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Le caractère léger et insouciant de Goudouli se retrouve dans toutes ses poésies. C'est toujours le sentiment de la gaîté et du nonchaloir qui les domine. Ses vers ont dû lui venir dans de douces rêveries, sans effort, car je ne me figure guère le bon Goudouli travaillant avec peine à chercher une rime, ou à construire un hémistiche. Ce qu'il lui faut, c'est, comme à son devancier Gerantz de Borneil, les Jois e chans e solatz. Toute la nature est pour lui une terre émaillée de fleurs ; jamais vous ne lui entendrez parler d'un ciel sombre, d'une nuit d'hiver, d'un désastre. Il y a dans son cœur une sorte de printemps éternel, et il fait revivre ce printemps partout où il passe. Combien de fois je me le suis représenté errant le long des bords de la Garonne, le long de ce beau canal qui va rejoindre la mer à Cette, ou dans ces vallées si fraîches qui s'enfuient du côté de Saint-Gaudens! Si jamais homme a pu comprendre la pureté de ce ciel du midi, le charme de ces paysages lointains, de cette nature riante et féconde, c'est bien ce poète à l'œil si vif, au cœur si gai. Aussi sa muse prend-elle un nouvel essor, dès que les premières fleurs commencent à reparaître, et il peut bien dire comme un ancien troubadour : « Linouveaux tems et mai et rossignox me semont de chanter. » Il s'en va à travers la vallée, et il s'écrie: «Oh! quel plaisir d'être à l'ombre, et de sauter sur l'herbe, tandis que les rossignols font retentir à notre oreille mille chansons merveilleuses! Petites fleurs, hâtez-vous d'éclore, tapissez la prairie de mille couleurs. Nous irons sous le saule ou le chêne faire retentir, dans notre joie, un des nos instrumens. Écho, la dryade langoureuse, se plaira à nous contrefaire, et nous, pour l'occuper, nous lui chanterons l'histoire de Narcisse (1). » Puis tout à coup sa nonchalance le reprend. Il s'interrompt, et dit: << Mais il est temps que je laisse là mon poème pendant trois ou quatre jours. Nous irons faire la promenade que nous avons imaginée. Dans l'intervalle, les fleurs croîtront, les rossignols s'accorderont, et l'herbe deviendra plus fraîche. >>

Tandis qu'il s'abandonne à ces caprices de son imagination, rien ne vient troubler la facile insouciance de son ame, ni la

(1) Oh! quin plazé d'estré à l'oumbreto

E fa cambados sur l'herbéto, etc.

sérénité de son front. S'il lui passe par la tête une idée de fortune, il rêve que s'il venait à trouver un sac plein de bonnes pistoles, il pourrait acheter un manteau neuf de fin drap et un habit de satin. Si un de ses amis meurt, il s'écrie : « Hélas! c'était un si bon compagnon! il était impossible de ne pas rire en l'entendant conter tant de choses plaisantes. La Parque l'aura fait descendre dans l'autre monde pour amuser les morts.» S'il est amoureux (et il l'est presque toujours) n'attendez pas de lui des élégies plaintives comme celles des poètes du nord, ou des sonnets platoniques comme ceux de Pétrarque. C'est de la chanson rieuse, étourdie et folâtre, comme l'a faite souvent Béranger, ou de la chanson bachique couronnée de roses et de lierre comme celle d'Anacréon. Il a beau se plaindre des rigueurs de sa maîtresse, il s'en plaint toujours de manière à montrer qu'elles ne le tourmentent pas beaucoup. Puis, si elle le reçoit, s'il a quelques momens à passer près d'elle, croyez-vous qu'il aille soupirer languissamment, et la regarder avec des larmes dans les yeux? « En vérité, dit-il, je ne saurais vous peindre tous nos caprices et nos folies. L'amour lui-même doit mourir de rire, s'il nous voit et nous entend causer. Oh! combien des paroles charmantes, de coquetteries, de petites mines, et tout cela parce que nous nous aimons ! » Quelquefois cependant il semble se lasser d'aimer en vain, mais l'espérance arrive aussitôt à son secours et lui rend sa gaieté : « Hélas! hélas! s'écrie-t-il, ne verrai-je jamais l'heure à laquelle j'aspire? Ma bien-aimée me dit que mes poursuites lui déplaisent.

