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Quinault; mais c'était dans les plus beaux jours de sa gloire, dans le temps où l'ivresse de la nation excusait la sienne. Virgile et Horace, par reconnaissance, et Ovide, par une indigne faiblesse, prodiguèrent à Auguste des éloges plus forts, et, si on songe aux proscriptions, bien moins mérités.

Si Corneille avait dit dans la chambre du cardinal de Richelieu à quelqu'un des courtisans: « Dites à M. le cardinal que je me connais mieux en vers que lui,» jamais ce ministre ne lui cût pardonné; c'est pourtant ce que Despréaux dit tout haut du roi, dans une dispute qui s'éleva sur quelques vers que le roi trouvait bons, et que Despréaux condamnait. « Il a raison, dit le roi; il s'y connait mieux que moi. » Le duc de Vendôme avait auprès de lui Villiers, un de ces hommes de plaisir, qui se font un mérite d'une liberté cynique. Il le logeait à Versailles dans son appartement. On l'appelait communément Villiers-Vendôme. Cet homme condamnait hautement tous les goûts de Louis XIV, en musique, en peinture, en architecture, en jardins. Le roi plantait-il un bosquet, meublaitil un appartement, construisait-il une fontaine, Villiers trouvait tout mal entendu, et s'exprimait en termes peu mesurés. « Il est étrange, disait le roi, que Villiers ait choisi ma maison pour venir s'y moquer de tout ce que je fais. » L'ayant rencontré un jour dans les jardins : « Eh bien! lui dit-il en lui montrant un de ses nouveaux ouvrages, cela n'a donc pas le bonheur de vous plaire? Non, répondit Villiers. - Cependant, reprit le roi, il y a bien des gens qui n'en sont pas si mécontents. Cela peut être, repartit Villiers, chacun a son avis. » Le roi, en riant, répondit : « On ne peut pas plaire à tout le monde. »

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L'HABIT USURPE : LOUIS XIV VÊTU DES PLACES FORTES QU'IL A CONQUISES. (D'après une caricature hollandaise de 1693.)

Un jour, Louis XIV jouant au trictrac, il y eut un coup douteux. On dis

putait; les courtisans demeuraient dans le silence. Le comte de Grammont arrive. « Jugez-nous, lui dit le roi. Sire, c'est vous qui avez tort, dit le Et comment pouvez-vous me donner le tort, avant de savoir ce dont

comte.

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il s'agit? Eh! sire, ne voyez-vous pas que, pour peu que la chose eût été seulement douteuse, tous ces messieurs vous auraient donné gain de cause? >> Le duc d'Antin se distingua dans ce siècle par un art singulier, non pas de dire des choses flatteuses, mais d'en faire. Le roi va coucher à Petit-Bourg; il y critique une grande allée d'arbres qui cachait la vue de la rivière. Le duc d'Antin la fait abattre pendant la nuit. Le roi, à son réveil, est étonné de ne plus voir ces arbres qu'il avait condamnés. « C'est parce que Votre Majesté les a condamnés qu'elle ne les voit plus,» répond le duc.

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LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE
DE PARIS.

(Médaillon d'un Almanach de 1670.

Nous avons aussi rapporté ailleurs que le même homme, ayant remarqué qu'un bois assez grand, au bout du canal de Fontainebleau, déplaisait au roi, prit le moment d'une promenade; et, tout étant préparé, il se fit donner un ordre de couper ce bois, et on le vit dans l'instant abattu tout entier. Ces traits sont d'un courtisan ingénieux, et non pas d'un flatteur.

On a accusé Louis XIV d'un orgueil insupportable, parce que la base de sa statue, à la place des Victoires, est entourée d'esclaves enchaînés. Mais ce n'est point lui qui fit ériger cette statue, ni celle qu'on voit à la place Vendôme. Celle de la place des Victoires est le monument de la grandeur d'âme et de la reconnaissance du premier maréchal de La Feuillade pour son souverain. Il y dépensa cinq cent mille livres, qui font près d'un million aujourd'hui ; et la ville en ajouta autant pour rendre la place régulière. Il paraît qu'on a eu également tort d'imputer à Louis XIV le faste de cette statue, et de ne voir que de la vanité et de la flatterie dans la magnanimité du maréchal.

On ne parlait que de ces quatre esclaves; mais ils figurent des vices domptés, aussi bien que des nations vaincues ; le duel aboli, l'hérésie détruite; les inscriptions le témoignent assez. Elles célèbrent aussi la jonction des mers, la paix de Nimègue elles parlent de bienfaits plus que d'exploits guerriers. D'ailleurs c'est un ancien usage des sculpteurs de mettre des esclaves aux pieds des statues des rois. Il vaudrait mieux y représenter des citoyens libres et heureux; mais enfin on voit des esclaves aux pieds du clément Henri IV et de Louis XIII,

à Paris; on en voit à Livourne sous la statue de Ferdinand de Médicis, qui n'enchaina assurément aucune nation; on en voit à Berlin sous la statue d'un électeur qui repoussa les Suédois, mais qui ne fit point de conquête.

