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songé que tu avais une pauvre petite fille. Sais-tu ce qu'on me demandera lorsqu'elle sera en âge d'être mariée: si c'est ici que tu l'as enfantée!

— C'est la misère, monsieur, c'est la misère! Pardonnezmoi, j'ai eu faim et soif.

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Il y a bien long-temps qu'il m'a abandonnée. C'est sa faute si je suis ici. C'est le serpent qui m'a perdue. Il ne m'aimait pas, il m'a enlevée pour me faire chanter. La première année j'ai gagné plus de cinquante mille francs, mais tout d'un coup une maladie m'a privée de ma voix, et alors il m'a quittée, emportant tout l'argent.

Comme tu m'as quitté, toi.

- C'était une nuit. Ah! j'ai bien pleuré! Le couteau tomba des mains du mari.

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Le reste, monsieur.... je n'ose....

Maintenant! Ah! vous pouvez aller.

- Le matin donc, je me trouvai seule, abandonnée, malade, sans ressources. Je doutai long-temps, mais huit jours s'écoulèrent, et il ne reparut pas; et il avait dit à notre hôtesse qu'il serait de retour avant une semaine. Il était parti, monsieur, sans même payer notre dépense à l'auberge. De ce jour on me maltraita. Ces impitoyables gens étaient décidés à me jeter à la porte, et j'allais me trouver sans pain et sans asile, lorsque descendit à cette auberge un jeune Anglais.... J'étais à deux cents lieues de mon pays, au fond de la Hollande, je ne songeais à vous qu'avec tremblement, j'étais si coupable! Que vous dirai-je, monsieur? je fus aussi vile que vous le pensez, je fus ce qu'ils appellent une femme entretenue. Ah! si la douleur et la misère peuvent expier une faute, monsieur, laissez-moi embrasser vos genoux, je ne suis plus coupable. Ah! que j'ai souffert! On a plus pitié des bêtes qu'on nourrit que ces hommes-là n'ont eu pitié de moi. J'ai dépéri, comme vous le voyez, au milieu de leur or et de leurs caresses. Que dis-je? de leur or! l'or a diminué à mesure que le mépris a crû. J'ai baissé peu à peu dans leur estime, comme baisse une marchandise. Enfin de malheur en malheur, ayant perdu ma beauté comme j'avais perdu ma voix, j'ai descendu échelon par échelon cette longue

échelle d'infamie, que montent et descendent tant de malheureuses! Monsieur, ayez pitié de moi, voici comme je suis tombée ici.

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- Et vous ne vous êtes pas tuée ?

– Je n'en ai pas eu la force, j'étais déjà si exténuée lorsque ces choses m'arrivèrent.... D'ailleurs j'espérais mourir de la honte.

Pauvre créature! si vous pouviez voir combien vous avez changé! Tout n'est donc pas profit dans le crime. La flamme de vos yeux est éteinte. Vous êtes d'une maigreur lugubre. Tenez, je ne veux pas vous cacher mes sentimens secrets, levez-vous, vous me touchez de pitié. Je vous pardonne, madame, ce qui n'est point pardonnable. Cette maison eût dû être votre tombe! Mais vous, vous avez un enfant, madame, bénissez-le. Elle vous rachète, la pauvre innocente! Ce sera du moins l'excuse de ma faiblesse...

Ah! monsieur, toute une vie d'expiation et de vertus..... - Je vous crois. Mais une dernière question, et répondez comme si vous étiez devant Dieu. Où est à présent cet Italien? Vous le savez. C'est ma condition expresse, songez-y.

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C'est bien. Alors nous pouvons retourner en France.

Le lendemain de son arrivée à Paris, le vieux lieutenant parut devant sa femme. Il était en habits de voyage.

Je vais en Angleterre, lui dit-il avec résolution. Je laisse entre les mains de votre mère mon testament, Toute ma fortune est assurée à ma fille. Adieu, madame. Je ne sais pas s'il me sera donné de vous revoir encore. Mais tâchez d'être honnête femme, et Dieu me renverra peut-être bientôt près de

vous.

- Qu'allez-vous faire en Angleterre, monsieur ? demanda, madame Ninette toute pâle.

- J'y vais pour des affaires de commerce, répondit le soldat sans changer de figure.

Quatre mois après, on était alors en septembre, madame Ninette prenait le frais, un soir, sur le balcon de son appartement. Il n'y avait atour d'elle que madame Ducros, sa respectable mère, et notre ami le juste-milieu qui regardait tour à tour Ninette et les étoiles. La porte de l'appartement s'ouvrit soudain,

un homme entra. Il était tout couvert de poussière. Il s'avança jusqu'au fauteuil de madame Car..., et la femme reconnut son mari. Ses cheveux à présent étaient entièrement blanchis.

