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d'habiter plus souvent, et vous diray, sans taxer le nombre, que j'en ay vu une très grande quantité, faisans en la même manière que je viens de dire. Chose qui est autant agréable que l'on puisse imaginer, car ces animaux se jetteront à corps perdu d'arbre en arbre, de branche en branche, comme pourroit faire un oyseau bien volant, »

Après avoir décrit l'effroi que l'arrivée subite d'un étranger produit sur toute la troupe, le vieux voyageur raconte avec la même grace les ruses qu'emploie l'animal pour aller boire dans la forêt.

«Sçavez-vous avec quelle industrie? Le gros de l'armée s'arreste à trois cens pas de la fontaine et envoye des espies, lesquelles la viennent visiter et les advenues d'icelles, regardant soigneusement deça delà s'il n'y a rien qui branle, et si quelques ennemis ne sont pas aux aguets. Si elles aperçoivent quelqu'un, elles crient d'une voix affreuse, et gaignent au pied au lieu où est l'armée; puis, quelque tems après, elles retournent et font comme devant, et au cas que la place soit seure, elles crient et jappent pour faire venir la trouppe ; laquelle estant arrivée, garde cette autre ruse : c'est qu'elles boivent toutes une à une, et à mesure qu'une a beu, elle passe outre et monte aux arbres, et ainsi file à file jusqu'à la dernière. Elles boivent et s'échappent d'un autre côté qu'elles n'estoient venues, afin d'achever leur procession; car de la fontaine, elles vont au sabat traicter leurs amours. »

N'ayez pas peur que ces guenons s'esloignent des arbres, » ajoute le père Ives dont la cabane touchait à la forêt, et qui a été maintefois témoin de leur manége. « C'est leur refuge.) si elles voient passer un canot de sauvage assez loing d'elles, elles le saluent de quelque risée à leur mode ; que si le canot approche du lieu où elles sont, haut le pied, vous ne les tenez pas, l'armée déloge.mp Jrovienninote zollɔ Jasiansim914 „ald 29 Mais achevons le drame, voyons maintenant comment la ruse sait vaincre toute cette agilité, et guettons l'once américaine au milieu de ces bonds joyeux. Tantôt, dit le père Ives, elles battent les boissen circuit où les monnes se retirent et après les avoir aculées en pointe, se jettent après à corps perdu,sur des branches ; d'autrefois elles les attendent bien cachées sous les feuilles au lieu où elles reconnoissent que ces monnes vien→

nent boire. Davantage, elles se mussent dans la vase où elles ont remarqué que les guenons viennent pescher des moulles et des crabes... Elles font encore plus: quand elles voient que les guenons sont en quelque lieu assemblées, elles vont bellelement le ventre contre terre, et lors elles s'estendent feignant estre mortes; la première guenon qui passe en ce lieu s'arreste, et appelle les autres qui viennent incontinent, et descendent le plus bas qu'elles peuvent, se défiant toujours pourtant, afin de contempler et considérer asseurément si leur ennemie est morte, grinçans les dents et marmotans un ramage de congratulation à sa mort, mais elles sont bien estonnées que la trespassée ressuscite à leur voix, montant plus vite qu'elles au faîte des arbres, où elles changent leur vie en mort non simulée, mais véritable. >>

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Je m'arrête dans ces citatious qu'il serait facile de multiplier; elles suffiront, je pense, pour prouver que le père Ives d'Évreux, dont il est question ici pour la première fois, est de cette famille d'admirables écrivains, dont les épanchemens furent trop faciles et les admirations trop naïves, pour que la pompe un peu glorieuse du grand siècle ne les étouffàt pas. Ce désordre des vieilles forêts, ce pêle-mêle d'observations, ces enthousiasmes sans fin et quelquefois sans motif apparent bien réel devaient être souverainement dédaignés par les hommes qui songeaient au Traité du Sublime de Longin, entre les ifs émondés du parc de Versailles. Port-Royal seul, dans sa religieuse solitude, eût pu comprendre ces élans mystiques des vieux missionnaires, ces ardeurs presque insensées, qui les entraînaient de forêts en forêts, pour surprendre une velléité naïve de religion, pour guetter une ame et la rendre à Dieu; la persécution que subissaient eux-mêmes les pieux solitaires, la forme un peu sévère de leurs études, et peut-être une haute préoccupation des discussions théologiques, les empêchèrent d'écouter attentivement ces voix chrétiennes pleines de tendresse, qui soupiraient en même temps qu'eux dans les forêts américaines. Mais les contemporains du père Ives, qui quittaient souvent leur couvent pour n'y point retourner de longues années, avaient beaucoup vu, ils avaient été d'ingénieux observateurs, et c'est ce qui les sauva d'un oubli complet; lorsque Buffon avait épuisé toutes les formes majestueuses du

