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LIVRE TROISIÈME.

XLIII.

Du bien et du mal moral.

Ce qui n'est bien ou mal qu'à un particulier, et qui peut être le contraire à l'égard du reste des hommes, ne peut être regardé en général comme un mal ou comme un bien".

Afin qu'une chose soit regardée comme un bien par toute la société, il faut qu'elle tende à l'avantage de toute la société; et afin qu'on la regarde comme un mal, il faut qu'elle tende à sa ruine voilà le grand caractère du bien et du mal moral.

Les hommes étant imparfaits n'ont pu se suffire à eux-mêmes : de là la nécessité de former des sociétés. Qui dit une société, dit un corps qui subsiste par l'union de divers membres et confond l'intérêt particulier dans l'intérêt gé néral; c'est là le fondement de toute la morale. Mais parceque le bien commun exige de grands sacrifices, et qu'il ne peut se répandre également sur tous les hommes, la religion, qui répare le vice des choses humaines, assure des indemnités dignes d'envie à ceux qui nous semblent lésés.

Et toutefois ces motifs respectables n'étant pas assez puissants pour donner un frein à la cupidité des hommes, il a fallu encore qu'ils convinssent de certaines règles pour le bien public, fondé, à la honte du genre humain, sur la crainte odieuse des supplices; et c'est l'origine des lois.

Nous naissons, nous croissons à l'ombre de ces conventions solennelles; nous leur devons la sûreté de notre vie, et la tranquillité qui l'accompagne. Les lois sont aussi le seul titre de nos possessions: dès l'aurore de notre vie, nous en recueillons les doux fruits, et nous nous engageons toujours à elles par des liens plus forts. Quiconque prétend se soustraire à cette autorité dont il tient tout, ne peut trouver injuste qu'elle

Ce qui n'est bien ou mal qu'à un particulier, et qui peut étre le contraire à l'égard du reste des hommes, ne peut étre regardé en général comme un mal ou comme un bien. Oui; mais si toute la société avoit la fièvre ou la goutte, ou étoit manchotte ou folle? V. — Qu'à un particulier au lieu de pour un particulier. S.

lui ravisse tout, jusqu'à la vie. Où seroit la raison qu'un particulier ose1 en sacrifier tant d'autres à soi seul, et que la société ne pût, par sa ruine, racheter le repos public "?

C'est un vain prétexte de dire qu'on ne se doit pas à des lois qui favorisent l'inégalité des fortunes. Peuvent-elles égaler les hommes, l'industrie, l'esprit, les talents? Peuvent-elles empêcher les dépositaires de l'autorité d'en user selon leur foiblesse?

Dans cette impuissance absolue d'empêcher l'inégalité des conditions, elles fixent les droits de chacune, elles les protégent.

On suppose d'ailleurs, avec quelque raison, que le cœur des hommes se forme sur leur condition. Le laboureur a souvent dans le travail de ses mains la paix et la satiété qui fuient l'orgueil des grands 4. Ceux-ci n'ont pas moins de desirs que les hommes les plus abjects 5; ils ont donc autant de besoins: voilà dans l'inégalité une sorte d'égalité.

Ainsi on suppose aujourd'hui toutes les conditions égales ou nécessairement inégales. Dans l'une et l'autre supposition, l'équité consiste à maintenir invariablement leurs droits réciproques, et c'est là tout l'objet des lois.

Heureux qui les sait respecter comme elles méritent de l'être! Plus heureux qui porte en son cœur celles d'un heureux naturel! Il est bien facile de voir que je veux parler des vertus; leur noblesse et leur excellence sont l'ob

1 Où seroit la raison qu'un particulier ose en sacrifier tant d'autres à soi seul, et que la société ne pût, par sa ruine, racheter le repos public? Il faudroit qu'un particulier osát. Par sa ruine est équivoque, et veut dire la ruine de ce particulier. M.

2 On aperçoit aisément la fausseté de cette conclusion. Il n'y a certainement point de raison qu'un particulier sacrifie les autres à lui seul; il n'y en a pas davantage à ce que la société ra chète son repos par la ruine de l'un de ses membres. Elle n'a jamais droit de punir, mais de corriger. Toute peine qui n'a pas pour objet le bonheur de l'individu même contre lequel elle est dirigée, est une injustice. F.

3 Égaler les hommes, il faudroit égaliser. B. »

4 Le laboureur a souvent dans le travail de ses mains la paix, etc. On pourroit dire tout cela bien mieux. V. —Satiété n'est pas là dans son sens ordinaire, selon lequel il signifie un peu de dégoût résultant de l'abandon; au lieu qu'ici il s gnifie la satisfaction résultant de la jouissance du nécessaire. Cette acception n'est plus d'usage. M. - Voyez le Discours sur l'inégalité des richesses. B.

5 ceux-ci n'ont pas moins de desirs que les hommes les plus abjects. Il faudroit de l'état le plus abjert. M.

