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autre reine, Élisabeth; le roi son fils fut décapité par ordre d'un autre roi, Cromwell; on peut dire que si le bourreau le manqua, c'est qu'il lui porta son coup trop haut ou trop bas. Si nous avions été le sculpteur chargé de le coucher à Westminster sur sa table de marbre, au lieu de ces lévriers et de ces lions qui soutiennent et qui gardent les statues des rois morts, nous lui aurions donné pour oreiller, le billot de sa mère; pour tabouret, le billot de son fils; image d'un roi qui ne peut pas s'étendre de tout son long dans l'histoire, sans toucher de la tête et des pieds à des échafauds.

A. GRANIER DE CASSAGNAC.

PARIS AU BORD DE L'EAU.

DU PONT DE BERCY AU PONT-NEUF.

La Seine a une source obscure; elle naît dans un village de la Bourgogne dont le nom est ignoré; elle sort d'un trou et passait autrefois tout entière dans la cuisine d'un couvent. Ainsi avant de parvenir à sa haute fortune, cette royale rivière a commencé par être laveuse d'écuelles comme l'impératrice Catherine.

Après avoir traversé en mince équipage la Bourgogne et la Champagne, voici qu'en passant à Montereau, la Seine fait connaissance avec l'Yonne, qui expire entre ses bras en lui léguant toutes ses eaux. Grace à cet héritage, la Seine peut se permettre de faire quelque figure; cependant, ce n'est que vers Nogent qu'elle prend ses lettres de noblesse en devenant navigable. Arrivée au pont de Charenton, elle entre en collaboration avec la Marne, qui lui verse tous ses fonds, afin qu'elle puisse dignement se présenter dans la capitale, y mener un train convenable, et faire toutes les dépenses exigées par les fonctions qui lui sont dévolues.

A son entrée à Paris, la rivière est reçue par les marchands de vin de Bercy; des milliers de tonneaux saluent le fleuve bourguignon, qui s'y connaît et qui met un peu du sien dans le nectar que fabriquent les Bacchus de la Rapée. La Seine, au début de sa course dans la capitale, est large, profonde, puis

sante. Paris, de son côté, l'accueille dignement et la fait épouser tout d'abord par son plus beau pont, le pont d'Austerlitz. D'un côté de ce pont, une belle avenue conduit à la place de la Bastille, de l'autre s'ouvre le Jardin des Plantes.

Il n'y a pas à Paris un établissement plus mal nommé que le Jardin des Plantes. Rien de plus incomplet, de plus faux que ce nom. Ce que l'on trouve le moins au Jardin des Plantes, ce sont des plantes ; vous y trouvez bien quelques serres chaudes où des tuyaux de poële dispensent aux fleurs étrangères et délicates les bienfaits d'un climat artificiel ; vous y trouvez aussi en plein air des parterres où chaque fleur est étiquetée, où une tige de fer se dresse pédantesquement à côté de chaque tige végétale, où chaque brin d'herbe est décoré d'une enseigne de ferblanc portant son nom et ses qualités écrits en latin d'apothicaire; voilà pour les plantes. Mais ce qu'il y a de remarquable surtout au Jardin des Plantes, ce sont les animaux qu'il renferme; les lions, les tigres, les panthères, qui rugissent dans leurs loges; les oiseaux de toute couleur et de tout ramage, qui perchent dans leurs vastes volières ; les gazelles, les vaches et les moutons exotiques qui paissent dans des vallées de dix pieds carrés et sur des collines d'une coudée de haut; l'éléphant et la girafe à qui les soldats, les bonnes d'enfant et les rentiers prodiguent le pain d'épice et les gâteaux de Nanterre. Ce que les curieux et les savans y recherchent surtout, ce sont les riches galeries où sont étalées d'admirables collections de minéraux, des squelettes, des monstres, toutes les merveilles de la nature, ses bizarreries, ses chefs-d'œuvre, mystères pris sur le fait. Ces galeries sont si importantes qu'on les agrandit aujourd'hui aux dépens du jardin, si bien qu'il n'y aura bientôt de plus place pour les plantes, et que la nature végétale sera obligée de se réfugier dans les herbiers.

ses

Après s'être saignée pour alimenter le canal Saint-Martin, la Seine se partage en deux bras pour former l'île Louviers qui élève dans les airs ses pyramides de bois à brûler; puis elle se partage encore une fois pour former l'île Saint-Louis. Rien n'est plus étranger à Paris que l'île Saint-Louis ; rien n'est plus paisible, plus province, que cette île où l'on ne retrouve en aucune façon la vie et les mœurs du continent parisien. Les mœurs de l'hermine et du mortier se sont conservées pures

