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encore, sur laquelle on lit cette inscription: Ici naquit Bernadotte.

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Dans ce beau pays de Béarn, il s'est trouvé un homme qui a compris toute la suavité et la richesse de son idiome natal, et qui a composé dans ce langage du peuple des chansons que tous les Béarnais savent par cœur, et dont les pâtres des montagnes chantent quelquefois alternativement les couplets, comme les gondoliers de Venise chantent les romances du Tasse. Cet homme était Despourrins.

Un soir j'étais assis au-dessus d'un des coteaux du Jurançon; d'un côté, je découvrais la vallée du Nés, l'immense plaine de Pau avec sa rivière fougueuse, la ville avec son château et ses tourelles gothiques; de l'autre, les Pyrénées avec leurs crêtes bizarres, le Pic du midi, au front couvert de neige, et de toutes parts des bois, des maisons de campagne, des coteaux chargés de vignes. Le silence régnait autour de moi; je n'entendais rien que les eaux lointaines du gave roulant dans la vallée, ou le bruissement des arbres, quand tout à coup, du milieu de la forêt, s'éleva une voix mâle et sonore, dont les simples modulations et les accens mélancoliques retentirent sur le coteau, avec une singulière harmonie : c'était un paysan du Béarn qui répétait une des chansons de Despourrins, et nulle expression ne saurait rendre le charme de cette musique au milieu d'un tel paysage.

Cyprien Despourrins naquit en 1698, à Accons, dans la vallée d'Aspe. Son père était un ancien militaire, renommé par sa bravoure. Une fois il se prit de querelle avec trois gentilshommes, se battit seul contre eux, et resta maître du champ de bataille. Pour garder le souvenir de cette victoire, il obtint du roi la permission de faire graver trois épées au-dessus de la porte de son château. Elles y sont encore. Son fils avait hérité de ce courage chevaleresque. Un jour, aux Eaux-Bonnes, il reçut une offense et voulut la venger sur-le-champ; comme il n'avait point d'épée avec lui, il envoya son domestique en chercher une à Accons, en lui recommandant bien de la prendre

aussi secrètement que possible, et de cacher à son père, sous quelque prétexte, le vrai motif de ce voyage. Le domestique s'acquitte fidèlement de sa commission. Mais le vieux Despourrins, qui a l'habitude des duels, a tout deviné. Son ardeur de jeune homme se réveille, et le voilà qui fait seller sa mule et accourt aux Eaux-Bonnes. On lui dit que son fils est renfermé dans sa chambre avec un étranger. Il s'approche de la porte, entend un cliquetis d'armes, et reste là immobile et attentif. Le bruit cesse, et le fils, en ouvrant la porte, est bien étonné de trouver là son père. J'ai deviné ton aventure, lui dit le vieillard; et dans le cas où tu aurais succombé, je venais pour te venger. Tiens: regarde, j'apporte mon épée. Rassurezvous, mon père, dit le jeune homme. Je suis votre fils; mon adversaire est blessé. Venez lui porter secours. »

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A part cette circonstance que l'on dirait empruntée à une scène de mœurs espagnoles de Calderon, la vie de Despourrins n'offre rien de très remarquable. Il se maria, vendit ses propriétés d'Aspe, pour aller vivre à Saint-Savin, dans le domaine de sa femme, et composa dans de doux loisirs les vers auxquels il doit son illustration. Ici se présente encore une de ces bizarreries de la destinée dont il est si difficile de se rendre compte. Goudouli, le pauvre Toulousain, obligé de vendre, pour subvenir à ses besoins, le mince héritage de son père, a le visage riant, l'humeur joyeuse; et Despourrins, le riche gentilhomme, est triste et rêveur. Autant les chansons de Goudouli sont-elles folles de gaieté, autant celles du poète béarnais sont-elles langoureuses et plaintives. C'est toujours l'amour qu'il chante, mais l'amour souffrant. Ou sa maîtresse ne l'aime pas, ou elle l'a trahi, ou bien encore, quand elle l'aime, il faut qu'il la quitte. « O vous, dit-il, qui n'avez encore connu ni plaisirs ni douleurs, gardez-vous bien d'aimer, si vous voulez vivre heureux (1)! » Souvent il supplie, il conjure, et toutes ses prières se terminent par un soupir : « Le ruisseau le plus pur, le torrent le plus rapide, de mon cœur qui se fond n'égalent pas les larmes. Aucun livre ne parle d'un destin si cruel, et l'on ne saurait écrire ni chanter mes douleurs (2). » Souvent ses vers pré

(1) Pastourets, qui n'abet encouère
Goustat ni plasés, ni doulous,
etc.
(2) L'ayguette la plus clare, etc.

sentent une image assez naïve : « Mon doux ami va partir. Il va à la Rochelle! Moi je reste toute seule ici. O milice cruelle! Moi je reste toute seule, et je mourrai loin de celui que j'aime (1).

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Esprit, beauté, mon ami avait tout ce qui peut plaire. On admirait sa jolie taille, ses bonnes façons, et pour parler d'amour il n'a pas son pareil en France.

