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vent soupçonnée de me cacher des secrets... Le cœur des femmes est semblable quelquefois à nos boîtes de par, fums fermées avec grand soin, mais qui pourtant finissent par trahir ce qu'elles contiennent, tellement est suave l'essence cachée. La rêverie et la tristesse, ma fille, ne viennent pas s'asseoir auprès d'une enfant de ton âge, sans que cette tendre créature n'ait quelque chose à leur conter mystérieusement... et je ne sais pourquoi j'imagine que la tristesse et la rêverie ont eu une confidence sérieuse de toi... bien sérieuse, ô Sylvia. - Quand mon tuteur me parle ainsi, je trouve l'univers heureux d'obéir à sa douce voix.

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- Puis-je te demander d'imiter l'univers?

Tu as des droits sur lui par héritage et par le sort des armes; mais mon ame ne te fut pas léguée par le divin Jules, et tu n'as conquis que son amitié; sa liberté lui reste, César.

- Fière comme une reine barbare; douce et sacrée comme une vestale... Sylvia est l'honneur de l'Italie et la peine de César, Hélas! j'avais bien assez de mes chagrins domestiques, sans que l'amie de mon cœur vint m'en donner à son tour..... car tu es ma fille, toi; Julie ne l'es plus, l'impudique !...., Eh! quoi, tant de malheurs sur une tête que l'univers adore! être l'empereur latin; porter autour de son front le laurier d'or; avoir pacifié le monde; sourire à l'Orient pour que l'Orient soil consolé ; étendre ma main vers le sud, le nord et l'occident, pour que ces régions espèrent; n'avoir pas fait un rêve de gloire qui ne soit accompli.... et, pourtant, ne pouvoir vider une coupe dans un festin sans y trouver du fiel; ne jamais sommeiller sans fantômes plaintifs autour de mon lit, et quand j'écoute de la poésie ou de la musique, sentir mon cœur se briser de souvenirs.... Oh ! que ne suis-je un pâtre de l'Achaïe, un chasseur de l'Atlas; ou le dernier des citoyens romains! Car, tu le sais, toi, Sylvia ; j'aimais d'une tendre amitié Octavie, ma sœur, et son fils..... son fils, le divin Marcellus, nous l'avions élevé comme un beau lis à l'abri du vent et des feux du midi; nous avions invoqué sur celte tête toutes les étoiles favorables... il grandissait en sagesse et en beauté, le chaste et fier jeune homme. Déjà nous le montrions à Rome et aux provinces comme le bien-aimé de Jupiter et de Quirinus; jamais ( tu dois t'en souvenir, bien que tu ne fusses qu'un enfant), jamais il ne venaits'asseoir au podium

de l'amphithéâtre sans que le peuple ne le saluât de la voix et du geste; les sénateurs (les plus âgés même) lui faisaient place à leurs côtés, malgré leur toge, et oubliant qu'il ne portait encore que la robe prétexte. Oui, Marcellus, tu étais la destinée du monde... et je t'ai perdu, mon fils d'adoption, et la mort est venue te prendre entre les bras de ta mère avec une violence sans égale ; et cette même mort impie a frappé Octavie... car le cœur vraiment maternel se flétrit auprès du tombeau d'un enfant, et ce sont les marâtres qui veulent être consolées. Marcellus, Octavie, je vous ai honorés par des honneurs funèbres tels que le peuple romain ne m'en rendra pas de semblables; Livie, cette digne épouse, vous a pleurés, et le poète a jeté des fleurs à ton ombre, ô jeune César! Eh bien! il m'arrive souvent encore de vous chercher dans ma maison de la ville, ou à celle de Lanuvium que vous aimiez, ou bien au temple de Jules, à Naples, à Baïes et dans les îles du goife qui baigne la Campanie, partout où j'avais coutume de vous voir avec moi. — Pardonne, Sylvia, ma douleur se réveille quelquefois comme une vipère assoupie sur mon flanc; alors il faut que je me plaigne à ceux que j'aime. C'est pourquoi je te dis que je souffre, car tu m'es chère, toi que je des→ tinais à celui dont je viens d'honorer la mémoire. Marcellus et toi, vous auriez ramené sur la terre l'âge de Rhée, ce siècle de justice et de pudeur. Et aujourd'hui, que le fils d'Octavie est dans les cieux, quand j'espère encore la moitié de ce que j'avais rêvé pour Rome, puisque tu vis, voilà qu'il ne m'est pas donné de te trouver facile à mon conseil!....... Qui veux-tu que je choisisse pour épouse à l'héritier de l'empire ?... Ma race est souillée; Julie m'est en horreur... et tu en sais la cause. Parle maintenant, toi dont j'écoute les paroles comme le son d'une lyre d'Ionie.