6 Il est bien facile de voir que je veux parler des vertus. Distinguons vertus et qualités heureuses: bienfaisance scule est

jet de tout ce discours : mais j'ai eru qu'il falloit d'abord établir une règle sûre pour les bien distinguer du vice. Je l'ai rencontrée sans effort dans le bien et le mal moral; je l'aurois cherchée vainement dans une moins grande origine. Dire simplement que la vertu est vertu, parcequ'elle est bonne en son fonds, et le vice tout au contraire, ce n'est pas les faire connoître. La force et la beauté sont aussi de grands biens; la vieillesse et la maladie, des maux réels; cependant on n'a jamais dit que ce fût là vice ou vertu. Le mot de vertu emporte l'idée de quelque chose d'estimable à l'égard de toute la terre: le vice au contraire. Or, il n'y a que le bien et que le mal moral qui portent ces grands caractères. La préférence de l'intérêt général au personnel est la seule définition qui soit digne de la vertu, et qui doive en fixer l'idée. Au contraire, le sacrifice mercenaire du bonheur public à l'intérêt propre est le sceau éternel du vice.

Ces divers caractères ainsi établis et suffisamment discernés, nous pouvons distinguer encore les vertus naturelles, des acquises. J'appelle vertus naturelles, les vertus de tempérament; les autres sont les fruits pénibles de la réflexion. Nous mettons ordinairement ces dernières à plus haut prix, parcequ'elles nous coûtent davantage; nous les estimons plus à nous, parcequ'elles sont les effets de notre fragile raison. Je dis la raison elle-même n'est-elle pas un don de la nature, comme l'heureux tempérament? L'heureux tempérament exclut-il la raison? n'en est-il pas plutôt la base? et si l'un peut nous égarer, l'autre est-elle plus infaillible? Je me hâte, afin d'en venir à une question plus sérieuse. On demande si la plupart des vices ne concourent pas au bien public, comme les pures vertus. Qui feroit fleurir le commerce sans la vanité, l'avarice, etc.?

En un sens cela est très vrai; mais il faut m'accorder aussi que le bien produit par le vice est toujours mêlé de grands maux. Ce sont les lois qui arrêtent le progrès de ses désordres; et c'est la raison, la vertu, qui le subjuguent, qui le contiennent dans certaines bornes et le rendent utile au monde.

vertu; tempérance, sagesse; bonnes qualités? tant mieux pour toi. V.

A la vérité, la vertu ne satisfait pas sans réserve toutes nos passions; mais si nous n'avions aucun vice, nous n'aurions pas ces passions à satisfaire; et nous ferions par devoir ce qu'on fait par ambition, par orgueil, par avarice, etc. Il est donc ridicule de ne pas sentir que c'est le vice qui nous empêche d'être heureux par la vertu. Si elle est si insuffisante à faire le bonheur des hommes, c'est parceque les hommes sont vicieux; et les vices, s'ils vont au bien, c'est qu'ils sont mêlés de vertus, de patience, de tempérance, de courage, etc. Un peuple qui n'auroit en partage que des vices, courroit à sa perte infaillible.

Quand le vice veut procurer quelque grand avantage au monde, pour surprendre l'admiration, il agit comme la vertu, parcequ'elle est le vrai moyen, le moyen naturel du bien : mais celui que le vice opère n'est ni son objet, ni son but. Ce n'est pas à un si beau terme que tendent ses déguisements. Ainsi le caractère distinctif de la vertu subsiste; ainsi rien ne peut l'effacer.

Que prétendent donc quelques hommes, qui confondent toutes ces choses, ou qui nient leur réalité? Qui peut les empêcher de voir qu'il y a des qualités qui tendent naturellement au bien du monde, et d'autres à sa destruction? Ces premiers sentiments, élevés, courageux, bienfaisants à tout l'univers, et par conséquent estimables à l'égard de toute la terre, voilà ce que l'on nomme vertu. Et ces odieuses passions, tournées à la ruine des hommes et par conséquent criminelles envers le genre humain, c'est ce que j'appelle des vices. Qu'entendent-ils, eux, par ces noms? Cette différence éclatante du foible et du fort, du faux et du vrai, du juste et de l'injuste, etc., leur échappe-t-elle ? Mais le jour n'est pas plus sensible. Pensent-ils que l'irréligion dont ils se piquent puisse anéantir la vertu? Mais tout leur fait voir le contraire. Qu'imaginent-ils donc qui leur trouble l'esprit? qui leur cache qu'ils ont eux-mêmes, parmi leurs foiblesses, des sentiments de vertu?

Est-il un homme assez insensé pour douter que la santé soit préférable aux maladies 1? Non, il n'y en a point dans le monde. Trouve

Il faudroit ne soit préférable. S.

t-on quelqu'un qui confonde la sagesse avec la folie? Non, personne assurément. On ne voit personne non plus qui ne préfère la vérité à l'erreur; personne qui ne sente bien que le courage est différent de la crainte, et l'envie de la bonté. On ne voit pas moins clairement que l'humanité vaut mieux que l'inhumanité, qu'elle est plus aimable, plus utile, et par conséquent plus estimable ; et cependant..... ô foiblesse de l'esprit humain! il n'y a point de contradiction dont les hommes ne soient capables, dès qu'ils veulent approfondir.

