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champ des grandes erreurs. Il n'appartenoit pas à l'esprit humain d'imaginer sagement une si haute matière que la religion. C'étoit une assez fière démarche pour la raison d'avoir conçu un pouvoir invisible et hors de l'atteinte des sens. Le premier homme qui s'est fait des dieux avoit l'imagination plus grande et plus hardie que ceux qui les ont rejetés.

Qu'on ait donc adopté de grandes fables dans des siècles pleins d'ignorance; que ce qu'un génie audacieux faisoit imaginer aux ames fortes; le temps, l'espérance, la crainte, l'aient enfin persuadé aux autres hommes; qu'ils aient trop respecté des opinions qu'on reçoit de l'autorité de la coutume, du pouvoir de l'exemple et de l'amour des lois, ni cela ne me semble étrange, ni je n'en conclus que ces peuples aient été plus foibles que nous. Ils se sont trompés sur des choses qu'on n'a pas toujours la hardiesse 1 et même les moyens d'examiner. Est-ce à nous de les en reprendre, nous qui prenons le change de tant de manières sur des bagatelles; nous qui, même sur les sujets les plus discutés et les plus connus, ne saurions d'ordinaire avoir une heure de conversation sans nous tromper ou nous contredire?

Je cherche quelquefois parmi le peuple l'image de cette ignorance et de ces mœurs sans politesse que nous méprisons dans les anciens; j'écoute ces hommes grossiers, je vois qu'ils s'entretiennent de choses communes; qu'ils n'ont point de principes réfléchis; qu'ils vivent sans science et sans règles. Cependant je ne trouve pas qu'en cet état ils fassent plus de faux raisonnements que les gens du monde. Il me semble au contraire qu'à tout prendre, leurs pensées sont plus naturelles, et qu'il s'en faut de beaucoup que les simplicités de l'ignorance soient aussi éloignées de la vérité que les subtilités de la science, et l'imposture de l'affectation.

C'est pour avoir attaqué la religion qu'Anaxagoras de Clazomène fut condamné à mort par les Athéniens, que Diagoras vit sa tète mise à prix, et que Socrate fut obligé de boire la ciguë. F.

» J'ai entendu des gens d'esprit et de bon sens discuter s'il étoit bien vrai que la terre tourne autour du soleil, et finir par en douter. A Rome, le P. Jacquier, en faisant imprimer ses savants commentaires sur la philosophie naturelle de Newton, a été obligé de déclarer, en tête du premier volume, qu'il ne regardoit le système de ce géomètre que comme une hypothese. F.

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Ainsi, jugeant des mœurs anciennes par ce que je vois des mœurs du peuple, qui me représente les premiers temps, je crois que je me serois fort accommodé de vivre à Thèbes1, à Memphis et à Babylone 3. Je me serois passé de nos manufactures, de la poudre à canon, de la boussole, et de nos autres inventions modernes, ainsi que de notre philosophie. Je ne pense pas que ces peuples, privés d'une partie de nos arts et des superfluités de notre commerce, aient été par-là plus à plaindre. Xénophon n'a jamais joui de nos délicatesses, et il ne m'en paroît ni moins heureux, ni moins honnête homme, ni moins grand homme. Nous attribuons trop à l'art : ni nos biens, ni nos maux essentiels n'ont reçu leur être de lui. Comme il ne nous a pas donné la santé, la beauté, les graces, la vigueur d'esprit et de corps, il ne peut non plus nous soustraire aux maladies, aux guerres, au vice, à la mort. Seroit-il plus parfait que la nature dont il tient ses règles? L'effet vaut-il mieux que la cause? La nature, qui est l'inventrice et la législatrice de tous les arts, auroit-elle attendu des arts sa maturité et sa gloire?

