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mes en tant de manières, qui les arrêtent dans | cueillent de si nobles fleurs sur le chemin, si leurs espérances, trompent leurs projets et leur jusque dans l'adversité leur conscience est plus apportent dans la force de leur âge les infirmités forte et plus assurée que celle des heureux du de la vieillesse : voilà les effets des plaisirs; et vice! vous renonceriez, mon cher ami, à toutes les vertus qui vous attendent, à votre fortune, à la gloire? Non, sans doute ; la volupté ne prendra jamais cet empire sur une ame comme la vôtre, quoique vous lui prétiez vous-même de si fortes armes.

Mais quel autre attrait, quelle crainte pourroit vous détourner de satisfaire à vos sages inclinations1? seroient-ce les bizarres préjugés de quelques fous qui voudroient vous donner leurs ridicules, eux qui se piquent d'avoir la peau douce et de donner le ton à quelques femmes? S'ils sont effacés dans un souper, ils se couchent avec un mortel chagrin; et vous n'oseriez à leurs yeux avoir une ambition plus raisonnable?

Ces gens-là sont-ils si aimables? je dis plus, sont-ils si heureux que vous deviez les préférer à d'autres hommes, et prendre leurs extravagances pour des lois? Ecouteriez-vous aussi ceux qui font consister le bon sens à suivre la coutume, à s'établir, à ménager sourdement de vils intérêts? Tout ce qui est hardiesse, générosité, grandeur de génie, ils ne peuvent même le concevoir; et cependant ils ne méprisent pas sincèrement la gloire; ils l'attachent à leurs erreurs.

On en voit parmi ces derniers qui combattent par la religion ce qu'il y a de meilleur dans la nature, et qui rejettent ensuite la religion même, ou comme une loi impraticable, ou comme une belle fiction, et une invention politique.

Qu'ils s'accordent donc, s'ils le peuvent. Sont-ils sous la loi de grace? que leurs mœurs le fassent connoître. Suivent-ils encore la nature? qu'ils ne rejettent pas ce qui peut l'élever et la maintenir dans le bien.

Je veux que la gloire nous trompe les talents qu'elle nous fera cultiver, les sentiments dont elle remplira notre ame, répareront bien cette erreur. Qu'importe que si peu de ceux qui courent la même carrière la remplissent, s'ils

Mais quel autre attrait, quelle crainte pourroit vous détourner de satisfaire à vos sages inclinations? On satisfait à son devoir; mais on satisfait ses inclinations. S.

Pratiquons la vertu; c'est tout. La gloire, mon très cher ami, loin de vous nuire ', élèvera si haut vos sentiments, que vous apprendrez d'elle-même à vous en passer, si les hommes vous la refusent: car quiconque est grand par le cœur, puissant par l'esprit, a les meilleurs biens; et ceux à qui ces choses manquent ne sauroient porter dignement ni l'une ni l'autre fortune.

SECOND DISCOURS.

Puisque vous souhaitez, mon cher ami, que je vous parle encore de la gloire, et que je vous explique mieux mes sentiments, je veux tâcher de vous satisfaire, et de justifier mes opinions sans les passionner, si je puis; de peur de farder ou d'exagérer la vérité qui vous est si chère, et que vous rendez si aimable.

Je conviendrai d'abord que tous les hommes ne sont pas nés, comme vous dites 2, pour les grands talents, et je ne crois pas qu'on puisse regarder cela comme un malheur, puisqu'il faut que toutes les conditions soient conservées, et que les arts les plus nécessaires ne sont ni les plus ingénieux, ni les plus honorables.

Mais ce qui importe, je crois, c'est qu'il règne dans tous ces états une gloire assortie au mérite qu'ils demandent. C'est l'amour de cette gloire qui les perfectionne, qui rend les hommes de toutes les conditions plus vertueux, et qui fait fleurir les empires, comme l'expérience de tous les siècles le démontre.

Cette gloire, inférieure à celle des talents plus élevés, n'est pas moins justement fondée : car ce qui est bon en soi-même ne peut être anéanti par ce qui est meilleur. Il peut perdre

gloire pour l'amour de la gloire. On a déja remarqué cette faute où Vauvenargues tombe souvent. Le mot gloire, lorsqu'il signifie un sentiment, se prend toujours en mauvaise part: c'est le caractère du Glorieux. S.

La gloire, mon très cher ami, loin de vous nuire. La

2 Comme vous dites, il faut, je crois, comme vous le dites. S,

de notre estime, mais il ne peut souffrir de que le bien et la perfection de votre ame1? mais déchéance dans son être; cela est visible.

