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Lorsqu'on rapporte sans partialité les raisons des sectes opposées, et qu'on ne s'attache à auau-dessus de tous les partis. Demandez cepencune, il semble qu'on s'élève en quelque sorte dant à ces philosophes neutres, qu'ils choisissent une opinion, ou qu'ils établissent d'euxmêmes quelque chose; vous verrez qu'ils n'y sont pas moins embarrassés que tous les autres.

I VARIANTE. Quand je vois qu'un homme d'esprit, dans le plus éclairé de tous les siècles, n'ose se mettre à table si on est treize, il n'y a plus d'erreur, ni ancienne ni moderne, qui m'étonne.

Le monde est peuplé d'esprits froids, qui, n'étant pas capables par eux-mêmes d'inventer, s'en consolent en rejetant toutes les inventions d'autrui, et qui, méprisant au dehors beaucoup de choses, croient se faire estimer.

CCCXXVII.

Qui sont ceux qui prétendent que le monde est devenu vicieux? je les crois sans peine. L'ambition, la gloire, l'amour, en un mot, toutes les passions des premiers âges ne font plus les mêmes désordres et le même bruit. Ce n'est pas peut-être que ces passions soient aujourd'hui moins vives qu'autrefois; c'est parcequ'on les désavoue et qu'on les combat. Je dis donc que le monde est comme un vieillard qui conserve tous les desirs de la jeunesse, mais qui en est honteux, et s'en cache, soit parcequ'il est détrompé du mérite de beaucoup de choses, soit parcequ'il veut le paroître.

CCCXXVIII.

Les hommes dissimulent par foiblesse, et par la crainte d'être méprisés, leurs plus chères, leurs plus constantes, et quelquefois leurs plus vertueuses inclinations.

CCCXXIX.

L'art de plaire est l'art de tromper.
CCCXXX.

Nous sommes trop inattentifs ou trop occupés de nous-mêmes pour nous approfondir les uns les autres. Quiconque a vu des masques dans un bal danser amicalement ensemble, et se tenir par la main sans se connoître, pour se quitter le moment d'après, et ne plus se voir ni se regretter, peut se faire une idée du monde.

De l'art et du goût d'écrire1.

CCCXXXI.

Les premiers écrivains travailloient sans mo

De l'art et du goût d'écrire. Goût signifie ici penchant, inclination qu'on éprouve pour une chose; mais il ne peut s'employer en parlant d'une action. On peut dire avoir le goût de la peinture, mais non pas le goût de peindre. Ainsi le goût d'écrire est une incorrection. S..

dèle, et n'empruntoient rien que d'eux-mêmes, ce qui fait qu'ils sont inégaux, et mêlés de mille endroits foibles, avec un génie tout divin. Ceux qui ont réussi après eux ont puisé dans leurs inventions, et par là sont plus soutenus; nul ne trouve tout dans son propre fonds.

CCCXXXII.

Qui saura penser de lui-même et former de nobles idées, qu'il prenne, s'il peut, la manière et le tour élevé des maîtres. Toutes les richesses de l'expression appartiennent de droit à ceux qui savent les mettre à leur place.

CCCXXXIII.

Il ne faut pas craindre non plus de redire une vérité ancienne, lorsqu'on peut la rendre plus sensible par un meilleur tour, ou la joindre à une autre vérité qui l'éclaircisse, et former un corps de raison. C'est le propre des inventeurs de saisir le rapport des choses, et de savoir les rassembler; et les découvertes anciennes sont moins à leurs premiers auteurs qu'à ceux qui les rendent utiles.

CCCXXXIV.

On fait un ridicule à un homme du monde du talent et du goût d'écrire 3. Je demande aux gens raisonnables : Que font ceux qui n'écrivent pas?

CCCXXXV.

On ne peut avoir l'ame grande ou l'esprit un peu pénétrant sans quelqué passion pour les lettres. Les arts sont consacrés à peindre les traits de la belle nature; les sciences, à la vérité. Les arts ou les sciences embrassent tout ce qu'il ya, dans les objets de la pensée, de noble ou d'utile de sorte qu'il ne reste à ceux qui les rejettent, que ce qui est indigne d'être peint ou enseigné.

CCCXXXVI.

Voulez-vous démêler, rassembler vos idées, les mettre sous un même point de vue, et les

Le tour élevé; métaphore qui peut paroître incohérente. S. 2 Former un corps de raison. Il faut de raisons. S.