« C'était le plus aimable des amans, et je l'ai perdu, pauvrette! Adieu les fleurs et les cadeaux, adieu les douces causeries! Je vais passer mes plus belles années sans plaisir et sans

amour. >>>

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Quelquefois il fait parler alternativement l'amant qui se plaint et la jeune fille qui se moque de lui. « Tes beaux yeux, ingrate bergère, m'ont enflammé d'amour, et ta rigueur est la seule cause de mes tourmens. J'ai l'humeur ainsi faite. Pourquoi t'en occuper? Si mon caractère t'attriste, il ne tient qu'à toi d'en être délivré. - Oh! sois touchée du moins de ma longue constance, et si tu ne peux m'aimer autrement, aime-moi par pitié. Je te plaindrai bien sincèrement, mais quand tu seras mort; pourquoi donc veux-tu que je t'aime, si cela ne me plaît pas? » Quelquefois son élégie a du mouvement et de l'action; c'est un soldat qui part et qui raconte à sa maîtresse toutes les prouesses qu'il va faire; c'est un pâtre qui descend dans la plaine et qui chante ses adieux à sa cabane sur la montagne, au bois témoin de ses amours, au rossignol dont il aime les doux accords. Puis il s'en va, et la montagne et les bois sont touchés de sa douleur, mais la jeune fille qu'il regrette par-dessus tout l'oublie bientôt et devient l'amante d'un autre. Quelquefois aussi il se complaît à faire le portrait de sa maîtresse, et ce portrait, quoiqu'un peu maniéré, ne manque pas de grace et de fraîcheur. L'une des chansons les plus populaires de Despourrins est celle-ci :

«<Là-haut, sur la montagne, un berger malheureux, assis au pied d'un arbre, les yeux baignés de larmes, songeait à ses

amours.

« Cœur volage, cœur cruel, s'écrie l'infortuné, tes dédains sont-ils donc le prix de mon amour?

(1) Moun doux amis s'en ba parti

S'en ba ta la Rouchelle, etc.

<< Depuis que tu fréquentes les gens de qualité, tu as pris un ton si élevé, que ma maison n'est plus assez haute pour toi.

« Tu ne veux plus confondre nos deux troupeaux ensemble, et tes moutons ne se rapprochent des miens qu'en se gonflant d'orgueil.

« Je me passe de richesse, d'honneurs, de distinctions ; je ne suis qu'un berger, mais personne ne peut aimer comme moi.

« Je suis pauvre, mais je me trouve bien dans ma modeste condition, et je préfère mon vieux béret au plus riche chapeau brodé.

«Les richesses du monde ne causent que des ennuis, et le plus grand seigneur ne vaut pas l'humble pâtre qui se trouve content. ་ Adieu, cœur de tigresse, bergère sans amour: tu peux changer d'amant, mais tu n'en trouveras pas un autre tel que moi (1). » Ces chansons de Despourrins ont dans l'original un grand charme de style, une douceur indéfinissable. Le poète a su varier souvent son rhythme. Il a eu recours à toutes les formes lyriques employées par Ronsard et ses élèves; cependant, malgré ce travail de versification, il n'est pas parvenu à dissimuler ce que son recueil a de trop uniforme. Prise isolément, chacune de ses chansons forme un drame intéressant, ou un tableau gracieux. Mais si on les réunit, on sent que le même thême, les mêmes idées reviennent trop souvent, et cette mélancolie d'amour qui d'abord nous séduit, devient à la fin monotone.

Après Despourrins, plusieurs autres poètes se sont essayés avec succès dans l'idiôme béarnais. Je citerai, entre autres, une pastorale de M. Lescar, les chansons de Borden, et celles de M. Puyot, et de M. L. Vignancour.

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Si de l'idiôme béarnais nous passons à l'idiôme de la Bourgogne, nous n'y retrouverons plus cette sorte de combinaison musicale

(1) Là haut sus las montagnes, un pastou malhurous

Ségut aû pé d'u hau, négat de plous,

Sounyabe au cambiamer de sas amous, etc.

qui appartient aux dialectes méridionaux ; plus de ces mots cadencés qui retentissent, ainsi que l'a dit Byron, comme les doigts d'une femme sur le satin ; plus de ces mots charmans de tendresse, de compassion, de ces diminutifs, si doux à entendre dans la langue de Boccace et de l'Arioste, et qui adoucissent même le mâle accent des langues du Nord. Mais ce patois bourguignon présente encore une foule d'expressions pittoresques et originales, des tournures piquantes, des mots harmonieux, et l'on sent en le lisant qu'il a subi de près le contact de la langue française; car il n'a aucune des nuances étrangères des dialectes du nord, du midi, de l'est. Il est clair, élégant, facile à comprendre, et un académicien assez célèbre, le savant La Monnoye, l'a employé avec beaucoup d'art.

Toutes les histoires littéraires du XVIIe et du XVIIIe siècle parlent de cet écrivain, d'un esprit fin et érudit, qui publia les Menagiana, et enrichit plusieurs ouvrages de notes et de commentaires. C'était un homme très modeste, qui amassa par goût toutes ses connaissances philologiques, sans songer peut¿être à en faire jamais usage. Il était, en 1662, avocat au parlement de Dijon, mais la jurisprudence avait pour lui fort peu d'attraits, et sans y renoncer entièrement, il se mit à dévier du côté de l'étude des langues et des muses. Tout jeune encore, il s'était essayé à écrire des vers, qui avaient eu les honneurs d'un succès de salon; le goût de la poésie lui revint, et il s'y abandonna, mais très humblement, dans le silence du cabinet ou le secret de l'intimité. Il avait peur d'occuper l'attention du public, il ne se sentait pas la force de rien imprimer et toutes ses poésies n'étaient connues que d'un petit cercle d'amis bien éprouvé, bien sûr. C'étaient le président Bouhier, et Dumay, et Lamare. La Monnoye venait de temps à autre leur faire ses confidences poétiques, mais en leur recommandant avec instance de n'en pas parler. Autant d'autres écrivains se sont donné de peine pour faire retentir leur nom de toutes parts, autant cet homme simple et défiant de lui-même s'en donnait pour cacher à tout le monde son savoir et son talent. Cependant en 1671, l'Académie française ayant pour la première fois mis au concours un sujet de poésie, la Monnoye ne put résister au désir de s'essayer sur un nouveau théâtre; il concourut et remporta le prix. Cinq fois de suite il se mit sur les rangs, cinq fois de

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