Je ne produirai point ici le témoignage de tant d'historiens qui vantent les mœurs des sauvages, leur simplicité, leur sagesse, leur bonheur et leur innocence. Les histoires des peuples barbares me sont également suspectes dans leurs reproches et dans leurs éloges, et je ne veux rien établir sur des fondements si ruineux. Mais à ne consulter que la seule raison, est-il probable que la condition des hommes ait été si différente que nous le croyons, selon les divers usages et les divers temps? Quel si prodigieux changement ont apporté les arts à la vie humaine? Qu'a produit, par exemple, l'art de

1 Thèbes, qu'il ne faut pas confondre avec la capitale de la Béotie qui portoit le même nom, a été l'une des plus grandes et des plus belles villes de l'antiquité; on assure qu'elle avoit cent quarante stades de tour, et cent portes. S'il en faut croire un passage de Tacite, qui mérite d'être lu en entier, elle renfermoit dans son enceinte sept cent mille combattants. Cornelius Gallus, gouverneur d'Égypte pour les Romains, la détruisit. F.

La ville de Memphis étoit le siége des anciens Pharaons ou rois d'Égypte. F.

3 La circonférence de Babylone étoit de trois cent soixantehuit stades. Xérodote et Xénophon en ont vanté la grandeur et la magnificence. F.

se vêtir?A-t-il rendu les hommes plus ou moins robustes, plus ou moins sains, plus ou moins beaux, plus ou moins chastes? Les a-t-il dérobés ou rendus plus sensibles à la rigueur des saisons? Nus, ils ne souffroient pas faute d'habits; habillés, ils ne souffrent point de n'être pas nus. Ne pourroiton pas dire à peu près la même chose de tous les arts? Ils ne sont ni si pernicieux, ni si utiles que nous voulons croire. Ils exercent l'activité de la nature, qu'on ne peut empêcher ni ralentir; ils réparent par quelques biens les maux qu'ils causent: cela ne se peut contester. Mais remédient-ils aux grands vices des choses humaines? Que peut notre imagination pour nous soustraire à nos sujétions naturelles? Pour nous dérober au joug des hommes, nous sommes forcés de subir celui des lois; pour résister aux passions, il nous faut fléchir sous la raison, maîtresse encore plus tyrannique: en sorte que notre plus grande indépendance est une servitude volontaire. Tout ce que nous imaginons pour obvier à nos maux ne fait quelquefois que les aggraver. Les lois n'ont été établies que pour prévenir les guerres, et toutes les guerres naissent des lois. Les contrats publics et particuliers sont le fondement de tous les procès de citoyen à citoyen et de peuple à peuple. Il est vrai que les guerres sont moins cruelles lorsqu'elles se font selon les lois; mais aussi sontelles plus longues. Les procès des particuliers durent quelquefois davantage que les querelles des nations. Ainsi tout ce que les hommes ont pu gagner en voulant éteindre les guerres, été ou de changer les prétextes, ou la manière de la faire. N'en est-il pas de même de la médecine? Les remèdes ne sont-ils pas souvent pires que les maux? Qu'on examine toutes les inventions des hommes, on verra qu'ils n'ont réussi qu'aux petites choses. La nature s'est réservé le secret des grandes, et ne souffre pas que ses lois soient anéanties par les nôtres.

Souffroient, telle est la leçon de l'édition de 4797. On lit dans les éditions de 1806 et de 1820, souffriroient. B.

DISCOURS

SUR, LES MOEURS DU SIÈCLE.

Ce qu'il y a de pius difficile lorsqu'on écrit contre les mœurs, c'est de bien convaincre les hommes de la vérité de leurs déréglements. Comme ils n'ont jamais manqué de censeurs à cet égard, ils sont persuadés que les désordres qu'on attaque ont été de tout temps les mêmes; que ce sont des vices attachés à la nature, et par cette raison inévitables; des vices, s'ils osoient le dire, nécessaires et presque in

nocents 1.

