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dant, je vous offre la mienne de tout mon | louanges dont vous honorez mes foibles écrits. cœur, et suis avec passion, monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur.

VAUVENARGUES.

P. S. Quoique ce paquet soit déja assez considérable, et qu'il soit ridicule de vous envoyer un volume par la poste, j'espère cependant, monsieur, que vous ne trouverez pas mauvais que j'y joigne encore un petit fragment. Vous avez répondu à ce que j'ai eu l'honneur de vous écrire de deux grands poëtes, d'une manière si obligeante et si instructive, qu'il m'est permis d'espérer que vous ne me refuserez pas les mêmes lumières sur trois orateurs 2 si célèbres,

A M. DE VAUVENARGUES. :

Paris, le 17 mai 1745.

Je ne dois pas être fàché que le premier discours que j'ai pris la liberté de vous envoyer ait vu le jour, puisqu'il a votre approbation malgré ses défauts. J'aurois souhaité seulement le donner à M. de La Bruère dans une imperfection moins remarquable.

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J'ai lu avec grande attention ce que vous me faites l'honneur de m'écrire sur La Fontaine. Je croyois que le mot instinct auroit pu convenir à un auteur qui n'auroit mis que du sentiment, de l'harmonie et de l'éloquence dans ses vers, et qui d'ailleurs n'auroit montré ni pénétration ni réflexion; mais qu'un homme qui pense par-tout, dans ses contes, dans ses préfaces, dans ses fables, dans les moindres choses, et dont le caractère même est de penser ingénieusement et avec finesse; qu'un esprit si solide soit mis dans le rang des hommes qui ne pensent point, parcequ'il n'aura pas eu dans la conversation le don de s'exprimer, défaut que les hommes qui sont exagérateurs ont probablement fort enflé, et qui méritoit plus d'indulgence dans ce grand poëte, je vous avoue, monsieur, que cela me surprend. Il n'appartient pas à un homme né en Provence de connoître la juste signification des mots, et vous aurez la bonté de me pardonner les préventions que je puis avoir là-dessus.

J'ai tardé long-temps à vous remercier, monsieur, du portrait que vous avez bien voulu m'envoyer de Bossuet, de Fénelon et de Pascal; vous êtes animé de leur esprit quand vous parlez d'eux. Je vous avoue que je suis encore plus étonné que je ne l'étois, que vous fassiez un métier, très noble à la vérité, mais un peu barbare, et aussi propre aux hommes communs et bornés qu'aux gens d'esprit. Je ne vous croyois que beaucoup de goût et de connoissances, mais je vois que vous avez encore plus de génie. Je ne sais si cette campagne vous permettra de le cultiver. Je crains même que ma lettre n'arrive au milieu de quelque marche, ou dans quelque occasion où les belles-lettres sont très peu de saison. Je réprime mon envie de vous dire tout ce que je pense, et je me borne au plaisir de vous assurer de la singulière estime Caractères, mort en 1696, mais bien de La Bruère, poëte lyrique vous m'inspirez.

Je suis, monsieur, votre, etc.

VOLTAIRE.

A M. DE VOLTAIRE.

A Aix, ce 21 janvier 1745.

J'ai reçu, monsieur, avec la plus grande confiance et la reconnoissance la plus tendre, les

Corneille et Racine. B.

2 Bossuet, Fénelon et Pascal. B.

J'ai corrigé mes pensées à l'égard de Molière, sur celles que vous avez eu la bonté de me communiquer ; je les ajouterai à cette lettre. Je vous prie de les relire jusqu'à la fin. Si vous

I LA BRUÈRE, et non LA BRUYÈRE, comme le disent toutes les éditions. Nous relevons cette faute parcequ'elle a été commise mème par M. Suard.

Vauvenargues ne parle évidemment pas ici de l'auteur des

que, son contemporain, et qui publia dans le Mercure des fragments de ses ouvrages.

Bruère (Charles Le Clerc de La) eut le privilége du Mercure depuis 4744 jusqu'à sa mort, arrivée en 1754, à l'âge de trenteneuf ans. Le Mercure, sous lui et sous Fuzelier son associé, ne fut point le bureau de la satire; il sut le rendre intéressant par d'autres moyens. Voltaire a fait, à l'occasion d'une pièce de cet auteur (les Voyages de l'Amour, opéra représenté en mai 1756). les vers suivants, que nous citons parcequ'ils sont peu

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VAUVENARGUES.

