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béguines, de nos fils des jacobins, des cordeliers, des capucins. >>

Pour quiconque a lu ces chansons, il est évident que l'auteur s'est servi de ce titre de Noël comme d'un cadre commode pour faire mieux ressortir les épigrammes que le monde ou les événemens lui inspiraient. Voilà ce qui a dû paraître une grande profanation aux hommes un peu méticuleux, et ce qui a été accueilli comme une bonne plaisanterie par les gens moins timorés. Il y a sans doute dans ce recueil beaucoup d'esprit, de pensées fines, de malice; il est curieux à consulter comme monument littéraire de l'époque; mais n'a-t-il pas dû en grande partie son succès à la curiosité que devait exciter cet idiome tout nouveau, et à toutes les circonstances réunies pour lui donner plus de vogue et de publicité? Pourrions-nous aujourd'hui nous amuser long-temps d'une œuvre aussi frivole? Je ne le crois pas. Au reste, ces Noeï ne sont pas le seul ouvrage écrit en patois bourguignon. Il existe dans le même dialecte un Virgile travesti ( Virgile virai ), qui, pour le choix bizarre des images et le style grotesque, fait le digne pendant de celui de Scarron, de celui de Blumauer l'Allemand, et de Cotton le poète anglais.

X. MARMIER.

ITALIE.

SIENNE. RADICOFFANI.

S IV.

AQUAPENDENTE.

ROME.

En ce temps, la vie de l'artiste fut une noble et puissante vie. L'Italie était un atelier, un champ de bataille et un boudoir. L'artiste ébauchait en même temps un palais, une fresque, un tableau, une statue, une église, une citadelle; il avait des journées toutes pleines de travaux, d'intrigues, de rivalités, d'aventures, de méditations, de graves études, de folies d'atelier: sa palette et son ciseau se mêlaient sous sa main à l'épée, à l'arquebuse, à la mandoline. Michel-Ange est la personnification la plus imposante de l'artiste au xve siècle; sa vie ne ressemble à aucune autre vie ; il n'a connu ni les loisirs, ni le repos, ni les ennuis ; il a créé un monde ; il a été adoré des deux plus nobles, des deux plus belles amantes de l'univers, Rome et Florence; les papes, qui ne s'inclinent que devant Dieu, se sont inclinés devant lui. A sa mort, les souverains se disputent son cadavre comme une de ces précieuses reliques qui portent un bonheur éternel à la ville qui les reçoit.

A quinze ans, il était déjà sacré roi entre les artistes ; il avait effacé Ghirlaudajo, son maître, et promettait à l'Italie de lui rendre Mazzaccio et Lucca della Robbia. Il devait tenir mieux que sa promesse. L'Italie devint son atelier. De Venise à Bologne, de Bologne à Florence, de Florence à Rome, les blocs de marbre l'attendaient au passage, et il créait une statue à chaque relais. Chemin faisant, il dressait un échafaudage, et peignait une grande fresque pour payer l'hospitalité dans quelque ville des Apennins. A Bologne, il ciselait Sainte-Pétrone, puis il montait à cheval, et courait à Rome, pour achever son Bacchus ou sa Notre-Dame-de-Pitié. Florence l'appelait alors; et le voilà reparaissant sur la crête des Apennins, traversant la forêt de Viterbe, toute pleine de bandits, traversant les gorges marécageuses de Riccorsi, les plaines volcaniques de Radicoffani, dormant sur la paille des étables, partageant le pain des pâtres de Torrinieri et de Ponte-Centino, et après huit jours de fatigues revoyant sa Florence bien-aimée qui ébranlait toutes ses cloches pour le recevoir comme un roi. A peine descendu de cheval, il courait à l'église Santa-Maria-Novella, celle qu'il nommait son épouse, mia sposa. Il baisait les fresques de Paolo Ucello, de Fiesole, d'Orgagna, comme on embrasse, en arrivant chez soi, tous les membres de sa famille; il s'agenouillait, dans la chapelle des Ruccellaï, devant la Vierge de Cimabuë, patrone des artistes. Au travail ensuite; c'était un bloc immense qui l'attendait sur la place du PalaisVieux; Fiesole avait écaillé ce bloc, il était trop pesant pour lui; Michel-Ange le fondait comme de la cire, il en tirait un géant de marbre, son David; il le plaçait sur un piedestal devant le palais, comme on place une sentinelle à la porte d'un roi.

A cheval encore ! C'était Jules II qui appelait Michel-Ange; l'artiste rentrait à Rome, et le pape le conduisait par la main aux ateliers; Michel-Ange créait son Moïse, le Moïse du mont Sinaï, sublime comme dans le livre saint; pour se donner quelque délassement après cette œuvre, il ciselait ses Esclaves et sa Victoire; puis il jetait les fondemens du magnifique mausolée de Jules II, ou bâtissait la citadelle de Civita-Vecchia.