On se moque d'un homme qui ose accuser des abus qu'on croit si anciens. Rarement les gens de bien même lui sont favorables; et ceux qui sont nés modérés blâment, jusqu'à la véhémence qu'on emploie contre les méchants. Renfermés dans un petit cercle d'amis vertueux, dont on parle, ni comprendre la vraie misère ils ne peuvent se persuader les emportements et l'abaissement de leur siècle. Contents de n'avoir pas à redouter pendant la guerre les violences de l'ennemi, lorsque tant d'autres peuples sont la proie de ce fléau; charmés du bel ordre qui règne dans tous les états, ils regrettent peu les vertus qui nous ont acquis ce bonheur, tant de grands personnages qui ont disparu, les arts qui dégénèrent et qui s'avilissent. Si on leur parle même de la gloire que nous négligeons, plus froids encore là-dessus que sur le reste, ils traitent toujours de chimère ce qui s'éloigne de leur caractère ou de leur temps.

Mon dessein n'est pas de dissimuler les avantages de ce siècle, ni de le peindre plus méchant qu'il est. J'avoue que nous ne portons pas le vice à ces extrémités furieuses l'histoire que nous fait connoître. Nous n'avons pas la force

Ce ne sont pas seulement des vices, mais des crimes qu'on a osé regarder comme presque innocents. N'a-t-on pas osé dire que la mort de quelques innocents n'étoit rien lorsqu'il s'agissoit de conquérir la liberté, comme si le meurtre et l'assassinat pouvoient jamais être favorables à la liberté; comme si les conséquences de pareils crimes n'étoient pas nécessairement funestes à la société, en plaçant à sa tête des scélérats qui en ont été les instruments, et que l'on ne peut plus contenir, une fois qu'ils ont brisé leur frein. F.

malheureuse qu'on dit que ces excès demandent, trop foibles pour passer la médiocrité, même dans le crime. Mais je dis que les vices bas, ceux qui témoignent le plus de foiblesse et méritent le plus de mépris, n'ont jamais été si osés, si multipliés, si puissants.

On ne sauroit parler ouvertement de ces opprobres; on ne peut les découvrir tous. Que ce silence même les fasse connoître. Quand les maladies sont au point qu'on est obligé de s'en taire et de les cacher au malade, alors il y a peu d'espérance et le mal doit être bien grand. Tel est notre état. Les écrivains qui semblent plus particulièrement chargés de nous reprendre, désespérant de guérir nos erreurs, ou corrompus peut-être par notre commerce et gâtés par nos préjugés; ces écrivains, dis-je, flattent le vice qu'ils pourroient confondre', couvrent le mensonge de fleurs, s'attachent à orner l'esprit du monde, si vain dans son fonds. Occupés à s'insinuer auprès de ce qu'on appelle la bonne compagnie, à persuader qu'ils la connoissent, qu'eux-mêmes en sont l'agrément, ils rendent leurs écrits aussi frivoles que les hommes pour qui ils travaillent.

On ne trouvera pas ici cette basse condescendance. Mon objet n'est pas de flatter les vices qui sont en crédit. Je ne crains ni la raillerie de ceux qui n'ont d'esprit que pour tourner en ridicule la raison, ni le goût dépravé des hommes qui n'estiment rien de solide. Je dis, sans détour et sans art, ce que je crois vrai et utile. J'espère que la sincérité de mes écrits leur ouvrira le cœur des jeunes gens; et puisque les ouvrages les plus ridicules trouvent des lecteurs qu'ils corrompent parcequ'ils sont proportionnés à leur esprit, il seroit étrange qu'un discours fait pour inspirer la vertu ne l'encourageât pas, au moins dans quelques hommes qui ne la conçoivent pas eux-mêmes avec plus de force.

C'est en 1745 que ce discours a vraisemblablement été écrit, et c'est en 1745 que madame d'Étioles fut créée marquise de Pompadour, et jouit du plus grand crédit. Si la fortune de made

moiselle Poisson (c'est le nom de madame de Pompadour) excita si fort la mauvaise humeur de Vauvenargues, qu'auroit

dit ce censeur austère en voyant le règne de mademoiselle Lange sous le nom de madame Du Barry? Au reste, il paroît que l'écrivain qu'attaque ici l'auteur est Voltaire, qui prostitua ses talents à célébrer les charmes de madame de Pompadour, et pour lequel Vauvenargues étoit d'autant plus sévère, qu'il faisoit plus de cas de son esprit. F.