S'il y a donc quelque erreur à cet égard parmi les hommes, c'est lorsqu'ils cherchent une gloire supérieure à leurs talents, une gloire par conséquent qui trompe leurs desirs et leur fait négliger leur vrai partage, qui tient cependant leur esprit au-dessus de leur condition, et les sauve peut-être de bien des foiblesses.

Vous ne pouvez tomber, mon cher ami, dans une semblable illusion; mais cette crainte si modeste est une vertu trop aimable dans un homme de votre mérite et de votre âge.

On ne peut qu'estimer aussi ce que vous dites sur la briéveté de la vie. Je croyois avoir prévenu à ce sujet tout ce qu'on pouvoit m'opposer de raisonnable. Cependant je ne blâme pas vos sentiments. Dans une si grande jeunesse, où les autres hommes sont si enivrés des vanités et des apparences du monde, c'est sans doute une preuve, mon aimable ami, de l'élévation de votre ame, lorsque la vie humaine vous paroît trop courte pour mériter nos attentions. Le mépris que vous concevez de ses promesses témoigne que vous êtes supérieur à tous ses dons. Mais puisque, malgré ce mérite qui vous élève, vous êtes néanmoins borné à cet espace que vous méprisez, c'est à votre vertu à s'exercer dans ce champ étroit; et, puisqu'il vous est refusé d'en étendre les bornes, vous devez en orner le fonds. Autrement, que vous serviroient tant de vertus et de génie? n'auroit-on pas lieu d'en douter?

Voyez comme ont vécu les hommes qui ont eu l'ame élevée comme vous. Vous me permettez bien cette louange qui vous fait un devoir de leur vertu. Lorsque le mépris des choses humaines les soutenoit ou dans les pertes, ou dans les erreurs, ou dans les embarras inévitables de la vie, ils s'en couvroient comme d'un bouclier qui trompoit les traits de la fortune. Mais lorsque ce même mépris se tournoit en paresse et en langueur; qu'au lieu de les porter au travail, il leur conseilloit la mollesse; alors ils rejetoient une si dangereuse tentation, et ils s'excitoient par la gloire, qui est moins donnée à la vertu pour récompense que pour soutien. Imitez en cela, mon cher ami, ceux que vous admirez dans tout le reste. Que desirez-vous,

comment le mépris de la gloire vous inspireroit-il le goût de la vertu, si même il vous dégoûte de la vie? Quand concevez-vous ce mépris, si ce n'est dans l'adversité, et lorsque vous désespérez en quelque sorte de vous-même? Qui n'a du courage, au contraire, quand la gloire vient le flatter? qui n'est plus jaloux de bien faire?

Insensés que nous sommes, nous craignons toujours d'être dupes ou de l'activité, ou de la gloire, ou de la vertu! Mais qui fait plus de dupes véritables que l'oubli de ces mêmes choses? qui fait des promesses plus trompeuses que l'oisiveté?

Quand vous êtes de garde au bord d'un fleuve, où la pluie éteint tous les feux pendant la nuit, et pénètre dans vos habits, vous dites: Heureux qui peut dormir sous une cabane écartée, loin du bruit des eaux! Le jour vient; les ombres s'effacent et les gardes sont relevées; vous rentrez dans le camp; la fatigue et le bruit vous plongent dans un doux sommeil, et vous vous levez plus serein pour prendre un repas délicieux. Au contraire, un jeune homme né pour la vertu, que la tendresse d'une mère retient dans les murailles d'une ville forte, pendant que ses camarades dorment sous la toile et bravent les hasards, celui-ci qui ne risque rien, qui ne fait rien, à qui rien ne manque, ne jouit ni de l'abondance, ni du calme de ce séjour : au sein du repos, il est inquiet et agité; il cherche les lieux solitaires; les fêtes, les jeux, les spectacles, ne l'attirent point; la pensée de ce qui se passe en Moravie occupe ses jours, et pendant la nuit il rêve des combats et des batailles qu'on donne sans lui. Que veux-je dire par ces images? que la véritable vertu ne peut se reposer ni dans les plaisirs, ni dans l'abondance, ni dans l'inaction qu'il est vrai que l'activité a ses dégoûts et ses périls; mais que ces inconvénients, momentanés dans le travail, se multiplient dans l'oisiveté, cù un esprit ardent se consume lui-même et s'importune.