et

intactes dans cette vallée parlementaire; elle respire un grave parfum de vieille magistrature; on y dîne encore à midi et on y soupe; on y porte la poudre, les souliers à boucles et les robes à ramages; on y joue au reversis de deux heures de l'aprèsdiner à cinq, et l'on y triche au jeu selon l'ancienne coutume du palais. En vain Paris a-t-il jeté quatre ponts à l'île Saint-Louis ; elle a résisté à ces avances, elle est restée isolée. Le silence de ses rues n'est que bien rarement troublé par le roulement importun des voitures; à peine dans ces voies désertes rencontre-t-on à la pointe du jour quelques passans en grande tenue : ce sont des plaideurs; on sait que pour ces gens-là les juges sont visibles tous les matins jusqu'à six heures en été et jusqu'à sept en hiver, Aussi est-ce un véritable paradis que l'île Saint-Louis. A toutes les fenêtres chantent des chardonnerets et grimpent des capucines et des gobéas. C'est une île de candeur, de silence et d'étude où rien n'arrive de notre bruit et de nos déréglemens; où l'on ne connaît ni notre littérature, ni nos passions. Quelquefois seulement les magistrats qui l'habitent, viennent tout pâles de l'audience, lui raconter les terribles aventures qui se dénouent à la cour d'assises, ces rapts et ces meurtres que les avocats généraux aussi bien que les académiciens de l'empire attribuent au drame moderne et au roman contemporain.Le récit de ces atrocités arrive dans l'île Saint Louis comme les fabuleuses nouvelles d'un autre monde et d'une autre époque ; l'innocence et les vertus de ce bienheureux quartier n'en reçoivent aucune atteinte; la morale y est toujours florissante, et jamais, des quais de Béthune et d'Anjou, qui festonnent cette île calme et sereine, le désespoir n'a plongé dans la Seine, jusque-là vierge de suicides.

L'île Saint-Louis renferme de vastes hôtels, autrefois splendides, aujourd'hui déserts ou dégradés. A la pointe de l'île, on remarque d'abord l'hôtel Lambert, « la première porte cochère en face de soi quand on arrive d'Auxerre par le coche, » dit Mme de Créquy. C'est l'ancien hôtel de Mesmes, qui, plus trad, en changeant de propriétaire, prit le nom d'hôtel Lambert. La magnificence de ce logis a épuisé jadis l'admiration de Paris, aujourd'hui c'est à peine s'il est visité par quelques curieux égarés. Il sert d'entrepôt à l'entreprise des lits militaires. Un concierge oisif vous montrera ses splendeurs en ruine.. Un esca

lier vénitien, d'abord, qui fut jadis peint en camafeu par de Witte, et que les maçonneries ont masqué d'un plâtre vulgaire. Vous montez: voici une galerie peinte par Lebrun; elle est coupée par un échafaudage où sont amoncelés des matelas. Tant pis pour les panneaux; le plafond seul est épargné; il représente les travaux d'Hercule. Parmi plusieurs pièces où les peintures et l'or sont prodigués, on remarque un salon et une chambre à coucher peints par Lesueur, tout cela outragé par des entassemens de paillasses, de traversins et autres ingrédiens de la literie militaire. On pourrait encore, en dépeçant l'hôtel Lambert, en retirer de bons morceaux; mais on n'y songe guère. Pendant que vous examinez avec admiration et respect ces reliques des arts et de l'élégance d'autrefois, le concierge cicérone vous dira que cet hôtel Lambert a appartenu à M. de Montalivet, et qu'après la bataille de Waterloo, Napoléon y a passé deux jours incognito. Tel est le dernier paragraphe de la légende du vieil hôtel de Mesmes.

L'hôtel Bretonvilliers touche à l'hôtel Lambert. M. Le Ragois de Bretonvilliers, en le faisant bâtir, fit construire en même temps pour sa commodité le quai de la pointe de l'île SaintLouis, qui lui coûta huit cent mille livres. Les peintures de Lebrun, de Lesueur et de Mignard, abondaient dans cette riche demeure, qui, au commencement du siècle dernier, logea les bureaux de MM. les fermiers généraux, et qui est aujourd'hui encore plus déchue que l'hôtel Lambert.

L'île Saint-Louis fut informée de la révolution de juillet par un biscayen, qui destiné à l'Hôtel-de-Ville, dévia de son chemin, et vint se planter en face du pont de la Cité, à l'angle de la rue Saint-Louis. On l'a laissé dans le trou qu'il s'est fait, et on a écrit au-dessous : 28 juillet 1830. Vers la pointe de l'île, contre le quai de Béthune, la rivière commence par être habitée. Là se trouve l'école de natation de Petit, dont les anciens élèves de Sainte-Barbe et de Henri IV conservent le souvenir.

Passons maintenant à la troisième île que forme la Seine, l'île de la Cité. La Cité était autrefois tout Paris; elle en a conservé toutes les misères. La richesse et l'industrie se sont détachées de ce quartier et ont passé les ponts pour se répandre et se produire partout; mais les plaies sont restées là. Notre-Dame est la seule splendeur que la Cité ait conservée. Autour de la vieille

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