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Savoie, vint encourager les fanatiques et leur promettre de puissants secours.

(1703) Une grande partie du pays les favorisait secrètement. Leur cri de guerre était Point d'impôts et liberté de conscience. Ce cri séduit partout la populace. Ces fureurs justifiaient aux yeux du peuple le dessein qu'avait eu Louis XIV d'extirper le calvinisme; mais sans la révocation de l'édit de Nantes on n'aurait pas eu à combattre ces fureurs.

Le roi envoie d'abord le maréchal de Montrevel avec quelques troupes. Il fait la guerre à ces misérables avec une barbarie qui surpasse la leur. On roue, on brûle les prisonniers; mais aussi les soldats qui tombent entre les mains des révoltés périssent par des

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morts cruelles. Le roi,

obligé de soutenir la

guerre partout, ne pouvait envoyer contre eux que peu de troupes. Il était difficile de les surprendre dans des rochers presque inaccessibles alors, dans des cavernes, dans des bois où ils se rendaient par des chemins non frayés, et dont ils descendaient

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MÉDAILLE FRAPPÉE PAR LES PROTESTANTS DES CÉVENNES.

tout à coup comme des bêtes féroces. Ils défirent même, dans un combat réglé, des troupes de la marine. On employa contre eux successivement trois maréchaux de France.

Au maréchal de Montrevel succéda, en 1704, le maréchal de Villars. Comme il lui était plus difficile encore de les trouver que de les battre, le maréchal de Villars, après s'être fait craindre, leur fit proposer une amnistie. Quelques-uns d'entre eux y consentirent, détrompés des promesses d'être secourus par le duc de Savoie, qui, à l'exemple de tant de souverains, les persécutait chez lui et avait voulu les protéger chez ses ennemis.

Le plus accrédité de leurs chefs, et le seul qui mérite d'être nommé, était Jean Cavalier. Je l'ai vu depuis en Hollande et en Angleterre. C'était un petit homme blond, d'une physionomie douce et agréable. On l'appelait David dans son parti. De garçon boulanger, il était devenu chef d'une assez grande multitude, à l'âge de vingt-trois ans, par son courage, et à l'aide d'une prophétesse qui le fit

reconnaître sur un ordre exprès du Saint-Esprit. On le trouva à la tête de huit cents hommes qu'il enrégimentait, quand on lui proposa l'amnistie. Il demanda des otages on lui en donna. Il vint, suivi d'un des chefs, à Nîmes, où il traita avec le maréchal de Villars.

(1704) Il promit de former quatre régiments des révoltés, qui serviraient le roi sous quatre colonels, dont il serait le premier, et dont il nomma les trois

LE MARECHAL DE VILLARS.

(D'après une estampe de Rochefort.)

autres. Ces régiments devaient avoir l'exercice libre de leur religion, comme les troupes étrangères à la solde de France; mais ce exercice ne devait point être permis ailleurs. On acceptait ces conditions, quand des émissaires de Hollande vinrent en empêcher l'effet avec de l'argent et des promesses. Ils détachèrent de Cavalier les principaux fanatiques; mais, ayant donné sa parole au maréchal de Villars, il la voulut tenir. Il accepta le brevet de colonel, et commença à former son régiment avec cent trente hommes qui lui étaient affectionnés.

J'ai entendu souvent de la bouche du maréchal de Villars qu'il avait demandé à ce jeune

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homme comment il pouvait à son âge avoir eu tant d'autorité sur des hommes si féroces et si indisciplinables. Il répondit que, quand on lui désobéissait, sa prophétesse, qu'on appelait la grande Marie, était sur-le-champ inspirée, et condamnait à mort les réfractaires, qu'on tuait sans raisonner. Ayant fait depuis la même question à Cavalier, j'en eus la même réponse.

Cette négociation singulière se faisait après la bataille d'Hochstedt. Louis XIV, qui avait proscrit le calvinisme avec tant de hauteur, fit la paix, sous le nom d'amnistie, avec un garçon boulanger, et le maréchal de Villars lui présenta le brevet de colonel et celui d'une pension de douze cents livres. Le nouveau colonel alla à Versailles; il y reçut les ordres du ministre de la

guerre. Le roi le vit et haussa les épaules. Cavalier, observé par le ministère, craignit, et se retira en Piémont. De là il passa en Hollande et en Angleterre. Il fit la guerre en Espagne et y commanda un régiment de refugiés français à la bataille d'Almanza. Ce qui arriva à ce régiment sert à prouver la rage des guerres civiles, et combien la religion ajoute à cette fureur. La troupe de Cavalier se trouva opposée à un régiment français. Dès qu'ils se reconnurent, ils fondirent l'un sur l'autre avec la baïonnette, sans tirer. On a déjà remarqué que la baïonnette agit peu dans les combats. La contenance de la première ligne, composée de trois rangs, après avoir fait feu,

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décide du sort de la journée; mais ici la fureur fit ce que ne fait presque jamais la valeur. Il ne resta pas trois cents hommes de ces régiments. Le maréchal de Berwick contait souvent avec étonnement cette aventure.

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DE MA

CARICATURE HOLLANDAISE SUR L'INFLUENCE FUNESTE
DAME DE MAINTENON DANS LES DERNIÈRES ANNÉES DU RÈGNE

DE LOUIS XIV.