AU MÊME.

A Aix, ce 27 janvier 1743.

Je n'aurois pas été long-temps fàché, monsieur, que mes papiers eussent vu le jour, s'ils ne l'avoient dû qu'à l'estime que vous en faisiez; mais puisqu'ils paroissoient sans votre aveu et avec les défauts que vous leur connoissez, il vaut beaucoup mieux, sans doute, qu'ils soient encore à notre disposition. Je ne regrette que la peine qu'on vous a donnée pour une si grande bagatelle.

Mon rhume continue toujours avec la fièvre et d'autres incommodités qui m'affoiblissent et m'épuisent. Tous les maux m'assiégent ; je voudrois les souffrir avec patience, mais cela est bien difficile. Si je puis mériter, monsieur, que vous m'accordiez une amitié bien sincère, j'es

êtes encore assez bon pour me faire part de vos | moi, je vous prie, monsieur, les témoignages lumières sur Despréaux, je tâcherai aussi d'en de votre amitié; je cesserar de vivre avant de profiter. J'ai le bonheur que mes sentiments cesser de les reconnoître. sur la comédie se rapprochent beaucoup des vôtres. J'ai toujours compris que le ridicule y devoit naître de quelque passion qui attachât l'esprit du spectateur, donnât de la vivacité à l'intrigue et de la véhémence aux personnages. Je ne pensois pas que les passions des gens du monde, pour être moins naïves que celles du peuple, fussent moins propres à produire ces effets, si un auteur naïf peignoit avec force leurs mœurs dépravées, leur extravagante vanité, leur esprit, sans le savoir, toujours hors de la nature, source intarissable de ridicules. J'ai vu bien souvent avec surprise le succès de quelques pièces du haut comique qui n'avoient pas même l'avantage d'être bien pensées. Je disois alors: Que seroit-ce si les mêmes sujets étoient traités par un homme qui sût écrire, former une intrigue et donner de la vie à ses peintures? C'est avec la plus sincère soumission que je vous propose mes idées. Je sais depuis long-temps qu'il n'y a que la pratique même des arts qui puisse nous donner sur la compo-père qu'elle me sera grandement utile, et fera, sition des idées saines. Vous les avez tous cul- tant que je vivrai, ma consolation et ma force. tivés dès votre enfance avec une tendre attenVAUVENARGUES. tion; et le peu de vues que j'ai sur le goût, je les dois principalement, monsieur, à vos ouvrages. Celui qui vous occupe présentement occupera bientôt la France. Je conçois qu'un travail si difficile et si pressé demande vos soins. Vous avez néanmoins trouvé le temps de me parler de mes frivoles productions, et de consoler par les assurances de votre amitié mon cœur affligé. Ces marques aimables d'humanité sont bien chères à un malheureux qui ne doit plus avoir de pensées que pour la vertu. J'espère pouvoir vous en remercier de vive voix à la fin de mai, si ma santé me permet de me mettre en voyage. Je serois inconsolable si je ne vous trouvois pas à Paris dans ce temps-là. Un gros rhume que j'ai sur la poitrine, avec la fièvre depuis quinze jours, interrompt le plaisir que j'ai de m'entretenir avec vous. Continuez

La Princesse de Navarre, comédie-ballet en trois actes, demandée pour la fête donnée par le roi en son château de Versailles, le 23 février 4745, à l'occasion du premier mariage du Dauphin. B.

A M. DE VAUVENARGUES '.

A Versailles, ce 3 avril 1745. ⚫

Vous pourriez, monsieur, me dire comme Horace,

Sic raro scribis, ut toto non quater anno.

que

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Ce ne seroit la seule ressemblance
pas
auriez avec ce sage aimable: il a pensé quel-
quefois comme vous dans ses vers;
mais il me
semble que son cœur n'étoit pas si sensible que
le vôtre. C'est cette extrême sensibilité que
j'aime; sans elle vous n'auriez point fait cette
belle oraison funèbre dictée par l'éloquence et
la tendre amitié. La première façon dont vous
l'aviez commencée me paroît sans comparaison

Cette lettre, imprimée pour la première fois dans la Correspondance générale de Voltaire sous la date du 5 avril 1746, est du 3 avril 1745: on peut s'en assurer par la seule lecture des allusions aux divers évènements de cette année; et la réponse de Vauvenargues que nous avons sous les yeux vient encore le

confirmer. B.

