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tout son être auparavant : c'est ainsi qu'un fruit sort d'un arbre; le soleil ne lui donne pas le fond de son être, il attire seulement par sa chaleur les sucs dont il est formé et les nourrit.

Dieu donc, qui crée de rien chaque chose, est le seul qui donne l'être proprement et absolument, parce qu'il est l'être même, et, par conséquent, la seule premièr cause efficiente de toutes choses.

La même subdivision que nous avons faite des causes efficientes se peut faire dans les causes finales. Il y en a de prochaines et d'éloignées; il y en a de principales et de moins principales, Il y a la fin dernière que l'esprit se propose comme le but de tous ses desseins, et les fins subordonnées qui ont rapport à celle-là. Par exemple, la fin générale de la vie humaine, c'est que Dieu soit servį. Toutes les vertus ont leurs fins particulières, qui sont subordonnées à cette fin générale. La tempérance a pour fin de modérer les plaisirs des sens, La force a pour fin de surmonter les douleurs et les périls, quand la raison le demande, et tout cela doit avoir pour fin de faire la volonté de Dieu, en suivant la droite raison qu'il nous a donnée pour guide, et qu'il a encore éclaircie par sa sainte loi.

La politique a pour fin de rendre un État heureux. C'est à cela que se rapportent et l'administration de la justice, et la guerre et le commerce, et l'agriculture. Par la justice, le repos public est établi; par la guerre, l'État est défendu des enne

mis du dehors; par le commerce et l'agriculture, il est abondant au dedans. La fin de tout cela est que les peuples soient heureux, et cette fin se rapporte encore à la fin universelle de la vie humaine, qui est que Dieu soit servi sans empêchement.

Telle est la fin que se propose celui qui veut vivre selon la vertu. Les autres ont d'autres fins; les uns rapportent toutes leurs pensées aux plaisirs des sens; les autres ne songent qu'à contenter leur ambition. Selo leurs divers projets, ils se proposent ou d'avoir une telle charge, ou de gagner ce grand seigneur, ou de rendre ce service; le tout pour arriver à la fin dernière que leur esprit se propose.

Une même action a donc plusieurs fins; mais elles sont toutes subordonnées à une fin principale, qui donne le branle à tout.

Un marchand voyage, et il a pour fin principale le gain que lui rapporte son trafic; il ne laisse pas quelquefois d'avoir une fin moins principale, qui sera de contenter sa curiosité.

Nous avons dit aussi qu'il y a la fin prochaine et la fin plus éloignée. La fin prochaine d'un homme qui joue, c'est de gagner; il espère aussi quelquefois d'entrer, par le jeu, dans de certaines familiarités qui le mèneront à quelque autre chose qu'il se propose de loin, et à quoi il veut, avec le temps, faire servir son jeu.

rechercher pour elles-mêmes. Telles sont les choses fâcheuses de leur nature, comme les remèdes amers, et l'application du fer ou du feu sur les membres. Mais ces choses affligeantes sont souffertes comme nécessaires à sauver la vie; ainsi la guerre est désirée pour la paix, le travail pour le repos, les remèdes violents pour assurer la tranquillité publique.

La fin fait le mérite et la dignité de toutes les choses humaines. Un art est plus noble qu'un autre, quand la fin en est excellente. Par exemple, la médecine, qui a pour fin de conserver le corps, est plus noble que la peinture ou la sculpture, qui ne fait qu'en représenter l'image.

C'est de la fin aussi que se tire la subordination de tous les arts. Un art est subordonné à un

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autre, quand sa fin se rapporte à celle d'un autre. Par exemple, la chirurgie est subordonnée à la médecine, parce que la guérison d'une plaie, qui est la fin de la chirurgie, se rapporte à la bonne constitution de tout le corps que la médecine a pour objet. Ainsi, l'art de la coupe des pierres est subordonné à l'architecture; la grammaire, qui apprend à construire les mots, est subordonnée à la rhétorique, qui a pour but de persuader; l'art de fortifier les places est subordonné à l'art militaire, et l'art militaire lui-même est subordonné à la politique, qui a pour fin, en général, le bien de l'État, à quoi se rapportent tous les succès de la

Chaque art a donc sa fin particulière; mais autre est la fin de l'art, autre est la fin de l'artisan. La fin de la rhétorique est de persuader; la fin de la sculpture et de la peinture est de représenter la nature. Mais l'artisan, outre cela, se propose pour lui-même, ou le crédit, ou le gain, ou quelque autre chose qui lui convienne. C'est pourquoi il peut arriver souvent que la fin de l'art soit bonne et que celle de l'artisan soit mauvaise; par exemple, s'il a dessein de se servir, pour quelque mauvaise action, du gain qu'il fait par son art.

La même chose qui met le rang entre les arts le met aussi entre les vertus; car elles sont plus ou moins nobles suivant la dignité de leur fin. Ainsi les vertus théologales, qui ont Dieu pour objet immédiat, sont d'elles-mêmes plus excellentes que les vertus morales, qui ont pour leur objet de régler nos devoirs envers le prochain et envers nous

mêmes.

Mais, au fond, toutes les vertus doivent être rapportées à Dieu, sans quoi elles n'ont pas la perfection qui leur est due; car Dieu étant le premier principe d'où sortent toutes choses, il est aussi la fin dernière à laquelle elles se rapportent, et l'homme ne se doit servir de sa liberté que pour se donner à lui par sa volonté, comme il est déjà à lui par sa nature. Ainsi il lui appartient d'être la fin universelle de la vie humaine; et Aristote est digne d'une éternelle louange d'avoir dit, tout païen qu'il était,

lui donne le plus de moyen de vaquer à Dieu.

Selon cette règle immuable, l'homme ne peut être bon que par rapport à cette fin. On peut être bon médecin, bon soldat, bon peintre, bon maître ou bon valet, par rapport à certaines fins particulières; mais on ne peut être appelé absolument bon que par rapport à Dieu, qui est le vrai bien de l'homme:

C'est pourquoi toute la vie humaine est réglée par ce précepte, auquel elle se rapporte : Tu aime ras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton esprit, de toute ta pensée, de toutes tes forces.

Ce petit Traité des causes est donné à monseigneur le Dauphin, à l'honneur de la première cause et de la fin dernière de toutes choses.

Là se termine le Traité des causes. Sans douteBossuet y a pris à tâche de se mettre à la portée d'un enfant, et d'un enfant peu précoce; et cependant, en plus d'un endroit, il y marque la forte empreinte de son génie, et résout, d'une manière lumineuse, les plus graves questions. C'est ce qui ressortira d'une rapide esquisse du sujet.

L'idée de cause est l'idée mère de la métaphysique. De cette idée, bien ou mal entendue, dépend la vérité ou la fausseté des systèmes, et c'est en elle, comme en un centre commun, que se réunissent à la fois et se distinguent les trois objets de la

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