3 Du goût d'écrire. On a déja observé que cette expression étoit incorrecte. S.

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réduire en principes, jetez-les d'abord sur le | les plaisirs, les devoirs de la vie civile, demandent qu'on sache parler; c'est donc peu de savoir écrire. Nous aurions besoin tous les jours d'unir l'une et l'autre éloquence; mais nulle ne peut s'acquérir, si d'abord on ne sait penser, et on ne sait guère penser si l'on n'a des principes fixes et puisés dans la vérité. Tout confirme notre maxime : l'étude du vrai la première, l'éloquence après.

papier. Quand vous n'auriez rien à gagner par cet usage du côté de la réflexion, ce qui est faux manifestement, que n'acquerriez-vous pas du côté de l'expression? Laissez dire à ceux qui regardent cette étude comme au-dessous d'eux. Qui peut croire avoir plus d'esprit, un génie plus grand et plus noble que le cardinal de Richelieu? Qui a été chargé de plus d'affaires et de plus importantes? Cependant nous avons des Controverses de ce grand ministre, et un Testament politique: on sait même qu'il n'a pas dédaigné la poésie. Un esprit si ambitieux ne pouvoit mépriser la gloire la plus empruntée et la plus à nous qu'on connoisse. Il n'est pas besoin de citer, après un si grand nom, d'autres exemples: le duc de La Rochefoucauld, l'homme de son siècle le plus poli et le plus capable d'intrigues, auteur du livre des Maximes; le fameux cardinal de Retz, le cardinal d'Ossat, le chevalier Guillaume Temple 3, et une infinité d'autres qui sont aussi connus par leurs écrits que par leurs actions immortelles. Si nous ne sommes pas à même d'exécuter de si grandes choses que ces hommes illustres, qu'il paroisse du moins par l'expression de nos pensées, et par ce qui dépend de nous, que nous n'étions pas incapables de les concevoir.

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Pensées diverses.

CCCXXXIX.

C'est un mauvais parti pour une femme que d'être coquette. Il est rare que celles de ce caractère allument de grandes passions, et ce n'est pas à cause qu'elles sont légères, comme on croit communément, mais parceque personne ne veut être dupe. La vertu nous fait mépriser la fausseté, et l'amour -propre nous la fait haïr. CCCXL.

Est-ce force dans les hommes d'avoir des passions, ou insuffisance et foiblesse? Est-ce grandeur d'être exempt de passion, ou médiocrité de génie? Ou tout est-il mêlé de foiblesse et de force, de grandeur et de petitesse?

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CCCXLIV.

S'il n'y avoit de domination légitime que celle qui s'exerce avec justice, nous ne devrions rien aux mauvais rois.

CCCXLV.

Comptez rarement sur l'estime et sur la confiance d'un homme qui entre dans tous vos intérêts, s'il ne vous parle aussitôt des siens.

CCCXLVI.

Nous haïssons les dévots qui font profession de mépriser tout ce dont nous nous piquons, et se piquent souvent eux-mêmes de choses encore plus méprisables '.

CCCXLVII.

C'est par la conviction manifeste de notre incapacité, que le hasard dispose si universellement et si absolument de tout. Il n'y a rien de plus rare dans le monde que les grands talents et que le mérite des emplois : la fortune est plus partiale qu'elle n'est injuste.

CCCXLVIII.

Le mystère dont on enveloppe ses desseins marque quelquefois plus de foiblesse que d'indiscrétion, et souvent nous fait plus de tort.

tion française de 1793, l'égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous; soit qu'elle protége, soit qu'elle punisse, elle n'admet aucune distinction de naissance, aucune hérédité de pouvoirs; mais l'article V dit que la propriété est le droit de jouir et de disposer de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. Ces deux droits ne sont pas toujours faciles à concilier, et l'homme né sans propriété et sans industrie se croira difficilement l'égal du riche héritier et de l'homme industrieux, même aux yeux de la loi, puisqu'elle est chargée de protéger la propriété et l'industrie. (Cette note est de M. de Fortia.)

■ Ce que Vauvenargues dit ici des devots, il le dit d'une manière plus générale au no CCXLI. B.