plus touchante, plus pathétique que la seconde ; | vive voix: cela vaudra mieux. Recevez cepenil n'y auroit seulement qu'à en adoucir quelques dant ici mes compliments sincères sur les graces traits et à ne pas comprendre tous les hommes que le roi vous a faites. Je desire, monsieur, dans le portrait funeste que vous en faites: il y qu'il fasse encore beaucoup d'autres choses qui a sans doute de belles ames, et qui pleurent méritent d'être louées, afin que votre reconnoisleurs amis avec des larmes véritables. N'en êtes-sance honore toujours la vérité. Vous me pervous pas une preuve bien frappante, et croyez-mettez bien de prendre cet intérêt à votre gloire. vous être assez malheureux pour être le seul qui soyez sensible?

Je suis bien aise d'avoir parlé comme Horace pensoit quelquefois. Je vous prie cependant de croire, quoique ce soit une chose honteuse à avouer, que je ne pense pas toujours comme

que je puis recevoir les louanges que vous me donnez sur l'amitié. Celle que je prends la li- · berté, monsieur, d'avoir pour vous, me rendra digne un jour de votre estime.

VAUVENARGUES.

A M. LE MARQUIS DE VAUVENARGUES.
Sur un Éloge funèbre d'un officier, composé
à Prague'.

Ne parlons plus de La Fontaine. Qu'importe qu'en plaisantant on ait donné le nom d'instinct au talent singulier d'un homme qui avoit tou-je parle. Après cette petite précaution, je crois jours vécu à l'aventure, qui pensoit et parloit en enfant sur toutes les choses de la vie, et qui étoit si loin d'être philosophe! Ce qui me charme sur-tout de vos réflexions, monsieur, et de tout ce que vous voulez bien me communiquer, c'est cet amour si vrai que vous témoignez pour les beaux-arts; c'est ce goût vif et délicat qui se manifeste dans toutes vos expressions. Venez donc à Paris : j'y profiterai avec assiduité de votre séjour. Vous serez peut-être étonné de recevoir une lettre de moi, datée de Versailles. La cour ne sembloit guère faite pour moi; mais les graces que le roi m'a faites m'y arrêtent, et j'y suis à présent plus par reconnoissance que par intérêt. Le roi part, dit-on, les premiers jours du mois prochain, pour aller nous donner la paix à force de victoires. Vous avez renoncé à ce métier qui demande un corps plus robuste que le vôtre, et un esprit peu philosophique : c'est bien assez d'y avoir consacré vos plus belles années. Employez, monsieur, le reste de votre vie à vous rendre heureux; et songez que vous contribuerez à mon bonheur quand vous m'honorerez de votre commerce dont je sens tout le prix.

VOLTAIRE.

A M. DE VOLTAIRE.

A Aix, ce 30 avril 1745.

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Je ne vous dirai pas, monsieur, sic raro scribis, etc. ; mais j'irai vous demander réponse de

■ Voltaire_venoit d'être nommé gentilhomme ordinaire, et historiographe de France. B.

Louis XV partit de Versailles accompagné du dauphin, et arriva au camp de Tournay le 8 mai 1745; le 11, par l'habileté du maréchal de Saxe, il gagna, sur le duc de Cumberland, la bataille de Fontenoy. B.

L'état où vous m'apprenez que sont vos yeux a tiré, monsieur, des larmes des miens, et

l'éloge funèbre que vous m'avez envoyé a augmenté mon amitié pour vous, en augmentant mon admiration pour cette belle éloquence avec n'est que trop vrai en général. Vous en exceplaquelle vous êtes né. Tout ce que vous dites tez sans doute l'amitié. C'est elle qui vous a inspiré et qui a rempli votre ame de ces sentiments qui condamnent le genre humain; plus les hommes sont méchants, plus la vertu est précieuse, et l'amitié m'a toujours paru la première de toutes les vertus, parcequ'elle est la première de nos consolations. Voilà la première oraison funèbre que le cœur ait dictée; toutes les autres sont l'ouvrage de la vanité. Vous craignez qu'il n'y ait un peu de déclamation. Il est bien difficile que ce genre d'écrire se garantisse de ce défaut : qui parle long-temps parle trop sans doute. Je ne connois aucun discours oratoire où il n'y ait des longueurs. Tout art a son endroit foible quelle tragédie est sans remplissage; quelle ode sans strophes inutiles? mais, quand le bon domine, il faut être satisfait. Voyez cet Éloge, page 611.

