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sortis, le Maître précéda le roi, et ils se mirent à marcher en silence. Ils traversèrent la salle d'armes, où le roi aurait pu voir le poignard dont sir Patrick frappa Rizzio. Alexandre ouvrit une porte qui donnait sur un corridor; il y fit entrer le roi, ferma la porte à clef, prit la clef, et passa outre. Au bout du corridor, il ouvrit une seconde porte, fit passer le roi, ferma la porte à clef, prit la clef, et passa encorre; alors ils se trouvèrent dans une salle qui touchait le pied d'une tourelle; il y avait encore une porte, qu'Alexandre ouvrit et qu'il referma comme les deux autres, emportant toujours la clef avec lui; enfin, après avoir monté quelques marches, ils trouvèrent une quatrième porte qui fut ouverte et refermée. La salle où ils étaient parvenus cette fois était petite et avait un cabinet; il n'y avait qu'une petite fenêtre grillée, par où entrait le jour. C'est là que Jacques, qui commençait à devenir inquiet, demanda où était donc le trésor.

Alors Alexandre tira avec force une tapisserie; Jacques se trouva en face d'un homme armé de pied en cap, qui tenait une épée nue à la main, et Alexandre lui dit avec énergie: Sire, mon trésor, c'est la vengeance ; vous allez mourir ! Mourir! s'écria le roi. Oui; sire; et vous pouvez remercier Dieu qu'il vous ait épargné ceci depuis seize ans. Vous avez fait mourir notre père à Stirling, il y a seize ans. Vous l'avez fait mourir traîtreusement, et après lui avoir pardonné; vous l'avez fait mourir, sans vouloir lire la requête qu'il vous adressa de sa prison; vous l'avez fait mourir, sans lui accorder les quarante jours qu'il vous demandait, pour se justifier du crime de haute trahison; et c'est bien le moins que la justice arrive pour le gentilhomme, comme pour le roi. Vous avez le billot, sire, nous avons le poignard; vous verrez bien qu'au bout du compte, l'un vaut l'autre, D'ailleurs, ceci est pour la mort de mon père et pour l'exil de mon grand-père ; ceci est pour la lutte de nos races; ceci est pour le papisme; ceci est pour toutes les choses qui se sont aigries, depuis seize ans, dans le cœur de mon frère et dans le mien. Vous allez donc mourir, sire! C'est un arrêt que je prononce, et auquel il n'y a rien à faire qu'à obéir. Si vous avez levé les yeux sur l'écusson qui est audessus de la porte de ce château, vous y aurez lu la devise

héréditaire des nôtres, AU FAIT, DEED SHAW; or, sire, je vous jure que nous y sommes; le fait est que vous allez mourir !

Le roi, qui avait d'abord pâli, répondit, avec un grand calme, que la mort n'était pas une chose qu'on éludât et que puisqu'elle venait ainsi frapper à sa porte, il fallait bien lui ouvrir; mais, qu'à vrai dire, il ne voyait pas le calcul d'Alexandre en tout ceci, et qu'il y allait bien moins de son profit que de sa perte. Que sans doute il était bien facile de le tuer, lui, le roi, en l'état où Dieu l'avait mis, mais que lui mort, la royauté ne serait pas pour cela étendue raide avec son cadavre; qu'il avait laissé à Holyrood-House le jeune prince son fils, et que la Providence, qui avait la sauvegarde des royaumes, lui placerait sur le front la couronne toute sanglante, laquelle serait ainsi désormais deux fois vénérée du peuple, comme étant auréole du ciel et auréole de la terre, couronne de roi et couronne de martyr. Qu'il n'était pas aussi facile qu'il l'avait pensé de renverser une maison royale, et que tout marteau de sujet se brisait à la démolir. Que la vengeance, qu'il avait si patiemment nourrie pouvait s'appeler une passion bien aveugle, qui l'avait empêché de voir que la mort du roi chasserait sa famille du sol de l'Écosse, et ferait semer du sel sur les ruines de ses châteaux; que c'était surtout une passion bien monstrueuse, qui lui avait fait oublier qu'ils étaient parens, et considérer un parricide comme une offrande qui n'était pas indigne d'être offerte au souvenir des siens. Qu'il ne disait pas cela pour ne pas mourir, puisque sa poitrine était nue, mais pour le ramener à la raison et à la justice, dont il s'était écarté. Qu'étant toujours son roi, il lui ordonnait de lui ouvrir la porte; et qu'étant toujours son ami, il lui donnait son pardon.