Les voisins de la France, et les Français eux-mêmes, ont rendu très injustement Louis XIV responsable de cet usage. L'inscription: Viro immortali, A l'homme immortel, a été traitée d'idolâtrie, comme si ce mot signifiait autre chose que l'immortalité de sa gloire. L'inscription de Viviani, à sa maison de Florence, Ædes a deo datæ, Maison donnée par un dieu, serait bien plus idolâtre :

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elle n'est pourtant qu'une allusion au surnom Dieu-donné, et au vers de Virgile, deus nobis hæc otia fecit (Egl. 1, vers 6).

A l'égard de la statue de la place Vendôme, c'est la ville qui l'a érigée. Les inscriptions latines qui remplissent les quatre faces de la base sont des flatteries plus grossières que celles de la place des Victoires. On y lit que Louis XIV ne prit jamais les armes que malgré lui. Il démentit bien solennellement cette adulation au lit de la mort, par des paroles dont on se souviendra plus longtemps que de ces inscriptions ignorées de lui, et qui ne sont que l'ouvrage de bassesse de quelques gens de lettres.

Le roi avait destiné les bâtiments de cette place pour sa bibliothèque publique La place était plus vaste; elle avait d'abord trois faces, qui étaient celles d'un palais immense dont les murs étaient déjà élevés, lorsque le malheur des temps, en 1701, força la ville de bâtir des maisons de particuliers sur les ruines de ce

palais commencé. Ainsi le Louvre n'a point été fini; ainsi la fontaine et l'obélisque que Colbert voulait faire élever vis-à-vis le portail de Perrault n'ont paru que dans les dessins; ainsi le beau portail de Saint-Gervais est demeuré offusqué; et la plupart des monuments de Paris laissent des regrets.

LA

La nation désirait que Louis XIV eût préféré son Louvre et sa capitale au palais de Versailles, que le duc de Créqui appelait un favori sans mérite. La postérité admire avec reconnaissance ce qu'on a fait de grand pour le public; mais la critique se joint à l'admiration, quand on voit ce que Louis XIV a fait de superbe et de défectueux pour sa maison de campagne.

HALLEBARDE

No 90 DE LA GARDE
ÉCOSSAISE DE

LOUIS XIV AUX
ARMES DU ROI SO-
LEIL ».

(Collection

de

M.Charles Rossigneux.)

Il résulte de tout ce qu'on vient de rapporter, que ce monarque aimait en tout la grandeur et la gloire. Un prince qui, ayant fait d'aussi grandes choses que lui, serait encore simple et modeste, serait le premier des rois, et Louis XIV le second.

S'il se repentit en mourant d'avoir entrepris légèrement des guerres, il faut convenir qu'il ne jugeait pas par les événements; car, de toutes ses guerres, la plus juste et la plus indispensable, celle de 1701, fut la seule malheureuse.

Il eut de son mariage, outre Monseigneur, deux fils et trois filles, morts dans l'enfance. Ses amours furent plus heureux il n'y eut que deux de ses enfants naturels qui moururent au berceau; huit autres vécurent, furent légitimés, et cinq eurent postérité. Il eut encore d'une demoiselle, attachée à Mme de Montespan, une fille non reconnue, qu'il maria à un gentilhomme d'auprès de Versailles, nommé de La Queue.

On soupçonna, avec beaucoup de vraisemblance, une religieuse de l'abbaye de Moret d'être sa fille. Elle était extrêmement basanée, et d'ailleurs lui ressemblait. Le roi lui donna vingt mille écus de dot, en la plaçant dans ce couvent. L'opinion qu'elle avait de sa naissance lui donnait un orgueil dont ses supérieures se plaignirent. Mme de Maintenon, dans un voyage de Fontainebleau, alla au couvent de Moret, et, voulant inspirer plus de modestie à cette religieuse, elle fit ce qu'elle put pour lui ôter l'idée qui nourrissait sa fierté. «< Madame, lui dit cette personne, la peine que prend une dame

de votre élévation de venir exprès ici me dire que je ne suis pas fille du roi, me persuade que je le suis. » Le couvent de Moret se souvient encore de cette anecdote.

Tant de détails pourraient rebuter un philosophe; mais la curiosité, cette faiblesse si commune aux hommes, cesse presque d'en être une, quand elle a pour objet des temps et des hommes qui attirent les regards de la postérité.

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