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y a dans l'enceinte de la ville un assez grand nombre de casernes, un parc d'artillerie muni de bombes, d'obus, de plusieurs pièces de canon en fonte, dont la plus belle porte les armes des rois de France, et a été fondue sous Louis XI.

Sept couvens, la plupart déserts, sont disséminés dans divers quartiers. Un moine, portant l'habit de son ordre, habite quelquefois seul les sombres galeries du monastère. Les églises de ces couvens sont, ainsi que la métropole, vastes, propres et ornées; mais on y voit fort peu de tableaux. Ces églises restent presque toujours fermées. La cathédrale est la seule qui, les dimanches et fêtes, réunisse un assez grand nombre de fidèles. Il y a foule surtout à la messe où les musiques militaires des deux régimens exécutent tour à tour des airs graves et solennels parfaitement en harmonie avec la sainteté du lieu.

Les étrangers ne sont pas embarrassés pour se loger à VeraCruz, comme à Alvarado et à Tlacotalpan. On y trouve des auberges (fondas) fort bien tenues, dont plusieurs par des traiteurs français, chez lesquels on est bien nourri pour une ou deux piastres par jour. On repose la nuit couché sur des lits de sangle sans matelas ni paillasse, enfermé sous une moustiquaire de gaze, appelée pavillon. Sans cette cloche légère, transparente, mais impénétrable aux moustiques, ces insectes vous empêcheraient de dormir. Souvent même, nonobstant toutes précautions, il est impossible de fermer l'œil, tourmenté que l'on est par la piqûre et le bourdonnement de quelques-uns d'entre eux qui sont parvenus à se glisser sur votre couche. Il est pénible alors de sentir la nuit peser sur ses paupières, tandis que le seseno, la lanterne d'une main et la hallebarde de l'autre, parcourt la ville en chantant les heures, et que sa voix sonore et pénétrante, après avoir frappé vos oreilles du salut habituel : Ave Maria purissima, fait entendre les mots désolans : La media de noche, il est minuit. Il est pénible alors de distinguer les voix sourdes des sentinelles qui veillent autour des remparts, et dont les cris mille fois répétés forment, pour ainsi dire, une longue chaîne de sons dans les ténèbres.

Sans le vomito negro, les fièvres intermitentes et les moustiques, la Vera-Cruz serait une des villes les plus florissantes de l'univers. Sa position unique peut-être, qui la rend le canal indispensable de l'Europe pour alimenter le Mexique de ses

produits agricoles et industriels, les richesses du sol de l'état dont elle est la capitale, lui donnent une haute importance. Tant que le monde aura soif de l'or, il se trouvera des aventuriers qui iront braver dans son enceinte l'horrible fièvre jaune, et renouveler cette population décroissante que le fléau décime chaque année.

(Journal d'un voyageur.)

UN BAL SOUS LOUIS XIV ".

Au mois de mai 1661, c'est-à-dire deux mois seulement après la mort de M. le cardinal de Mazarin, il y avait déjà bal chez la jeune princesse de Soissons, nièce du défunt ministre. Le roi n'aimait point les gens d'humeur triste; il avait horreur du deuil; la danse était son goût le plus passionné; il excellait dans cet exercice, et la comtesse Olympe, remarquant du refroidissement pour elle dans les manières du prince, résolut de se remettre bien en cour en donnant un bal à l'occasion de ses nouvelles fonctions de surintendante de la reine. Combien elle se félicita de son expédient, lorsqu'un soir, chez Monsieur, le roi daigna dire en souriant :

- Madame de Soissons, ce sont les bergers qui dansent au retour du printemps; ainsi nous voulons que votre fête soit champêtre et nous y paraîtrons en Tircis!

Puis S. M. se penchant à l'oreille de la comtesse:

– Ma chère Olympe, dit-il tout bas, je vous enverrai mes violons.

Le jour du bal arrivé, on vit l'hôtel de Soissons miraculeusement transformé en un bosquet enchanté. Les murs et les plafonds disparaisaient sous d'épaisses couches de feuillage vert. Les galeries ressemblaient aux allées d'un parc taillé avec une parfaite symétrie, et les portes étaient comme les détours de charmilles touffues. Les girandoles levaient leurs bras comme des plantes gigantesques d'où la lumière sortait en fleurs étincelantes. Les degrés étaient recouverts d'un frais gazon, et

(1) Nous avons annoncé, il y a quelque temps, un nouveau roman de M. Paul de Musset; le fragment suivant est extrait de ce nouvel ouvrage qui a pour titre Lauzun.

toutes les roses de Fontenay gisaient effeuillées dans les salons pour être foulées par les pieds des danseurs. La comtesse aurait certainement commandé à ses valets de se vêtir en faunes, si toute la cour eût dû prendre le déguisement; mais on craignait encore d'effaroucher la piété de la jeune reine, dont le confesseur était trop sévère pour permettre la mascarade après le carnaval. Afin de n'être pas le seul à porter le déguisement, le roi voulut qu'il y eût une entrée de quatre bergers avec leurs bergères. On choisit les plus jolies femmes et la fleur des cavaliers; le quadrille, dont la musique était de Baptiste, fut appris et répété dans le plus grand secret.