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D'ailleurs, ce n'est pas pour le public que vous | hasardées; j'étois dans un âge où ce qui est le

avez écrit: c'est pour vous, c'est pour le soulagement de votre cœur ; le mien est pénétré de l'état où vous êtes. Puissent les belles-lettres vous consoler! Elles sont en effet le charme de la vie quand on les cultive pour elles-mêmes, comme elles le méritent; mais quand on s'en sert comme d'un organe de la renommée, elles se vengent bien de ce qu'on ne leur a pas offert un culte assez pur; elles nous suscitent des ennemis qui nous persécutent jusqu'au tombeau. Zoïle eût été capable de faire tort à Homère vivant. Je sais bien que les Zoïles sont détestés, qu'ils sont méprisés de toute la terre, et c'est là précisément ce qui les rend dangereux. On se trouve compromis, malgré qu'on en ait, avec un homme couvert d'opprobres.

Je voudrois, malgré ce que je vous dis là, que votre ouvrage fùt public; car, après tout, quel Zoile pourroit médire de ce que l'amitié, la douleur et l'éloquence ont inspiré à un jeune officier, et qui ne seroit étonné de voir le génie de M. Bossuet à Prague? Adieu, monsieur, soyez heureux, si les hommes peuvent l'être; je compterai parmi mes beaux jours celui où je pourrai vous revoir.

Je suis, avec les sentiments les plus tendres, etc., etc. .

VOLTAIRE.

A M. DE VOLTAIRE.

(Cette lettre s'est trouvée sans date.)

Je vous accable, monsieur, de mes lettres. Je sens l'indiscrétion qu'il y a à vous dérober à vous-même; mais lorsqu'il me vient en pensée que je puis gagner quelque degré dans votre amitié ou votre estime, je ne résiste pas à cette idée. J'ai retrouvé, il y a peu de temps, quelques vers que j'ai faits dans ma jeunesse. Je ne suis pas assez impudent pour montrer moi-même de telles sottises; je n'aurois jamais osé vous les lire; mais, dans l'éloignement qui nous sépare, et dans une lettre, je suis plus hardi. Le sujet des premières pièces est peu honnète. Je manquois beaucoup de principes lorsque je les ai

Cette lettre, qui, dans la correspondance générale de Voltaire, se trouve sans date, a été écrite dans les derniers jours de décembre 1743. B.

plus licencieux paroît trop souvent le plus aimable. Vous pardonnerez ces erreurs d'un esprit follement amoureux de la liberté, et qui ne savoit pas encore que le plaisir même a ses bornes. Je n'achevai pas le morceau commencé sur la mort d'Orphée; je crus m'apercevoir que les rimes redoublées que j'avois choisies n'étoient pas propres au genre terrible. Je jugeai selon mes lumières ; il peut arriver qu'un homme de génie fasse voir un jour le contraire. Si mes vers n'étoient que très foibles, je prendrois la liberté de vous demander à quel degré ; mais je crois les voir tels qu'ils sont. Je n'ai pu cependant me refuser de vous donner ce témoignage de l'amour que j'ai eu de très bonne heure pour la poésie. Je l'aurois cultivée avec ardeur, si elle m'avoit plus favorisé; mais la peine que me donna ce petit nombre de vers ridicules, me fit une loi d'y renoncer. Aimez, monsieur, malgré cette foiblesse, un homme qui aime lui-même si passionnément tous les arts; qui vous regarde, dans leur décadence, comme leur unique soutien, et respecte votre génie autant qu'il chérit vos bontés .

VAUVENARGUES.

P.S. Vous avez eu la bonté, monsieur, de me faire apercevoir que le commencement de mon éloge funèbre exagéroit la méchanceté des hommes. Je l'ai supprimé, et rétabli un ancien exorde qui peut-être ne vaut pas mieux. J'ai du discours, mais je ne vous envoie que le prefait encore quelques changements dans le reste mier. J'espère toujours avoir le plaisir de vous voir à la fin de mai. Comme ce sera probablement ici la dernière lettre que j'aurai l'honneur de vous écrire, je la fais sans bornes.

AU MEME.

A Paris, dimanche matin, mai 1746.

