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teste pas, je le répète, la réalité de ces atrocités sans fin, de ces empoisonnemens en masse, de ces meurtres successifs qui déshonorent le caractère de son mulâtre; je dis seulement que le récit manque de vraisemblance.

M. de Maynard professe pour M. Hugo une admiration certainement partagée par tout ce qui est sensible aux beautés énergiques et fortes, et il nous a semblé que tous les défauts de M. Maynard ne lui appartenaient pas en propre, que l'autorité d'un nom illustre a pu lui en imposer quelques-uns; on trouve en lui la même poétique qu'en M. Hugo. Marius est bien de la famille célèbre de ces héros composés par moitié de vice et de vertu, et qui présentent l'inexplicable alliance de tous les extrêmes, de la fierté, de la force, de la noble ambition, et de la lâcheté, de la cruauté, de l'ingratitude. Cette poétique, qui s'est systématisée chez M. Hugo, pourrait, nous le croyons, devenir fatale à M. de Maynard; car, pour tout dire, nous croyons cette entente de la nature humaine, souverainement fausse et monstrueuse; il ne s'agit pas, en effet, comme dans ces romans dont je parlais plus haut, de montrer le revers de la médaille, d'opposer le laisser-aller et l'entraînement de la jeunesse aux résolutions généreuses d'un beau caractère; mais c'est vouloir accoupler des facultés qui s'excluent, et chercher dans le cliquetis d'oppositions artificielles des effets que la nature ne donne pas; on produit par ce procédé des antithèses personnifiées et point du tout des personnes humaines, en qui la nature, toute riche qu'elle soit en contrastes, a ménagé des dégradations de sentiment, des nuances et des transitions, qui seules attestent et sauvent l'identité.

Vous reconnaîtrez encore, à d'autres signes, le voisinage de M. Hugo, et combien ses procédés sont familiers à M. Louis de Maynard. Ainsi, en lisant Notre-Dame de Paris, le livre le plus remarquable peut-être de M. Hugo, vous avez dû être frappé de la manière dontla pensée sescinde et se distribue. Il y a pour chaque personnage important une introduction en forme. Et comme il y en a un certain nombre à introduire, il en résulte des recommencemens fréquens. L'action ne s'engendre pas dans la durée, elle se juxta-pose plutôt dans l'espace, et l'ensemble ne forme pas ce tout imposant et harmonieux que l'œil embrasse et saisit d'un regard; mais il se compose d'une

série de portiques et de galeries magnifiques habilement soudés, mais évidemment engendrés un à un dans la pensée de l'auteur. Ce défaut, car c'en est un, est permis à M. Hugo, c'est le défaut de sa manière, le côté mortel de son talent, qui a produit tant de belles et durables choses. Quant à M. de Maynard, il aurait tout à perdre en subissant des imperfections qui ne sont peut-être pas pour lui le résultat nécessaire d'une organisation donnée, et qu'il ne doit sans doute qu'à l'étude prolongée d'un homme avec lequel on peut d'ailleurstant profiter.

Vous parlerai-je de M. de Balzac? Si je n'écoutais que mon penchant, je me tairais ; mais dans l'intérêt de son talent, dans celui de nos plaisirs, il n'est pas possible de laisser passer sans réclamation une histoire que M. de Balzac vient de publier sous le titre de la Fille aux yeux d'or. M. de Balzac est l'historien privilégié des femmes, il excelle à traduire les causes secrètes et inaperçues de leurs déterminations, à rendre les traits les plus délicats de leur mobile physionomie; mais ce n'est encore là que le dernier de ses titres auprès d'elles ; il s'est presque partout constitué leur avocat, leur protecteur ; il a su faire valoir avec un art infini toutes les douleurs rentrées dont elles suffoquent à l'insu de tous, il a répandu du charme et de l'intérêt jusque sur le délaissement des vieilles filles. M. de Balzac est le conteur par excellence, l'homme des nuances et des détails; il ne se contente pas d'indiquer une situation, il la termine, il l'achève, et il vous dira avec précision les conséquences que doivent amener dans une même situation morale les différences de fortune et de position; c'est le peintre d'intérieur, et comme de juste, le favori du public féminin. Eh bien savez-vous ce qu'imagine aujourd'hui M. de Balzac? Savez-vous où il va prendre ses héroïnes ? quelles mœurs il nous représente? Vous ne vous ne douterez jamais, et ce n'est pas moi qui me chargerai de vous le dire, car je ne saurais en vérité de quels mots me servir. Voyez un peu, M. de Balzac, dans quel cruel embarras vous nous mettez nous voilà engagé d'honneur à prémunir vos lectrices contre le piége que vous leur tendez, et cela, sans pouvoir nous expliquer, sans déduire nos raisons; il faudra qu'on nous croie sur parole, et cependant, vous en tomberez vous-même d'accord, la parole d'un inconnu doit aujourd'hui prévaloir sur l'auto

