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homme, et alla s'asseoir à son grand foyer. Peu à peu, quand le roi fut assis, le comte de Gowrie lui présenta ses hôtes. Ils étaient si nombreux, venus de tant de côtés et de si loin, que cela lui donna à penser. Il retrouvait là, inopinément, une grande partie de sa noblesse d'Écosse, qu'il connaissait toute, comme c'était l'habitude, on pourrait dire le devoir des rois d'alors. Bien plus, d'heure en heure, de nouveaux-venus encombraient les salles, et les cours s'emplissaient de chevaux. C'étaient les conjurés qui venaient au rendez-vous. Les choses se faisaient cérémonieuses, froides, singulières, terribles; Jacques se vit pris et eut peur.

Tout ce jour, le roi dissimula néanmoins ses terreurs et afficha bonne contenance. Il resta, soupa et coucha, se faisant du mieux qu'il put bon hôte et joyeux convive. Il dormit peu dans cette prison, et passa la nuit à réfléchir. Le parti auquel il s'arrêta fut d'organiser une chasse pour le lendemain, et de s'enfuir au milieu du bruit de la meute. En effet, il se prépara dès le matin, et parla de la fortune de la journée. Sa ruse était une ruse d'enfant ; les lords, qui avaient eu tant de mal à le prendre, n'avaient garde de le laisser échapper. Ils entrèrent en corps dans sa chambre, ayant à leur tête le comte de Gowrie, et ils lui présentèrent un mémoire pour lui demander la disgrace des deux favoris, Esme Stuart et le capitaine Jacques. Le roi écouta patiemment pour la circonstance ; mais la lecture faite, il s'avança vers la porte, croyant sortir.

Ici fut levé le masque; les lords et le roi se comprenaient mutuellement depuis la veille, sans se parler; ils se parlèrent. Au moment où Jacques se dirigeait vers la porte, le tuteur du jeune lord de Glamis, fils de l'ex-chancelier d'Écosse, le repoussa rudement. Jacques se récria avec dignité, puis ordonna avec force, puis menaça avec colère: la colère, la force et la dignité se brisèrent contre la volonté des lords, comme le javelot de Priam sur le bouclier de Pyrrhus. Après avoir essayé d'être roi, Jacques redevint ce qu'il était réellement, un pauvre et faible jeune homme. Il se mit à pleurer. Le lord de Glamis, toujours apre et sévère, lui dit alors : Pourquoi ces larmes? il n'y a que les enfans qui pleurent. Jacques ne pleura plus; sa douleur se fit haine, son obéissance ressentiment. Les paroles du lord de Glamis lui étaient entrées bien avant dans les entrailles, et il

ne devait pas tarder à venger les larmes d'un enfant par les larmes d'un homme.

Dès le lendemain, la nouvelle de la captivité du roi se répan dit en Écosse et parvint à Édimbourg. Le duc de Lennox et le capitaine Stuart en furent foudroyés. Le premier tenta inutilement de soulever la ville pour délivrer Jacques ; les lords protestans étaient plus populaires que le roi. Le capitaine, poussé par son génie de soldat, se mit à la tête de quelques hommes, et se présenta devant le château de Ruthven. Les troupes des conjurés, commandées par le comte de Marr, l'arrêtèrent; alors il s'avança bravement, seul, jusqu'à la porte. On lui laissa la vie, sur les instances de Jacques, mais on l'envoya prisonnier au château de Stirling. Une lettre du lord Hudson à sir Francis Walsingham, secrétaire de la reine Élisabeth, écrite de Berwick, le 14 août 1584, deux ans après l'aventure de Ruthven-Castle, fait connaître par quelles voies les lords dominèrent l'esprit du roi ; toutes les fois que l'enfant résistait et se souvenait de son nom, de son rang et de sa couronne, ils le menaçaient de lui faire servir à dîner la tête du capitaine Jacques dans un plat d'argent. Ce fut ainsi, ce plat et cette tête à la main, qu'ils obtinrent d'avance le pardon du roi. Jacques écrivit de sa prison qu'il n'était pas prisonnier, qu'il défendait toute tentative qu'on ferait en sa faveur, et il ordonna au duc de Lennox de quitter l'Écosse avant le 20 octobre.