Je ne mérite aucune des louanges dont vous m'honorez. Mon livre est rempli d'impertinences et de choses ridicules. Je vais cependant

Cette lettre, trouvée sans date, suivit de près la précédente; tout porte à croire qu'elle est du mois de janvier 1746. B.

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Vous me soutenez, mon cher maître, contre l'extrême découragement que m'inspire le sen

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de la Princesse de Navarre et du Temple de la Gloire leur fait déja dire que vous n'avez plus de génie. Je suis si choqué de ces impertinences, qu'elles me dégoûtent non seulement des gens de lettres, mais des lettres mêmes. Je vous conjure, mon cher maître, de polir si bien votre ouvrage, qu'il ne reste à l'envie aucun prétexte pour l'attaquer. Je m'intéresse tendrement à votre gloire, et j'espère que vous pardonnerez au zèle de l'amitié ce conseil, dont vous n'avez pas besoin. VAUVENARGUES.

A M. AMELOT,

Secrétaire d'État pour les affaires étrangères.

MONSEIGNEUR.

Je suis sensiblement touché que la lettre que

timent de mes défauts. Je vous suis sensible-j'ai eu l'honneur de vous écrire et celle que j'ai ment obligé d'avoir lu si tôt mes Réflexions. Si pris la liberté de vous adresser pour le roi, n'aient vous êtes chez vous ce soir, ou demain ou après-pu attirer votre attention. Il n'est pas surpredemain, j'irai vous remercier. Je n'ai pas ré-nant, peut-être, qu'un ministre si occupé ne pondu hier à votre lettre, parce que celui qui l'a apportée l'a laissée chez le portier, et s'en étoit allé avant qu'on me la rendit. Je vous écrirois et je vous verrois tous les jours de ma vie, si vous n'étiez pas responsable au monde de la vôtre. Ce qui a fait que je vous ai si peu parlé de votre tragédie 3, c'est que mes yeux souffroient extrêmement lorsque je l'ai lue, et que j'en aurois mal jugé après une lecture si mal faite. Elle m'a paru pleine de beautés sublimes. Vos ennemis répandent dans le monde qu'il n'y a que votre premier acte qui soit supportable, et que le reste est mal conduit et mal écrit. On et que le reste est mal conduit et mal écrit. On n'a jamais été si horriblement déchaîné contre vous, qu'on l'est depuis quatre mois. Vous devez vous attendre que la plupart des gens de lettres de Paris feront les derniers efforts pour faire tomber votre pièce. Le succès médiocre

trouve pas le temps d'examiner de pareilles lettres; mais, monseigneur, me permettrez-vous de vous dire que c'est cette impossibilité morale où se trouve un gentilhomme qui n'a que du zèle de parvenir jusqu'à son maître, qui fait le découragement que l'on remarque dans la noblesse des provinces, et qui éteint toute émulation? des distractions du monde, pour tâcher de me J'ai passé, monseigneur, toute ma jeunesse loin rendre capable des emplois où j'ai cru que mon volonté si laborieuse me mettroit du moins au caractère m'appeloit; et j'osois penser qu'une niveau de ceux qui attendent toute leur fortune niveau de ceux qui attendent toute leur fortune de leurs intrigues et de leurs plaisirs. Je suis pénétré, monseigneur, qu'une confiance que j'avois principalement fondée sur l'amour de mon devoir se trouve entièrement déçue. Ma santé ne me permettant plus de continuer mes services à la guerre, je viens d'écrire à M. le duc de Biron ■ Vauvenargues préparoit alors une édition de l'Introduc- pour le prier de nommer à mon emploi. Je n'ai tion à la connoissance de l'esprit humain, suivie de Reflexions et Maximes, seuls ouvrages qu'il publia, et dont l'impu, dans une situation si malheureuse, me refupression, commencée sous ses yeux, ne fut terminée qu'après

sa mort. B.

2 Les corrections dont parle Vauvenargues, écrites à la marge du manuscrit, sont les notes de Voltaire qui se trouvent dans cette édition. B.

3 Vauvenargues veut ici parler de Sémiramis, qui ne fut représentée que deux ans plus tard, le 29 septembre 1748. B.

ser à vous faire connoître mon désespoir. Pardonnez-moi, monseigneur, s'il me dicte quelque expression qui ne soit pas assez mesurée. Je suis, etc., etc.

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