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ses joies soudaines lui plurent : il admira naïvement les grandes forêts vierges qu'il parcourait, et lui vint à la pensée que ce serait une riche province à ajouter au beau royaume de France; «< après donc avoir fait un long séjour audit pays, après avoir recognu la beauté et les délices de cette terre, la fertilité et la fœcondité d'icelle en ce que l'homme sçaurait désirer, tant pour le contentement et récréation du corps humain, à cause de l'amœnité du lieu, que pour l'acquisition de tout plein de richesses, qui avec le temps en pourraient provenir, le jeune Des Vaux fit ses propositions aux sauvages, et comme le raconte encore Claude d'Abbeville, outre la promesse de recevoir le christianisme, ils acceptèrent aussi l'offre qu'il fit de leur envoyer de France quelques personnes de qualités pour les maintenir et deffendre de tous leurs ennemis, l'humeur française plus sortable à la leur, qu'aucune autre pour la douceur de sa conversation. »

On est tenté de sourire de la dernière phrase du bon voyageur, et cependant rien n'est plus vrai au fond. Les Tupinambas s'étaient pris d'une merveilleuse tendresse pour les Français, et ceux-ci étaient certains, en quelque lieu qu'ils se présentassent, d'en être accueillis avec une effusion pleine de joie. Le jeune gentilhomme de Touraine s'adressa au sieur de La Ravardière, et bien peu s'en fallut alors que toute cette riche partie du Bré→ sil n'appartint pour toujours aux Français. Marie de Médicis tenait la régence: avec sa sagacité pénétrante, elle comprit l'importance de cette colonie, et quelques mois après le retour de La Rayardière, qui était allé s'assurer des rapports de Des Vaux, une compagnie des Indes occidentales était formée en France, deux lieutenans-généraux fondaient la colonie, Rasilly et La Rayardière unissaient leur activité.

Il faut lire les vieux voyageurs pour se faire une idée de l'enthousiasme des nouveaux débarqués, de leur admiration naïve pour cette nature puissante, de leur tendresse chaleureuse pour les Indiens qu'ils veulent tous convertir! Rien ne manqua, on peut le dire, à la sagesse des règlemens. Les droits de chacun furent respectés, le courage à se maintenir fut admirable; ce qui fit faute, ce fut la coopération efficace de la France, qui ne comprit plus, au milieu d'interminables tracasseries, la grandeur d'une semblable expédition. Ce qui détruisit l'œuvre de

tant d'efforts, ce furent de pitoyables intrigues, agissant sourdement à l'insu des deux généraux, et privant la France, pour l'avenir, d'une des plus riches contrées du globe. Aussi, et malgré les événemens probables qui aujourd'hui nous eussent privés de sa possession, n'est-ce pas sans une émotion réelle qu'on lit ces paroles, adressées par le sieur de Rasilly à Louis XIII, en lui présentait le Voyage du père Ives : « On a détruit cette relation, dit-il; cela s'est fait à dessein pour faire perdre insensiblement à votre majesté le titre de roi très chrétien, lui faisant abandonner les sacrifices et sacremens exercés sur les Indiens, la réputation de ses armes et bandières, l'utilité qui pouvait lui arriver et à ses subjects d'un si riche et fertile pays, et la retraicte du tout importante d'un port favorable pour la navigation au long cours, aujourd'huy ruinée, faute d'avoir su conserver ce que j'avais avec tant de soins et de despenses acquis. »

En 1614, les Portugais prirent sur nous l'île de Maragnan, et il n'est resté en effet de tant d'efforts qu'une ville bâtie par les Français, et où notre nom est maintenant oublié, que deux relations rarement consultées, et dont la plus importante n'a peut-être jamais été citée.

Ce n'est pas seulement la grace du style, la sincérité des observations qui distinguent le père Ives, ce seraient des qualités qu'il partagerait avec Claude d'Abbeville; mais il a sur celui-ci un avantage qu'on ne saurait lui contester. Au Maranham, le chef de la mission ne resta que quatre mois (1); lui, il y demeura deux ans entiers.