Il ne faut pas avoir beaucoup de connoissance de l'histoire, pour savoir que la barbarie et l'ignorance ont été le partage le plus ordinaire du genre humain. Dans cette longue suite de générations qui nous précèdent, on compte peu de siècles éclairés, et peut-être encore moins de vertueux. Mais cela même prouve que les mœurs n'ont pas toujours été les mêmes, comme on l'insinue. Ni les Allemands n'ont la férocité des Germains leurs ancêtres, ni les Italiens le mérite des anciens Romains, ni les François d'aujourd'hui ne sont tels que sous Louis XIV, quoique nous touchions à son règne. On répond que nous n'avons fait que changer de vices. Quand cela seroit, dira-t-on que les mœurs des Italiens soient aussi estimables que celles des anciens Romains, qui leur avoient soumis toute la terre? et l'avilissement des Grecs, esclaves d'un peuple barbare, sera-t-il égalé à la gloire, aux talents, à la politesse de l'ancienne Athènes? S'il y a des vices qui rendent les peuples plus heureux, plus estimés et plus craints, ne méritent-ils pas qu'on les préfère à tous les autres? Que sera-ce si ces prétendus vices, qui soutiennent les empires et les font fleurir, sont de véritables vertus.

Je n'outrerai rien, si je puis. Les hommes n'ont jamais échappé à la misère de leur condition. Composés de mauvaises et de bonnes qualités, ils portent toujours dans leur fonds les semences du bien et du mal. Qui fait donc prévaloir les unes sur les autres? Qui fait que le vice l'emporte ou la vertu? l'opinion. Nos passions, en partie mauvaises, en partie très bonnes, nous tiendroient peut-être en suspens, l'opinion, en se rangeant d'un côté, ne faisoit pencher la balance. Ainsi, dès qu'on pourra nous persuader que c'est une duperie d'être bon ou juste, dès lors il est à craindre que le vice, devenu plus fort, n'achève d'étouffer les sentiments qui nous sollicitent au bien : et voilà l'état où nous sommes. Nous ne sommes pas nés si foibles et si frivoles qu'on nous le reproche; mais l'opinion nous a fait tels. On ne sera donc pas surpris si j'emploie beaucoup de raisonnements dans ce discours: car, puisque notre plus grand mal est dans l'esprit, il faut bien commencer par le guérir.

Ceux qui n'approfondissent pas beaucoup les

choses, objectent le progrès des sciences, et l'esprit de raisonnement répandu dans tous les états, la politesse, la délicatesse, la subtilité de ce siècle, comme des faits qui contrarient et qui détruisent ce que j'établis

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Car, si l'on y fait attention, qui peut rendre un peuple puissant, si ce n'est l'amour de la gloire? Qui peut le rendre heureux et redoutable, sinon la vertu? l'esprit, l'intérêt, la finesse, n'ont jamais tenu lieu de ces nobles moJe réponds à l'égard des sciences: Comme tifs. Quel peuple plus ingénieux et plus raffiné elles sont encore fort imparfaites, si l'on en que les Grecs dans l'esclavage, et quel autre croit les maîtres1, leur progrès ne peut nous plus malheureux? Quel peuple plus raisonsurprendre; quoiqu'il n'y ait peut-être plus neur et en un sens plus éclairé que les Rod'hommes en Europe comme Descartes et New-mains? et dans la décadence de l'empire, quel autre plus avili?

ton, cela n'empêche pas que l'édifice ne s'élève sur des fondements déja posés. Mais qui peut ignorer que les sciences et la morale n'ont aucun rapport parmi nous?

Et quant à la délicatesse et à la politesse que nous croyons porter si loin, j'ose dire que nous avons changé en artifices cette imitation de la belle nature qui en étoit l'objet. Nous abusons de même du raisonnement. En subtilisant sans justesse, nous nous écartons plus peut-être de la vérité par le savoir, que l'on n'a jamais fait par l'ignorance.