C'est par la conviction manifeste de notre incapacité que le hasard dispose, etc. Cette pensée est obscure; l'auteur veut dire, je crois, que c'est la conviction que nous avons de notre incapacité, qui nous fait abandonner tant de choses au hasard. Il n'y a rien de plus rare dans le monde, dit-il ensuite, que les grands talents et que le mérite des emplois : le mérite des emplois est une ellipse forcée. L'auteur ajoute : La fortune est plus partiale qu'elle n'est injuste, c'est-à-dire qu'entre des concurrents sans moyens, elle n'est pas injuste en refusant un emploi à tel qui ne le mérite pas, mais partiale en l'accordant à tel antre qui ne le mérite pas davantage. S.

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1 La Fontaine étoit persuadé, etc. On ne voit pas quelle est la liaison des deux parties de cette maxime: ĉe qui la rend très obscure. En disant que jamais de véritablement grands hommes ne se sont amusés à tourner des fables, veut-il dire que c'est un art d'instinct, d'inspiration? Mais cela pourroit se dire de beaucoup d'autres genres de talents poétiques. Faut-il le prendre dans un sens défavorable? On a peine à le concevoir d'après les éloges qu'il donne à La Fontaine dans ses Fragments sur les poètes. On voit plus vivement encore, dans ses Lettres à Voltaire, l'admiration que lui inspiroit le talent de La Fontaine, qu'il a même défendu contre Voltaire. Au reste, cette maxime est du nombre de celles qu'il avoit retranchées dans la seconde édition ; et il vouloit probablement la supprimer ou l'éclaircir. S.

Toute hauteur, etc. Je crois qu'orgueil est ici le mot propre. Hauteur, pris à l'absolu, ne peut s'entendre dans un sens favorable. S.

corps; s'il conserve même sa raison jusqu'à la fin, nous nous en étonnons; et s'il fait paroître quelque fermeté, nous disons qu'il y a de l'affectation dans cette mort: tant cela est rare et difficile. Cependant s'il arrive qu'un autre homme démente en mourant, ou la fermeté, ou les principes qu'il a professés pendant sa vie; si dans l'état du monde le plus foible, il donne quelque marque de foiblesse....... ô aveugle malice de l'esprit humain ! il n'y a pas de contradictions si manifestes que l'envie n'assemble pour nuire.

CCCLV.

On n'est pas appelé à la conduite des grandes affaires, ni aux sciences, ni aux beaux-arts, ni à la vertu, quand on n'aime pas ces choses pour elles-mêmes, indépendamment de la considération qu'elles attirent. On les cultiveroit donc inutilement dans ces dispositions: ni l'esprit, ni la vanité, ne peuvent donner le génie.

CCCLVI.

Il y a peu de passions constantes; il y en a beaucoup de sincères : cela a toujours été ainsi ; mais les hommes se piquent d'être constants ou indifférents, selon la mode, qui excède toujours la nature.

CCCLVII.

Les femmes ne peuvent comprendre qu'il y ait des hommes désintéressés à leur égard.

CCCLVIII.

Il n'est pas libre à un homme qui vit dans le monde, de n'être pas galant.

CCCLIX.

Quels que soient ordinairement les avantages de la jeunesse, un jeune homme n'est pas bien venu auprès des femmes jusqu'à ce qu'elles en aient fait un fat.

CCCLX.

Il est plaisant qu'on ait fait une loi de la pudeur aux femmes, qui n'estiment dans les hommes que l'effronterie.

CCCLXI.

On ne loue point une femme ni un auteur médiocre, comme eux-mêmes se louent.

CCCLXII.

Une femme qui croit se bien mettre ne soupçonne pas, dit un auteur, que son ajustement deviendra un jour aussi ridicule que la coiffure de Catherine de Médicis. Toutes les modes dont nous sommes prévenus vieilliront peut-être avant nous, et même le bon ton.

CCCLXIII.

Il y a peu de choses que nous sachions bien. CCCLXIV.

Si on n'écrit point parcequ'on pense, il est inutile de penser pour écrire.

CCCLXV.

Tout ce qu'on n'a pensé que pour les autres est ordinairement peu naturel.

CCCLXVI.

La clarté est la bonne foi des philosophes. CCCLXVII.

La netteté est le vernis des maîtres.

CCCLXVIII.

La netteté épargne les longueurs, et sert de preuves aux idées 1.

CCCLXIX.

La marque d'une expression propre est que, même dans les équivoques, on ne puisse lui donner qu'un sens.

CCCLXX.

Il semble que la raison, qui se communique aisément et se perfectionne quelquefois, devroit perdre d'autant plus vite tout son lustre et le des grands hommes, copiés avec tant de soin mérite de la nouveauté : cependant les ouvrages

3 Sert de preuves. Il faut de preuve. M.

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