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en son nom, à son père, intendant de Soissons, pour le féliciter d'avoir un tel fils.

Cependant, quand Bourdaloue parut, Bossuet ne passa plus pour le premier prédicateur. Il s'était déjà donné aux oraisons funèbres, genre d'éloquence qui demande de l'imagination et une grandeur majestueuse qui tient un peu à la poésie, dont il faut toujours emprunter quelque chose, quoique avec discrétion, quand on tend au sublime. L'oraison funèbre de la reinemère, qu'il prononça en 1667, lui valut l'évêché de Condom: mais ce discours n'était pas encore digne de lui; et il ne fut pas imprimé, non plus que ses sermons. L'éloge funèbre de la reine d'Angleterre, veuve de Charles Ier, qu'il fit en 1669, parut presque en tout un chefd'œuvre. Les sujets de ces pièces d'éloquence sont heureux, à proportion des malheurs que les morts ont éprouvés. C'est en quelque façon comme dans les tragédies, où les grandes infortunes des principaux personnages sont ce qui intéresse davantage. L'éloge funèbre de Madame, enlevée à la fleur de son àge, et morte entre ses bras, eut le plus grand et le plus rare des succès, celui de faire verser des larmes à la cour. Il fut obligé de s'arrêter après ces paroles : « O nuit désastreuse! nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle: Madame se meurt, Madame est morte, etc. » L'auditoire éclata en sanglots, et la voix de l'orateur fut interrompue par ses soupirs et par ses pleurs.

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UN SERMON AU XVII SIÈCLE LE CAPUCIN. (D'après une estampe de Lepautre.)

Les Français furent les seuls qui réussirent dans ce genre d'éloquence. Le même homme, quelque temps après, en inventa un nouveau, qui ne pouvait guère avoir de succès qu'entre ses mains. Il appliqua l'art oratoire à l'histoire

même, qui semble l'exclure. Son Discours sur l'histoire universelle, composé pour l'éducation du dauphin, n'a eu ni modèle, ni imitateurs. Si le système qu'il adopte pour concilier la chronologie des Juifs avec celle des autres nations a trouvé des contradicteurs chez les savants, son style n'a trouvé que des admirateurs. On fut étonné de cette force majestueuse dont il décrit les mœurs, le gouvernement, l'accroissement et la chute des grands empires, et de ces traits rapides d'une vérité énergique dont il peint et dont il juge les nations.

J.-B. BOSSUET A L'AGE DE 72 ANS. (D'après l'original de Rigaud, gravé par Sarrabat.)

Presque tous les ouvrages qui honorèrent ce siècle étaient dans un genre inconnu à l'antiquité. Le Télémaque est de ce nombre. Fénelon, le disciple, l'ami de Bossuet, et depuis devenu malgré lui son rival et son ennemi, composa ce livre singulier, qui tient à la fois du roman et du poème, et qui substitue une prose cadencée à la versification. Il semble qu'il ait voulu traiter le roman comme M. de Meaux avait traité l'histoire, en lui donnant une dignité et des charmes inconnus, et surtout en tirant de ces fictions une morale utile au genre humain, morale entièrement négligée dans presque toutes les

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inventions fabuleuses. On a cru qu'il avait composé ce livre pour servir de thèmes et d'instruction au duc de Bourgogne, et aux autres enfants de France, dont il fut le précepteur, ainsi que Bossuet avait fait son Histoire universelle pour l'éducation de Monseigneur. Mais son neveu, le marquis de Fénelon, héritier de la vertu de cet homme célèbre, et qui a été tué à la bataille de Recoux, m'a assuré le contraire. En effet, il n'eût pas été convenable que les amours de Calypso et d'Eucharis eussent été les premières leçons qu'un prêtre eût données aux enfants de France.

Il ne fit cet ouvrage que lorsqu'il fut relégué dans son archevêché de Cambrai. Plein de la lecture des anciens, et né avec une imagination vive et tendre, il s'était fait un style qui n'était qu'à lui, et qui coulait de source avec

abondance. J'ai vu son manuscrit original: il n'y a pas dix ratures. Il le composa en trois mois, au milieu de ses malheureuses disputes sur le quiétisme, ne se doutant pas combien ce délassement était supérieur à ses occupations. On prétend qu'un domestique lui en déroba une copie qu'il fit imprimer. Si cela est, l'archevêque de Cambrai dut à cette infidélité toute la réputation qu'il eut en Europe; mais il lui

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dut aussi d'être perdu pour jamais à la cour.