style, et qu'il se sentait fatigué, c'était à cette source ignorée qu'il allait se rafraîchir. Lorsque Bernardin rêvait les graces infinies de la nature, on le sent à ses études, souvent il avait relu les vieux missionnaires.

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"Celle qui revenait des jardins de Jules César situés sur le Tibre, celle qui passait dans sa litièré portée par des esclaves éthiopiens, cette jeune fille escortée d'un intendant monté sur un cheval des Gaules, cette Romaine, était une descendante de la famille Claudia', et elle portait le nom de Sylvia.

Elle revenait à sa maison de la ville, vers la chute du jour', la chaleur étant excessive cette année-là, S Sylvia avait coutume de se promener au bord des eaux sous les ombrages sacrés, légués au peuple romain par le divin Jules. Elle rencontra quelques chevaliers qui partaient pour Préneste, et qui la saluerent; mais elle vit à peine leur salut; peut-être même détourna-t-elle la tête du côté opposé. Il passa un prêtre de Cybele, et cet homme la regarda ave des yeux ardens' ; la jeune fille tira le rideau de sa litière ; les prêtres de Cybele étaient mal famés dans l'Italie. Oui, mais il vint une femme du peuple portant une amphore sur la tête, et paraissant haras

sée sous ce poids; Sylvia dit à un des esclaves qui la suivaient d'aider la plébéienne à transporter jusqu'à sa demeure de l'eau du Tibre, et elle lui donna de sa belle main une pièce d'argent. Voyant sa grace et sa bonté, la pauvre Romaine lui dit:

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Si ta mère vit encore, ô jeune patrone, elle doit être assurément plus fière de toi que Cornélie ne l'était de ses fils les deux Gracques immortels. Je suis pauvre, mais sois sûre que je sacrifierai, en ton honneur, un coq à Esculape, et que j'offrirai pour toi deux ramiers à l'autel de la pudeur.

La patricienne répondit :

— J'accepte tes vœux... ceux qui vont en litière en ont souvent plus besoin que les autres...

Elle lui fit donner en même temps six autres pièces d'argent par Norbanus, son intendant, puis elle dit à ses porteurs de hâter le pas. La femme plébéienne ne se soucia plus de sa cruche d'eau ; elle la prit des mains de l'esclave, elle l'abandonna sur la rive, et se rendit au quartier du Tévéron, afin de se réjouir avec les siens. Or, cette femme était une de celles qui faisaient profession de laver les tables et le pavé des boutiques; elle avait l'oreille fine, la parole facile et l'esprit insinuant. On la nommait Cartilla.

En rentrant dans sa maison, Sylvia reçut des mains de son affranchi une lettre scellée d'un cachet qui représentait un sphynx. Elle se hâta de la lire, reconnaissant qu'elle était de César Auguste; puis elle répondit celle que voici .

Il y a bien des gens qui te diraient à ma place; tes désirs sont des ordres; pour moi, César, je suis heureuse de ton offre, mais je réfléchirai avant d'accepter. J'ignore pourquoi tu reprends ton sphynx, la tête d'Alexandre dont tu te servais pour cachet, était plus digne de toi. Le sphynx est la ruse. perfide... Scelle tes lettres avec ton premier cachet, César. Parménion et moi, nous t'en supplions

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Je te salue. » ‚) #7f} ¥ £rf} La nuit étant venue, Sylvia se retira dans l'appartement secret de sa maison; elle était fatiguée du poids de sa journée, bien qu'elle n'eût marché qu'en litière et qu'elle se fût assise long-temps sur un tapis de peau de léopard à l'ombre des sycomores; elle était harassée de lassitude, la faible et mince jeune fille... c'était la maladie ordinaire des patriciennes, en ces

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