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par la postérité au rang de nos livres classiques, c'est qu'il est fondé en partie sur la chimère des tourbillons de Descartes.

Il faut ajouter à ces nouveautés celles que produisit Bayle en donnant une espèce de dictionnaire de raisonnement. C'est le premier ouvrage de ce genre où l'on puisse apprendre à penser. Il faut abandonner à la destinée des livres ordinaires les articles de ce recueil qui ne contiennent que de petits faits indignes à la fois de Bayle, d'un lecteur grave et de la postérité. Au reste, en plaçant ici Bayle parmi les auteurs qui ont honoré le siècle de Louis XIV, quoiqu'il fût réfugié en Hollande, je ne fais en cela que me conformer à l'arrêt du parlement de Toulouse, qui, en déclarant son testament valide en France, malgré la rigueur des lois, dit expressément <<< qu'un tel homme ne peut être regardé comme un étranger ».

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On ne s'appesantira point ici sur la foule des bons livres que ce siècle a fait naître; on ne s'arrête qu'aux productions de génie singulières ou neuves qui le caractérisent, et qui le distinguent des autres siècles. L'élo

FRONTISPICE DE LA 1re ÉDITION COMPLÈTE DU TÉLÉMAQUE
PUBLIÉE, EN 1717, PAR LE MARQUIS DE FENELON.
(Estampe de Bailleul et Duflos.)

quence de Bossuet et de Bourdaloue, par exemple, n'était et ne pouvait être celle de Cicéron : c'était un genre et un mérite tout nouveaux. Si quelque chose approche de l'orateur romain, ce sont les trois mémoires que Pellisson composa pour Fouquet. Ils sont dans le même genre que plusieurs oraisons de Cicéron, un mélange d'affaires judiciaires et d'affaires d'État, traité solidement avec un art qui paraît peu, et orné d'une éloquence touchante.

Nous avons eu des historiens, mais point de Tite-Live. Le style de la Conju

ration de Venise est comparable à celui de Salluste. On voit que l'abbé de SaintRéal l'avait pris pour modèle, et peut-être l'a-t-il surpassé. Tous les autres écrits dont on vient de parler semblent être d'une création nouvelle. C'est là surtout ce qui distingue cet âge illustre; car, pour des savants et des commentateurs, le XVIe et le XVIIe siècle en avaient beaucoup produit; mais le vrai génie en aucun genre n'était encore développé.

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GEORGES DE SCUDÉRY.

(D'après une estampe de Desrochers.)

Qui croirait que tous ces bons ouvrages en prose n'auraient probablement jamais existé, s'ils n'avaient été précédés par la poésie? C'est pourtant la destinée de l'esprit humain dans toutes les nations les vers furent partout les premiers enfants du génie, et les premiers maîtres d'éloquence.

Les peuples sont ce qu'est chaque homme en particulier. Platon et Cicéron commencèrent par faire des vers. On ne pouvait encore citer un passage noble et sublime de prose française, quand on savait par cœur le peu de belles stances que laissa Malherbe; et il y a grande apparence que, sans Pierre Corneille, le génie des prosateurs ne se serait pas développé.

Cet homme est d'autant plus

admirable, qu'il n'était environné que de très mauvais modèles quand il commença à donner des tragédies. Ce qui devait encore lui fermer le bon chemin, c'est que ces mauvais modèles étaient estimés; et, pour comble de découragement, ils étaient favorisés par le cardinal de Richelieu, le protecteur des gens de lettres, et non pas du bon goût. Il récompensait de misérables écrivains qui d'ordinaire sont rampants; et, par une hauteur d'esprit si bien placée ailleurs, il voulait abaisser ceux en qui il sentait avec quelque dépit un vrai génie, qui rarement se plie à la dépendance. Il est bien rare qu'un homme puissant, quand il est lui-même artiste, protège sincèrement les bons artistes.

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