Ce n'est donc ni par l'intérêt, ni par la licence des opinions ou l'esprit de raisonnement, que les Etats fleurissent et se maintiennent, mais par les qualités mêmes que nous méprisons, par l'estime de la vertu et de la gloire. Ne seroit-il pas bien étrange qu'un peuple frivole, bassement partagé entre l'intérêt et les plaisirs, fût capable de grandes choses? Et si ce même peuple méprisoit la gloire, s'en rendroit-il digne?

Qu'il me soit permis d'appliquer ces réEn un mot, je me borne à dire que la cor- flexions. On ne sauroit nier que la paresse, l'inruption des principes est cause de celle des térêt, la dissipation, ne soient ce qui domine moeurs. Pour juger de ce que j'avance, il suffit parmi nous; et à l'égard des opinions qui favode connoître les maximes qui règnent aujour- risent ces penchants honteux, je m'en rapporte d'hui dans le grand monde, et qui de là se ré-à ceux qui connoissent le monde et qui ont de pandant jusque dans le peuple, infectent égale- la bonne foi: qu'ils disent si c'est faussement ment toutes les conditions; ces maximes qui, que je les attribue à notre siècle. En vérité, il nous présentant toutes choses comme incertai-est difficile de le justifier à cet égard. Jamais nes, nous laissent les maîtres absolus de nos le mépris de la gloire et la bassesse ne se sont actions; ces maximes qui, anéantissant le mé- produits avec tant d'audace. Jusqu'à ceux qui rite de la vertu, et n'admettant parmi les hom- se piquent de bien danser, et qui attachent ainsi mes que des apparences, égalent le bien et le l'honneur aux choses les moins honorables, mal; ces maximes qui, avilissant la gloire traitent toutes les grandes de folies, et, persuacomme la plus insensée des vanités, justifient dés que l'amour de la gloire est au-dessus d'eux, l'intérêt et la bassesse, et une brutale indolence. ils sont le jouet ridicule de leur vanité.

Des principes si corrompus entraînent infailliblement la ruine des plus grands empires.

Sans doute les sciences sont encore imparfaites; mais cela n'empêche point qu'elles n'aient fait des progrès marqués, même à ne dater que depuis Descartes et Newton, sans oublier Leibnitz, qui n'a pas moins contribué qu'eux à perfectionner les sciences exactes. Les Bernoulli, Euler, D'Alembert, Clairault, La Grange et d'autres encore ont reculé les bornes de nos connoissances en ce genre, et l'Europe abonde en ce moment de mathématiciens distingués. Or les mathématiques apprennent à raisonner juste, et rien n'est si utile en morale. Condillac fait voir l'utilité de la méthode des géomètres dans les sciences auxquelles elle paroît le moins susceptible d'être appliquée, et T'exact et profond Vauvenargues auroit cédé à la justesse et à la dialectique savante du plus habile de nos métaphysiciens. F.

Mais faut-il s'étonner qu'on dégrade la gloire, si on nie jusqu'à la vertu? Il n'est guère possi

Sous l'empire d'Alexis Comnène, les Grecs ne se contentoient pas du titre d'Auguste ou de Sebastos que les Romains donnoient aux empereurs. Ils doubloient ce superlatif au moyen du titre de Panhyper Sebustos, qui signifie ce qu'il y a de plus auguste au monde. Voyez la chronique de Carion, liv. IV. Encore aujourd'hui, pendant que les Romains réservent pour le pape seul le titre de votre sainteté, les Grecs prodiguent cette dénomination aux moindres prètres, et le patriarche de Constantinople est la toute sainteté. On voit à quel degré est parvenue la bassesse de ces Grecs si fiers autrefois. F.

On peut citer Sénèque dissertant si ingénieusement sur la philosophie, et se chargeant d'excuser Néron, qui vient d'assas siner sa mère. F.

ble de rendre raison d'une erreur aussi insensée; j'avoue que j'ai peine à comprendre sur quoi elle a pu se fonder.

DISCOURS

SUR L'INÉGALITÉ DES RICHESSES.

AVIS DE L'ÉDITEUR DE 1797.

