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tique respirert le goût on y voit partout le bon sens paré des fleurs de l'imagination; sa manière d'écrire est un excellent modèle en tout pays. Il y a du doyen Swift plusieurs morceaux dont on ne trouve aucun exemple dans l'antiquité c'est Rabelais perfectionné.

Les Anglais n'ont guère connu les oraisons funèbres; ce n'est pas la coutume chez eux de louer des rois et des reines dans les églises; mais l'éloquence de la

chaire, qui était très grossière à Londres avant Charles II, se forma tout d'un coup. L'évêque Burnet avoue dans ses mémoires que ce fut en imitant les Français. Peut-être ont-ils surpassé leurs maîtres leurs sermons sont moins compassés, moins affectés, moins déclamateurs qu'en France.

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Cet hommage rendu par Voltaire aux écrivains anglais est l'effet de l'admiration qu'il éprouva en les fréquentant au début de sa vie. On pourrait presque dire que c'est à leur école qu'il apprit à admirer le grand siècle français qu'il voyait s'achever. Et c'est avec justice qu'il associa leur éloge à l'Essai qu'il écrivait du siècle de Louis XIV. Dans les Lettres sur l'Angleterre parues en 1727, longtemps auparavant, Voltaire fit cet éloge plus complètement, dans l'ensemble et par le détail :

JOHN DRYDEN.

D'après le portrait de Kneller gravé par Edelinck.

« En Angleterre, communément on pense, et les lettres y sont plus en honneur qu'ici. Cet avantage est une suite nécessaire de la forme de leur gouvernement. Toute la nation est dans la nécessité de s'instruire. Tel est le respect que ce peuple a pour les talents, qu'un homme de mérite y fait toujours fortune. Entrez à Westminster, ce ne sont pas les tombeaux des rois qu'on y admire, ce sont les monuments que la reconnaissance de la nation a érigés aux grands hommes qui ont contribué à sa gloire. Vous y voyez leurs statues, comme on voyait dans Athènes celles des Sophocle et des Platon. >>

Et à son tour, Voltaire leur en a dressé d'une forme achevée pour apprendre aux Français à les admirer : « Ceux qui s'élèvent au-dessus des usages, des préjugés ou faiblesses de leur nation, ceux qui sont de tous les temps et de tous les pays, ceux qui préfèrent la grandeur philosophique à des déclarations d'amour, trouveront dans le Caton, d'Addison, une tragédie écrite d'un bout à l'autre avec cette élégance mâle et énergique dont Corneille donna chez nous de si beaux exemples. Ce rôle de

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Caton me paraît un des plus beaux qui soient sur aucun théâtre.

« Celui de tous les Anglais qui a porté le plus loin la gloire du théâtre comique est feu M. Congrève. Il n'a fait que peu de pièces, mais toutes sont excellentes dans leur genre. Elles sont les plus spirituelles et les plus exactes, celles de Van Brugh les plus gaies, et celles de Wicherley les plus fortes.

« Un homme qui aurait dans l'imagination la dixième partie de l'esprit comique bon ou mauvais qui règne dans Hadibras, de Butler, serait encore très plaisant mais il se donnerait bien

garde de le traduire. Il faudrait

ADDISON.

(D'après le portrait de Dahl gravé par Simon à la manière noire.)

à tout moment un commentaire. Un commentateur de bons mots n'est guère capable d'en dire. Voilà pourquoi on n'entendra jamais bien en France les livres de l'ingénieux docteur Swift. C'est Rabelais dans son bon sens et vivant en bonne compagnie. Il n'a pas à la vérité la gaîté, mais il a toute la finesse, la raison, le choix, le bon goût qui manquent à notre curé de Meudon. Ses vers sont d'un goût singulier et presque inimitable.

Il est encore remarquable que ces insulaires, séparés du reste du monde, et instruits si tard, aient acquis pour le moins autant de connaissances de

l'antiquité qu'on en a pu rassembler dans Rome, qui a été si longtemps le centre des nations. Marsham a percé dans les ténèbres de l'ancienne Égypte. Il n'y a point de Persan qui ait connu la religion de Zoroastre comme le savant Hyde. L'histoire de Mahomet et des temps qui le précèdent était ignorée des Turcs, et a été développée par l'Anglais Sale, qui a voyagé si utilement en Arabie. Il n'y a point de pays au monde où la religion chrétienne ait été si fortement

JONATHAN SWIFT.

(Portrait d'après nature de Markham, gravé par Burford.)

combattue et défendue si savamment qu'en Angleterre. Depuis Henri VIII jusqu'à Cromwell, on avait disputé et combattu, comme cette ancienne espèce de gladiateurs qui descendaient dans l'arène un cimeterre à la main et un bandeau sur les yeux. Quelques légères différences dans le culté et dans le dogme avaient produit des guerres horribles; et quand, depuis la restauration jusqu'à nos jours, on a attaqué tout le christianisme presque chaque année, ces disputes n'ont pas excité le moindre trouble; on n'a répondu qu'avec la science: autrefois c'était avec le fer et la flamme.