-Alexandre resta foudroyé sous le coup des paroles du roi ; il n'avait pas trouvé de lui-méme toutes ces raisons puissantes qui s'étaient dressées l'une après l'autre devant lui, et qui allaient faire éternellement de sa mémoire la mémoire d'un fou, au lieu de la mémoire d'un héros. Il demanda au roi sa parole de ne point faire de bruit, et qu'il allait consulter le comte son frère. Quand le comte le vit venir, il crut que le roi était mort; mais Alexandre s'étant approché, et lui ayant conté quelque chose de ce qui venait de se passer, le comte lui répondit qu'il voyait

bien qu'il avait eu peur, et qu'il allait y aller lui-même. A ces mots Alexandre revint promptement à la tour, sans rien dire. En entrant, il ôta sa jarretière et dit au roi : - Pardieu ! sire, il n'y a pas de remède; il faut que vous mouriez. - En même temps il s'élança sur lui, comme pour lui serrer la gorge avec sa jarretière. Alors une lutte terrible et désespérée s'engagea. L'homme armé, que le roi était parvenu à gagner, se mit à crier trahison! trahison! au secours par la petite fenêtre grillée; et les gentilshommes du roi, qui le cherchaient en ce moment, ayant entendu ces cris, se précipitèrent vers le lieu d'où ils partaient. Le duc de Lennox et le comte de Marr étant montés par le grand escalier de la tour à la porte de la salle où était le roi, trouvèrent cette porte fermée, et se mirent à la frapper désespérément, mais en vain. Sir John Ramsay y étant parvenu par un petit escalier secret, donna deux coups de poignard à Alexandre Ruthven, le poussa vers la grande porte, qu'il ouvrit, et sur le seuil de laquelle le comte de Marr et sir Hugues Herreis achevèrent de le tuer. Tout d'un coup, le compte de Gowrie se présente, à la tête de sept hommes armés, et tenant une épée de chaque main. Les gentilshommes du roi le cachent dans le cabinet, se serrent devant la porte, et font face résolument au comte. Alors sir Ramsay s'élance d'un bond, frappe au cœur le comte de Gowrie, qui tombe mort sans pouvoir dire un mot. A cette chute ses serviteurs prennent la fuite, et le roi et ses gentilshommes tombent à genoux pour remercier Dieu.

Le bruit effroyable de cette bataille et la fuite des gens du comte avaient mis en émotion toute la ville de Perth. Les habitans accoururent en armes, et menacèrent de venger la mort des lords de Ruthven. Mais le roi harangua la populace d'une fenêtre, et admit les magistrats auprès de lui; la Providence, qui avait parlé une première fois par sa bouche, parla une seconde, et dispersa ces grains de sable que le vent de la colère avait soulevés comme un tourbillon. Avant d'enlever les deux cadavres, on trouva dans les vêtemens du comte la fameuse amulette qu'il portait depuis Orléans ; le récit officiel qui fut dressé le lendemain de la catastrophe, porte que dès que les lettres mystérieuses eurent formé le mot TETRAGRAMMATON, le sang du comte commença de couler.

Ce jour-là, le 5 août 1600, la maison des comtes de Gowrie s'écroula pour jamais. Trois générations étaient vaincues par la fortune d'un homme. Le parlement d'Écosse fit le procès aux cadavres ; le nom de Gowrie fut aboli par arrêt. Les deux jeunes enfans, William et Patrick, moururent sans postérité. André passa en France, s'y maria, eut deux filles de son mariage, et consuma les débris de son patrimoine à la recherche de la pierre philosophale. L'illustre peintre Antoine Van-Dyck, qui était également passionné à la poursuite du grand œuvre, se prit d'amitié et d'admiration pour André de Ruthven, , le dernier des Gowrie, et épousa sa fille aînée.