Quand les missionnaires arrivèrent dans l'île de Maragnan, ils se doutaient à peine qu'une grande révolution avait eu lieu chez les tribus parmi lesquelles ils allaient vivre. Repoussés de tous côtés par les Portugais, vaincus sur le bord de la mer et même dans l'intérieur, la tribu la plus fière de la race des Tupis,

(1) Claude d'Abbeville, de son propre aveu, ne fit pas un plus long séjour dans l'ile ; il revint à Paris avec sept ou huit sauvages de la nation des Tupinambas, qui excitèrent au plus haut degré la curiosité des Parisiens, et qui, après avoir été baptisés en grande pompe, eurent à peu près le sort des Charruas et des Osages qui sont venus dernièrement visiter l'Europe. La plupart d'entre eux moururent; il est fait mention cependant d'un de ces catéchumènes qui retourna au Brésil.

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les Tupinambas, qui avaient dominé tout le sud du Brésil, taient décidés à émigrer vers le nord. L'île de Maragnan, qui touche pour ainsi dire au continent, dont elle n'est éloignée que de cinq lieues, leur avait semblé, par sa fertilité, un endroit favorable de retraite, et ils y avaient établi leurs aldées: réunies dans une île qu'on pouvait parcourir en quelques journées, et dont rien n'égale la fertilité, conduites par des chefs qui avaient donné des preuves assurées de valeur et de haute intelligence, les tribus se montrèrent encore un moment, avant de s'éteindre, telles qu'elles avaient été au temps de leur puissance et quand elles dominaient le pays.

Le père Ives se trouva dans une admirable position pour les observer. Aussi sa relation contient-elle, mieux encore que le voyage d'Abbeville, certaines traditions qu'on chercherait vainement ailleurs. Cela est si vrai que si vous la comparez avec celle de Lery, qui l'a précédée de prês de quatre-vingts ans, vous retrouvez, avec un développement remarquable, toutes les habitudes bizarres, toutes les pompes sauvages, tous les usages singuliers qui frappaient les Français parmi les tribus de la baie de Guenabara. Le caractère de cette relation cependant est de servir de complément à celles qui l'ont précédée; c'est d'expliquer avec une simplicité toute naïve certains faits que le scepticisme du XVIIIe siècle s'est hâté de rejeter, et qui méritaient au moins un examen sévère avant de les abandonner à l'oubli. Je n'en veux citer qu'un exemple: tout le monde connaît la tradition poétique qui a imposé au fleuve des Amazones le nom qu'il a conservé. Vingt relations, moitié réelles, moitié fantastiques, parlèrent de ces femmes guerrières. Le génie des Espagnols se plut à reproduire le mythe de l'antiquité sous toutes les formes; les récits merveilleux s'accumulèrent, et il parut plus simple même à notre époque de rejeter le fait parmi les fables, que de le discuter un moment. Cependant le voyageur par excellence, l'homme de sévère observation, M. de Humboldt, avait admis que des Indiennes, lassées du joug, avaient bien pu lui échapper, pour former une tribu à part, comme ces Nègres qui fuient dans les montagnes ou qui se cachent dans les forêts. Il suffit d'avoir campé au milieu d'un village américain, et d'y avoir observé les misères de la femme, pour comprendre cette opinion. L'exagération lui a ôté sa probabilité., et le père Ives

la rétablit. «Il sera bon, dit-il, que j'allègue ce que j'ay appris des sauvages touchant la vérité des Amazones, parce que c'est une demande ordinaire: s'il y a des Amazones en ces quartierslà, et si elles sont semblables à celles dont les historiographes font tant mention. Pour le premier chef, vous devez savoir que c'est un bruit général et commun parmy tous les sauvages qu'il y en a, et qu'elles habitent en une isle assez grande, ceinte de ce fleuve de Maragnan, autrement des Amazones, qui a, en son emboucheure dans la mer, cinquante lieues de large, et que ees Amazones furent jadis femmes et filles de Tapinambos (1), lesquelles se retirèrent à la persuasion et soubs la conduicte d'une d'entre elles de la société et maistrise des Tapinambos: et gagnans pays le long de cette rivière, enfin appercevans une belle isle, elles s'y retirèrent et admirent, en certaines saisons de l'an née, sçavoir des acajous (2), les hommes des prochaines habitations pour avoir leur compagnie; que, si elles accouchent d'un fils, c'est pour le père, et l'emmène avec luy après qu'il est compétamment alaicté; si c'est une fille, la mère la retient pour demeurer à toujours avec elle. Voilà le bruict commun et général.

