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au contraire comme principale sûreté, là où les rapports sociaux étant moins étroits, l'individualité prédominera. Le gage sera en un certain point inférieur au cautionnement, car il n'offrira pas comme celui-ci une garantie morale à côté de la sûreté matérielle. La prédominence de l'un ou de l'autre de ces deux modes de constitution de sûreté peut être interprétée comme un indice de l'état de civilisation d'un peuple ou d'une classe.

La garantie naturelle est la garantie par caution, elle reste sur le terrain du droit des obligations sans rechercher de moyens étrangers. Il est naturel que celui qui cherche du crédit invoque en sa faveur le témoignage d'associés mieux connus du capitaliste, qui s'engageront à côté de lui pour la même obligation. Par ces engagements multiples le créancier obtient une garantie plus solide reposant dans un plus grand nombre de débiteurs répondant tous de la dette au prix de leurs personnes et de leurs fortunes; le danger qui peut résulter de l'insolvabilité de l'un ou de l'autre débiteur s'amoindrit. Non moins importante est la garantie morale que puise le créancier dans l'intervention des cautions: ce ne sont pas seulement des témoins de la capacité économique et morale du débiteur, témoins dont la véracité est assurée par le serment et l'engagement de la personne et de la fortune, mais ils apparaissent comme des garants de la loyauté du débiteur et sont contraints, dans leur propre intérêt, de le poursuivre au premier signe de défaillance. Un système de cautions servira surtout de base sérieuse au crédit, si ces cautions appartiennent à des associations ou familles dans lesquelles le salut d'un membre importe à tous les autres, qui par honneur de classe ne lui refuseront pas leur appui: Là ou ces liens se relâchent, où le sentiment de commune union disparaît, où chacun est condamné à

lutter isolément contre les exigences de la vie, naitra avec la difficulté de se procurer des cautions le besoin de chercher d'autres moyens de sûreté.

Alors app:rait l'idée de la sûreté réelle, personne n'intervient plus en tiers à l'obligation, c'est la chose qui va être abandonnée au créancier pour lui permettre de se satisfaire au cas de non paiement à l'échéance. Ce mode de garantie n'offre pas comme la caution témoignage de la probité et de l'honorabilité du débiteur, il contient plutôt en lui l'idée de méfiance, en déterminant d'avance l'objet de l'exécution pour le cas de non-paiement. Par contre la mise en gage est régulièrement plus facile et plus commode que la constitution de cautions. Une des raisons de l'admission du gage matériel à titre de garantie est peut être l'envahissement de Rome par les Pérégrins, il était impossible à ces nouveaux venus étrangers aux vieilles familles romaines, de se procurer facilement des cautions, et sous peine de rester absolument sans garantie, les créanciers durent se résigner à admettre l'affectation d'objets spécialement désignés à la garantie des dettes.

Les Romains ont connu à l'époque de la République les deux procédés, gage et caution, mais dans une proportion bien inégale; le gage fut d'abord exceptionnel tandis que la caution était le droit commun. Le système des cautions convenait mieux à cette communauté de classes constituées où dominaient les liens de gentilité et de famille, les coteries, les amitiés de partis, de telle sorte que jamais les citoyens ne manquaient de parents, d'amis disposés à le cautionner. L'usage des cautions était général, l'Etat lui-même dans ses rapports avec les citoyens exigeait avant tout des prædes et comme auxiliaires seulement des prædia; le Prèteur exigeait que les parties qui devaient fournir garantie en les divers états d'un procès se donnassent des sponsores. Enfin dans les rapports

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libres entre individus, les cautions furent la règle, aucune affaire importante ne se traitait sans l'échange réciproque de cautions.

Ainsi la caution apparaît à Rome comme un organe important du mouvement commercial, comme une institution dont la conservation et le développement importent à l'intérêt public. La preuve se trouve dans toutes les lois édictées au v° siècle pour restreindre et alléger l'obligation des cautions. Les lois Furia, Pompeia, Cornelia, n'ont d'autre but que de faciliter la charge de caution à laquelle beaucoup de citoyens veulent se soustraire, et qui, à une époque de trouble, peut être une cause de ruine. Dès lors la caution et le gage tendent de plus en plus à se placer sur la même ligne. La volonté de cautionner diminue avec l'affaiblissement de la vie politique qui coïncide avec la fin de la République, avec la disparition des vieux liens de gentilité et de famille, avec l'accroissement de l'égoïsme privé. En outre les privilèges accordés aux cautions rendent le cautionnement moins propre aux besoins du commerce, tandis que le gage gagne par le développement de l'hypothèque une forme plus commode. La durée plus longue de la garantie, l'absence de restrictions remplacent pour le créancier la garantie morale supérieure qu'offrait la caution, et Pomponius peut dire: Plus cautionis in re est quam in personá (1).