Le roi ouvrit le bal en dansant avec Mademoiselle, Louise d'Orléans, un pas admirable, exprès étudié pour la circonstance. La beauté du royal Tircis fit épanouir tous les cœurs. Jamais berger idéal, soupirant dans les pages des romans du jour, n'aurait porté la houlette avec une plus moelleuse élégance. Les dames voyaient réalisées les douces visions de leurs lectures pastorales; elles souriaient en murmurant tout bas des éloges amoureux; leurs yeux languissans semblaient aider le prince dans l'exécution de ses pas, et le soutenir dans les poses difficiles, comme si elles eussent regretté que des membres si gracieux prissent tant de fatigue. Leur silence ressemblait à une délicieuse rêverie. Elles oubliaient leurs rivalités, leurs jalousies et leurs querelles; elles s'oubliaient elles-mêmes, car ce n'était plus l'instant de briller, ni de chercher à fixer les regards du roi. Le roi dansait! elles ne savaient plus où se procurer assez d'attention, d'application et d'intérêt pour un tel spectacle.

Le pas achevé, S. M. s'alla placer près du fauteuil de la jeune reine pour regarder le quadrille composé par maître Baptiste. Trois cavaliers vêtus en bergers, MM. de Guiche, du Lude et de Villerio, s'avancèrent conduisant leurs bergères; mais le quatrième danseur ne parut point, et la duchesse de Valentinois, élevant sa main gauche que personne ne vint saisir, se plaça toute seule à son poste en disant d'un air étonné :

- Où donc est M. de Villequier?

Aussitôt la foule répéta timidement le nom de Villequier; les yeux cherchèrent de tout côté le quatrième berger sans lequel le quadrille était impossible. Les maîtres de cérémonies coururent par les salons en appelant le danseur égaré, avec des

cris lamentables. Les assistans étaient saisis d'horreur, car le roi fronçait déjà les sourcils, et son mécontentement était visible. Les violons avaient joué deux fois la ritournelle. L'anxiété de la cour fut à son comble, lorsque des voix confuses crièrent dans l'éloignement que le duc de Villequier n'était pas encore arrivé. Quoique l'effet du quadrille dût être absolument perdu par l'absence du quatrième cavalier, l'impatience du roi et l'ordre qu'il donna impérieusement de commencer, ne permirent plus ni hésitation ni retard. MM. de Guiche et de Villeroi débutèrent avec leurs dames sans savoir comment celte cruelle scène allait finir, et laissant M. du Lude dans un embarras voisin du désespoir. La terreur et l'attente crispaient tous les visages.

Tout à coup un jeune homme inconnu, vêtu de l'habit ordinaire de la cour, s'élance hardiment du milieu de la foule, et saisit par la main Mme de Valentinois qui lui sourit d'un air amical. Voilà ce gentilhomme qui exécute les figures savamment combinées par le directeur des ballets, et répétées depuis une semaine avec un profond mystère. Non-seulement il semble deviner tout ce qu'a imaginé le maître, comme si quelque démon lui révélait sur l'heure les secrets de cour; mais on dirait, à voir la souplesse et la multiplicité de ses pas, qu'il se joue des études sérieuses de ses voisins, et qu'il s'élève au-dessus d'eux, comme le poète au-dessus du prosateur. Il ajoute des broderies de bon goût au thême de l'inventeur, difficile et compliqué pour les autres, mais qu'il paraît traiter comme un badinage. L'imagination du maître est moins féconde, moins hardie que les jambes de cet étranger.

Un murmure d'étonnement s'éleva d'abord de toutes parts; la reine parla long-temps à l'oreille du roi, et comme elle fit plusieurs signes de tête approbatifs, on présuma que ce danseur était connu du monarque. Les deux visages royaux souriaient de plaisir à chaque mouvement agile de ce jeune homme. L'étonnement fit bientôt place à l'admiration et à la joie. Quelques dames, au risque d'être blâmées, montèrent sur les siéges. Cette assemblée, qu'on avait vue consternée par la crainte d'une catastrophe presqu'inévitable, fut saisie d'un enthousiasme subit; les hommes s'agitaient avec un air d'empressement et de curiosité.

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