<< Tout le long du jour je rôde sous sa fenêtre, pour tâcher

de la voir, car son regard m'enflamme d'amour !

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« Et sans cesse, et tout seul, sans me plaindre, je passe ainsi mon temps, et je m'en vais levant la tête en l'air, comme si je cherchais un étourneau.

« Quand, après tant de démarches perdues, jesens que mon amour ne s'affaiblit pas, je fais mille châteaux en l'air, et je me crée toutes sortes d'illusions.

« Viens me donner un baiser, ô ma belle, lui dis-je, viens me donner un baiser qui résonne doucement sur ta petite bouche. « Et puis l'envie me prend de serrer ses douces mains et de baiser son sein de neige.

<< Amour, soutiens mon pauvre cœur par cet espoir; car, sans cela, je serais triste comme un oiseau en cage. »

Une des pièces les plus célèbres de Goudouli est une [ode sur la mort de Henri IV. Elle commence comme une églogue à la manière de Virgile : « Aimables bergers qui, sous le feuillage des arbres, avez trouvé un refuge contre la chaleur de l'été, tandis que les oiseaux, pour célébrer l'amour, recueillent leurs mille chansons;

«Petits ruisseaux, dont les flots d'argent courent avec un doux murmure; prairies, où les plaisirs attirent nos regards quand la jeune saison vous couvre de fleurs, écoutez les plaintes d'une nymphe de ces lieux (1). »

Puis vient l'éloge de Henri IV, écrit avec enthousiasme. Mais on regrette de trouver dans plusieurs strophes de l'enflure et des images forcées.

Je ne parlerai pas d'une autre pièce de Goudouli, intitulée Chant royal, qui eut de la réputation dans son temps, et remporta le prix aux jeux floraux. C'est une allégorie assez bien versifiée, mais froide, et si obscure, qu'il se crut obligé d'y ajouter une strophe pour en donner l'explication, comme on donne celle d'une énigme.

Sur la fin de sa vie, Goudouli, le chantre de l'amour, se mit à écrire des poésies religieuses, des cantiques sur le jour de Noël, sur la passion de Jésus-Christ. Plusieurs de nos poètes, Corneille, La Fontaine, Racine, après avoir long-temps chanté le monde et ses passions, en sont venus à traduire des psaumes ou à composer des hymnes d'église. C'est ainsi qu'autrefois les chevaliers, après avoir couru les aventures d'amour et les périls de guerre, venaient déposer la lance et la cuirasse dans une cellule de couvent, et changer leur vêtement de soldat contre une robe de moine.

Les poésies religieuses de Goudouli sont empreintes d'un sentiment vrai, écrites d'une manière simple et naturelle, et quelques-unes sont surtout remarquables par leur naïveté. « Oh!

(1) Jantis pastourelets, que déjouts las oumbretos
Sentets apazima lé calimas del jour,

Tant que les auzelets, per saluda l'amour,
Elflon lé gargaillol dé milo cansonnetos.

qu'il est gentil, dit-il dans un de ces noëels, oh! qu'il est gentil, le petit Jésus! sa mère l'embrasse, Joseph lui tire le bonnet et lui apporte les draps de sa couchette. Réjouissons-nous, 1 réjouissons-nous. Dieu nous apporte le salut. » Ne dirait-on pas un de ces vieux tableaux de Van Eyck, de Hemmling, où tous les détails domestiques de la vie sont si scrupuleusement représentés?

