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n'y avait point de virgule du tout. On le déposa dans les archives. Le grandvicaire, nommé Morillon, dit qu'il fallait recevoir la bulle du pape, quand même il y aurait des erreurs. Ce Morillon avait raison en politique; car, assurément, il vaut mieux recevoir cent bulles erronées que de mettre cent villes en cendres, comme ont fait les huguenots et leurs adversaires. Baïus crut Morillon, et se rétracta paisiblement.

Quelques années après, l'Espagne, aussi fertile en auteurs scolastiques que stérile en philosophes, produisit Molina le jésuite, qui crut avoir découvert précisément comment Dieu agit sur les créatures, et comment les créatures lui

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LE NOVICIAT ET LA MAISON PROFESSE DES JESUITES A SAINT-GERMAIN DES PRÉS.

(D'après une estampe de Lepautre et Van Merlen.)

résistent. Il distingua l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, la prédestination à la grâce, et la prédestination à la gloire, la grace prévenante, et la coopérante. Il fut l'inventeur du concours concomitant, de la science moyenne et du congruisme. Cette science moyenne, et ce congruisme, étaient surtout des idées rares. Dieu, par sa science moyenne, consulte habilement la volonté de l'homme, pour savoir ce que l'homme fera quand il aura eu sa grâce; et ensuite, selon l'usage qu'il devine que fera le libre arbitre, il prend ses arrangements en conséquence, pour déterminer l'homme, et ces arrangements sont le congruisme.

Les dominicains espagnols, qui n'entendaient pas plus cette explication que les jésuites, mais qui étaient jaloux d'eux, écrivirent que le livre de Molina était le précurseur de l'antechrist.

La cour de Rome évoqua la dispute, qui était déjà entre les mains des grands inquisiteurs, et ordonna, avec beaucoup de sagesse, le silence aux deux partis, qui ne le gardèrent ni l'un ni l'autre. Enfin, on plaida sérieusement devant Clément VIII, et, à la honte de l'esprit humain, tout Rome prit parti dans le procès. Un jésuite, nommé Achille Gaillard, assura le pape qu'il avait un moyen sûr de rendre la paix à l'Église; il proposa gravement d'accepter la prédestination gratuite, à condition que les dominicains admettraient la science moyenne, et qu'on ajusterait ces deux systèmes

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CORNEILLE JANSENIUS, ÉVÊQUE D'YPRES.
(D'après une estampe de Morin.)

comme on pourrait. Les dominicains refusèrent l'accommodement d'Achille Gaillard. Leur célèbre Lemos soutint le concours prévenant, et le complément de la vertu active. Les congrégations. se multiplièrent sans que personne s'entendit.

Clément VIII mourut avant d'avoir pu réduire les arguments pour et contre à un sens clair. Paul V reprit le procès; mais comme lui-même en eut un plus important avec la République de Venise, il fit cesser toutes les congrégations, qu'on appela et

qu'on appelle encore de auxiliis. On leur donnait ce nom, aussi peu clair par lui-même que les questions qu'on agitait, parce que ce mot signifie secours, et qu'il s'agissait, dans cette dispute, des secours que Dieu donne à la volonté faible des hommes. Paul V finit par ordonner aux deux partis de vivre en paix.

Pendant que les jésuites établissaient leur science moyenne et leur congruisme, Cornélius Jansénius, évêque d'Ypres, renouvelait quelques idées de Baïus, dans un gros livre sur saint Augustin, qui ne fut imprimé qu'après sa mort; de sorte qu'il devint chef de secte, sans jamais s'en douter. Presque personne ne lut ce livre, qui a causé tant de troubles; mais Duverger de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, ami de Jansénius, homme aussi ardent qu'écrivain

diffus et obscur, vint à Paris, et persuada de jeunes docteurs et quelques vieilles femmes. Les jésuites demandèrent à Rome la condamnation du livre de Jansenius, comme une suite de celle de Baïus, et l'obtinrent en 1641; mais, à Paris, la faculté de théologie, et tout ce qui se mêlait de raisonner, fut partagé. Il ne paraît pas qu'il y ait beaucoup à gagner à penser avec Jansenius que Dieu commande des choses impossibles; cela n'est ni philosophique, ni consolant mais le plaisir secret d'être d'un parti, la haine que s'attiiaent les