C'est surtout en philosophie que les Anglais ont été les maîtres des autres nations. Il ne

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s'agissait plus de systèmes ingénieux. Les fables des Grecs devaient disparaître depuis longtemps, et les fables des modernes ne devaient jamais paraître. Le chancelier Bacon avait commencé par dire qu'on devait interroger la nature d'une manière nouvelle, qu'il fallait faire des expériences; Boyle passa sa vie à en faire.

Ce n'est pas ici le lieu d'une dissertation physique; il suffit de dire qu'après trois mille ans de vaines recherches, Newton est le premier qui ait découvert et démontré la grande loi de la nature par laquelle tous les éléments de la matière s'attirent réciproquement, loi par laquelle tous les astres sont

retenus dans leur cours. Il est le premier qui ait vu en effet la lumière; avant lui, on ne la connaissait pas.

Ses principes mathématiques, où règne une physique toute nouvelle et toute vraie, sont fondés sur la découverte du calcul qu'on appelle mal à propos de l'infini, dernier effort de la géométrie, et effort qu'il avait fait à vingt-quatre ans. C'est ce qui a fait dire à un grand philosophe, au savant Halley, « qu'il n'est pas permis à un mortel d'atteindre de plus près à la divinité ».

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Une foule de bons géomètres, de bons physiciens, fut éclairée par ses découvertes et animée par lui. Bradley trouva enfin l'aberration de la lumière des étoiles fixes, placées au moins à douze millions de millions de lieues loin de notre petit globe.

Ce même Halley que je viens de citer eut, quoique simple astronome, le commandement d'un vaisseau du roi, en 1698. C'est sur ce vaisseau qu'il détermina la position des étoiles du pôle antarctique, et qu'il marqua toutes les variations de la boussole dans toutes les parties du globe connu. Le voyage des Argonautes n'était, en comparaison, que le passage d'une barque d'un bord de rivière à l'autre. A peine a-t-on parlé dans l'Europe du voyage de Halley.

Edmundus Halley Toc Reg. Sec

HALLEY.

(D'après le portrait de Kneller, gravé par White.

Cette indifférence que nous avons pour les grandes choses, devenues trop familières, et cette admiration des anciens Grecs pour les petites, est encore. une preuve de la prodigieuse supériorité de notre siècle sur les anciens. Boileau. en France, le chevalier Temple, en Angleterre, s'obstinaient à ne pas reconnaitre cette supériorité : ils voulaient dépriser leur siècle pour se mettre euxmêmes au-dessus de lui. Cette dispute entre les anciens et les modernes est enfin décidée, du moins en philosophie. Il n'y a pas un ancien philosophe qui

serve aujourd'hui à l'instruction de la jeunesse chez les nations éclairées.

Locke seul serait un grand exemple de cet avantage que notre siècle a eu sur les plus beaux âges de la Grèce. Depuis Platon jusqu'à lui, il n'y a rien: personne, dans cet intervalle, n'a développé les opérations de notre âme; et un homme qui saurait tout Platon, et qui ne saurait que Platon, saurait peu et saurait mal.

LE CHEVALIER TEMPLE.

(Portrait de Lely, gravé par Houbroken.)

C'était, à la vérité, un Grec éloquent; son apologie de Socrate est un service rendu aux sages de toutes les nations; il est juste de le respecter, puisqu'il a rendu si respectable la vertu malheureuse, et les persécuteurs si odieux. On crut longtemps que sa belle morale ne pouvait être accompagnée d'une mauvaise métaphysique; on en fit presque un Père de l'Église, à cause de son Ternaire, que personne n'a jamais compris. Mais que penserait-on aujourd'hui d'un philosophe qui nous dirait qu'une matière est l'autre ; que le monde est une figure de douze pentagones; que le feu, qui est une pyramide, est lié à la terre par des nombres? Serait-on bien reçu à prouver l'immortalité et les métempsycoses de l'àme, en disant que le sommeil nait de la veille, la veille du sommeil, le

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vivant du mort, et le mort du vivant? Ce sont là les raisonnements qu'on a admirés pendant tant de siècles; et des idées plus extravagantes encore ont été employées depuis à l'éducation des hommes.

Locke seul a développé l'entendement humain, dans un livre où il n'y a que des vérités; et, ce qui rend l'ouvrage parfait, toutes ces vérités sont claires. Si l'on veut achever de voir en quoi ce dernier siècle l'emporte sur tous les autres, on peut jeter les yeux sur l'Allemagne et sur le Nord.

Un Hevelius, à Dantzick, est le premier astronome qui ait bien connu la

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