On crut voir dans le Télémaque une critique indirecte du gouvernement de Louis XIV. Sésostris, qui triomphait avec trop de faste, Idoménée, qui établissait le luxe dans Salente et qui oubliait le nécessaire, parurent des portraits du roi, quoique, après tout, il soit impossible d'avoir chez soi le superflu que par la surabondance des arts de la première nécessité. Le marquis de Louvois semblait, aux yeux des mécontents, représenté sous le nom de Protésilas, vain, dur, hautain, ennemi des grands capitaines qui servaient l'État, et non

le ministre.

BOURDALOUE EN PRIÈRE.

(D'après la peinture de Jouvenet, gravée par Rössler.

Les alliés qui, dans la guerre de 1688, s'unirent contre Louis XIV, qui depuis ébranlèrent son trône dans la guerre de 1701, se firent une joie de le reconnaître dans ce même Idoménée, dont la hauteur révolte tous ses voisins. Ces allusions firent des impressions profondes, à la faveur de ce style harmonieux qui insinue d'une manière si tendre la modération et la concorde. Les étrangers et les Français même, lassés de tant de guerres, virent avec une consolation maligne une satire dans un livre fait pour enseigner la vertu. Les éditions en furent innombrables. J'en ai vu quatorze en langue anglaise. Il est vrai qu'après la mort de ce monarque si craint, si envié, si respecté de tous, et si haï de quelques-uns,

quand la malignité humaine a cessé de s'assouvir des allusions prétendues qui censuraient sa conduite, les juges d'un goût sévère ont traité le Télémaque avec quelque rigueur. Ils ont blàmé les longueurs, les détails, les avenures trop peu liées, les descriptions trop répétées et trop uniformes de la vie.

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champêtre; mais ce livre a toujours été regardé comme un des beaux monuments d'un siècle florissant.

On peut compter parmi les productions d'un genre unique les Caractères de La Bruyère. Il n'y avait pas chez les anciens plus d'exemples d'un tel ouvrage que du Télémaque.

DE LODICEE Un style rapide, concis, nerveux, des

D'HOMERE.

ALIPSO ne pouvoit fe confoler du départ d'Ulyffe: dans fa douleur elle fe trouvoit malheureuse d'eftre immortelle. Sa grotte ne refonnoit plus du doux chant de fa voix. les Nimphes qui la fer

expressions pittoresques, un usage
tout nouveau de la langue, mais qui
n'en blesse pas les règles, frappèrent
le public; et les allusions qu'on y
trouvait en foule achevèrent le succès.
Quand La Bruyère montra son ouvrage
manuscrit à M. de Malézieu, celui-ci
lui dit « Voilà de quoi vous attirer
beaucoup de lecteurs et beaucoup
d'ennemis ». Ce livre baissa dans l'es-
prit des hommes quand une génération
entière, attaquée dans l'ouvrage, fut

voient n'ofoient luy parler, passée. Cependant, comme il y a
elle fe promenoit fouvent
feule fur les gafons fleuris,

PREMIÈRE PAGE DE LA 1re ÉDITION DU TÉLÉMAQUE
QUI PARUT SOUS LE TITRE SUITE DE L'ODYSSÉE
D'HOMÈRE.

des

choses de tous les temps et de tous les lieux, il est à croire qu'il ne sera jamais oublié. Le Télémaque a fait quelques imitateurs, les Caractères de

La Bruyère en ont produit davantage. Il est plus aisé de faire de courtes peintures des choses qui nous frappent, que d'écrire un long ouvrage d'imagination qui plaise et qui instruise à la fois.

L'art délicat de répandre des grâces jusque sur la philosophie fut encore une chose nouvelle, dont le livre des Mondes fut le premier exemple, mais exemple dangereux, parce que la véritable parure de la philosophie est l'ordre, la clarté, et surtout la vérité. Ce qui pourrait empêcher cet ouvrage ingénieux d'être mis

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