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est presque toujours la même chose; mais on | justes. Mais s'il conclut mal, je présume qu'il peut parler sans prudence, et parler juste; et distingue mal les objets, ou qu'il n'aperçoit pas il ne faut pas croire qu'un homme a l'esprit d'un seul coup d'œil tout leur ensemble, et faux, parceque la hardiesse de son caractère qu'enfin quelque chose manque à l'étendue ou à ou la vivacité de ses passions lui auront arraché, la profondeur de son esprit. malgré lui-même, quelque vérité périlleuse.

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CCXII.

On discerne aisément la vraie de la fausse étendue d'esprit : car l'une agrandit ses sujets, et l'autre, par l'abus des épisodes et par le faste de l'érudition, les anéantit.

CCXIII.

Quelques exemples rapportés en peu de mots et à leur place donnent plus d'éclat, plus de poids et plus d'autorité aux réflexions; mais trop d'exemples et trop de détails énervent toujours un discours. Les digressions trop longues ou trop fréquentes rompent l'unité du sujet, et lassent les lecteurs sensés, qui ne veulent pas qu'on les détourne de l'objet principal, et qui d'ailleurs ne peuvent suivre, sans beaucoup de peine, une trop longue chaîne de faits et de preuves. On ne sauroit trop rapprocher les choses, ni trop tôt conclure. Il faut saisir d'un coup d'œil la véritable preuve de son discours, et courir à la conclusion. Un esprit perçant fuit les épisodes, et laisse aux écrivains médiocres le soin de s'arrêter à cueillir les fleurs qui se trouvent sur leur chemin. C'est à eux d'amuser le peuple, qui lit sans objet, sans pénétration et sans goût.

CCXIV.

Le sot qui a beaucoup de mémoire est plein de pensées et de faits; mais il ne sait pas en conclure : tout tient à cela.

CCXV.

Savoir bien rapprocher les choses, voilà l'esprit juste. Le don de rapprocher beaucoup de choses et de grandes choses fait les esprits vastes. Ainsi la justesse paroît être le premier degré, et une condition très nécessaire de la vraie étendue d'esprit.

CCXVI.

Un homme qui digère mal, et qui est vorace,

est peut-être une image assez fidèle du caractère | la nature. L'homme est maintenant en disgrace d'esprit de la plupart des savants.

CCXVII.

Je n'approuve point la maxime qui veut qu'un honnête homme sache un peu de tout. C'est savoir presque toujours inutilement, et quelquefois pernicieusement, que de savoir superficiellement et sans principes. Il est vrai que la plupart des hommes ne sont guère capables de connoître profondément; mais il est vrai aussi que cette science superficielle qu'ils recherchent ne sert qu'à contenter leur vanité. Elle nuit à ceux qui possèdent un vrai génie : car elle les détourne nécessairement de leur objet principal, consume leur application dans les détails, et sur des objets étrangers à leurs besoins et à leurs talents naturels et enfin elle ne sert point, comme ils s'en flattent, à prouver l'étendue de leur esprit. De tout temps on a vu des hommes qui savoient beaucoup avec un esprit très médiocre; et au contraire, des esprits très vastes qui savoient fort peu. Ni l'ignorance n'est défaut d'esprit, ni le savoir n'est preuve de génie.

CCXVIII.

La vérité échappe au jugement, comme les faits échappent à la mémoire. Les diverses faces des choses s'emparent tour-à-tour d'un esprit vif, et lui font quitter et reprendre successivement les mêmes opinions. Le goût n'est pas moins inconstant: il s'use sur les choses les plus agréables, et varie comme notre humeur.

CCXIX.

Il y a peut-être autant de vérités parmi les hommes que d'erreurs; autant de bonnes qualités que de mauvaises; autant de plaisirs que de peines: mais nous aimons à contrôler la nature humaine, pour essayer de nous élever au-dessus de notre espèce, et pour nous enrichir de la considération dont nous tachons de la dépouiller: Nous sommes si présomptueux, que nous croyons pouvoir séparer notre intérêt personnel de celui de l'humanité, et médire du genre humain sans nous compromettre. Cette vanité ridicule a rempli les livres des philosophes d'invectives contre

chez tous ceux qui pensent, et c'est à qui le chargera de plus de vices. Mais peut-être est-il sur le point de se relever et de se faire restituer toutes ses vertus; car la philosophie a ses modes comme les habits, la musique et l'architecture, etc. .