Cette observation que le crédit à Rome reposait essentiellement sur la constitution de cautions, que le gage n'acquit qu'assez tard une importance générale peut expliquer comment les Romains n'ont connu assez longtemps que les formes du gage civil si difficiles: à manier.

La forme que le droit romain a employée la pre

(1) Loi 25, D., L., 17.

mière pour donner aux obligations la protection du gage, était un transfert solennel de la propriété, de la part du débiteur au créancier, sous la condition du retransfert après l'acquittement de la dette. L'aliénation transporte au créancier la propriété de la chose, mais entre les contractants le pactum fiduciæ réduit le rapport absolu à la mesure du but du gage. La mancipation avec fiducie n'était pas un procédé spécial à la mise en gage, mais une application spéciale d'un procédé général, tout autre opération juridique, par exemple un dépôt, pouvant se faire sous cette forme.

Le créancier acquérait par ce moyen une sûreté complète, car il devenait propriétaire de la chose, armé de la revendication s'il arrivait à la perdre et par conséquent pleinement garanti. Mais à l'inverse, la situation du débiteur ne laissait pas que d'être fâcheuse, il se trouvait privé de sa chose dont la valeur pouvait être bien supérieure à sa dette, il était dépouillé de sa propriété. Le créancier, acquéreur avec fiducie, se trouvait cumuler en réalité les qualités de gagiste et de propriétaire, il ne pouvait, il est vrai, vendre la chose avant l'échéance, mais cette prohibition pouvait être sans sanction, le débiteur n'ayant au cas de vente avant l'échéance qu'une action personnelle contre le créancier, recours illusoire si celui-ci était insolvable. Pour remédier à la situation fâcheuse que faisait au débiteur la perte de la possession de sa chose, il était d'usage de lui laisser la possession et la jouissance, soit à titre de précaire, soit à titre de loyer (1).

Au jour du paiement de la dette, le créancier devait, sous peine d'infamie. retransférer au débiteur la propriété de sa chose, car le paiement de sa dette ne lui faisait pas revenir de plein droit son bien. Toutefois la jurisprudence lui donna un moyen de rentrer plus fa

(1) Gaius, Com., II, § 60.

cilement dans sa propriété, l'usureceptio, quand il avait possédé son bien pendant un an, il en redevenait propriétaire. Cette usureceptio ne reposait pas sur une distinction de la propriété quiritaire et bonitaire, car rien n'indique dans les textes le partage du dominium en ce cas. C'est une institution spéciale qui se différenciait de l'usucapion ordinaire par des traits distinctifs : d'abord, absence de juste titre ; absence de bonne foi, car en droit le débiteur sait n'être pas propriétaire; délai d'un an dans tous les cas, qu'il s'agisse d'un meuble ou d'un immeuble. Si l'on examine attentivement cette institution spéciale et si l'on va au fond des choses, on voit qu'en fait la pratique qui l'a créée s'est écartée de la rigueur des principes. D'après eux la propriété est passée tout entière du débiteur au créancier, tandis qu'en fait, le débiteur est censé rester jusqu'à un certain point propriétaire de la chose mancipée (1).

Telle est la première étape dans l'histoire de l'hypothèque à Rome. On considère généralement l'aliénation avec fiducie comme un procédé barbare et digne d'un peuple dans l'enfance. Il faut reconnaitre qu'elle offrait de sérieux inconvénients, mais elle avait au moins cet avantage sur l'hypothèque, qui se développa plus tard comme son perfectionnement, d'indiquer l'objet sur lequel elle portait et de n'être pas, comme l'hypothèque, une garantie dont l'assiette mal définie ne pouvait que réserver aux tiers de désagréables surprises. En somme l'aliénation avec fiducie fut un des meilleurs instruments de crédit que connurent les Romains, et ce qui prouve ses avantages, c'est sa durée en 395, il en est fait mention concurremment avec le gage et l'hypothèque dans la loi 9 au Code Théodosien XV, 14.

(1) Jourdan, De l'hypothèque, p. 46.

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