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No 5.

Autre lettre de Bonaparte sur ses projets.

Au quartier-général de Cherasco, le 10 floréal an 4 (29 août 1796).

Au Directoire exécutif.

La ville de Coni vient d'être occupée par nos troupes : il y avait dedans 5 mille hommes de garnison.

Je ne puis mettre en doute que vous n'approuviez ma conduite, puisque c'est une aile d'une armée qui accorde une suspension d'armes, pour me donner le temps de battre l'autre, c'est un roi qui se met absolument à ma discrétion, en me donnant trois de ses plus fortes places, et la moitié la plus riche de ses états.

Vous pouvez dicter en maître la paix au roi de Sardaigne; je vous prie de ne pas oublier la petite île de St.-Pierre, qui nous sera plus utile par la suite que la Corse et la Sardaigne réunies.

Si vous lui accordez la portion du Milanais que je vais conquérir, il faut que ce soit à condition qu'il enverra 15 mille hommes pour nous seconder et garder ce pays après que nous nous en serons rendus maîtres. Pendant ce tempslà, avec votre armée, je passerai l'Adige, et j'entrerai en Allemagne par le Tyrol. Dans cette hypothèse, il faut que nous gardions en dépôt, jusqu'à la paix générale, les places

et les pays que nous occupons; il faut y joindre que le jour que 15 mille hommes piémontais passeront le Pô, il nous remettra la ville de Valence.

Mes colonnes sont en marche; Beaulieu fuit, j'espère l'attrapper; j'imposerai quelques millions de contributions au duc de Parme : il vous fera faire des propositions de paix; ne vous pressez pas, afin que j'aie le temps de lui faire payer les frais de la campagne, approvisionner nos magasins et remonter nos charrois à ses dépens.

Si vous n'acceptez pas la paix avec le roi de Sardaigne, si votre projet est de le détrôner, il faut que vous l'amusiez quelques décades, et que vous me préveniez de suite; je m'empare de Valence et je marche sur Turin.

J'enverrai 12 mille hommes sur Rome, lorsque j'aurai battu Beaulieu et l'aurai obligé de repasser l'Adige, lorsque je serai sûr que vous accorderez la paix au roi de Sardaigne, et que vous m'enverrez une partie de l'armée des Alpes.

Quant à Gênes, je crois que vous devez lui demander 15 millions en indemnité des frégates et bâtiments pris dans ses ports; 2o demander que ceux qui ont fait brûler la Modeste et appelé les Autrichiens, soient jugés comme traîtres à la patrie.

Si vous me chargez de ces objets, que vous gardiez surtout le plus grand secret, je parviendrai à faire tout ce que vous voudrez.

Si j'ai quelques chances à courir en Lombardie, c'est à cause de la cavalerie ennemie. Il m'arrive 40 artilleurs à cheval qui n'ont pas fait la guerre et qui sont démontés. Envoyez-m'en donc 12 compagnies, et ne confiez pas l'exécu

tion de cette mesure aux hommes de bureaux; car il leur faut dix jours pour expédier un ordre, et ils auront l'ineptie d'en tirer peut-être de la Hollande, afin que cela arrive au mois d'octobre.

Nos troupes viennent à l'instant d'entrer dans la citadelle de Ceva, et je viens de recevoir du roi de Sardaigne l'ordre de nous livrer la ville et la citadelle de Tortone.

BONAPARTE.

N° 6.

Lettre du Directoire annonçant le projet de former deux armées en Italie, et ordonnant l'expédition sur Li

vourne.

Paris, 18 floréal an 4 (7 mai 1796).

Le Directoire exécutif, au général en chef de l'armée d'Italie.

Le directoire a reçu, citoyen général, vos intéressantes nouvelles des 8, 9 et 10 floréal, et le duplicata de celle du 7 du même mois, qui lui annonçait la prise de Mondovi, etc. Quel succès glorieux! La joie est générale, les espérances sont immenses: encore une victoire sur les Autrichiens, et l'Italie est à nous.

Vous avez rendu d'éclatants services à la patrie : vous en trouverez, citoyen général, la plus douce récompense dans

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l'estime de tous les amis de la république et dans celle du directoire. Il vous félicite de nouveau, il vous charge de féliciter pour lui la brave armée qui fait réussir vos plans heureux, par son intrépidité et par son audace. Gloire à tous les Français, qui, par des victoires et une conduite respectable, contribuent à asseoir la république sur des bases inébranlables!

Le directoire approuve l'armistice provisoire que vous avez conclu avec les plénipotentiaires du Roi Sarde: il est avantageux sous tous les rapports, et le directoire ne peut que louer les mesures vigoureuses que vous avez prises en l'accordant, et en faisant exécuter sur-le-champ ses conditions les plus essentielles.

Il a vu avec plaisir que le citoyen Salicetti, son commissaire près de l'armée d'Italie, avait été consulté avant la conclusion de l'armistice. Ces sortes de transactions, dans des cas urgents et où le directoire ne peut être consulté lui-même, sont particulièrement du ressort des commissaires du gouvernement près les armées. Les généraux français doivent cependant être les seuls agents directs que les généraux ennemis reconnaîtront; mais il convient que les premiers ne puissent arrêter aucune transaction ou négociation dans les circonstances désignées ci-dessus, que d'après les ordres du directoire, ou les conditions que les commissaires du gouvernement leur transmettent.

Au moment où le directoire vous écrit, vous êtes sans doute dans le Milanais. Puissent les heureux destins de la république y avoir porté quelques colonnes françaises avant que l'Autrichien ait pu repasser le Pô! Puissent-ils vous met

tre en situation de couper ses communications directes avec Milan et la cour de Vienne! Votre lettre du 9 indique le des sein de marcher le 10 contre Beaulieu : vous l'aurez chassé devant vous. Ne le perdez pas un instant de vue; votre activité et la plus grande célérité dans vos marches peuvent seules anéantir cette armée autrichienne, qu'il faut détruire. Marchez, point de repos funeste; il vous reste des lauriers à cueillir; et c'en est fait des restes de la perfide coalition, si vous profitez, comme vous annoncez vouloir le faire, des avantages que nous donnent les victoires éclatantes de l'armée républicaine que vous commandez.

Le plan de campagne que vous avez esquissé dans votre lettre du 9, est digne des Français et de l'armée que vous conduisez à la victoire; mais il présente des obstacles majeurs et des difficultés, pour ainsi dire insurmontables. Croyez, cependant, que le directoire sait accueillir tout ce qu'on lui présente de grand et de profitable à la république. Il doit toutefois se circonscrire dans un cercle moins étendu

que ce

lui que vous lui proposez de parcourir, et auquel le ramène la nécessité impérieuse de terminer la guerre pendant cette campagne : il doit craindre tout ce qu'un insuccès peut entraîner de désastres. Il compte sur les victoires de l'armée d'Italie; mais quelles ne seraient pas les suites d'une entrée en Bavière par les montagnes du Tyrol, et quel espoir pourrait-on concevoir d'une retraite honorable en cas de revers? Comment d'ailleurs contenir avec les forces que vous commandez et quelques mille hommes que le directoire pourra y ajouter, tant de pays soumis à nos armes et impatients de se dérober au voisinage et à l'action de la guerre ? Et quels se

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