CCXX.

Sitôt qu'une opinion devient commune, il ne faut point d'autre raison pour obliger les hommes à l'abandonner et à embrasser son contraire, jusqu'à ce que celle-ci vieillisse à son tour, et qu'ils aient besoin de se distinguer par d'autres choses. Ainsi, s'ils atteignent le but dans quelque art ou dans quelque science, on doit s'attendre qu'ils le passeront pour acquérir une nouvelle gloire et c'est ce qui fait en partie que les plus beaux siècles dégénèrent si promptement, et qu'à peine sortis de la barbarie ils s'y replongent.

CCXXI.

Les grands hommes, en apprenant aux foibles à réfléchir, les ont mis sur la route de l'erreur.

CCXXII.

Où il y a de la grandeur, nous la sentons malgré nous. La gloire des conquérants a toujours été combattue; les peuples en ont toujours souffert, et ils l'ont toujours respectée.

CCXXIII.

Le contemplateur, mollement couché dans une chambre tapissée, invective contre le soldat qui passe les nuits de l'hiver au bord d'un fleuve, et veille en silence sous les armes pour la sûreté de sa patrie.

CCXXIV.

Ce n'est pas à porter la faim et la misère chez les étrangers, qu'un héros attache la gloire, mais à les souffrir pour l'État : ce n'est pas à donner la mort, mais à la braver.

1 VARIANTE. La philosophie a ses modes comme l'architecture, les habits, la danse, etc. L'homme est maintenant en disgrace chez les philosophes, et c'est à qui le chargera de plus de vices; mais peut-être est-il sur le point de se relever et de se faire restituer toutes ses vertus.

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Geux qui n'ont que de l'esprit ont du goût pour les grandes choses, et de la passion pour les petites.

CCXXXVIII.

La plupart des hommes sont si resserrés dans la sphère de leur condition, qu'ils n'ont pas même le courage d'en sortir par leurs idées et si on en voit quelques uns que la spéculation des grandes choses rend en quelque sorte incaLa plupart des hommes vieillissent dans un pables des petites, on en trouve encore davan-petit cercle d'idées qu'ils n'ont pas tirées de leur tage à qui la pratique des petites a ôté jusqu'au fonds; il y a peut-être moins d'esprits faux que sentiment des grandes.

CCXXXI.

de stériles.

cœur, d'inclination, à une action quelconque : c'est le con amore des Italiens. L'expression n'est peut-être pas bien exacte;

Les espérances les plus ridicules et les plus mais il est difficile de la remplacer. S. hardies ont été quelquefois la cause des succès extraordinaires.

ССХХХІІ.

Les sujets font leur cour avec bien plus de goût que les princes ne la reçoivent. Il est

Les sujets font leur cour avec bien plus de goût, etc. Goût veut dire ici le plaisir qu'on éprouve à satisfaire un penchant. Faire avec goût, dans ce sens, est se porter de

I VARIANTE. Les hommes sont si sensibles à la flatterie, que. lors même qu'ils pensent que c'est flatterie, ils ne laissent pas d'en être les dupes.

2

Il y a des hommes qui, sans y penser, etc. Comment se forme-t-on une idée de soi sans y penser ? J'aimerois mieux sans s'en apercevoir. M.

3 VARIANTE. Nous nous formons, sans y penser *, une idée de notre figure sur l'idée que nous avons de notre esprit, ou sur le sentiment qui nous domine, et c'est pour cela qu'un fat se croit toujours si bien fait.

Sans y penser, etc. Cette négligence a déjà été observée. Il faut sans nous en apercevoir. M.

