher leur tête parmi les hautes herbes ou dans le tronc d'un vieil arbre, et là, ils se croient invisibles. O faible et timide que tu es, malgré ta grande ame!

Il en est temps, ma fille ; reviens sur la terre d'Italie. La solitude est mauvaise à la passion insensée ; la solitude est remplie de visions fiévreuses. Pour toi surtout, le sol de Carthage est brûlant et l'air y est empoisonné. N'ajoute rien à l'histoire de Didon..... Va, ce quatrième livre de l'Enéide est complet ; il est assez beau de tristesse et de malheurs....

Oh! fatale fut la journée où je te conviai à venir l'entendre chez Octavie ma sœur!

Reviens, Sylvia; nous irons ensemble passer l'automne à Baïes où je te promets qu'il ne sera pas question un moment des affaires de l'empire. Tu n'y verras pas arriver une seule lettre du sénat ; les consuls n'y viendront jamais, et jamais Mécène, que tu n'aimes point, n'y sera convié. Ses phrases arrondies en périodes et son accent affecté me fatiguent autant qu'ils te déplaisent. Moi-même j'ai besoin de repos; Antonius Musa m'a prescrit l'oisiveté si je ne veux aller bientôt rejoindre les ombres pâles de mes aïeux. Mais ton retour! ma fille, ranimera l'étin

celle de ma vie; la joie est facile à donner à ceux qui nous sont chers, surtout quand on est Sylvia, et quand l'ami qui attend Sylvia est César Auguste.

Je fais partirune galère de Naples pour qu'elle te ramène en Italie. J'ai voulu que sa proue fût couronnée de fleurs, et j'ai confié au pilote une petite statue de Neptune qui me fut toujours favorable. Je te recommande à tous nos dieux amis.

Or, le premier mois d'automne était venu, il y avait en la ville de Rome une grande agitation. C'était par un beau soir, au moment où le soleil jetait ses longs rayons obliques sur les frises des temples. Celui de Vesta surtout resplendissait à son faîte comme si on l'eût revêtu de lames d'or. Une foule immense se mouvait autour des colonnes circulaires, et l'on voyait à tous momens sur l'escalier de marbre monter et descendre des prêtres-augures en robes blanches et le front chargé de couronnes vertes. Un grand nombre de sénateurs et de chevaliers romains passaient et repassaient sous le péristyle sacré, et leurs cliens les suivaient. Les édiles donnaient des ordres réitérés à des esclaves barbares; le grand-prêtre de Jupiter Capitolin venait d'arriver; la cérémonie était grave et solennelle.

Il vint aussi un jeune homme revêtu d'une tunique de lin, et par-dessus laquelle était jeté un manteau dont les grands plis retombaient jusqu'au pavé; ses cheveux descendaient sur ses épaules, et un cordon de pourpre ceignait sa tête; il avait le visage pâle, et les traits fins et réguliers comme les profils grees; il marchaitlentement, et regardait autour de lui d'un air rêveur, sans dédain, mais sans curiosité; quand il fut arrivé au bas du large escalier du temple, il demanda au préteur qu'il rencontra la cause de cette grande agitation; celui-ci répondit : C'est une patricienne qui entre aux vestales; voici les consuls qui arrivent, et voici César.

Le préteur se hâta d'aller remplir son service, le jeune homme au visage pâle s'appuya contre le piédestal d'une statue, et regarda passer l'empereur et sa suite. Comme il s'était placé à l'écart et dans un lieu isolé, César le reconnut, et lui jeta de la main un salut d'amitié, puis il lui fit signe de se retirer. Le jeune Romain ne put deviner la cause de cet ordre, seulement il remarqua' une agitation nerveuse sur la figure d'Auguste, dont les yeux semblaient le suivre; alors il s'éloigna de quel

TOME VIII.

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