Et si cela est vrai en général pour tous les hommes, il l'est encore plus particulièrement

Que desirez-vous, que le bien et la perfection de votre deux que si rapprochés sont une négligence. M. ame? Il y a ellipse: que desirez-vous autre chose que. Les

pour vous, mon cher ami, qui êtes né si visi- | est près d'eux, plus ils l'aiment, plus ils la de

blement pour la vertu, et qui ne pouvez être heureux par d'autres voies, tant celles du bien vous sont propres.

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sirent, plus ils sentent sa réalité. Mais quand la vertu dégénère; quand le talent manque, ou la force; quand la légèreté et la mollesse dominent les autres passions, alors on ne voit plus la gloire que très loin de soi; on n'ose ni se la promettre, ni la cultiver, et enfin les hommes s'accoutument à la regarder comme un songe. Peu-à-peu on en vient au point que c'est une chose ridicule même d'en parler. Ainsi, comme on se seroit moqué à Rome d'un déclamateur qui auroit exhorté les Sylla et les Pompée au mépris de la gloire, on riroit aujourd'hui d'un philosophe qui encourageroit des François à penser aussi grandement que les Romains, et à imiter leurs vertus. Aussi n'est-ce pas mon dessein de redresser sur cela nos idées, et de changer les mœurs de la nation. Mais parceque je crois que la nature a toujours produit quelques hommes qui sont supérieurs à l'esprit et aux préjugés de leur siècle, je me confie, mon aimable ami, aux sentiments que

Mais quand vous seriez moins certain d'avoir ces talents admirables qui forcent la gloire, après tout, mon aimable ami, voudriez-vous négliger de cultiver ces talents mêmes? Je dis plus s'il étoit douteux que la gloire fût un grand bien, renonceriez-vous à ses charmes? Pourquoi donc chercher des prétextes pour autoriser des moments de paresse et d'anxiété? S'il falloit prouver que la gloire n'est pas une erreur, cela ne seroit pas fort difficile. Mais, en supposant que c'est une erreur, vous n'êtes pas même résolu de l'abandonner; et vous avez grande raison: car il n'y a point de vérité plus douce et plus aimable. Agissez donc comme vous pensez; et sans vous inquiéter de ce que l'on peut dire sur la gloire, cultivez-la, mon cher ami, sans défiance, sans foiblesse et sans vanité. C'auroit été une chose assez hardie, mon ai-je vous connois, et je veux vous parler de la mable ami, que de parler du mépris de la gloire, comme j'aurois pu en parler à un Athégloire devant des Romains du temps des Sci- nien du temps de Thémistocle 3 et de Socrate 4. pion et des Gracchus 3. Un homme qui leur auroit dit que la gloire n'étoit qu'une folie, n'auroit guère été écouté; et ce peuple ambitieux l'eût méprisé comme un sophiste qui détourneroit les hommes de la vertu même, en attaquant la plus forte et la plus noble de leurs passions. Un tel philosophe n'auroit pas été plus suivi à Athènes ou à Lacédémone. Auroit-il osé

dire que la gloire étoit une chimère, pendant qu'elle donnoit parmi ces peuples une si haute considération, et qu'elle y étoit même si répandue et si commune, qu'elle devenoit nécessaire et presque un devoir? Plus les hommes ont de vertu, plus ils ont de droit à la gloire; plus elle

Et si cela est vrai pour tous les hommes, il l'est encore plus particulièrement pour vous. Il pour cela. Cette incorrection a déja été remarquée. S.

Il y a eu plusieurs Scipion, et presque tous paroissent avoir aimé la gloire. Le vainqueur d'Annibal, Publius Cornélius Scipion, surnommé l'Africain, est l'un des plus grands hommes qui aient jamais existé : il a mérité d'avoir Plutarque pour his torien. Le jeune Scipion, surnommé aussi l'Africain, est celui qui prit Carthage et détruisit Numance. F.

3 Tibérius et Caïus Sempronius Gracchus étoient deux frères célèbres dans l'histoire romaine. Plutarque a écrit leur vie, qui est très intéressante. L'amour de la gloire les conduisit tous denx à une mort violente. F.

DISCOURS SUR LES PLAISIRS,

ADRESSE AU MÊME 5.

Vous êtes trop sévère, mon aimable ami, de vouloir qu'on ne puisse pas, en écrivant, réparer les erreurs de sa conduite, et contredire

Son épitaphe, composée, dit-on, par lui-même, portoit en substance que personne n'avoit fait tant de bien à ses amis, ni

tant de mal à ses ennemis. F.

