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connaissance, qui à présent est obscure et imparfaite, s'en ira, et que l'amour est en nous la seule chose qui ne s'en ira jamais et ne se perdra point, aimons, aimons, aimons; faisons sans fin ce que nous ferons sans fin; faisons sans fin dans le temps ce que nous ferons sans fin dans l'éternité (1). Qui ne voit maintenant quelle différence sépare le vrai du faux mysticisme?

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Le faux mysticisme, par l'amour pur, nous rend incapables d'aimer; en fixant notre esprit sur l'abstraite notion de Dieu, il resserre en une contemplation ténébreuse les déploiements lumineux de la connaissance; en supposant une contemplation directe et sans nul besoin de réitération, il détruit toute aperception; enfin, sous son influence, notre activité devient inertie, notre effort méritant, stupide immobilité, et l'âme, divisée dans son être, reste le jouet des passions les plus grossières, ou le complice avili des plus honteux excès.

Le vrai mysticisme, au contraire, en subordonnant les objets divers auxquels s'attache notre amour à l'objet suprême qu'il doit embrasser, augmente nos joies, parce qu'il les concentre et les épure; il jette dans notre intelligence des clartés qui la pénètrent, en lui découvrant le principe unique d'où procèdent et où se ramènent les idées; il supplée aux défaillances d'une intuition passagère par l'effort d'une volonté persistante; il accroît l'énergie

du libre arbitre, en l'affranchissant des bornes étroites de l'égoïsme.

Le faux mysticisme applique à rebours l'infini au fini, et, parti de l'être, s'achemine vers le néant; le vrai mysticisme, par l'infini, vivifie le fini, mais ne le détruit pas, et parti d'un moindre degré d'être, tend sans cesse vers la plénitude de l'être. Les faux mystiques, en cherchant à exalter l'homme, l'abaissent, et, selon l'expression de Pascal, en voulant faire les anges, font les bêtes (1); les vrais mystiques, démêlant en nous, à côté d'inévitables faiblesses, les marques d'une incontestable grandeur, comprennent que l'homme n'est pas un ange qui soit porté sur des ailes, mais qu'il lui faut un point d'appui sur la terre, pour de là s'élancer vers les cieux.

Le vrai mysticisme, en définitive, est le point culminant de la science; à cette doctrine se ramènent toutes les autres, et au problème qu'elle renferme, tous ceux que les philosophes discutent depuis plus de deux mille ans; car il ne s'agit de rien moins que de déterminer les rapports du fini et de l'infini. La sagesse antique les a vainèment cherchés, et un penseur célèbre,autant qu'illustre écrivain, a montré de quelle manière l'école d'Alexandrie s'est trompée et contredite quand elle a voulu les établir (2). Le christianisme seul a connu ces rapports, et, par la

(1) Pascal, Pensées, 1′′ partie, art x.

(2) M. Cousin, OEuvres complètes, 1" série, 2 vol., 1x et x* le

vertu de ses dogmes, les a rendus populaires, en proclamant l'ineffable union des deux natures dans la seule personne d'un Dieu-Homme; de telle sorte << que par les mêmes démarches que l'infini s'est joint au fini, par les mêmes le fini doit s'élever à l'infini (1).

>>

(1) Bossuet, t. XI, p. 497.

CONCLUSION.

Nous venons de parcourir un à un les différents problèmes auxquels la philosophie de Bossuet nous a paru se ramener. Nous avons constamment cherché dans la doctrine de Descartes l'antécédent naturel de la doctrine de notre auteur, et constamment aussi nous l'avons comparée à celle de ses plus illustres contemporains, Leibniz, Malebranche, Fénelon. En l'étudiant ainsi, non pas d'une manière abstraite et isolément, mais dans le milieu où elle s'est produite, nous nous sommes mis à même d'en apprécier avec exactitude les solutions, les caractères, les résultats et la portée.

Les solutions de cette philosophie nous sont connues, et nous n'avons qu'à les résumer.

Bossuet, dans l'étude de l'homme, tient compte à la fois de l'âme et du corps, prouvant par là que la philosophie et la physiologie, loin d'être étrangères ou hostiles l'une à l'autre, se prêtent un mutuel secours.

Dans l'analyse des Passions, il marche entre Épi

cure et Zénon, et sachant reconnaître à l'âme le besoin et le droit d'être heureuse, il lui montre que l'infini seul peut la satisfaire.

Dans la théorie des Idées, on le voit manifestement contraire au sensualisme, n'accepter de tous points ni l'idéalisme de Malebranche, ni le conceptualisme d'Arnauld.

Dans la question de la Liberté, sans se prononcer pour la pure indifférence, il repousse le déterminisme, et, sans nier l'action des créatures, admet l'acte immanent de Dieu..

Contre les faux Mystiques, il sauvegarde la liberté humaine et rétablit du même coup le mysticisme véritable.

Contre les Libertins, il venge Dieu, et son ironie triomphe de leurs sarcasmes, comme sa dialectique de leurs objections.

Enfin, après avoir placé en Dieu le terme du Bonheur, le principe de la Certitude, le fondement de la Morale publique et privée, il parvient à concilier gouvernement de la Providence et la permanence du mal, et donne de la philosophie de l'histoire la théorie la plus profonde qui ait été proposée.

le

Qui n'admirerait cette philosophie discrète et sensée, qui fuit l'exagération avec le même empressement que le vulgaire s'y précipite, dont la sobriété fait l'autorité, et la simplicité la grandeur, et qui, cherchant à être utile plutôt qu'à éblouir, se croit assez originale et assez sublime, pourvu que, sans

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