Ceci se passait le 28 août. D'Édimbourg, la nouvelle du coup de main de Ruthven était parvenue à Londres ; de Londres, elle parvint à Paris. Ce n'était pas encore l'habitude des rois, au XVIe siècle, d'entretenir des ambassadeurs en résidence auprès des souverains étrangers; ils envoyaient seulement, dans les circonstances extraordinaires, de grandes chevauchées d'ambassadeurs emplumés et empanachés. Sir Robert Rowes et sir George Carrey arrivèrent de la part d'Élisabeth, M. de Lamothe Fénélon de la part de Henri III. Du reste, l'assemblée des états approuva la conduite des lords, et l'assemblée du clergé déclara que c'était une œuvre agréable à Dieu. Le tout point, la noblesse resta donc victorieuse. Les victorieux sont faciles ; les lords conduisirent le roi à Holyrood-House. En apparence, qu'avaient-ils à craindre? Le duc de Lennox avait quitté l'Écosse

le 30 décembre, pour se rendre en France; le capitaine Stuart était prisonnier ; le roi se résignait alors ils se relâchèrent de la bonne garde qu'ils faisaient, et le roi s'échappa.

Voici comment cela eut lieu. C'était le 27 juin 1583, dix mois après le coup de main. Le roi était alors à Falkland, demeure royale dans le comté de Fife. Il prétexta le désir de rendre une visite au lord Hamilton, comte de March, son grand oncle, qui était prieur de Saint-André. L'abbaye n'étant qu'à quelques milles de Falkland, à l'est, au bord de la mer, Jacques obtint la permission d'y aller. Il avait pour colonel de la garde de sa personne William Stuart, son parent, qu'il avait gagné. A Saint-André, Jacques se logea par affectation dans une maison ordinaire. Puis, comme par curiosité de promeneur, il demanda de-visiter le château. Une fois entrés, lui, le colonel Stuart et quelques personnes sûres, on ferma les portes; et voilà le roi sauvé.

Dès le lendemain, il était trop tard pour le reprendre. Les lords catholiques et quelques lords protestans entrèrent avee leurs troupes à Saint-André. Toutefois, libre, le roi fut d'abord moins irrité qu'on n'eût pu craindre. Il se livra tant à la joie, qu'il en oublia le ressentiment. Il pardonna aux lords ; il alla même visiter le comte de Gowrie dans son château de Ruthven. Il est vrai qu'il y alla bien accompagné. Malheureusement la délivrance du roi amena la délivrance du capitaine Jacques; et le capitaine fut moins clément que son maître.

Le capitaine reprit en un jour toute sa vieille autorité ; il prit même la part du duc de Lennox, qui venait de mourir dans l'exil. Il fit oublier au roi son pardon solennel et absolu; et un édit fut rendu, qui exigea des lords qu'ils vinssent demander leur pardon à genoux. Ils refusèrent tous le pardon à ce prix, et se réfugièrent en Angleterre. Ils refusèrent tous, excepté deux, le comte d'Angus et le comte de Gowrie. Ajoutons que cette soumission était une espèce de diplomatie. Quand les nobles en révolte contre les rois se trouvaient vaincus, ils demandaient pardon en attendant une occasion meilleure. Il ne paraît pas d'ailleurs qu'il s'attachât alors quelque défaveur à ces paroles à double tranchant. Quand Louis XI fit décapiter Jacques d'Armagnac, il lui avait déjà pardonné cinq fois.

Le comte de Gowrie se soumit donc, en attendant. Cette tête si fière se courba pour se relever plus haut. Le démon des luttes civiles, qui l'avait toujours possédé, n'était pas près de laisser dormir en paix son ame et son épée. Le capitaine Stuart, qui le connaissait, lui fit donner l'ordre du roi de sortir d'Écosse. Ce Coriolan banni regarda quelque temps, autour de son pays, à quel foyer il irait s'asseoir. Il présentait, lui et les autres lords, un singulier spectacle. Il n'y a pas six mois qu'ils gouveraient le royaume, et maintenant ils étaient tous proscrits et fugitifs. Ils n'avaient perdu néanmoins ni leurs fortunes, ni leurs vassaux, ni leur habileté, ni leur bravoure; mais ils avaient perdu le roi. Cette jeune tête blonde, que le morion du moindre des leurs aurait écrasée, se dressait à l'heure présente au-dessus de leurs têtes chenues; cette petite main qui n'aurait pas tenu droite et ferme la claymore du plus faible Écossais des montagnes, les poussait maintenant hors de leur patrie; ils étaient les mêmes qu'hier, et pourtant ils étaient vaincus, vaincus sans bataille. Il ne leur manquait qu'un enfant qu'on leur avait enlevé; mais cet enfant était pour eux la chevelure vierge pour Samson, ou les flèches d'Hercule pour Philoctète.