- Madame, lui dit-il, levez maintenant la tête, rien ne vous en empêche plus. Je l'ai tué!.. J'ai eu bien de la peine à le trouver, mais enfin je l'ai trouvé, et je l'ai tué!.. Il était bien lâche !

Notre ami le juste-milieu tressaillit, madame Ducros se signa, madame Ninette baissa la tête sans prononcer un mot. De ce jour on remarqua que le vieux mari avait repris sa gaieté d'au trefois, et tout le monde le félicitait sur son voyage.

Pour madame Ninette, elle ne montra les jours suivans ni joie ni peine. Je dois dire, il est vrai, que M. Anacharsis la consolait depuis trois mois.

LOUIS DE MAYNARD.

GUILLAUME D'ORANGE ".

La nation anglaise avait accueilli avec joie la restauration des Stuarts; les peuples sont naturellement oublieux du passé, imprévoyans de l'avenir. Il est vrai de dire qu'à cette époque la déclaration de Charles, datée de Bréda, avait calmé beaucoup de craintes, répondu à beaucoup d'espérances; mais les choses étaient bien changées lorsque, vingt-quatre ans plus tard, le duc d'York, Jacques II, vint s'asseoir sur le trône de son frère.

Cinq années avant cette époque, en 1679, il avait été question, au parlement, de l'exclure du trône,; la religion catholique, dont il faisait profession, était le prétexte de cette mesure. Ce bill, rejeté à une faible majorité, avait été remplacé par un autre bill appelé bill de limitation des droits, et dont l'effet eût été d'anéantir dans les mains du duc l'autorité royale, de la réduire pendant tout son règne à un vain mot. Ce bill eut le sort du précédent; toutefois les circonstances étaient devenues tellement hostiles au duc, que le roi lui-même et quelques-uns des amis du duc n'avaient pas été éloignés d'en favoriser l'adoption. En 1681, un autre bill d'exclusion, présenté de nouveau au parlement, avait eu les honneurs d'une seconde lecture. D'un autre côté, le comte d'Essex proposait au même parlement ce qu'on appelait alors une association; ce devait être une sorte de ligue protestante: le duc, à son avénement au trône, aurait été forcé de remettre à cette association quelques places fortes pour servir de gage de sûreté à la religion protestante. D'autres voulaient un divorce entre le roi et la reine, dans le but de faire

(1) Ce fragment fait partie d'un remarquable ouvrage de philosophie politique, intitulé GUILLAUME ET LE DUC D'ORLÉANS, qui paraîtra prochainement.

épouser à Charles une princesse protestante, dont il pût avoir des héritiers. Quelques-uns pensaient à Montmouth, fils naturel de Charles: il était beau, brave; il avait obtenu quelques succès à la guerre, mais c'était surtout sa qualité de protestant qui lui conciliait la faveur publique. La raison contraire faisait du duc d'York un objet de haine et d'animadversion pour l'Angleterre.

L'Écosse, pendant plusieurs années, avait paru lui être toute dévouée; elle ne tarda pas néanmoins à manifester à son égard les mêmes dispositions que l'Angleterre. Là, comme en Angleterre, le zèle du protestantisme avait le pas sur tous les intérêts, sur tous les sentimens; le duc d'Argyle, fort puissant dans le pays, était le plus zélé partisan du prince; il ne lui en avait pas moins déclaré qu'il saurait, au besoin, défendre contre lui, et jusqu'au dernier soupir, la religion du pays. Un jour qu'il était question, au parlement d'Écosse, d'imposer à tous ceux qui exerçaient un emploi quelconque la signature d'une espèce de formulaire protestant, le duc d'York réclama une exception personnelle; mais Argyle se lève aussitôt, s'emporte, dans un long discours, contre la prétention du duc, et finit par ces mots : « Le papisme n'est point à craindre dans ce royaume, à moins qu'il n'y soit introduit par la famille royale elle-même, et la religion protestante est moins en péril sans aucune des garanties proposées, qu'avec la seule exception qui les détruit toutes.>> Nous l'avons dit, Argyle était pourtant un ami, un zélé partisan du duc; contradiction qui suffit à peindre toute la violence et tout l'emportement des passions soulevées contre ce malheureux prince.

On s'en ferait difficilement l'idée. 'Il n'était ni crime, ni forfait dont l'imagination populaire ne fût disposée à le croire capable; on en vit la preuve dans le fameux procès de Titus Oates: toutes les calomnieuses impostures de ce dernier, si absurdes, si insensées, si dépourvues de vraisemblance qu'elles pussent être, n'en furent pas moins avide ment recueillies par le peuple: par cela même qu'elles s'adressaient au duc, elles se métamorphosaient pour le peuple de Londres tout entier en faits évidens, prouvés. Un juge de paix, nommé Gottfrey, ayant été assassiné pendant le procès, ce fut encore au duc que le peuple attribua ce crime pendant tout son règne. A cette occasion, la terreur

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