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celle qui reluit en nous ne soit qu'une étincelle? Que s'il est une telle justice, souveraine et par conséquent inévitable, divine et par conséquent infinie, qui nous dira qu'elle n'agisse jamais selon sa nature, et qu'une justice infinie ne s'exerce pas à la fin par un supplice infini ou éternel (1)?

Mais réduisons ces raisonnements en peu de paroles. L'âme, née pour considérer les vérités immuables, et Dieu où se réunit toute vérité, par là se trouve conforme à ce qui est éternel.

En connaissant et en aimant Dieu, elle exerce les opérations qui méritent le mieux de durer toujours.

Dans ces opérations, elle a l'idée d'une vie éternellement bienheureuse, et elle en conçoit le désir. Elle s'unit à Dieu, qui est le vrai principe de l'intelligence, et ne craint point de le perdre en perdant le corps.

C'est ainsi que l'âme connaît qu'elle est née pour être heureuse à jamais, et aussi que, renonçant à ce bonheur éternel, un malheur éternel sera son supplice. Il n'y a donc plus de néant pour elle, depuis que son auteur l'a une fois tirée du néant pour jouir de sa vérité et de sa bonté; car comme qui s'attache à cette vérité et à cette bonté, mérite plus que jamais de vivre dans cet exercice et de le voir durer éternellement; celui aussi qui s'en prive et qui s'en éloigne mérite de voir durer dans l'éternité la peine de sa défection.

Ces raisons sont solides et inébranlables à qui les sait pénétrer; mais le chrétien a d'autres raisons qui sont le vrai fondement de son espérance : c'est la parole de Dieu et ses promesses immuables (1).

(1) Bossuet, t. xxII, p. 254.

CHAPITRE VI.

Théorie du Mysticisme.

Savoir que tout en nous n'est pas matière, soumettre notre activité et nos sens à la dictée souveraine d'une claire raison, trouver contre l'injustice et l'infortune un refuge assuré dans le dogme de la Providence, et par-delà cette vie misérable attendre l'immortalité comme un droit, ou la chérir comme une espérance, ce n'est point encore assez pour remplir la capacité de nos cœurs et charmer nos ardentes inquiétudes. Nés de Dieu et pour Dieu, nous voudrions, dans notre infirmité caduque, posséder Dieu lui-même, et entrer avec lui dans une intime et parfaite union.

C'est là du moins le vœu de ces âmes d'élite, qui, délivrées des préoccupations serviles, ne se contentent pas non plus d'une méditation oiseuse, et veulent atteindre en effet la fin suprême, vers laquelle tendent nos facultés. Spéculative et pratique à la fois, leur doctrine s'appelle le Mysticisme.

laquelle l'homme s'efforce d'établir une société durable entre lui et Dieu, et de relier par un rapport immédiat le fini à l'infini. Il est facile dès lors de prévoir les dangers d'une pareille tentative. Car il faut, en unissant les deux termes de l'être, maintenir leur complète individualité. Autrement, l'union devient confusion, le monde des créatures s'évanouit en un phénoménisme inexplicable, le créateur est dégradé et le panthéisme découvre ses abîmes. C'est pourquoi il importe si fort de distinguer le vrai et le faux mysticisme. Or, nùl ne les a mieux distingués que Bossuet, dans la longue et éclatante controverse qu'il soutint contre Fénelon.

D'accord en tout le reste, au point même que les doctrines philosophiques de Fénelon sur la nature de l'âme et des idées, sur la liberté et la Providence, ne font que reproduire les doctrines de Bossuet (1), ces deux grands évêques se séparent, lorsqu'ils viennent à expliquer les voies intérieures.

On ne se propose pas de refaire ici l'analyse déjà si bien faite du Quiétisme (2), ni d'entamer une discussion historique ou théologique; mais comme la théologie mystique emprunte en partie ses principes à la philosophie, c'est à l'examen de ces prin cipes que l'on désire uniquement s'attacher, per

(1) Voyez Fénelon, OEuvres philosophiques, édit. Charpentier. (2) M. l'abbé Gosselin, Histoire littéraire de Fénelon, p. 184. et

suadé qu'une saine psychologie suffit à détruire la fausse spiritualité, aussi bien qu'à établir la spiritualité véritable.

Voyons d'abord comment Bossuet a su battre en brèche le système de Fénelon, et le décréditer par ses conséquences, après en avoir ruiné les fondements. Nous montrerons ensuite avec quelle science, quelle force et quelle vivacité ce polémiste vainqueur a mis en lumière ce qu'il y a d'éternel dans le mysticisme, qui n'est point illusion, amusement d'esprit et mirage d'un cœur désert..

Toutes nos passions se ramènent à l'amour, et l'amour tend au bonheur. Distinct de l'intelligence et de la liberté, l'amour reçoit de l'intelligence sa lumière, de la liberté son énergie, et de même que, sans la première, il marche à l'aventure et s'égare, sans la seconde, il languit et tombe dans un dépérissement affreux rien de fini ne saurait le fixer. Pressée par l'aiguillon du désir, l'âme s'agite, divague à travers les créatures, et ne trouve le bonheur qu'elle poursuit que dans les embrassements de Dieu..

:

Cette doctrine, dont chacun expérimente en soi la vérité, que la philosophie légitime, que la poésie elle-même, cet écho des traditions et des croyances, transforme en mythes gracieux, ne contente pas les faux mystiques; plus de raffinement leur est nécessaire, et voici comment ils subtilisent.

Sans doute Dieu seul est aimable, mais la plupart

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