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tisme opprimait toute vérité. Charles II, rappelé sur le trône de ses ancêtres, par le repentir et par l'inconstance de sa nation, donna des lettres patentes à cette Académie naissante; mais c'est tout ce que le gouvernement donna. La Société Royale, ou plutôt la Société libre de Londres, travailla pour l'honneur de travailler. C'est de son sein que sortirent, de nos jours, les découvertes sur la lumière, sur le principe de la gravitation, sur l'aberration des étoiles fixes, sur la géométrie transcendante, et

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cent autres inventions, qui pourraient, à cet égard, faire appeler ce siècle le siècle des Anglais, aussi bien que celui de Louis XIV.

En 1666, M. Colbert, jaloux de cette nouvelle gloire, voulut que les Français la partageassent; et, à la prière de quelques savants, il fit agréer à Louis XIV l'établissement d'une Académie des sciences. Elle fut libre jusqu'en 1699, comme celle d'Angleterre et comme l'Académie française. Colbert attira d'Italie Dominique Cassini, Huygens de Hollande, et Roëmer de Danemark, par de fortes pensions. Roëmer détermina la vitesse des rayons solaires; Huygens découvrit l'anneau et un des satellites de Saturne, et Cassini les quatre autres. On doit à Huygens, sinon la première invention des horloges à pendule, du moins les vrais principes de la régularité de leurs mouvements, principes qu'il déduisit d'une géométrie sublime.

LOUIS XIV VISITANT LE MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE
ET L'ACADÉMIE DES SCIENCES.
(D'après une gravure de Sébastien Leclerc.)

On acquit peu à peu des connaissances de toutes les parties de la vraie physique, en rejetant tout système. Le public fut étonné de voir une chimie dans laquelle on ne cherchait ni le grand-œuvre, ni l'art de prolonger la vie au delà des bornes de la nature; une astronomie qui ne prédisait pas les événements du monde, une médecine indépendante des phases de la luné. La corruption. ne fut plus la mère des animaux et des plantes. Il n'y eut plus de prodiges,

dès que la nature fut mieux connue. On l'étudia dans toutes ses productions. La géographie reçut des accroissements étonnants. A peine Louis XIV a-t-il fait bâtir l'Observatoire, qu'il fait commencer, en 1669, une méridienne par Dominique Cassini et par Picard. Elle est continuée vers le nord, en 1683,. par Lahire; et enfin Cassini la prolonge, en 1700, jusqu'à l'extrémité du Roussillon. C'est le plus beau monument de l'astronomie, et il suffit pour éterniser ce siècle.

On envoie, en 1672, des physiciens à la Cayenne faire des observations utiles. Ce voyage a été la première origine de la connaissance de l'aplatissement de la terre, démontré depuis par le grand Newton; et il a préparé à ces voyages plus fameux qui depuis ont illustré le règne de Louis XV.

On fait partir, en 1700, Tournefort pour le Levant. Il y va recueillir des plantes qui enrichissent le Jardin Royal, autrefois abandonné, remis alors en honneur, et aujourd'hui devenu digne de la curiosité de l'Europe. La Bibliothèque royale, déjà nombreuse, s'enrichit sous Louis XIV de plus de trente mille volumes; et cet exemple est si bien suivi de nos jours, qu'elle en contient déjà plus de cent quatre-vingt mille. Il fait rouvrir l'École de droit, fermée depuis cent ans. Il établit dans toutes les universités de France un professeur de droit français. Il semble qu'il ne devrait pas y en avoir d'autres, et que les bonnes lois romaines, incorporées à celles du pays, devraient former un seul corps des lois de la nation.

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JEAN DOMINIQUE CASSINI (1625-1712).

(D'après une gravure de Cossin.)

Sous lui les journaux s'établissent. On n'ignore pas que le Journal des Savants, qui commença en 1665, est le père de tous les ouvrages de ce genre, dont l'Europe est aujourd'hui remplie, et dans lesquels trop d'abus se sont glissés, comme dans les choses les plus utiles.

L'Académie des belles-lettres, formée d'abord, en 1663, de quelques mem

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MÉDAILLE COMMEMORATIVE DE LA

FONDATION DE L'ACADÉMIE DES
INSCRIPTIONS ET

bres de l'Académie française, pour transmettre à la postérité, par des médailles, les actions de Louis XIV, devint utile au public dès qu'elle ne fut plus uniquement occupée du monarque, et qu'elle s'appliqua aux recherches de l'antiquité, et à une critique judicieuse des opinions et des faits. Elle fit à peu près dans l'histoire ce que l'Académie des sciences faisait dans la physique : elle dissipa des erreurs.

L'esprit de sagesse et de critique, qui se commuMÉDAILLES: niquait de proche en proche, détruisit insensiblement beaucoup de superstition. C'est à cette raison nais

« RERUM GESTARUM FIDES ».

sante qu'on dut la déclaration du roi de 1672, qui défendit aux tribunaux d'admettre les simples accusations de sorcellerie. On ne l'eût pas osé sous

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UNE SÉANCE ET UN LABORATOIRE DE CHIMIE: LA CHIMIE A L'ACADÉMIE DES SCIENCES AU XVII SIÈCLE. (Gravure de S. Leclerc, dans les Mémoires pour servir à l'histoire des plantes, de Dodart.)

