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« Je finis par un des plus importants avis que je puisse vous donner. Ne vous laissez point gouverner. Soyez le maître; n'ayez jamais de favori, ni de premier ministre. Écoutez, consultez votre conseil, mais décidez. Dieu, qui vous a fait roi, vous donnera les lumières qui vous sont nécessaires, tant que vous aurez de bonnes intentions. >>

Louis XIV avait dans l'esprit plus de justesse et de dignité que de saillie;

UN OFFICIER QUI N'ÉTAIT PAS HOMME DE COUR: LE SIEUR JEAN BART.

(D'après une estampe populaire de Bonnart.)

et d'ailleurs on n'exige pas

qu'un roi dise des choses mémorables, mais qu'il en fasse. Ce qui est nécessaire à tout homme en place, c'est de ne laisser sortir personne mécontent de sa présence, et de se rendre agréable à tous ceux qui l'approchent. On ne peut faire du bien à tout moment; mais on peut toujours dire des choses qui plaisent. Il s'en était fait une heureuse habitude. C'était entre lui et sa cour un commerce continuel de tout ce que la majesté peut avoir de grâces, sans jamais se dégrader, et de tout ce que l'empressement de servir et de plaire peut avoir de finesse, sans l'air de la bassesse. Il était, surtout avec les qui augmentait encore celle de

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femmes d'une attention et d'une politesse ses courtisans; et il ne perdit jamais l'occasion de dire aux hommes de ces choses qui flattent l'amour-propre en excitant l'émulation, et qui laissent un long souvenir.

Un jour, Mme la duchesse de Bourgogne, encore fort jeune, voyant à souper un officier qui était très laid, plaisanta beaucoup et très haut sur sa laideur. « Je le trouve, madame, dit le roi encore plus haut, un des plus beaux hommes de mon royaume; car c'est un des plus braves. >>

Un officier général, homme un peu brusque, et qui n'avait pas adouci son caractère dans la cour mème de Louis XIV, avait perdu un bras dans une action,

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(Festin donné à Paris par le duc d'Alte, Ambassadeur d'Espagne, pour la naissance du Prince des Asturies.) (Estampe de Scotin l'Aîné, d'après Desmaretz.)

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et se plaignait au roi, qui l'avait pourtant récompensé autant qu'on le peut faire pour un bras cassé : « Je voudrais avoir perdu aussi l'autre, dit-il, et ne plus servir Votre Majesté. - J'en serais bien fàché pour vous, et pour moi, lui répondit le roi ; et ce discours fut suivi d'une grâce qu'il lui accorda. Il était si éloigné de dire des choses désagréables, qui sont des traits mortels dans la bouche d'un prince, qu'il ne se permettait pas même les plus innocentes et les

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LA SALLE DE BAL, DANS LES JARDINS DE VERSAILLES, CONSTRUITE EN 1680.

(Dessin de Boudier, d'après nature.)

plus douces railleries, tandis que des particuliers en font tous les jours de si cruelles et de si funestes.

Il se plaisait et se connaissait à ces choses ingénieuses, aux impromptus, aux chansons agréables; et quelquefois même il faisait sur-le-champ de petites parodies sur les airs qui étaient en vogue, comme celle-ci :

Chez mon cadet de frère,

Le chancelier Serrant

N'est pas trop nécessaire;

Et le sage Boifranc

Est celui qui sait plaire.

Et cet autre qu'il fit en congédiant un jour le conseil :

Le conseil à ses yeux a beau se présenter,

Sitôt qu'il voit sa chienne, il quitte tout pour elle;

Rien ne peut l'arrêter

Quand la chasse l'appelle.

Ces bagatelles servent au moins à faire voir que les agréments de l'esprit faisaient un des plaisirs de sa cour, qu'il entrait dans ces plaisirs, et qu'il savait dans le particulier vivre en homme, aussi bien que représenter en monarque sur le théâtre du monde.

Sa lettre à l'archevèque de Reims au sujet du marquis de Barbesieux, quoique écrite d'un style extrêmement négligé, fait plus d'honneur à son caractère que les pensées les plus ingénieuses n'en auraient fait à son esprit. Il avait donné à ce jeune homme la place de secrétaire d'État de la guerre, qu'avait eue le marquis de Louvois, son père. Bientôt mécontent de la conduite de son nouveau secrétaire d'État, il veut le corriger, sans le trop mortifier. Dans cette vue, il s'adresse à son oncle, l'archevêque de Reims; il le prie d'avertir son neveu. C'est un maître instruit de tout; c'est un père qui parle.

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VASE DE MARBRE. JARDINS DE VERSAILLES.

« Je sais, dit-il, ce que je dois à la mémoire de M. de Louvois; mais, si votre neveu ne change de conduite, je serai forcé de prendre un parti. J'en serai fàché; mais il en faudra prendre un. Il a des talents; mais il n'en fait pas un bon usage. Il donne trop souvent à souper aux princes, au lieu de travailler; il néglige les affaires pour ses plaisirs; il fait attendre trop longtemps les officiers dans son antichambre; il leur parle avec hauteur, et quelquefois avec dureté. »

Voilà ce que ma mémoire me fournit de cette lettre, que j'ai vue autrefois en original. Elle fait bien voir que Louis XIV n'était pas gouverné par ses ministres, comme on l'a cru, et qu'il savait gouverner ses ministres.

Il aimait les louanges, et il est à souhaiter qu'un roi les aime, parce qu'alors il s'efforce de les mériter. Mais Louis XIV ne les recevait pas toujours, quand elles étaient trop fortes. Lorsque notre Académie, qui lui rendait toujours compte des sujets qu'elle proposait pour ses prix, lui fit voir celui-ci : Quelle est de toutes les vertus du roi celle qui mérite la préférence? le roi rougit, et ne voulut pas qu'un tel sujet fùt traité. Il souffrit les prologues de

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