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jésuites, l'envie de se distinguer, et l'inquiétude d'esprit, formèrent une secte. La faculté condamna cinq propositions de Jansénius, à la pluralité des voix. Ces cinq propositions étaient extraites du livre très fidèlement quant au sens, mais non pas quant aux propres paroles. Soixante docteurs appelèrent au parlement comme d'abus, et la chambre des vacations ordonna que les parties comparaîtraient.

Les parties ne comparurent point; mais, d'un côté, un docteur, nommé Habert, soulevait les esprits contre Jansénius; de l'autre, le fameux Arnauld, disciple de Saint-Cyran, défendait le jansénisme avec l'impétuosité de son

éloquence. Il haïssait les jésuites, encore plus qu'il n'aimait la grâce efficace; et il était encore plus haï d'eux, comme né d'un père qui, s'étant donné au barreau, avait violemment plaidé pour l'université contre leur établissement. Ses parents s'étaient acquis beaucoup de considération dans la robe et dans

LE CHEMIN DU CIEL.

(Estampe populaire du parti janséniste: la route du Paradis à. droite pour les élus; la route de l'enfer à gauche pour les jésuites et leurs amis.)

l'épée. Son génie, et les circonstances. où il se trouva, le déterminèrent à la guerre de plume, et à se faire chef de parti, espèce d'ambition devant qui toutes les autres disparaissent. Il combattit contre les jésuites et contre les réformés, jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans. On a de lui cent quatre volumes, dont presque aucun n'est aujourd'hui au rang de ces bons livres classiques qui honorent le siècle de Louis XIV, et qui sont à la bibliothèque des nations.

Tous ses ouvrages eurent une grande vogue dans son temps, et par la réputation de l'auteur, et par la chaleur des disputes. Cette chaleur s'est attiédie; les livres ont été oubliés. Il n'est resté

que ce qui appartenait simplement à la raison, sa Géométrie, la Grammaire raisonnée, la Logique, auxquelles il eut beaucoup de part. Personne n'était né avec un esprit plus philosophique; mais sa philosophie fut corrompue en lui par la faction qui l'entraîna, et qui plongea soixante ans, dans de misérables disputes de l'école, et

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dans les malheurs attachés à l'opiniâtreté, un esprit fait pour éclairer les

hommes.

L'université étant partagée sur ces cinq fameuses propositions, les évêques le furent aussi. Quatre-vingt-huit évêques de France écrivirent en corps à Innocent X, pour le prier de décider; et onze autres écrivirent pour le prier de n'en rien faire. Innocent X jugea; il condamna chacune des cinq proposi

tions à part; mais toujours sans citer les pages dont elles étaient tirées, ni ce qui les précédait et ce qui les suivait.

Cette omission, qu'on n'aurait pas faite dans une affaire civile au moindre des tribunaux, fut faite et par la Sorbonne, et par les jansénistes, et par les jésuites, et par le souverain pontife. Le fond des cinq propositions condamnées est évidemment dans Jansénius. Il n'y a qu'à ouvrir le troisième tome, à la page 138, édition de Paris, 1641; on y lira mot à

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mot:

« Tout cela démontre pleinement et évidemment qu'il n'est rien de plus certain et de plus fondamental dans la doctrine de saint Augustin, qu'il y a certains commandements impossibles, non seulement aux infidèles,

LE

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PAPE INNOCENT X.

(D'après le portrait de Velasco conservé en Angleterre, gravé par Green.)

aux aveugles, aux endurcis, mais aux fidèles et aux justes, malgré leurs volontés et leurs efforts, selon les forces qu'ils ont; et que la grâce, qui peut rendre ces

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