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jésuite avait adroitement remis cette commission hasardeuse à l'abbé de Fénelon, et que ce précepteur des enfants de France avait préféré l'honneur de la France et de ses disciples à sa fortune; qu'il s'était jeté aux pieds de Louis XIV pour prévenir un éclat dont la bizarrerie lui ferait plus de tort dans la postérité qu'il n'en recueillerait de douceurs pendant sa vie.

Il est très vrai que, Fénelon ayant continué l'éducation du duc de Bourgogne depuissa nomination à l'archevêché de Cambrai, le roi, dans cet inter

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L'AGE D'OR REVENU SUR LA TERRE PAR L'INFLUENCE DU DUC DE BOURGOGNE, PASTEUR DES PEUPLES, ET DE MADAME GUYON, NOUVELLE INCARNATION DE LA VIERGE.

(D'après une estampe de S. Leclerc et F. Silvestre.)

valle, avait entendu parler confusément de ses liaisons avec Mme Guyon et avec Mme de La Maisonfort. Il crut d'ailleurs qu'il inspirait au duc de Bourgogne des maximes un peu austères et des principes de gouvernement et de morale qui pouvaient peut-être devenir un jour une censure indirecte de cet air de grandeur, de cette avidité de gloire, de ces guerres légèrement entreprises, de ce goût pour les fêtes et pour les plaisirs, qui avaient caractérisé son règne.

Il voulut avoir une conversation avec le nouvel archevêque sur ses principes de politique. Fénelon, plein de ses idées, laissa entrevoir au roi une partie des maximes qu'il développa ensuite dans les endroits du Télémaque où il traite du gouvernement: maximes plus approchantes de la république de Platon que de la manière dont il faut gouverner les hommes. Le roi, après la conversation, dit qu'il avait entretenu le plus bel esprit et le plus chimérique de son royaume.

Le duc de Bourgogne fut instruit de ces paroles du roi. Il les redit quelque temps après à M. de Malezieu, qui lui enseignait la géométrie. C'est ce que je tiens de M. de Malezieu, et ce que le cardinal de Fleury m'a confirmé.

Depuis cette conversation, le roi crut aisément que Fénelon était aussi romanesque en fait de religion qu'en politique.

Il est très certain que le roi était personnellement piqué contre l'archevêque de Cambrai. Godet des Marais, évêque de Chartres, qui gouvernait Mme de Maintenon et Saint-Cyr avec le despotisme d'un directeur, envenima le cœur du roi. Ce monarque fit son affaire principale de toute cette dispute ridicule, dans laquelle il n'entendait rien. Il était sans doute très aisé de la laisser tomber, puisque en si peu de temps elle est tombée d'elle-même; mais elle faisait tant de bruit à la cour, qu'il craignit une cabale encore plus qu'une hérésie. Voilà la véritable origine de la persécution excitée contre Fénelon.

Le roi ordonna au cardinal de Bouillon, alors son ambassadeur à Rome, par ses lettres du mois d'auguste (que nous nommons si mal à propos aoust) 1697, de poursuivre la condamnation d'un homme qu'on voulait absolument faire passer pour un hérétique. Il écrivit de sa propre main au pape Innocent XII pour le presser de décider.

La congrégation du Saint-Office nomma, pour instruire le procès, un dominicain, un jésuite, un bénédictin, deux cordeliers, un feuillant et un augustin. C'est ce qu'on appelle à Rome les consulteurs. Les cardinaux et les prélats laissent d'ordinaire à ces moines l'étude de la théologie pour se livrer à la politique, à l'intrigue, ou aux douceurs de l'oisiveté.

Les consulteurs examinèrent, pendant trente-sept conférences, trente-sept propositions, les jugèrent erronées à la pluralité des voix, et le pape, à la tête d'une congrégation de cardinaux, les condamna par un bref qui fut publié et affiché dans Rome, le 13 mars 1699.

L'évêque de Meaux triompha; mais l'archevêque de Cambrai tira un plus beau triomphe de sa défaite. Il se soumit sans restriction et sans réserve. Il monta lui-même en chaire à Cambrai pour condamner son propre livre. Il empêcha ses amis de le défendre. Cet exemple unique de la docilité d'un savant, qui pouvait se faire un grand parti par la persécution mème, cette candeur ou ce grand art lui gagnèrent tous les cœurs, et firent presque haïr celui qui avait remporté la victoire. Fénelon vécut toujours depuis dans son diocèse, en digne archevêque, en homme de lettres. La douceur de ses mœurs, répandue dans sa conversation comme dans ses écrits, lui fit des amis tendres de tous ceux qui le virent. La persécution et son Télémaque lui attirèrent la vénération de l'Europe.

Les Anglais surtout, qui firent la guerre dans son diocèse, s'empressaient à lui témoigner leur respect. Le duc de Marlborough prenait soin qu'on épargnât ses terres. Il fut toujours cher au duc de Bourgogne, qu'il avait élevé; et il aurait eu part au gouvernement, si ce prince eût vécu.

Dans sa retraite philosophique et honorable, on voyait combien il était difficile de se détacher d'une cour telle que celle de Louis XIV; car il y en a d'autres que plusieurs hommes

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célèbres ont quittées sans les re

gretter.

Il en parlait toujours avec un goût et un intérêt qui perçaient au travers de sa résignation. Plusieurs écrits de philosophie, de théologie, de belles-lettres, furent le fruit de cette retraite. Le duc

UNE SAINTE ET UNE MYSTIQUE AU XVII SIÈCLE: MADAME HELYOT.

d'Orléans, depuis régent du royaume, le consulta sur des points épineux, qui intéressent tous les hommes, et auxquels peu d'hommes pensent. Il demandait si l'on pouvait démontrer l'existence d'un Dieu, si ce Dieu veut un culte, quel est le culte qu'il approuve, si l'on peut l'offenser en choisissant mal. Il faisait beaucoup de questions de cette nature, en philosophe qui cherchait à s'instruire; et l'archevêque répondait en philosophe et en théologien. Après avoir été vaincu sur les disputes de l'école, il eût été peut-être plus convenable qu'il ne se mêlât point des querelles du jansénisme; cependant il y entra. Le cardinal de Noailles avait pris contre lui autrefois le parti du plus fort: l'archevêque de Cambrai en usa de même. Il espéra qu'il reviendrait à la cour et qu'il y serait consulté: tant l'esprit humain a de peine à se détacher des affaires, quand une fois elles ont servi d'aliment à son inquiétude. Ses désirs cependant étaient modérés comme ses écrits; et même sur la fin de sa vie il méprisa enfin toutes les disputes: semblable en cela seul à l'évêque d'Avranches, Huet, l'un des plus savants hommes de l'Europe, qui, sur la fin de ses

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