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Le principe de la continuité, confirmé par celui du meilleur, sert encore à Bossuet à résoudre la question de l'âme des bêtes, comme la résout Leib. niz et à confondre les Libertins. Car ce n'est point assez pour ces beaux esprits de se ravilir par leurs intempérances; ils se font encore un jeu de plaider contre eux-mêmes la cause des bêtes (1). A leur tête se voit un Montaigne, tout infatué des sentences qu'il débite, qui préfère les animaux à l'homme, leur instinct à notre raison, leur nature simple, innocente et sans fard, c'est ainsi qu'il parle, à nos raffinements et à nos malices (2). « Ce jeu serait supportable, s'il n'y entrait pas trop de sérieux; mais l'homme cherche dans ces jeux des excuses à ses désirs sensuels, et ressemble à quelqu'un de grande naissance, qui, ayant le courage bas, ne voudrait point se souvenir de sa dignité, de peur d'être obligé à vivre dans les exercices qu'elle demande (3).

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Or qui ne comprend combien l'homme et les animaux diffèrent?

Descartes, après Gomès Pereira, assure qu'ils ne sont que de pures machines, et Malebranche n'hésite point à les comparer à des horloges (4).

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Il en est d'autres qui, repoussant cette doctrine comme contraire au sens commun, prétendent que

(1) Bossuet, t. XXII, p. 243.

(2) Idem, VII, p. 64.

(3) Idem, t. XXII, p. 213.

(4) Malebranche, Recherche de la vérité, liv. 5, chap. 3, et

<«< la nature des animaux est une nature mitoyenne qui n'est pas un corps, parce qu'elle n'est pas étendue en longueur, largeur et profondeur; qui n'est pas un esprit, parce qu'elle est sans intelligence, incapable de posséder Dieu et d'être heureuse (1). Pour eux, l'intellectuel et le spirituel, c'est la même chose (2), » et l'objection de l'immortalité de l'âme ne les arrête pas. Car « encore que l'âme des bêtes soit distincte du corps, il n'y a point d'apparence qu'elle puisse être conservée séparément, parce qu'elle n'a point d'opération qui ne soit totalement absorbée par le corps et par la matière (3).

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Bossuet incline visiblement à cette doctrine, et il définira vaguement les animaux « des substances qui, frappées de certains objets, se meuvent selon ces objets, de côté ou d'autre, par un principe intérieur (4). » Cependant «< laissant à part les opinions, il déclare que c'est en nous étudiant nousmêmes et en observant ce que nous sentons, que nous devons juger de ce qui est hors de nous et dont nous n'avons pas d'expérience (5). »

Si donc ils consentent à s'étudier eux-mêmes, ces hommes dont l'âme est collée au corps, «ils cesseront de vouloir élever les animaux jusqu'à eux

(1) Bossuet, t. xxII, p. 249.
(2) Idem, ibid., p. 245.
(3) Idem, ibid., p. 249.

(4) Idem, t. xxv, p. 16.

mêmes, afin d'avoir le droit de s'abaisser jusqu'aux animaux et de pouvoir vivre comme eux (1). »

En effet, quels sont les arguments par où, sans souci de se dégrader, ils exaltent les bêtes? C'est qu'en premier lieu il leur semble que les animaux font toutes choses aussi convenablement que l'homme, et qu'ainsi ils raisonnent comme l'homme (2).

Sophisme frivole! Sans doute le monde est l'ouvrage d'une raison première et universelle qui forme tout sur la même idée et fait tout mouvoir en concours. Cette raison est en Dieu, ou plutôt cette raison c'est Dieu même (3), qui, parce qu'il est tout raison, ne peut rien faire que de suivi (4). Mais de ce que tout est fait avec intelligence, s'ensuit-il que tout soit intelligent (5)? Et de ce que les animaux font tout convenablement, doit-on en conclure qu'ils connaissent cette convenance (6) ?

Les Libertins insistent et demandent d'où viendrait cette exacte ressemblance des animaux aux hommes, tant dans leurs organes que dans la plupart de leurs actions, s'ils n'agissaient par le même principe intérieur et s'ils n'avaient du raisonnement. C'est là leur second argument (7).

On peut demander à son tour à ces superbes

(1) Bossuet, t. xxII, p. 212.
(2) Idem, ibid., p. 213.
(3) Idem, ibid., p. 214.

(4) Idem, ibid., p. 216.
(5) Idein, ibid., p. 215.
(6) Idem, ibid., p. 213.

demandeurs si les animaux apprennent, s'ils inventent, s'ils choisissent, s'ils ont rien en eux quidénoté cette liberté qui mérite et cette intelligence qui, se voyant conforme à des vérités immuables, comprend qu'elle a en elle un principe de vie immortelle (1). L'argumentation de Bossuet devient ici irrésistible, et son langage s'élève à une hauteur et à une magnificence incomparables.

Dire que les animaux apprennent, c'est ma! s'exprimer. Car « c'est autre chose d'apprendre, autre chose d'être plié et forcé à certains effets contre ses premières dispositions (2). » La bête flé. chit, à peu près comme le bois ou le fer (3), sous l'action de celui qui la dresse, et quand elle vient à son point, c'est dans l'homme industrie, et non pas en elle docilité.

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Apprendre suppose qu'on puisse savoir, et savoir suppose qu'on puisse avoir des idées universelles, et des principes universels qui, une fois pénétrés, nous fassent toujours tirer de semblables conséquences (4).

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Or, le mieux qu'on puisse faire pour les animaux, c'est de leur accorder des sensations (5). Incapables de réflexion aussi bien que de choix, « chacun d'eux étale, comme en un tableau, la res

(1) Bossuet, t xxII, p. 253.
(2) Idem, ibid., p. 224.
(3) Idem, ibid., p. 224.
(4) Idem, ibid., p. 227.

semblance qu'on lui a donnée; mais il n'ajoute, non plus qu'un tableau, rien à ses traits (1). »

Voyez l'homme, au contraire! << Seul il peut vaincre la nature et la coutume (2). Il va tâtant la nature, et, remuant toutes les inventions de l'art, il a changé la face de la terre. Après six mille ans d'observations, il cherche et trouve encore, afin qu'il connaisse qu'il peut trouver jusqu'à l'infini, et que la paresse seule peut donner des bornes à ses connaissances et à ses inventions.

Sa raison se promène par tous les ouvrages de Dieu, où voyant dans le détail et dans le tout une sagesse d'un côté si éclatante, et de l'autre si profonde et si cachée, elle est ravie et se perd dans cette contemplation. Alors s'apparaît à elle la belle et véritable idée d'une vie hors de cette vie, d'une vie qui se passe toute dans la contemplation de la vérité; et elle voit que la vérité, éternelle par ellemême, doit mesurer une telle vie par l'éternité qui lui est propre (3). »

Voilà ce qu'est l'homme et voilà ce qu'est la bête. On ne saurait non plus rien conclure de la ressemblance d'ailleurs si contestable des organes de l'homme et de ceux des animaux (4). Car, « ce qui fait raisonner l'homme n'est pas l'arrangement des organes; c'est un rayon et une image de l'esprit

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