S'il y a encore aujourd'hui des descendans de Van-Dyck, ils ont des droits relatifs à la couronne d'Angleterre, et, par le mariage de la sœur du roi Charles II avec le duc d'Orléans, ils en ont aussi à la couronne de France.

IV.

Voilà cette conspiration de Gowrie, que tant d'historiens et de chroniqueurs ont racontée, en ajoutant qu'ils renonçaient à expliquer ce qu'elle a de mystérieux. Elle a été détaillée d'abord par le roi Jacques lui-même, quien fit faire un récit le lendemain de l'événement; ensuite par George, comte de Cromartie, en 1713; Robertson, Laing et Walter Scott, et sans doute beaucoup d'autres, en ont longuement parlé, sans compter Pierre de l'Estoile, qui en a fait un récit dans son journal de Henri IV; ajoutons qu'il y a deux romans de Maccauley, Saint-Johnston et Logan de Restalrig, qui sont construits l'un et l'autre avec la conspiration de Gowrie. Cependant, malgré tous ces récits, nul n'ose dire qu'il a trouvé le sens de cette tragique aventure. L'un dit qu'elle a eu pour cause l'amour d'Alexandre de Ruthven pour la reine, qu'un autre nie; celui-ci pense que le comte de Gowrie espérait avoir le trône d'Écosse après la mort du roi, et celui-là répond que Jacques avait déjà deux enfans à cette époque, et que d'ailleurs la duchesse de Lennox, lady Arabelle Stuart, était plus près de la couronne que lui; d'autres, et le nombre en est grand, refusent de croire à la conspiration, et disent que c'est un conte imaginé par le roi, pour couvrir l'assassinat des deux lords et la destruction de leur famille. Il est à remarquer

qu'on avait cette dernière opinion à Édimbourg, huit jours après le fait. Ainsi on vit le roi aux prises avec deux gentilshommes; on vit deux cadavres percés de poignards, traînés durant quatre mois devant deux cours de justice, et ce qu'en avaient laissé les vers attaché ignominieusement à un gibet; une antique maison tombée en ruines; une race mêlée de sang royal exterminée par le fer et par les lois; un nom illustre parmi les noms illustres de l'Écosse déclaré infâme, et, au bout de cette longue et douloureuse passion infligée à deux hommes vivans et morts, on se demanda, et l'on se demande encore, si c'était cruauté, si c'était justice, si c'était vengeance?

Pour nous, nous croyons à la réalité de la conspiration ; seulement, nous trouvons qu'elle doit être unie au coup de main de Ruthven et à la mort de Rizzio, dont elle est la suite. Ainsi que nous l'avons dit, ce sont trois actes du même drame. Vue ainsi, la conspiration n'est autre chose que la fin d'une de ces luttes de noble à roi, continuée durant plusieurs générations, et dont il n'est pas rare de trouver des exemples dans l'histoire. Dans la famille des ducs de Norfolk, de la maison de Howard, à partir de sir Thomas, quatrième duc, et de l'année 1572, il arrive, pendant quatre ou cinq générations, que les dues sont régulièrement et d'une manière alternative décapités et rétaIblis; on tue le père, on confisque ses biens, et l'on rétablit le fils; on tue le petit-fils, on confisque ses biens, et l'on rétablit 'arrière-petit-fils, et ainsi de suite. Le motif de ces rébellions renaissantes, ce sont la plupart du temps des sortes de caprices qu'on ne s'explique pas; mais il y a au-dessous une cause générale et permanente, que les historiens n'ont pas vue, et que nous avons cru important de signaler.

La conspiration de Gowrie éclata le 5 août de l'année 1600. Douze ans auparavant, le 25 décembre 1588, le duc de Guise était assassiné à Blois ; et deux ans après, le 31 juillet 1609, Charles de Gontaut, maréchal, duc de Biron, était exécuté à la Bastille. L'Angleterre avait eu aussi à cette époque, et devait avoir plus tard ses holocaustes de têtes nobles; vingt-huit ans auparavant, le 5 juin 1572; la reine Élisabeth prenait celle du duc de Norfolk; un an après, en 1601, elle prenait encore celle du comte d'Essex. Si l'on veut donc se placer sur le dernier jour qui complète et couronne le xv1° siècle, et de là, comme du

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