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années de la régence. Il prétendit que l'on était damné pour y assister; il fit mème signer cet anathème par sept docteurs de Sorbonne; mais l'abbé de Beaumont, précepteur du roi, se munit de plus d'approbations de docteurs que le rigoureux curé n'avait apporté de condamnations. Il calma ainsi les scrupules de la reine; et, quand il fut archevêque de Paris, il autorisa le sentiment qu'il avait défendu étant abbé. Vous trouverez ce fait dans les Mémoires de la sincère Mme de Motteville.

Il faut observer que, depuis que le cardinal de Richelieu avait introduit à la cour les spectacles réguliers qui ont enfin rendu Paris la rivale d'Athènes, non seulement il y eut toujours un banc pour l'Académie, qui possédait plusieurs ecclésiastiques dans son corps, mais qu'il y en eut un particulier pour les évèques.

Le cardinal Mazarin, en 1646 et en 1654, fit représenter sur le théâtre du Palais-Royal et du PetitBourbon, près du Louvre, des opéras italiens, exécutés par des voix qu'il fit venir d'Italie. Ce spectacle nouveau était né depuis peu à Florence, contrée alors favorisée de la fortune comme de la nature, et à laquelle on doit la reproduction de plusieurs arts anéantis pendant des siècles, et la création de quelques-uns. C'était en France un reste de l'ancienne barbarie, de s'opposer à l'établissement de ces arts.

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LOUIS XIV EN COSTUME DE ROI SOLEIL. >>

Les jansénistes, que les cardinaux de Richelieu et de Mazarin voulurent réprimer, s'en vengèrent contre les plaisirs que ces deux ministres procuraient à la nation. Les luthériens et les calvinistes en avaient usé ainsi du temps du pape Léon X. Il suffit d'ailleurs d'être novateur pour être austère. Les mêmes esprits qui bouleverseraient un État pour établir une opinion souvent absurde, anathématisent les plaisirs innocents nécessaires à une grande ville, et des arts qui contribuent à la splendeur d'une nation. L'abolition des spectacles serait une idée plus digne du siècle d'Attila que du siècle de Louis XIV.

(Dans le ballet de la Nuit.)

La danse, qui peut encore se compter parmi les arts, parce qu'elle est asservic à des règles, et qu'elle donne de la grâce au corps, était un des plus grands amusements de la cour. Louis XIII n'avait dansé qu'une fois dans un ballet,

en 1625; et ce ballet était d'un goût grossier, qui n'annonçait pas ce que les
arts furent en France trente ans après. Louis XIV excellait dans les danses.
graves, qui convenaient à la majesté de sa figure, et qui ne blessaient pas celle
de son rang. Les courses de bagues qu'on faisait quelquefois, et où l'on
étalait déjà une grande magnificence, faisaient paraître avec éclat son adresse
à tous les exercices. Tout respirait les plaisirs et la magnifi-
cence qu'on connaissait alors. C'était peu de chose en com-
paraison de ce qu'on vit quand le roi régna par lui-même ;
mais c'était de quoi étonner, après les horreurs d'une
guerre civile, et après la tristesse de la vie sombre et
retirée de Louis XIII. Ce prince malade et chagrin
n'avait été ni servi, ni logé, ni meublé en roi. Il n'y avait
pas pour cent mille écus de pierreries appartenantes à
la couronne. Le cardinal Mazarin n'en laissa que pour
douze cent mille; et aujourd'hui il y en a pour
environ vingt millions de livres.

(1660) Tout prit au mariage de Louis XIV un
caractère plus grand de magnificence et de goût
qui augmenta toujours depuis. Quand il fit son
entrée avec la reine son épouse, Paris vit avec une
admiration respectueuse et tendre cette jeune reine, qui avait
de la beauté, portée dans un char superbe, d'une invention nou-
velle; le roi, à cheval à côté d'elle, paré de tout ce que l'art avait
pu ajouter à sa beauté male et héroïque qui arrêtait tous les
regards.

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UN SEIGNEUR DE LA COUR

EN COSTUME. (Dans le ballet de la Nuit, 1653.)

On prépara au bout des allées de Vincennes un arc de triomphe dont la base était de pierre; mais le temps, qui pressait, ne permit pas qu'on l'achevàt d'une matière durable: il ne fut élevé qu'en plâtre, et il a été depuis totalement démoli. Claude Perrault en avait donné le dessin. La porte Sainte-Antoine fut rebâtie pour la même cérémonie monument d'un goùt moins noble, mais orné d'assez beaux morceaux de sculpture. Tous ceux qui avaient vu, le jour de la bataille de SaintAntoine, rapporter à Paris, par cette porte alors garnie d'une herse, les corps morts ou mourants de tant de citoyens, et qui voyaient cette entrée si différente, bénissaient le ciel, et rendaient grâces d'un si heureux change

ment.

Le cardinal Mazarin, pour solenniser ce mariage, fit représenter au Louvre

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ENTRÉE DE LOUIS XIV ET DE MARIE-THÉRÈSE A PARIS APRÈS LEUR MARIAGE.
(D'après la relation officielle publiée en 1662 par la Ville de Paris.)

l'opéra italien intitulé Ercole amante. Il ne plut pas aux Français. Ils n'y virent

COSTUME DE BALLET ET D'OPÉRA. (D'après un manuscrit de Bérain conservé à la Bibliothèque de Versailles.)

avec plaisir que le roi et la reine qui y dansèrent. Le cardinal voulut se signaler par un spectacle plus au goût de la nation. Le secrétaire d'État de Lyonne se chargea de faire composer une espèce de tragédie allégorique, dans le goût de celle de l'Europe, à laquelle le cardinal de Richelieu avait travaillé. Ce fut un bonheur pour le grand Corneille qu'il ne fût pas choisi pour remplir ce mauvais canevas.

