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le premier qui couchai dans la chambre de Sa Majesté, ce qui l'étonna d'abord, ne voyant plus de femmes auprès de lui. Mais ce qui lui fit le plus de peine, c'était que je ne pouvais lui fournir des contes de Peau d'Ane avec lesquels les femmes avaient coutume de l'endormir.

« Je le dis un jour à la reine et que, si Sa Majesté l'avait agréable, je lui lirais.

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quelque bon livre; que, s'il s'endormait, à la bonne heure; mais que s'il ne s'endormait pas, il pourrait retenir quelque chose de la lecture. Elle me demanda quel livre je lui dis que je croyais qu'on ne pouvait lui en lire un meilleur que l'histoire de France.

« La reine le trouva fort bon, et je dois ce témoignage à la vérité que d'ellemême elle s'est toujours portée au bien quand son esprit n'a point été pré

venu. >>

On est toujours jugé par ses domestiques. Voilà notre valet de chambre transformé en professeur d'histoire. Il lit au roi tous les soirs l'histoire de Mézeray d'un ton de conte, et le jeune prince ne s'endormait pas.

Mais Mazarin non plus, que la reine avait chargé de la surintendance de l'éducation.

« La lecture de l'histoire ne plut pas à M. le Cardinal: car, un soir, à Fontainebleau, le roi étant couché et moi déshabillé en robe de chambre, lui lisant l'histoire de Hugues Capet, Son Éminence, pour éviter le monde qui l'attendait, vint passer dans la chambre du roi. Il vint dans le balustre et vit le roi qui fit semblant de dormir dès qu'il l'aperçut et me demanda quel livre je lisais : je lui dis ingénument que je lisais l'histoire de France à cause de la peine que le roi avait à s'endormir si on ne lui faisait quelque conte. Il partit fort brusquement sans approuver ce que je faisais et dit à son coucher à ses familiers que je faisais le gouverneur du roi. >>

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« Je puis dire avec vérité qu'à toutes les leçons où j'étais présent de M. Beaumont précepteur de Sa Majesté, j'étais témoin qu'il n'omettait rien de ce qui dépendait de sa charge. Il arriva d'autre part qu'étant seul avec M. de Villeroi, voyant le roi faire des badineries, après avoir bien attendu que le gouverneur fit sa charge, voyant qu'il ne disait rien, je disais tout ce que je pouvais à cet enfant roi pour le faire penser à ce qu'il était et à ce qu'il devait faire, et, après que j'avais bien prôné, le gouverneur disait: « Laporte vous dit vrai, Sire, Laporte vous dit vrai ». Je dis aussi un jour à la reine qu'elle le gâtait, que chez lui on ne lui souffrait rien, et que chez elle tout lui était permis. >>

LOUIS XIV ET SON FRÈRE LE DLC D'ORLEANS AVEC LEUR
GOUVERNANTE, MADAME DE SOUVRE, MARQUISE DE LANSAC.
(Musée de Versailles.)

Laporte ne pouvait pardonner à Mazarin de l'avoir remis à sa place. Il se vengea de lui vivant en excitant le jeune roi contre lui; mort, en l'accusant auprès de la postérité de ne lui avoir pas appris à régner pour régner à sa place.

Ce fut dès lors un thème convenu, au XVIIe siècle, de plaindre la jeunesse de Louis XIV abandonnée.

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Saint-Simon a repris les critiques du valet de chambre: « L'esprit du roi était au-dessous du médiocre, mais très capable de se former. Tout le mal lui vint d'ailleurs. Sa première éducation fut tellement abandonnée que personne n'osait s'approcher de son appartement. On lui a souvent ouï parler de ces temps avec amertume, jusque-là qu'il racontait qu'on le trouva un soir tombé dans le jardin du Palais Royal à Paris où la cour était alors.

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LA RÉGENCE D'ANNE D'AUTRICHE. (Médaille du 18 mai 1643.)

<«< Dans la suite, sa dépendance fut extrême. A peine lui apprit-on à lire et à écrire et il demeura tellement ignorant que les choses les plus connues d'histoire, d'événements, de fortune, de conduites, de naissances, de lois, il n'en sut jamais un mot. >>

Et l'envoyé de Brandebourg, Spanheim, recueillait encore en 1690 ces propos: « Son génie qui naturellement n'a rien de fort brillant ni de fort élevé, dont les connaissances d'ailleurs étaient fort bornées par le peu de soin qu'on avait pris de les cultiver dans sa jeunesse et par la dépendance dans laquelle on l'avait ou il s'était tenu durant la vie du cardinal, a pris par la suite de nouvelles forces. >>

En réalité, Mazarin avait pris soin d'instruire Louis XIV, mais par les leçons de choses plus que dans des livres. Il le faisait venir au conseil, le conduisait à l'armée, lui apprenant, où elles se réglaient, la politique et la guerre.

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LOUIS XIV JEUNE A CHEVAL.

(École de Vouet. Musée de Versailles.)

<< Son précepteur disant un jour à Son Eminence que le roi ne s'appliquait pas à l'étude, qu'il devait y employer son autorité et lui en faire des réprimandes, parce qu'il était à craindre qu'il ne fit un jour de même dans les grandes affaires, il lui répondit : << Ne vous mettez pas en peine. Reposez-vous-en sur moi, il n'en saura que trop. Car, quand il vient au conseil, il me fait cent questions sur la chose dont il s'agit. >>

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(D'après un tableau conservé au Musée de Versailles, qui aurait été offert par Anne d'Autriche

à son maitre d'hôtel Le Pelletier.)

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