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Lorsque la fortune veut humilier les sages, elle les surprend dans ces petites occasions où l'on est ordinairement sans précaution et sans défense. Le plus habile homme du monde ne peut empêcher que de légères fautes n'entraî

* VARIANTE. Le plus ou le moins d'esprit est peu de chose ; mais ce peu, quelle différence ne met-il pas entre les hommes! Qu'est-ce qui fait la beauté ou la laideur, la santé ou l'infirmité? N'est-ce pas ou un peu plus ou un peu moins de bile, et quelque différence imperceptible des organes?

> Ce que Vauvenargues dit ici des zélés, au no 346, il le dit des dévots. B.

CCLI.

La patience est l'art d'espérer.

CCLII:

Le désespoir comble non seulement notre misère, mais notre foiblesse.

CCLIII.

Ni les dons, ni les coups de la fortune n'égalent ceux de la nature, qui la passe en rigueur comme en bonté.

CCLIV.

Les biens et les maux extrêmes ne se font pas sentir aux ames médiocres.

CCLV.

Il y a peut-être plus d'esprits légers dans ce

qu'on appelle le monde, que dans les conditions | se soutenir dans l'héroïque; et on n'ose les égamoins fortunées.

CCLVI.

Les gens du monde ne s'entretiennent pas de si petites choses que le peuple; mais le peuple ne s'occupe pas de choses si frivoles que les gens du monde.

CCLVII.

On trouve dans l'histoire de grands personnages que la volupté ou l'amour ont gouvernés; elle n'en rappelle pas à ma mémoire qui aient été galants. Ce qui fait le mérite essentiel de quelques hommes ne peut même subsister dans quelques autres comme un foible.

CCLVIII.

Nous courons quelquefois les hommes qui nous ont imposé par leurs dehors, comme de jeunes gens qui suivent amoureusement un masque, le prenant pour la plus belle femme du monde, et qui le harcèlent jusqu'à ce qu'ils l'obligent de se découvrir, et de leur faire voir qu'il est un petit homme avec de la barbe et un visage noir.

CCLIX.

Le sot s'assoupit et fait la sieste en bonne compagnie, comme un homme que la curiosité a tiré de son élément, et qui ne peut ni respirer

ni vivre dans un air subtil.

CCLX.

ler à ces grands hommes qui, s'étant renfermés dans un seul et beau caractère, paroissent avoir dédaigné de dire tout ce qu'ils ont tû, et abandonné aux génies subalternes les talents médiocres.

CCLXIII.

Ce qui paroît aux uns étendue d'esprit n'est, aux yeux des autres, que mémoire et légèreté. CCLXIV.

Il est aisé de critiquer un auteur, mais il est difficile de l'apprécier.

CCLXV.

Je n'ôte rien à l'illustre Racine, le plus sage et le plus élégant des poëtes, pour n'avoir pas traité beaucoup de choses qu'il eût embellies, content d'avoir montré dans un seul genre la richesse et la sublimité de son esprit. Mais je me sens forcé de respecter un génie hardi et fécond, élevé, pénétrant, facile, infatigable; aussi ingénieux et aussi aimable dans les ouvrages de pur agrément; que vrai et pathétique dans les autres ; d'une vaste imagination, qui a embrassé et pénétré rapidement toute l'économie des choses humaines; à qui ni les sciences abstraites, ni les arts, ni la politique, ni les mœurs des peuples, ni leurs opinions, ni leurs histoires, ni leur langue même, n'ont pu échapper; illustre, en sortant de l'enfance, par la grandeur et par la force de sa poésie féconde en pensées, et bientôt après par les charmes et par le carac

Le sot est comme le peuple, qui se croit riche tère original et plein de raison de sa prose;

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philosophe et peintre sublime, qui a semé avec éclat, dans ses écrits, tout ce qu'il y a de grand dans l'esprit des hommes ; qui a représenté les passions avec des traits de feu et de lumière, et enrichi le théâtre de nouvelles graces; savant à imiter le caractère et à saisir l'esprit des bons ouvrages de chaque nation par l'extrême étendue de son génie, mais n'imitant rien d'ordinaire qu'il ne l'embellisse; éclatant jusque dans les fautes qu'on a cru remarquer dans ses écrits, et tel que, malgré leurs défauts et malgré les efforts de la critique, il a occupé sans relâche de ses veilles ses amis et ses ennemis, et porté

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