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Pendant que César se plaignait de la sorte, la blanche Sylvia, le front penché dans sa main et le bras appuyé sur un coussin de pourpre, avait répandu quelques larmes, et quand elle releva la tête ses grands yeux humides jetèrent un rayon qui pénétra jusqu'au fond de l'ame de son tuteur. César crut voir l'espérance assise devant lui, avec son rire d'enfant et ses mains pleines de fleurs. Il remercia du geste Sylvia, comme si déjà elle avait promis. Les femmes ont des expressions de tristesse et de compassion que nous prenons souvent pour des consentemens; la douce

pitié sur leur visage ressemble à la promesse, et voici la cause de nos chagrins dans la suite et de nos éternelles récriminations. Une fois pour toutes, nous devrions bien nous dire qu'elles sont tendres et ardentes comme des enfans, et que l'impression agit sur elles au-delà de leur volonté, et que plus tard elles ont raison de nier tout ce qu'elles ont révélé ou consentivà leur propre insu. L'empereur César Auguste, cet esprit vaste et profond, fut pris aux illusions des regards d'une jeune fille... quio de nous se plaindra d'avoir été crédule ? mog sonulatz disð 92 ant Or, il dit à la patricienne:

Sylvia, tu es consolante à mes yeux, comme le palmier et la source vive au milieu de l'Arabie; je t'honore et je te rends grace; si tu n'étais pas la riche héritière de la famille Claudiayɔ je t'offrirais la plus riante maison d'été aux environs de Romery ou à Pouzzoles, ou sur la côte de Sicile, ou même dans la déli29 cieuse Caprée, que j'ai nommée la ville deľoisiveté. Mais toi, tu✨ pourrais peut-être doter l'empereur, si grande est ta richesse! an défaut de trésor, ô ma fille, reçois cet anneau que j'ai portéfo dans toutes les guerres de mes consulats; cet anneau que j'asa<! vais à Actium, le jour où je tendis la main à mon armée navale,pas pour la saluer victorieuse; cet anneau que j'avais donné à notre Marcellus et qui depuis m'est sacré ; c'est un symbole d'alliance et d'éternelle affection. Adieu, l'heure du sénat est arrivée, et voici le préteur et ses licteurs qui viennent me chercher ; j'ai quelques criminels à juger... Les pères conscrits condamneront » s'ils veulent, mais moi je ferai grace, Sylvia; l'empereurnest ¦ heureux, il pardonne. Pardonner c'est louer les dieux!imecr mortels zig zi inamore fl vane of dos cum f

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Le préteur parut en ce moment sur le seuil de la porte dec l'atrium; il salua César en abaissant devant lui sa baguette ma-T gistrale; l'empereur se leva, et jetant sur son épaule le pan ident sa toge bordée d'une bande écarlate, il suivit la garde et montar 1, dans sa litière.

Ce jour-là le sénat fut émerveillé de la bonne grace et de la douce éloquence du clément empereur.