Cavalier est mort officier général et gouverneur de l'ile de Jersey, avec une grande réputation de valeur, n'ayant de ses premières fureurs conservé que le courage, et ayant peu à peu substitué la prudence à un fanatisme qui n'était plus soutenu par l'exemple. Le maréchal de Villars, rappelé du Languedoc, fut remplacé par le maréchal de Berwick. Les malheurs des armes du roi enhardissaient alors les fanatiques. du Languedoc, qui espéraient les secours du ciel et en recevaient des alliés. On leur faisait toucher de l'argent par la voie de Genève. Ils attendaient des officiers, qui devaient leur être envoyés de Hollande et d'Angleterre. Ils avaient des intelligences dans toutes les villes de la province.

On peut mettre au rang des plus grandes conspirations celle qu'ils formèrent de saisir dans Nimes le duc de Berwick et l'intendant Bâville, de faire révolter le Languedoc et le Dauphiné, et d'y introduire les ennemis. Le secret fut gardé par plus de mille conjurés. L'indiscrétion d'un seul fit tout découvrir. Plus de deux cents personnes périrent dans les supplices. Le maréchal de Berwick fit exterminer, par le fer et le feu, tout ce qu'on rencontra de ces malheureux. Les uns moururent les armes à la main, les autres sur les roues ou dans les flammes. Quelques-uns, plus adonnés à la prophétie qu'aux armes, trouvèrent moyen d'aller en Hollande. Les refugiés français les y recurent comme des envoyés célestes. Ils marchèrent au-devant d'eux, chantant des psaumes et jonchant leur chemin de branches d'arbres. Plusieurs de ces prophètes allèrent en Angleterre; mais, trouvant que l'Église épiscopale tenait trop de l'Église romaine, ils voulurent faire dominer la leur. Leur persuasion était si pleine, que, ne doutant pas qu'avec beaucoup de foi on fit beaucoup de miracles, ils offrirent de ressusciter un mort, et même tel mort que l'on voudrait choisir. Partout le peuple est peuple, et les presbytériens pouvaient se joindre à ces fanatiques contre le clergé anglican. Qui croirait qu'un des plus grands géomètres de l'Europe, Fatio Duiller, et un homme de lettres fort savant, nommé Daudé, fussent à la tète de ces énergumènes? Le fanatisme rend la science même sa complice, et étouffe la raison.

Le ministère anglais prit le parti qu'on aurait dû toujours prendre avec les hommes à miracles. On leur permit de déterrer un mort dans un cimetière de l'église cathédrale. La place fut entourée de gardes. Tout se passa juridiquement. La scène finit par mettre au pilori les prophètes.

Cet excès du fanatisme ne pouvait guère réussir en Angleterre, où la philosophie commençait à dominer. Ils ne troublaient plus l'Allemagne, depuis que les trois religions, la catholique, l'évangélique et la réformée, y étaient également protégées par les traités de Westphalie. Les Provinces-Unies admettaient dans leur sein toutes les religions, par une tolérance politique. Enfin, il n'y eut, sur la fin de siècle, que la France qui essuya de grandes querelles ecclésiastiques, malgré les progrès de la raison. Cette raison, si lente à s'introduire chez les doctes, pouvait à peine encore percer chez les docteurs, encore moins dans le commun des citoyens. Il faut d'abord qu'elle soit établie dans les principales têtes; elle descend aux autres de proche en proche, et gouverne enfin le peuple même qui ne la connaît pas, mais qui, voyant que ses supérieurs sont modérés, apprend aussi à l'être. C'est un des grands ouvrages du temps, et ce temps n'était pas encore venu.

Voltaire se montre bien sévère pour les camisards, dont la révolte était en partie l'effet de la Révocation, qu'il a pourtant hautement condamnée. SaintSimon s'est montré plus équitable, en étant plus indulgent.

<< On leur avait donné, dit-il, ce nom de Phanatiques, parce que chaque troupe de ces protestants révoltés avaient

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avec eux quelque prétendu pro-Paris fondue sur le

phète ou prophétesse, qui, d'intelligence avec les chefs, faisaient

les inspirés et menaient ces gens là où ils voulaient, avec une confiance, une obéissance et une furie inconcevable. Le Languedoc gémissait depuis longues années sous la tyrannie de l'intendant Bâville, qui avait tiré toute l'autorité avec lui. Bàville était un beau génie, un esprit supérieur, très éclairé, très actif, très laborieux. C'était un homme rusé, artificieux, implacable, qui savait aussi parfaitement servir ses amis et se faire des créatures; un esprit surtout de domination qui brisait toute résistance et à qui rien ne coûtait, parce qu'il

CLOCHE DE NOTRE-DAME DE PARIS.

n'était arrêté par rien sur les moyens. Ce génie, vaste, lumineux, impérieux, était redouté des ministres, qui ne le laissaient pas approcher de la cour et qui, pour le retenir en Languedoc, lui laissaient toute puissance, dont il abusait sans ménagements. Moins intendant que roi, il voulut avec son beau-frère Broglio se faire valoir et inquiéta les non ou mauvais convertis, qui à la fin s'attroupèrent. >>

Et Saint-Simon ajoute : « S'ils s'en étaient tenus à ne maltraiter personne que suivant les lois de la guerre, à demander seulement liberté de conscience et soulagement des impôts, force catholiques, qui par crainte, par compassion, ou par espérance que ces troubles forceraient à quelque diminution de subsides, auraient persévéré, et peut-être levé le masque sous leur protection: ils en

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