Le sujet était Lysis et Hespérie. Lysis signifiait la France, et Hespérie l'Espagne. Quinault fut chargé d'y travailler. Il venait de se faire une grande réputation par la pièce du Faux Tiberinus, qui, quoique mauvaise, avait eu un prodigieux succès. Il n'en fut pas de même de Lysis. On l'exécuta au Louvre. Il n'y eut de beau que les machines. Le marquis de Sourdeac, du nom de Rieux, à qui l'on dut depuis l'établissement de l'opéra en France, fit exécuter dans ce temps-là même, à ses dépens, dans son château de Neubourg, la Toison d'or de Pierre Corneille, avec des machines. Quinault, jeune et d'une figure agréable, avait pour lui la cour: Corneille

avait son nom et la France. Il en résulte que nous devons en France l'opéra et la comédie à deux cardinaux.

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ENTRÉE DE LOUIS XIV ET DE MARIE-THÉRÈSE A PARIS APRÈS LEUR MARIAGE.

(D'après la relation officielle publiée en 1662 par la ville de Paris.)

Ce ne fut qu'un enchaînement de fêtes, de plaisirs, de galanteries, depuis le mariage du roi. Elles redoublèrent à celui de Monsieur, frère du roi, avec Henriette d'Angleterre, sœur de Charles II; et elles n'avaient été interrompues qu'en 1661, par la mort du cardinal Mazarin.

Quelques mois après la mort de ce ministre, il arriva un événement qui n'a point d'exemple; et ce qui est non moins étrange, c'est que tous les historiens l'ont ignoré. On envoya dans le plus grand secret, au château de l'ile Sainte-Marguerite, dans la mer de Provence, un prisonnier inconnu, d'une taille au-dessus de l'ordinaire, jeune et de la figure la plus belle et la plus noble. Ce prisonnier, dans la route, portait un masque dont la mentonnière avait des ressorts d'acier, qui lui laissaient la liberté de manger avec le masque sur son visage. On avait ordre de le tuer s'il se découvrait. Il resta dans l'île jusqu'à ce qu'un officier de confiance nommé Saint-Mars, gouverneur de Pignerol, ayant été fait gouverneur de la Bastille, l'an 1690, l'alla prendre à l'ile Sainte-Marguerite et le conduisit à la Bastille, toujours masqué. Le marquis de Louvois alla le voir dans cette île avant la translation, et lui parla debout et avec une considération qui tenait du respect. Cet inconnu fut mené à la Bastille, où il fut logé aussi bien qu'on peut l'ètre dans ce château. On ne lui refusait rien de ce qu'il demandait. Son plus grand goût était pour le linge d'une finesse extraordinaire, et pour les dentelles. Il jouait de la guitare. On lui faisait la plus grande chère, et le gouverneur

COSTUME DE BALLET ET D'OPÉRA. (D'après un manuscrit de Bérain conservé à la Bibliothèque de Versailles.)

s'asseyait rarement devant lui. Un vieux médecin de la Bastille, qui avait souvent traité cet homme singulier dans ses maladies, a dit qu'il n'avait jamais vu son visage, quoiqu'il eût souvent examiné sa langue et le reste de son corps. Il était admirablement bien fait, disait ce médecin : sa peau était un peu brune; il intéressait par le seul ton de sa voix, ne se plaignant jamais de son état, et ne laissant point entrevoir ce qu'il pouvait être.

Cet inconnu mourut en 1705, et fut enterré la nuit à la paroisse de SaintPaul. Ce qui redouble l'étonnement, c'est que, quand on l'envoya dans l'île de Sainte-Marguerite, il ne disparut dans l'Europe aucun homme considérable. Ce prisonnier l'était sans doute, car voici ce qui arriva les premiers jours qu'il

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était dans l'ile. Le gouverneur mettait lui-même les plats sur la table, et ensuite se retirait après l'avoir enfermé. Un jour, le prisonnier écrivit avec un couteau sur une assiette d'argent, et jeta l'assiette par la fenêtre vers un bateau qui était au rivage, presque au pied de la tour. Un pècheur, à qui ce bateau appartenait, ramassa l'assiette et la rapporta au gouverneur. Celui-ci étonné demanda au pêcheur: « Avez-vous lu ce qui est écrit sur cette assiette, et quelqu'un l'a-t-il vue entre vos mains? Je ne sais pas lire, répondit le pêcheur. Je viens de la trouver, personne ne l'a vue. » Ce paysan fut retenu jusqu'à ce que le gouverneur fût bien informé qu'il n'avait jamais lu, et que l'assiette n'avait été vue de personne. «Allez, lui dit-il, vous êtes bien heureux de ne savoir pas lire. >> Parmi les personnes qui ont eu une connaissance immédiate de ce fait, il y en a une très digne de foi qui vit encore. M. de Chamillart fut le dernier ministre qui eut cet étrange secret. Le second maréchal de La Feuillade, son gendre,

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