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divin, c'est une impression, non point des objets, mais des vérités éternelles qui résident en Dieu comme dans leur source, de sorte que vouloir voir les marques du raisonnement dans les organes, c'est chercher à mettre tout l'esprit dans le corps (1). ») Par conséquent, « il n'y a rien de plus injuste

que d'avoir égalé l'âme des bêtes, où il n'y a rien qui ne soit dominé absolument par le corps, à l'âme humaine, où l'on voit un principe qui s'élève audessus de lui, qui le pousse jusqu'à sa ruine pour contenter la raison, et qui s'élève jusqu'à la plus haute vérité, c'est-à-dire jusqu'à Dieu même (2). C'est pourquoi ceux qui ne veulent point reconnaître ce qu'ils ont au-dessus des bêtes sont tout ensemble les plus aveugles, les plus méchants et les plus impertinents de tous les hommes (3). »

Tout ce qui est en nous-mêmes nous sert donc à connaître Dieu (4). Le corps montre Dieu par la proportion de ses parties, l'âme par l'excellence de ses facultés, le corps et l'âme, dans leur impénétrable union, par la convenance qui s'y manifeste.

<< Du petit corps où elle est enfermée, l'âme tient à tout et voit tout l'univers se venir, pour ainsi dire, marquer sur ce corps, comme le cours du soleil se marque sur un cadran. Ainsi, joignant ensemble les principes universels qu'elle a dans l'esprit, et les

(1) Bossuet, t. xxII, p. 243.
(2) Idem, ibid., p. 249.
(3) Idem, ibid., p. 15.

faits particuliers qu'elle apprend par le moyen des sens, elle voit beaucoup dans la nature et en sait assez pour juger que ce qu'elle n'y voit pas est encore le plus beau; tant il a été utile de faire des nerfs qui pussent être touchés de si loin, et d'y joindre des sensations, par où l'âme est avertie de si grandes choses (1). ».

Que dire du corps, « que la nature a travaillé avec tant d'adresse et réduit à des parties si fines et si déliées, que ni l'art ne la peut imiter, ni la vue la plus perçante la suivre dans ses divisions si délicates, quelque secours qu'elle cherche dans les verres et les microscopes (2). Nul ciseau, nul tour, nul pinceau ne peut approcher de la tendresse avec laquelle elle tourne et arrondit ses sujets. Tout cela est d'une économie, et s'il est permis d'user de ce mot, d'une mécanique si admirable, qu'on ne le peut voir sans ravissement, ni assez admirer la sagesse de Celui qui a si bien disposé toutes choses de la manière qu'il faut, pour les effets auxquels on les voit manifestement destinées (3). Malgré qu'on en ait, un si grand art parle de son artisan, et toutes les fois que nous nous servons du corps, soit pour parler, ou pour respirer, ou pour nous mouvoir en quelque façon que ce soit, nous devrions toujours sentir Dieu présent (4). Qui voudrait nier la con

(1) Bossuet, t. XXII. p. 141.
(2) Idem, ibid., p. 144.

(3) Idem, ibid., p. 186, 187, 193.

venance des organes et de leurs fonctions est un insensé qui ne mérite pas qu'on lui parle (1). »

Le principe des causes finales, légitimement appliqué, conduit Bossuet de ce qui se voit à ce qui ne se voit pas. Mais c'est surtout dans l'àme qu'il faut chercher Dieu, « parce qu'elle est faite à son image, capable d'entendre la vérité, qui est Dieu même, et qu'elle se tourne actuellement vers son original, c'est-à-dire vers Dieu, où la vérité lui paraît autant que Dieu la lui veut faire paraître (2).

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L'âme sent, l'âme conçoit, l'àme agit. Dieu est le bien suprême que poursuivent ses désirs; Dieu est la vérité qu'entend son intelligence; Dieu enfin est l'exemplaire auquel elle se rend conforme par une volonté droite. « Toutes ses facultés ne sont d'ailleurs au fond que la même âme qui reçoit divers noms à cause de ses différentes opérations (3), » et ainsi tout dans l'âme annonce que Dieu lui est à la fois son principe et sa fin.

C'est pourquoi, « encore qu'il soit vrai que notre âme, éloignée de son air natal, contrainte et presque accablée par la pesanteur de ce corps mortel, ne fasse paraître qu'à demi cette noble et immortelle vigueur dont elle devrait toujours être agitée; si est ce néanmoins que nous sommes d'une race divine, ainsi que l'apôtre saint Paul l'a prêché

(1) Bossuet, t. XXII, p. 188.

(2) Idem, ibid., p. 203.

avec une merveilleuse énergie en plein conseil de l'aréopage Ipsius enim et genus sumus (Act. XVII, 28) (1) ».

Ainsi nous allons à Dieu par tout notre être, et tandis qu'il y a dans la nature des choses, comme le veut Platon, deux modèles, l'un divin et heureux, l'autre sans Dieu et misérable (2), c'est sur le premier que Bossuet arrête ses regards et appelle

notre attention.

(1) Bossuet, t. vII, p. 315.

(2) Platon, OEuvres complètes, trad. de M. Cousin, t. II, p. 134.

CHAPITRE II.

Théorie des Passions.

Il y a au centre de notre être une puissance complexe et mystérieuse, qui tour à tour nous abaisse vers la terre, donne à la pensée son élan, ou nous pénètre du souffle sacré de l'inspiration. Selon que l'âme lui cède ou la maîtrise, elle peut aller se perdre dans les abîmes, ou s'élever vers les pures régions des cieux. Cette puissance est la sensibilité, qui a pour ressort les passions.

L'artiste exprime les passions sur la toile ou sur le marbre; le poëte les chante dans ses vers; le romancier en fait le thème de ses conceptions frivoles; l'orateur enfin s'applique à les émouvoir.

La tâche du philosophe est plus austère, mais aussi plus relevée et plus utile. Car c'est à lui qu'il appartient de rechercher l'origine des passions, de les classer, et, par la connaissance de leur nature, d'assigner leur légitime usage et leur véritable fin Travail délicat, embarrassé, pénible, qui attire par un charme irrésistible, et rebute par la difficulté,

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