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Je t'ai vu si heureux hier, César, que je n'ai jamais eu la force de te détromper. La douce pitié est quelquefois artificieuse, comme un mère assise auprès de son fils malade, et qui devant lui se fait violence pour sourire, et qui le trompe pour ne pas l'effrayer. Ainsi, moi je t'ai laissé respirer quelques parfums d'espérance, car tantristesse m'avait paru si profonde, ô mon tuteur ! Et ce que j'ai fait hier, qui me le reprochera? L'empereur, persuadé de mon consentement, est sorti de ma maison, l'ame sereine, le visage éclairé par un rayon de joie ; il a traversé la ville en saluant le peuple avec amour, il est entré au sénat, il s'est assis dans sa curule, calme et majestueux, comme Jupiler parmi les siens puis il a parlé, et toutes ses paroles étaient harmonieuses et pacifiques; on a amené devant l'auguste assemblée plusieurs conjurés, enfans perdus et souffrans, ames orageuses invoquant le feu et le fer à défaut de la sagesse; on les a introduits dans l'enceinte des toges vénérables, et voyant le sourire de César, ils ont espéré ; et c'est alors que les pères conscrits ont délibéré avec impartialité, et c'est alors que la part du malheur étant faite, comme celle de la faute, la sentence la plus douce a été prononéce. Mais aussitôt tu t'es levé, César et, étendant la main vers la statue du divín Jules, tu as fait grace pleine et entière à de pauvres conspirateurs, ne voulant pas que ton injure privée troublât un moment la paix et l'har monie de l'univers. 16org 9

Tel fut l'événement! d'hier au sénat, telle a été la joie et l'admiration générale. Oh! mon tuteur magnanime, je te rends grace aussi; ma maison l'avait porté bonheur; tu en étais sorti donnant la main à la clémence.

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Voilà pour ce qui te regarde ; mais moi !... je te supplie de m'écouter avec cette même bienveillance qui te rendait hier les délices du monde.

Je te le disais un jour, au théâtre de Pompée : Nous avons tous sur le visage un masque comme ces acteurs. Tu me répondis: Le tien est transparent, Sylvia. Et moi je repris : Le regard

de l'empereur va peut-être jusqu'aux extrémités de l'univers, mais il s'arrête à la surface de mon ame. Cette phrase parut t'affliger, je baissai la tête; toi, tu te retournas du côté de Livie, et avec Horace et Agrippa, vous parlâtes de l'art grec appliqué au théâtre latin. Aujourd'hui je te rappelle ces choses pour que tu saches bien que je souffrais alors. Ce que j'ai dans le cœur depuis long-temps est un chagrin profond; ce serait folie de lui chercher un remède : les jeunes filles de mon âge ne se plaignent pas en vain... pour que le narcisse né d'hier languisse déjà sur sa tige, il faut qu'un ver l'ait piqué à sa racine. Pour moi je meurs dévorée...

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Ne me demande pas un nom; je resterais silencieuse et impénétrable. Ne me dis pas non plus qu'avec mon âge, ma beauté et ma fortune, tout peut s'arranger. Je répondrais à ta douce voix, que le sort de Sylvia est fixé pour elle une porte d'airain s'est fermée, et sur cette porte sont écrits ces mots irrévoca→ bles: Tun'es pas aimée.

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Toute autre femme de Rome ou de la Grèce eût brûlé depuis deux ans autant de victimes qu'il y a d'autels dans l'empire; toute autre eût visité les temples depuis les colonnes d'Hercule jusqu'aux sables du Gange; moi, je n'ai invoqué ni Junon, ni Diane, ni Proserpine, ni Vénus irritée ; je n'ai consulté ni prétresses d'Éleusis, ni la Sybille... mais dans le silence de ma maison j'ai invoqué la Sagesse et la Pudeur, ces déesses nou→ bliées, et celles-là m'ont dit : « Tu ne guériras pas, car le poison est dans ton cœur; mais tu marcheras forte et résignée jusqu'au tombeau de ta famille, et ton urne funéraire sera honorée des matrones et des vestales. »

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Vois, César, quelle confiance j'ai en toi; je te dis de ces choses que les mères seules ont coutume d'entendre; c'est que tu es l'amour de la terre, le pontife et l'empereur, surtout le familier de mon cœur. En recevant cette lettre, ton noble visage pâlira, tu passeras ta main sur tes yeux, et ta main peut-être sera mouillée, et, en te voyant ainsi, quelques graves séna. teurs, Mécène ou les consuls, trembleront pour le sort de la chose publique, et t'interrogeront sur la guerre imminente ou sur les réponses augurales... terreurs ordinaires des hommes publics dont le cœur s'est pétrifié sous le vent de l'ambition; ils songeront aux légions, aux proconsuls, aux harangues, aux flottes

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