Henri IV et sous Louis XIII; et si, depuis 1672, il y a encore cu des accusations de maléfices, les juges n'ont condamné, d'ordinaire, les accusés que comme des profanateurs, qui d'ailleurs employaient le poison.

Il était très commun auparavant d'éprouver les sorciers en les plongeant dans l'eau, liés de cordes : s'ils surnageaient, ils étaient convaincus. Plusieurs juges de province avaient ordonné ces épreuves, et elles continuèrent encore longtemps parmi le peuple. Tout berger était sorcier; et les amulettes, les, anneaux constellés, étaient en usage dans les villes. Les effets de la baguette de coudrier, avec laquelle on croit découvrir les sources, les trésors et les

voleurs, passaient pour certains et ont encore beaucoup de crédit dans plus d'une province d'Allemagne. Il n'y avait presque personne qui ne se fît tirer son horoscope. On n'entendait parler que de secrets magiques; presque tout était illusion. Des savants, des magistrats, avaient écrit sérieusement sur ces matières. On distinguait parmi les auteurs une classe de démonographes. Il y avait des règles pour discerner les vrais magiciens, les vrais possédés, d'avec les faux; enfin, vers ces temps-là, on n'avait guère adopté de l'antiquité que des erreurs en tout genre.

Les idées superstitieuses étaient tellement enracinées chez les hommes, que les

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UNE PORTÉE DE RATS LIÉE PAR LA QUEUE. (Grand miracle survenu en Allemagne en 1686 et accrédité par une estampe populaire.)

comètes les effrayaient encore en 1680. On osait à peine combattre cette crainte populaire. Jacques Bernoulli, l'un des grands mathématiciens de l'Europe, en répondant, à propos de cette comète, aux pártisans du préjugé, dit que la chevelure de la comète ne peut être un signe de la colère divine, parce que cette chevelure est éternelle, mais que la queue pourrait bien en être un. Cependant ni la tête ni la queue ne sont éternelles. Il fallut que Bayle écrivît contre le préjugé vulgaire un livre fameux, que les progrès de la raison ont rendu aujourd'hui moins piquant qu'il ne l'était alors.

On ne croirait pas que les souverains eussent obligation aux philosophes. Cependant il est vrai que cet esprit philosophique, qui a gagné presque toutes les conditions, excepté le bas peuple, a beaucoup contribué à faire valoir les droits des souverains. Des querelles qui auraient produit autrefois des excommunications, des interdits, des schismes, n'en ont point causé. Si on a dit que les peuples seraient heureux quand ils auraient des philosophes pour rois, il est très vrai de dire que les rois en sont plus heureux quand il y a beaucoup de leurs sujets philosophes.

Il faut avouer que cet esprit raisonnable, qui commence à présider à l'éducation dans les grandes villes, n'a pu empêcher les fureurs des fanatiques des Cévennes, ni prévenir la démence du petit peuple de Paris autour d'un tombeau à Saint-Médard, ni calmer les disputes aussi acharnées que frivoles entre des hommes qui auraient dû être sages. Mais, avant ce siècle, ces disputes eussent causé des troubles dans l'État; les miracles de Saint-Médard eussent été accrédités

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par les plus considérables citoyens, et le fanatisme, renfermé dans les montagnes. des Cévennes, se fût répandu dans les villes.

Tous les genres de science et de littérature ont été épuisés dans ce siècle; et tant d'écrivains ont étendu les lumières de l'esprit humain, que ceux qui, en d'autres temps, auraient passé pour des prodiges, ont été confondus dans la foule. Leur gloire est peu de chose à cause de leur nombre, et la gloire du siècle en est plus grande.

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Nous avons respecté, en donnant dans le tableau du progrès de l'esprit français au xvn siècle la première place aux sciences, l'ordre qu'avait suivi Voltaire. Cet ordre, il le reconnaît lui-même, n'est pas conforme à la perspective vraie de cette époque.

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PIERRE GASSEND, DIT GASSENDI (1592-1655).
Mathématicien et philosophe.

(Médaillon de Varin, collection du
baron Jérome Pichon.)

S'il l'a adopté, c'est qu'il était surtout préoccupé de retrouver dans le Grand Siècle les éléments de la pensée moderne au siècle suivant. Pour Voltaire, comme pour d'Alembert, les sciences et la philosophie, intimement unies, l'esprit de critique et de recherche, la raison en un mot, viennent à la fin du règne de Louis XIV réveiller l'humanité d'une longue torpeur. « Il se répand une vive lumière qui n'avait pas éclairé nos ancêtres. >> Dans leur enthousiasme à saluer l'aurore de cette ère nouvelle, à célébrer Gassendi, Bayle et Fontenelle, les hommes du XVIIe siècle exagéraient l'épaisseur des ténèbres, de la nuit qui l'avait précédé.

Mais cet enthousiasme même, la réalité des titres nouveaux que se créait en leur temps l'esprit français, et les effets enfin de ce mouvement intellectuel sur le monde moderne les excusent largement.

Voltaire a pu, comme les autres, dépasser la mesure : mais son admiration. pour les œuvres de son siècle ne l'a pas un scul instant rendu injuste à l'égard du Grand Siècle.

Nul plus que lui n'a goûté et célébré les œuvres littéraires ou artistiques des contemporains de Louis XIV. Il avait l'esprit assez large pour comprendre ce que les unes et les autres, avec toutes leurs différences, ont ajouté au

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