rité du vieil ami. Quelle malheureuse idée avez-vous donc eue là ? Et à qui profitera-t-elle ? Vous éloignez de vous vos lectrices, vous mettez la critique sur des charbons, et vous-même dans quel labyrinthe de périphrases mystérieuses et de circonlocutions ambiguës vous êtes vous engagé? On ne vous comprend pas, fort heureusement peut-être ; mais le fait est que moi qui vous parle, je suis arrivé presqu'à la dernière page, sans me douter aucunement de ce que vous voulez dire; et quand le mot de l'énigme s'est enfin revélé, j'ai pensé qu'il eût mieux valu que le jour ne se fût jamais levé sur cette tenébreuse apocalypse. M. de Balzac intitule ses livres : Études de mœurs au dixneuvième siècle. Eh bien ! en vérité, il y a des choses vraies au XIXe siècle qui ont été vraies, je crois, dans tous les siècles, et qu'il ne convient nullement d'aller déterrer; il est des choses qu'il ne faut pas savoir, dont on peut fort bien parler dans un déjeuner de garçons, après le champagne, mais qu'il est toutà-fait inutile de raconter et d'enseigner aux dames. Ah! mesdames, si vous saviez comme votre historien vous traite, comme il vous habille, et quelle gracieuse idée ses Études de mœurs au dix-neuvième siècle donneront de vous à vos petites-filles, vous gronderiez tant et si bien, que M. de Balzac, confus et repentant, serait obligé, pour rentrer en grace, de retrouver l'inspiration et le style d'EUGENIE GRANDET, de la FAMILLE CLAES, de toutes ces histoires qu'il conte si bien.

En voilà assez sur les romans pour aujourd'hui; j'ai à vous parler d'autre chose.

J'ai sous les yeux un livre dû à la plume d'un officier de l'armée d'Afrique, qui, dans ce temps peu propice aux grandes fortunes militaires, occupe ses loisirs à de solides études. Vous avez lu sans doute dans les REVUES divers morceaux de M. Barchou de Penhoën, notamment un travail sur la philosophie de Schelling, qui suffirait pour faire concevoir du talent de l'auteur l'opinion la plus distinguée : une grande clarté d'exposition, un style ferme, nombreux, coloré, c'est chose qui se rencontre rarement sous la plume des métaphysiciens. M. Barchou de Penhoën en avait donné un exemple remarquable. Aujourd'hui ce n'est plus de métaphysique qu'il traite, mais bien de notre expédition d'Alger en 1830, de cette conquête dont les destinées, problématiques dès l'origine, ne sont point encore

parfaitement éclaircies. M. Barchou fait l'historique des causes qui ont amené la guerre entre la régence et nous; ce qu'il dit à ce sujet forme un précis très exact, et utile à revoir pour se rappeler l'enchaînement des événemens, les délibérations auxquelles fut soumis le projet de conquête et l'accueil que lui fit l'opinion à une époque où la France, menacée dans ses institutions par le mauvais vouloir du ministère Polignac, étendait sa défiance et sa réprobation jusque sur des projets vraiment utiles et glorieux, et qui, en d'autres circonstances, eussent valu au pouvoir d'unanimes éloges. Le caractère et la conduite de M. de Bourmont, de l'amiral Duperré, l'historique du débarquement et de la conquête ont fourni à l'auteur la matière de plusieurs chapitres d'un intérêt élevé, mûrement pensés et simplement écrits ; l'écrivain brillant se retrouve dans quelques peintures plus vives, telles que le départ de la flotte de Toulon et le récit de diverses rencontres avec les Arabes, entremêlées de réflexions pleines de sens et d'une haute raison. Je ne crois pas que ce livre fasse grand bruit dans le monde, ce n'est pas un livre de circonstance; mais certainement ceux qui l'auront lu, garderont un vif souvenir du talent de l'auteur, et conserveront son ouvrage dans leur bibliothèque. Il y a dans les militaires instruits (la remarque n'est pas de moi) un caractère de talent tout particulier. La vie active a développé en eux un coup d'œil juste, prompt, décidé, et vous pourrez vérifier qu'une fois préparés par l'état militaire, à quelque chose qu'ils s'adonnent, ils manque rarement d'y réussir. C'est encore là une noble profession qui s'en va, une profession désormais pénible sans compensation, dont l'esprit se retire, et cette idée, qui pourtant semblerait annoncer des jours de paix, a quelque chose de triste; j'ai toujours eu une admiration et un attrait particulier pour le caractère militaire : l'habitude du péril et de la discipline, qu'y a-t-il de plus puissant pour former des hommes à toutes les qualités fortes et honorables? L'état militaire était resté dépositaire et héritier de toutes ces belles traditions d'honneur que la noblesse avait laissé perdre. Le sentiment de la gloire, l'exercice journalier du courage, élevaient les hommes; c'était un asile ouvert à tout le côté poétique et chevaleresque de la vie humaine, si misérablement sacrifié de nos jours aux sordides calculs de l'égoïsme et de l'esprit finan

cier. Eh bien! tout cela s'en va; on met la pioche à la main de nos soldats; gloire à l'industrie! mais l'industrie, cette souveraine despotique de notre âge, héritera-t-elle aussi de l'honneur et du désintéressement militaire? En attendant que le jour se lève sur toutes ces questions obscures, honorons, croyez-moi, les hommes d'élite qui, arrêtés dans leur route, savent reporter dans la vie civile et dans l'exercice des plus nobles facultés de l'esprit cette activité pleine de rectitude qui, en d'autres temps, les eût promus peut-être à des dignités plus brillantes.

AD. GUÉROULt.

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