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4 Socrate fut déclaré par l'oracle le plus sage de tous les Grecs: on lui doit Xénophon, Aristote, Platon, et d'autres disciples non moins illustres. Les Athéniens ne l'en condamnèrent pas moins à mort; mais ils punirent ensuite ses calomniateurs, lui élevèrent une statue, et lui dédièrent une chapelle comme à un demi-dieu. Il mourut 400 ans avant l'ère chrétienne. F.

5 D'après une note qui s'est trouvée dans les papiers de Vauvenargues, il paroît que ce discours et le précédent étoient adressés au même ami pour qui il avoit écrit les conseils à un jeune homme.

que l'inclination se mêlât d'attacher à leurs voluptés un nouveau charme. Je tâche de comprendre tous ces goûts bizarres qu'ils prennent avec tant de soin hors de la nature, et je vois que la vanité fait le fonds de tous les plaisirs et tout le commerce du monde.

Le frivole esprit de ce siècle est cause de cette foiblesse. La frivolité, mon ami, anéantit les hommes qui s'y attachent. Il n'y a point de vice peut-être qu'on ne doive lui préférer: car encore vaut-il mieux être vicieux que de ne pas être. Le rien est au-dessous de tout, le rien est le plus grand des vices; et qu'on ne dise pas que c'est être quelque chose que d'ètre frivole: c'est n'ètre ni pour la vertu, ni pour la gloire, ni pour la raison, ni pour les plaisirs passionnés. Vous direz peut-être : J'aime mieux un homme anéanti pour toute vertu, que celui qui n'existe que pour le vice. Je vous répondrai : Celui qui est anéanti pour la vertu n'est pas pour cela exempt de vices : il fait le mal par légèreté et par foiblesse; il est l'instrument des méchants qui ont plus de génie. Il est moins dangereux qu'un méchant homme sérieusement appliqué au mal, cela peut être; mais faut-il savoir gré à l'épervier de ce qu'il ne détruit que des insectes, et ne ravage pas les troupeaux dans les champs comme les lions et les aigles? Un homme courageux et sage ne craint point un méchant homme; mais il ne peut s'empêcher de mépriser un homme frivole.

même ses propres discours. Ce seroit une grande | qu'ils n'aiment pas, et qui trouveroient ridicule servitude si on étoit toujours obligé d'écrire comme on parle, ou de faire comme on écrit. Il faut permettre aux hommes d'être un peu inconséquents, afin qu'ils puissent retourner à la raison quand ils l'ont quittée, et à la vertu lorsqu'ils l'ont trahie. On écrit tout le bien qu'on pense, et on fait tout celui qu'on peut; et lorsqu'on parle de la vertu ou de la gloire, on se laisse emporter à son sujet, sans se souvenir de sa foiblesse. Cela est très raisonnable. Voudriez-vous qu'on fit autrement, et qu'on ne tâchât pas du moins d'être sage dans ses écrits, lorsqu'on ne peut pas l'être encore dans ses actions! Vous vous moquez de ceux qui parlent contre les plaisirs, et vous leur demandez qu'à cet égard ils s'accordent avec eux-mêmes; c'est à-dire que vous voulez qu'ils se rétractent, et qu'ils vous abandonnent toute leur morale. Pour moi, il ne m'appartient pas de vous contrarier, et de défendre avec vous une vertu austère dont je suis peu digne 1. Je veux bien vous accorder, sans conséquence, que les plaisirs ne sont pas tout-à-fait inconciliables avec la vertu et la gloire. On a vu quelquefois de grandes ames qui ont su allier l'un et l'autre, et mener ensemble ces choses si peu compatibles pour les autres hommes. Mais s'il faut vous parler sans flatterie, je vous avouerai, mon ami, que les plaisirs de ces grands hommes ne me paroissent guère ressembler à ce que l'on honore de ce nom dans le monde. Vous savez comme moi quelle est la vie que mènent la plupart des jeunes gens; quels sont leurs tristes amusements et leurs occupations ridicules; qu'ils ne cherchent presque jamais ce qui est aimable ou ce qu'ils aiment, mais ce que les autres trouvent tel; qui, moyennant qu'ils vivent en bonne compagnie, croient s'être divertis à un souper où l'on n'oseroit parler avec confiance, ni se taire, ni être raisonnable; qui courent trois spectacles dans le même jour sans en entendre aucun ; qui ne parlent que pour parler, et ne lisent que pour avoir lu; qui ont banni l'amitié et l'estime non seulement des sociétés de bienséance, mais même des commerces les plus familiers; qui se piquent de posséder une femme

Une vertu austère dont je suis peu digne, c'est-à-dire, dont je suis peu capable. S.