Après tout, le grand mérite de Goudouli repose sur ses chansons. C'est de la poésie toute franche, toute vivace. Si elle est parfois entachée de quelques expressions hyperboliques, ou parsemée de trop d'images empruntées à la mythologie, cela tenait au goût de l'époque, et le poète lui-même n'y a peut être pas songé. Ces chansons lui venaient tout naturellement par l'inspiration de quelque bon génie, et à peine étaient-elles achevées, qu'il les laissait partir, insoucieux de sa gloire comme de sa fortune. Sous beaucoup de rapports, ces chansons de Goudouli ressemblent à celles des anciens troubadours de son pays; on voit qu'elles proviennent de la même source, qu'elles sont aussi l'œuvre du gai savoir. Avec plus de profondeur de sentiment et plus de mélancolie, on pourrait les comparer à celles des Minnelieder allemands qui avaient trois cordes harmonieuses à leur lyre, l'une pour chanter l'amour, l'autre pour la nature, la troisième pour Dieu.

Toutes les poésies de Goudouli oblinrent un grand succès. Elles furent traduites en espagnol, en italien, et quand il mourut, il y eut désolation complète dans le monde des poètes; ce fut à qui viendrait le pleurer, à qui le chanterait le mieux; tantôt on l'appelait Tircis, tantôt on le comparait à une étoile. Les odes, les élégies, les quatrains, répétaient son nom à l'envi. Ce qu'il y a de meilleur dans toutes ces poésies amassées sur sa tombe comme des couronnes funéraires, c'est peut-être cette épitaphe bouffonne:

Hic est couchatus noster Godelinus amicus,
A la morte fola dicite mala precor;
Tam drollentem hominem cur, quare,bilena,
Quique Tolosanis gloria totus erat?

tuasti

«Ici est couché notre ami Goudelin. Adressez vos reproches

TOME VIII.

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à la mort insensée. O mort! pourquoi dans ta colère as-tu tué cet homme si drôle qui faisait la gloire de Toulouse? »

L'idiome béarnais se rapproche beaucoup du gascon; comme celui-ci, il transforme ordinairement les v en b et accentue les e; mais il est peut-être plus riche en voyelles, par conséquent plus doux à entendre. Avec cet idiome, on peut, comme en allemand, faire d'un verbe un substantif, et il a, comme la langue italienne, un grand nombre de diminutifs. Ainsi vous entendrez souvent dire dans le Béarn : Aïquette (filet d'eau), aïoullette (petite brebis), bouquette (bouche), maïnadette (petit enfant), courichon (petit cœur), etc.

Peu de pays offrent autant de sujets d'inspirations aux poètes que le Béarn. Là se trouvent tout à la fois, et les magnifiques scènes de la nature, et les traditions chevaleresques du temps de Charlemagne, et les souvenirs historiques du temps de Jeanne d'Albret, la courageuse reine. Non loin de là, vous verriez dans un rocher des Pyrénées la Brêche de Roland, le noble preux, et près de Pau est le village de Billère où naquit Henri IV. On arrive à ce village par un chemin bordé d'arbres fruitiers et d'aubépine. De chaque côté de la route, vous ne voyez qu'une prairie où paissent de gras troupeaux ; des massifs d'arbres y étendent leurs longs rameaux; des paysans qui portent encore le costume pittoresque de leurs pères, la petite veste, le béret, les longs cheveux tombant sur l'épaule, s'en vont gaiement à leurs travaux en sifflant leur chanson, et quand vous regardez cette vallée si fraîche, ce beau parc de Pau qui lui sert de point de vue, cette eau pure qui l'inonde, et ce ciel bleu du midi, vous sentez revenir toutes les idées d'amour qui apparaissent si souvent dans la vie du jeune roi de Navarre, et vous regardez autour de vous si vous n'apercevez pas la jeune fille aux yeux bleus et au chaste maintien, qu'il rencontra un soir près d'une fontaine. A l'entrée du village de Billère, s'élève une maison simple et jolie; un jardin couvert de fleurs s'étend sous les fenêtres, et une grille en bois en garde l'avenue. A travers les barreaux, vous pouvez contempler cette demeure champêtre ; c'est là que fut élevé le vainqueur de la ligue, l'amant de Gabrielle, et la maison appartient encore aux descendans de sa nourrice. En revenant tout droit de Pau, après avoir passé devant la caserne, vous trouveriez dans une rue étroite, une demeure plus simple

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