Le comte de Gowrie obéissait donc aux ordres du roi. Il était à Dundee, et il attendait qu'un vaisseau mît à la voile pour passer en Angleterre. Toutefois, il ne quittait l'Écosse que l'ame navrée. Il s'en allait vaincu. Il cherchait du regard s'il ne resterait pas encore quelque espérance debout, parmi ses espérances ruinées. Il retardait le moment de l'exil sans rien espérer de précis, mais il obéissait à cet instinct invincible qui fait que le patient tourne la tête du haut de l'échafaud, pour voir si tout est vraiment fini. Ses pressentimens étaient fondés, et la sagacité de cet homme indomptable avait flairé une rébellion. Il eut avis que les comtes d'Angus et de Marr, et le tuteur du jeune lord Glamis, devaient surprendre le château de Stirling. Dès-lors, il ne vit plus l'exil, il ne vit plus l'Angleterre, il ne vit plus le vaisseau à l'ancre; il vit ce que son ame n'avait cessé de contempler depuis sa naissance, une bonne révolte, une bonne guerre, la tête du capitaine Jacques présentée au roi dans le plat d'argent de Ruthven ; et puis sans doute, mais vague et dans le lointain, ce qui survenait tou

jours en définitive aux gentilshommes conspirateurs, quinze jours de gloriole, une prison ouverte ou un billot.

Il fut affreusement réveillé au milieu de ses rêves. Le colonel Stuart, capitaine de la garde du roi, vint à Dundee avec sa troupe, et fit le siége de la maison qu'il habitait, et le lord Petten Weym, chancelier d'Écosse, le somma de se rendre prisonnier du roi. Il paraît que le capitaine Jacques avait eu des soupçons; le souvenir du plat d'argent lui tenait au cœur. Le comte fit une longue résistance, mais il fallut céder. Il rendit son épée, et fut conduit au château d'Édimbourg. Le capitaine Jacques en était gouverneur. C'était pour le comte un sinistre augure. Il était bien rare en effet que le capitaine Jacques relâchât un prisonnier, surtout quand c'était un ennemi. C'était lui qui avait été chargé de la garde du comte de Morton, et qui l'avait conduit au supplice. C'était vers le milieu du mois de mars 1584 que le comte de Gowrie fut conduit à Édimbourg. Deux jours après, les comtes d'Angus et de Marr surprirent en effet le château de Stirling; mais l'arrestation du comte de Gowrie et l'arrivée de l'armée du roi rendirent ce coup de main inutile. Ils se réfugièrent en Angleterre. Le comte d'Angus fut seul surpris et arrêté.

Voilà donc le comte de Gowrie pris au piége. On le conduisit à Stirling au commencement d'avril, et on lui fit son procès. Dès ce moment, le reste de sa vie, qui fut court, appartint au juge ou au bourreau, ce qui était la même chose. La cour qui le jugea était composée de huit comtes et de huit lords. Avant la sentence, il usa, comme tous les gentilshommes jugés comme lui et pour les mêmes motifs que lui, pendant le xveet le xvIe siècle, de tous les moyens dilatoires qui pouvaient le sauver. Comme son but n'avait pas été de mourir, mais de triompher, il ne songea à mourir que lorsqu'il ne put pas faire autrement, et alors il donna sa tête résolument, avec calme, sans bravade, comme s'il ne l'avait portée quarante ans sur ses épaules que pour la livrer ainsi. William Sanderson, dans sa chronique de Jacques VI et de Marie Stuart, transcrit la supplique qu'il adressa au roi avant sa condamnation. Elle est simple, froide, respectueuse ; mais elle ne demande pas la vie. George Douglas, huitième comte d'Angus, fut décapité après lui. Sanderson rapporte que le comte de Gowrie s'était adonné ar

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