Aimez donc, mon aimable ami, suivez les plaisirs qui vous cherchent, et que la raison, la nature et les graces ont faits pour vous. Encore une fois, ce n'est point à moi à vous les interdire; mais ne croyez pas qu'on rencontre d'agrément solide dans l'oisiveté, la folie, la foiblesse et l'affectation.

SUR LE CARACTÈRE

DES DIFFÉRENTS SIÈCLES.

Quelque limitées que soient nos lumières sur les sciences, je crois qu'on ne sauroit nous disputer de les avoir poussées au-delà des bornes

anciennes. Héritiers des siècles qui nous précè- | parcequ'il aura peint un grand personnage; et

dent, nous devons être plus riches des biens de l'esprit. Cela ne peut guère nous être contesté sans injustice; mais nous aurions tort nousmêmes de confondre cette richesse héritée et empruntée, avec le génie qui la donne. Combien de ces connoissances que nous prisons tant, sont stériles pour nous! Etrangères dans notre esprit, où elles n'ont pas pris naissance, il arrive souvent qu'elles confondent notre jugement beaucoup plus qu'elles ne l'éclairent. Nous plions sous le poids de tant d'idées, comme ces Etats qui succombent par trop de conquêtes, où la prospérité et les richesses corrompent les mœurs, et où la vertu s'ensevelit sous sa propre gloire 1.

Parlerai-je comme je pense? Quelque lumière qu'on acquière encore, et en quel siècle que ce puisse, je crois que l'on verra toujours parmi les hommes ce qu'on voit dans les plus puissantes monarchies, je veux dire que le plus grand nombre des esprits y sera peuple, comme l'est dans tous les empires la meilleure partie des hommes.

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On voit que Vauvenargues désigne ici les Romains, qui, parvenus à la plus haute puissance du temps de César et d'Auguste, ne purent conserver leurs mœurs ni leur liberté, et dont la prospérité causa l'esclavage et la corruption. F.

» On trouve dans les registres du parlement de Paris une très grande quantité d'arrets qui ont condamné des sorciers au feu;

et le 22 décembre 4691, des bergers de Brie furent condamnés à faire amende honorable et à être pendus et brûlés, comme

atteints et convaincus de superstitions, impiétés, sacriléges, profanations, poisons, maléfices, et d'avoir fait mourir des chevaux et des bestiaux. Il n'y avoit donc pas long-temps, lors

que l'auteur écrivoit, que l'on ne croyoit plus aux sorciers. F. 3 D'anciens capitulaires du neuvième siècle recommandent aux pasteurs de l'Église chrétienne de désabuser les fidèles sur ce que l'on disoit de plusieurs femmes, qu'elles alloient au sabbat. On voit par-là combien cette croyance étoit ancienne. F. 4 Jean Calvin mourut en 4564, laissant un nom célèbre, beaucoup de partisans, et encore plus d'ennemis.

5 Martin Luther mourut en 4546. Ses sectateurs, pendant le seizième siècle, prirent la devise: Plutot Turc que Papiste.

ces sentiments héroïques qui font la grandeur du tableau, on les méprisera dans l'original. L'effet d'une grande multiplicité d'idées, c'est d'entraîner dans des contradictions les esprits foibles. L'effet de la science est d'ébranler la certitude et de confondre les principes les plus manifestes.

Nous nous étonnons cependant des erreurs prodigieuses de nos pères. Quelles bonnes gens, disons-nous, que les Égyptiens qui ont adoré des choux et des ognons! Pour moi, je ne vois pas que ces superstitions témoignent plus particulièrement que d'autres choses, la petitesse de l'esprit humain. Si j'avois eu le malheur de naître dans un pays où l'on m'eût enseigné que la Divinité se plaisoit à se reposer dans les tulipes; qu'on m'eût dit que c'étoit un mystère que je ne comprenois pas, parcequ'il n'appartenoit pas à un homme de juger des choses surnaturelles, ni même de beaucoup de choses naturelles; que l'on m'eût assuré que cette doctrine avoit été confirmée par des prodiges, et que je risquois de tout perdre si je refusois de la croire; soit raison, soit timidité sur un intérêt capital, soit connoissance de ma propre foiblesse, je sens que j'aurois déféré à l'autorité de tout un peuple, à celle du gouvernement, au témoignage successif de plusieurs siècles, et à l'instruction de mes pères. Ainsi je ne suis point surpris que de si grandes superstitions se soient acquises quelque autorité 1. Il n'y a rien que la crainte et l'espérance ne persuadent aux hommes, principalement dans les choses qui passent la portée de leur esprit, et qui intéressent leur cœur.

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