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ètre persuadés. C'est ainsi qu'en Angleterre, dans les temps les plus florissants, on voit cent papiers publics qui démontrent que l'État est ruiné.

Il était plus aisé en France qu'ailleurs de décrier le ministère des finances dans l'esprit des peuples. Ce ministère est le plus odieux, parce que les impôts le sont toujours il régnait d'ailleurs en général dans la finance autant de préjugés et d'ignorance que dans la philosophie.

On s'est instruit si tard, que de nos jours mème on a entendu, en 1718, le parlement en corps dire au duc d'Orléans que « la valeur

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JEAN-BAPTISTE COLBERT.

(Buste de Desjardins, Musée du Louvre.)

les colonies, en 1667, le

intrinsèque du marc d'argent est de vingt-cinq livres; >> comme s'il y avait une autre valeur réelle intrinsèque que celle du poids et du titre : et le duc d'Orléans, tout éclairé qu'il était, ne le fut pas assez pour relever cette méprise du parlement.

Colbert arriva au maniement des finances avec de la science et du génie. Il commença, comme le duc de Sulli, par arrêter les abus et les pillages, qui étaient énormes. La recette fut simplifiée autant qu'il était possible; et, par une économie qui tient du prodige, il augmenta le trésor du roi en diminuant les tailles. On voit, par l'édit mémorable de 1664, qu'il y avait tous les ans un million de ce temps-là destiné à l'encouragement des manufactures et du commerce maritime.

Il négligea si peu les campagnes, abandonnées jusqu'à lui à la rapacité des traitants, que des négociants anglais s'étant adressés à M. Colbert de Croissi, son frère, ambassadeur à Londres, pour fournir en France des bestiaux d'Irlande et des salaisons pour contrôleur-général répondit que depuis quatre ans on

en avait à revendre aux étrangers.

Pour parvenir à cette heureuse administration, il avait fallu une chambre de justice et de grandes réformes. Il fut obligé de retrancher huit millions et plus de rentes sur la ville, acquises à vil prix, que l'on remboursa sur le pied de l'achat. Ces divers changements exigèrent des édits. Le parlement était en possession de les vérifier depuis François Ier. Il fut proposé de les enregistrer seulement à la chambre des comptes; mais l'usage ancien prévalut. Le roi alla lui-même au parlement faire vérifier ses édits, en 1664.

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Avec ses armes LA COULEUVRE, gravure d'Audran, d'après le portrait de Le Febvre.)

Il se souvenait toujours de la Fronde, de l'arrêt de proscription contre un cardinal, son premier ministre, des autres arrêts par lesquels on avait saisi les deniers royaux, pillé les meubles et l'argent des citoyens attachés à la couronne. Tous ces excès ayant commencé par des remontrances sur des édits concernant les revenus de l'État, il ordonna, en 1667, que le parlement ne fit jamais de

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AGIOTEURS ET TRAITANTS FRAPPÉS PAR LES FOUDRES DE LA JUSTICE ROYALE.

(1711, Estampe satirique du temps: la Déroute des Agioteurs.)

représentation que dans la huitaine, après avoir enregistré avec obéissance. Cet édit fut encore renouvelé en 1673. Aussi, dans tout le cours de son administration, il n'essuya aucune remontrance d'aucune cour de judicature, excepté dans la fatale année de 1709, où le parlement de Paris représenta inutilement le tort que le ministre des finances faisait à l'État par la variation du prix de l'or et de l'argent.

Presque tous les citoyens ont été persuadés que, si le parlement s'était toujours borné à faire sentir au souverain, en connaissance de cause, les malheurs et les besoins du peuple, les dangers des impôts, les périls encore plus grands de la vente de ces impôts à des traitants qui trompaient le roi et opprimaient le peuple, cet usage des remontrances aurait été une ressource sacrée de l'État, un

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frein à l'avidité des financiers et une leçon continuelle aux ministres. Mais les étranges abus d'un remède si salutaire avaient tellement irrité Louis XIV, qu'il ne vit que les abus, et proscrivit le remède. L'indignation qu'il conserva toujours dans son cœur fut portée si loin, qu'en 1669 (13 auguste) il alla encore luimême au parlement pour y révoquer les privilèges de noblesse qu'il avait accordés dans sa minorité, en 1644, à toutes les cours supérieures.

Mais, malgré cet édit, enregistré en présence du roi, l'usage a subsisté de laisser jouir de la noblesse tous ceux dont les pères ont exercé vingt ans une charge de judicature dans une cour supérieure, ou qui sont qui sont morts dans leurs emplois.

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En mortifiant ainsi une compagnie de magistrats, il voulut encourager la noblesse qui défend la patrie, et les agriculteurs qui la nourrissent. Déjà, par son édit de 1666, il avait accordé deux mille francs de pension, qui en font près de quatre aujourd'hui, à tout gentilhomme qui aurait eu douze enfants, et mille à qui en aurait eu dix. La moitié de cette gratification était assurée à tous les habitants des villes exemptes de tailles; et, parmi les taillables, tout père de famille qui avait ou qui avait eu dix enfants était à l'abri de toute imposition.

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