Le père Ives allègue ensuite, en faveur de cette tradition, le témoignage d'un chef qui demeurait fort avant dans l'intérieur, et qui lui affirma avoir rangé, dans son canot de guerre, l'ile où les femmes guerrières s'étaient retirées. Il ajoute :ic "Quant au second chef, ce mot d'Amazone leur est imposé par les Portugais et Français, pour l'approchement qu'elles ont

(1) Le père Ives désigne constamment sous ce nom les anciens dominateurs du Brésil, que son contemporain Claude d'Abbeville nomme Topinambas, et que Lerby appelle Tououpinambaoult. Vas concellos, qui leur conserve le nom de Tupinambas, admis toujours maintenant, croit qu'ils tenaient ce nom de l'antique dénomination d'un chef appelé tupis. Ce qui se serait passé chez ces peuples rappellerait dans tousles cas un usage communaux plus grandes nations et qu'on retrouve chez les Hébreux, chez les Grecs et les Romains. I n'est pas inutile de rappeler que le mot tupan indique l'excellence terrifiante dans la lingoa geral du Brésil, et que les Tupinambas, dont on retrouve des tribus dans toute l'entendue du Brésil, étaient peut-être, parmi les nations indiennes, le peuple choisi de Dieu.

(1) C'est le fruit de l'ancardium dont les Brésiliens faisaient un vin eniyrant.

avec les Amazones anciennes, à cause de la séparation des hommes; mais elles ne se coupent pas la mamelle droicte, ny ne suivent le courage de ces grandes guerrières, ains vivant comme les autres femmes sauvages, habiles et aptes néanmoins à tirer de l'arc, sont nuës, et se défendent comme elles peuvent de leurs ennemis. »

Rien de si probable et surtout de si simple n'avait été dit, que je sache, sur cette étrange peuplade, qui a imposé son nom non-seulement au fleuve, mais à un des plus vastes pays de l'Amérique méridionale. On a peut-être attaché trop d'importance à la tradition que résume d'une manière si positive le récit du vieux missionnaire ; mais la discussion une fois admise, il est curieux de voir comment le père Ives d'Evreux l'éclaircit en quelques mots, et combien son opinion naïve se rapproche du voyageur, qui a épuisé tous les doutes de la science, et qui a compris toutes les incertitudes de la tradition.

Un des faits les plus curieux qui nous aient été transmis sur les Indiens de ces régions, un de ceux qui ont le plus contribué à faire douter de la véracité des vieux voyageurs anglais, parce qu'ils nous l'ont rapporté en l'entourant d'un certain merveilleux, c'est l'existence de ces tribus anthropophages, vivant au sein des terres noyées dans des cabanes que baigne la mer, et qui s'élèvent sur les nombreuses arcades du manglier. Vers le commencement du siècle, une de ces curieuses tribus qui demeurent encore à l'embouchure de l'Orénoque, sous le nom de Guaraons (ou Waraons), fut visitée par un voyageur français, qui fut émerveillé de ses habitations et de l'heureuse abondance qui y régnait, grace au palmier murichi, qui peut croître au sein des eaux. En 1615, une nation semblable existait aux bouches de l'Amazone, et ce que M. Leblond raconte des Guaraons de l'Orénoque, peut être sans doute appliqué à ces Camarapins du Para, qu'on nous dépeint comme d'implacables anthropophages, et contre lesquels La Ravardière dirigea une nombreuse expédition ignorée de tous les historiens. Laissons parler le vieux voyageur.

« Ceste armée donc des François et des Tapinambos, au nombre de plus de mille deux cents, sortit de Para, et entra en la rivière des Pacaiares, et de là en la rivière de Parisop, où ils trouvèrent Vuac-Quassou, qui fit offre de mille deux cents

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