On n'a pas encore oublié qu'il y avoit à Paris une Académie Françoise érigée en compagnie par Louis XIII en 4655. Balzac fut un de ses premiers membres, et à sa mort, arrivée en 1654.

il laissa deux mille francs de fonds pour un prix d'éloquence qui étoit donné tous les ans le jour de la fete de saint Louis. Le sujet du concours étoit donné par l'Académie. Celui qui excita l'ému

lation de Vauvenargues avoit été proposé en ces termes :

«La sagesse de Dieu dans la distribution inégale des richesses, suivant ces paroles: Dives et pauper obviaverunt sibi; utriusque operator est Dominus. (Proverb. XXII, 2.) Le pauvre et le riche se sont rencontrés : le Seigneur a fait l'un et l'autre.»

de nouveaux raisonnements, ni de nouveaux tours, que personne n'en soit surpris. Qu'on sache que la vérité est une, qu'elle est immuable, qu'elle est éternelle. Belle de sa propre beauté, riche dans son fonds, invincible, elle peut se montrer toujours la même, sans perdre sa force ou sa grace, parcequ'elle ne peut vieillir ni s'affoiblir, et que n'ayant pas pris son être dans les fantômes de notre imagination, elle rejette ses faux ornements. Que ceux qui prostituent leur voix au mensonge, s'efforcent de couvrir la foiblesse de leurs inventions par les illusions agréables de la nouveauté; qu'ils se répandent inutilement en vains discours, puisqu'ils n'ont pour but que de plaire et d'amuser les oreilles curieuses. Lorsqu'il est question de persuader la vérité, tout ce qui est recherché est vain, tout ce qui n'est pas nécessaire est superflu; tout ce qui est pour l'auteur, distrait, charge la mémoire, dégoûte. En suivant de tout mon pouvoir ces grands principes, j'espère démontrer en peu de mots combien nos murmures envers la Providence sont injustes, combien même elle est juste malgré nos murmures.

Il seroit difficile de donner un sujet plus digne de notre attention que celui qu'on nous propose, puisqu'il est question de confondre le Et premièrement, que ceux qui se plaignent prétexte le plus ancien de l'impiété, par la sa- de l'inégalité des conditions en reconnoissent gesse même de la Providence dans la distribu- la nécessité indispensable. Inutilement les antion inégale des richesses, qui fait leur scandale. ciens législateurs ont tâché de les rapprocher : Il faut, en sondant le secret de ces redoutables les lois ne sauroient empêcher que le génie conseils qui font la destinée de tous les peuples, s'élève au-dessus de l'incapacité, l'activité auouvrir en même temps aux yeux du genre hu-dessus de la paresse, la prudence au-dessus de main le spectacle de l'univers sous la main de Dieu. Un sujet si vaste embrasse toutes les conditions et tous les hommes. Rois, sujets, étrangers, barbares, savants, ignorants, tous y ont un égal intérêt. Nul ne peut s'affranchir du joug de celui qui, du haut des cieux, commande à tous les peuples de la terre, et tient sous sa loi les empires, les hasards, les tombeaux, la gloire, la vie et la mort.

La matière est trop importante pour n'avoir pas été souvent traitée. Les plus grands hommes se sont attachés à la mettre dans un beau jour, et rien ne leur est échappé; mais parceque nous oublions très promptement jusqu'aux choses qu'il nous importe le plus de retenir, il ne sera pas inutile de remettre devant nos yeux une vérité si sublime et si outragée de nos jours. Si nous n'employons pour la défendre ni

I

la témérité. Tous les tempéraments qu'on a employés à cet égard ont été vains; l'art ne peut égaler les hommes malgré la nature. Si l'on trouve quelque apparence, dans l'histoire, de cette égalité imaginaire, c'est parmi des peuples sauvages qui vivoient sans lois et sans maîtres, ne connoissoient d'autre droit que la force, d'autres dieux que l'impunité; monstres qui erroient dans les bois avec les ours, et se détruisoient les uns les autres par d'affreux carnages; égaux par le crime, par la pauvreté, par l'ignorance, par la cruauté; nul appui parmi eux pour l'innocence, nulle récompense pour la vertu, nul frein pour l'audace; l'art du labourage négligé ou ignoré par ces barbares,

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