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MÉTAPHYSIQUE DE BOSSUET

OU

TRAITÉ DES CAUSES.

Manuscrit inédit,

Aristote, et, à son exemple, les scolastiques, distinguaient plusieurs genres de causes. De là toute une partie de la Métaphysique, qu'on appelait le Traité des causes, et où l'on étudiait la propriété que les êtres ont d'être causes, après avoir premièrement disserté sur l'être en général et sur la substance.

Bossuet, en écrivant un Traité des causes, obéit donc aux habitudes de l'école, conciliant ainsi l'esprit moderne avec l'esprit de l'antiquité et les traditions du moyen âge.

Commençons par reproduire le texte ; nous chercherons ensuite à montrer quelle en est l'impor

tance.

TRAITÉ DES CAUSES.

La cause est ce qu'on répond, quand on demande pourquoi une chose est. Par exemple, à la question:

lieu? C'est parce qu'il y fait grand soleil, c'est parce que le vent de bise y donne beaucoup; c'est parce que le soleil et le vent de bise sont la cause, l'un de ce grand chaud, l'autre de ce grand froid.

Les questions qu'on peut faire par la particule pourquoi se réduisent à quatre principales, qui marquent quatre genres de causes.

On peut demander premièrement pourquoi une chose est, avec intention de savoir qu'est-ce proprement qui agit pour faire qu'elle existe. Comme dans les exemples rapportés : Qu'est-ce qui a fait ce grand chaud ou ce grand froid que nous sentons? On répond que c'est le soleil et le vent de bise: c'est ce qui s'appelle causes efficientes.

Secondement, on peut demander pourquoi une chose est, avec intention de savoir quel dessein se propose celui qui agit. Par exemple: Pourquoi allezvous dans ce jardin? On répond: Pour me promener, ou bien : Pour cueillir des fleurs. C'est ce qui s'appelle fin, ou cause finale.

Il y a deux autres pourquoi, auxquels il faut satisfaire par deux autres genres de causes. Par exemple, si de deux boules, l'une de cire et l'autre de marbre, on demande pourquoi l'une est molle et l'autre dure, la réponse est que l'une est de cire, matière molle et maniable, et l'autre de marbre, matière dure et qui résiste. Si l'on fait une autre question, et qu'on vous demande pourquoi ces deux boules roulent si facilement sur un plan : C'est à cause de leur rondeur, répondez-vous. Les réponses

que vous faites à ces deux questions sont tirées, l'une de la matière et l'autre de la forme de ces boules, et ainsi vous avez trouvé deux autres sortes de causes, qu'il faut ajouter aux précédentes, dont l'une s'appelle matière, ou cause matérielle, et l'autre forme, ou cause formelle.

Vous pouvez encore connaître la force de ces deux causes par un autre exemple: On vous montre deux grandes statues, dont l'une est d'or massif et très mal faite; l'autre de marbre, et travaillée avec un rare artifice, de la main d'un fameux sculpteur. Elles sont précieuses toutes deux; mais l'une tire son prix du côté de la matière et l'autre du côté de la forme. Voilà donc les quatre genres de causes que nous cherchions.

La première est la cause efficiente, qui peut être définie: ce qui étant posé, il faut que quelque chose s'ensuive. Par exemple, posé que le feu touche ma main, il s'ensuit de là qu'elle est brûlée.

La deuxième est la cause finale; elle montre pour quel dessein est une chose, et peut être définie: pourquoi est une chose.

La troisième est la cause matérielle; elle explique de quoi une chose est composée, et peut être définie: ce dont une chose est faite. Par exemple: Cette statue est faite de bronze ou de marbre.

La quatrième s'appelle la cause formelle, et dit de quelle manière la chose est, et quelles en sont les propriétés; on peut la définir: ce qui fait qu'une

chose est dite ronde, parce qu'elle a de la rondeur.

Cette cause, qui fait la cause formelle, souvent n'est pas distinguée de la chose même. Car la rondeur, par exemple, n'est pas distinguée de la chose même; mais, ce qui fait la diversité de ces expressions, c'est qu'elle est considérée d'une autre sorte.

Il y a des propriétés qui conviennent à une chose, à cause de sa matière, et il y en a qui lui conviennent à cause de sa forme. Il convient à une statue d'être grande ou petite, à cause de sa matière; mais il lui convient d'être belle ou laidé, à cause de la forme que lui a donnée l'artisan.

Si l'on ne sait pas distinguer ces quatre genres de causes, les réponses à certaines questions seront souvent hors de propos. Par exemple, on me demande, quand je suis à la promenade, d'où vient que je marche? Je puis répondre que c'est à cause que j'ai des nerfs et des muscles bien disposés pour cela, et que, d'ailleurs, je le veux ainsi. Et je puis répondre aussi que c'est à cause que j'ai dessein de faire de l'exercice. - Voilà deux bonnes raisons; l'une explique la cause efficiente, et l'autre la cause finale. Mais, pour savoir si elles sont à propos, il faut considérer ce que veut savoir celui qui m'interroge. S'il veut savoir pourquoi je marche, c'est-à-dire quel dessein me porte à cette action, je ne satisfais pas à sa demande en lui parlant de nerfs, de muscles et des autres causes efficientes de ces mouvements; car ce n'est pas ce qu'il veut

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