Nous le retrouvons encore à Florence, Léon X régnant; cette fois, le marbre lui manque, l'artiste a tout dévoré; il part

pour les carrières de Saravezza, il va créer du marbre; il se promène deux ans sur les rochers qui recèlent le trésor du statuaire ; il épie le sol; il le perce du regard; c'est qu'il lui faut du marbre pur, du marbre d'élite; la chapelle des Médicis le demande ainsi. Le précieux filon est trouvé. Michel-Ange a frappé du pied sur la carrière; il se mêle aux mineurs ; avec eux il éventre la roche ; il en tire des blocs vierges ; quelle joie d'artiste ! Le voilà dans la chapelle Saint-Laurent, méditant son Guerrier; il sera plus beau que le saint George de Donatello, plus beau que le Démosthènes du Vatican ; la tombe des 1; Médicis sera gardée éternellement par des statues vivantes; et toujours le voyageur, en les visitant, échangera des regards avec ce mystérieux guerrier qui domine la chapelle, et lui donne ce caractère de religieuse mélancolie que le statuaire antique ne soupçonna jamais.

A Rome encore! il y a des mausolées à construire et des statues informes dans les ateliers, et des fresques ébauchées qui attendent; Michel-Ange est partout; il peint, il cisèle, il équarrit des blocs; il fait des satires contre ses ennemis, il envoie des sonnets aux dames romaines, des cartels à ses rivaux, des plans de basilique au pape, des lettres au grand-seigneur qui lui demande un pont pour le faubourg de Péra. Uu jour, après avoir terminé le Christ embrassant sa croix, il va respirer sur la colline où furent les jardins de Salluste; il passe sur les ruines des thermes de Dioclétien, et s'arrête, saisi d'admiration, devant huit colonnes antiques qui n'ont plus rien à soutenir, car le noble fardeau qu'elles portaient s'est écroulé sur le gazon d'alentour. Michel-Ange s'attendrit de l'oisiveté de ces puissantes colonnes, et leur bâtit un temple, en les laissant toutes à la place que l'architecte impérial leur avait donnée dans la grande salle des bains. C'étaient là les jeux de Michel-Ange; une autre fois, il se prendra corps à corps avec le panthéon d'Agrippa, il le pèsera sur ses mains, le lancera dans l'air à quatre cents pieds, et le colosse ne retombera pas.

L'Attila chrétien, le connétable de Bourbon, fait le siége de Rome. La ville éternelle a donné congé à ses artistes, à ses poètes, à ses musiciens, elle a fermé ses ateliers; Rome se bat, comme autrefois, contre Brennus et Annibal, pour ses autels et ses foyers. Michel-Ange est à Florence, il a repris son ciseau

dans la chapelle de Saint-Laurent; il taille, de verve, une statue de femme; le bloc sera trop court pour la forme colossale qu'il a signée; que lui importe? L'artiste ne s'abaisse pas aux puérils calculs des dimensions: si le marbre manque aux pieds de la statue, l'ouvrage restera inachevé, voilà tout. Michel-Ange a-t-il le loisir de mesurer ses blocs? Il se rue sur eux, il en extrait l'image rêvée et part. Cette fois la route des Apennins lui est fermée. Rome a été prise d'assaut, Rome a été violée; Espagnols, Allemands et Milanais inondent la belle Toscane et menacent Florence; Michel-Ange ferme ses ateliers, il prend l'arquebuse et l'épée, il se fait soldat; il se place en sentinelle devant le Palais-Vieux, et sert ainsi de pendant à la statue de David, haute de dix coudées, et moins grande que lui. Les ravageurs s'approchent; ils occupent les hauteurs de San-Miniato et de la villa Strozzi; ils campent sur les collines du Val d'Arno; ils étreignent Florence; le péril est grand; Michel-Ange est nommé inspecteur-général des fortifications; l'acclamation du peuple confirme ce choix. Après avoir produit ses chefs-d'œuvre avec son ciseau, il faut maintenant que l'artiste les défende avec son épée; il a sa noble famille de marbre à protéger contre les stupides saccageurs de Rome, car les lansquenets et les Espagnols ne respectent rien; comme les Perses de Cambyse, ils mutilent l'homme et la pierre; mais Dieu et Michel-Ange sauveront la ville des Médicis. Florence sera plus heureuse que Rome, les Huns baptisés ne la violeront pas.

C'est Paul III qui siége au Vatican; Rome est revenue de sa stupeur; les ateliers se rouvrent ; les chantiers reprennent leur mouvement accoutumé; Michel-Ange, qui s'est reclus dans un clocher à Venise, après la capitulation de Florence, et qui pleure sur la liberté toscane indignement sacrifiée, descend enfin de son ermitage aérien, et reprend la route de Rome. A peine arrivé, il se remet à ses œuvres, comme si le pain de sa journée en dépendait. Un visiteur frappe à la porte de l'atelier; ce visiteur, c'est le pape, c'est Paul III; après avoir béni la ville et le monde, il vient bénir Michel-Ange; le pontife et l'artiste s'asseient sur un bloc de marbre, et ils commencent un de ces sublimes entretiens qui réjouiront les beaux-arts. Paul livre la chapelle Sixtine à Michel-Ange, il l'entraîne avec lui au Vatican, il le place

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