N'est-ce pas le comble de l'extravagance, qu'on puisse réduire en question si le courage vaut mieux que la peur? On convient qu'il nous donne sur les hommes et sur nous-mêmes un empire naturel. On ne nie pas non plus que la puissance enferme une idée de grandeur, et qu'elle soit utile1. On sait encore que la peur est un témoignage de foiblesse ; et on convient que la foiblesse est très nuisible, qu'elle jette les hommes dans la dépendance, et qu'elle prouve ainsi leur petitesse. Comment peut-il donc se trouver des esprits assez déréglés pour mettre de l'égalité dans des choses si inégales?

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est nécessaire n'est d'aucun mérite? mais c'est une nécessité en Dieu d'être tout-puissant, éternel. La puissance et l'éternité seront-elles égales au néant? ne seront-elles plus des attributs parfaits? Quoi! parceque la vie et la mort sont en nous des états de nécessité, n'est-ce plus qu'une même chose, indifférente aux humains? Mais peut-être que les vertus que j'ai peintes comme un sacrifice de notre intérêt propre à l'intérêt public, ne sont qu'un pur effet de l'amour de nous-mêmes. Peut-être ne faisons-nous le bien que parceque notre plaisir se trouve dans ce sacrifice. Étrange objection! Parceque je me plais dans l'usage de ma vertu, en est-elle moins profitable, moins précieuse à tout l'univers, ou moins différente du vice, qui est la ruine du genre humain? Le bien où je me plais changet-il de nature? cesse-t-il d'être bien?

Les oracles de la piété, continuent nos adversaires, condamnent cette complaisance. Estce à ceux qui nient la vertu, à la combattre par la religion qui l'établit? Qu'ils sachent qu'un Dieu bon et juste ne peut réprouver le plaisir que lui-même attache à bien faire. Nous prohiberoit-il ce charme qui accompagne l'amour du bien? Lui-même nous ordonne d'aimer la vertu, et sait mieux que nous qu'il est contradictoire d'aimer une chose sans s'y plaire. S'il rejette donc nos vertus, c'est quand nous nous approprions les dons que sa main nous dispense, que nous arrêtons nos pensées à la possession de ces graces, sans aller jusqu'à leur principe; que nous méconnoissons le bras qui répand sur nous ses bienfaits, etc.

Qu'entend-on par un grand génie? un esprit qui a de grandes vues, puissant, fécond, éloquent, etc. Et par une grande fortune? un état indépendant, commode, élevé, glorieux. Personne ne dispute donc qu'il y ait de grands génies et de grandes fortunes. Les caractères de ces avantages sont trop bien marqués. Ceux d'une ame vertueuse sont-ils moins sensibles? Qui peut nous les faire confondre? Sur quel fondement ose-t-on égaler le bien et le mal? Estce sur ce que l'on suppose que nos vices et nos vertus sont des effets nécessaires de notre tempérament? Mais les maladies, la santé, ne sont-insensé et méchant? Toutefois, s'il n'y avoit elles pas des effets nécessaires de la même cause? que des malades, saurions-nous ce que c'est Les confond-on cependant, et a-t-on jamais dit que la santé? que c'étoient des chimères, qu'il n'y avoit ni santé, ni maladies 3? Pense-t-on que tout ce qui

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Une vérité s'offre à moi. Ceux qui nient la réalité des vertus sont forcés d'admettre des vices. Oseroient-ils dire que l'homme n'est pas

XLIV.

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un homme qui maîtrise la fortune, et qui par des moyens puissants arrive à des fins élevées, qui subjugue les autres hommes par son activité, par sa patience ou par de profonds conseils; je dis qu'il est difficile de ne pas sentir dans un génie de cet ordre, une noble réalité. Cependant il n'y a rien de pur et dont nous n'abusions sans peine.

La grandeur d'ame est un instinct élevé qui porte les hommes au grand, de quelque nature qu'il soit, mais qui les tourne au bien ou au mal, selon leurs passions, leurs lumières, leur éducation, leur fortune, etc. Égale à tout ce qu'il y a sur la terre de plus élevé, tantôt elle cherche à soumettre par toutes sortes d'efforts ou d'artifices les choses humaines à elle, et tantôt dédaignant ces choses, elle s'y soumet ellemême sans que sa soumission l'abaisse : pleine de sa propre grandeur, elle s'y repose en secret, contente de se posséder. Qu'elle est belle, quand la vertu dirige tous ses mouvements; mais qu'elle est dangereuse alors qu'elle se soustrait à la règle! Représentez-vous Catilina audessus de tous les préjugés de sa naissance, méditant de changer la face de la terre et d'anéantir le noni romain: concevez ce génie audacieux, menaçant le monde du sein des plaisirs, et formant d'une troupe de voluptueux et de voleurs, un corps redoutable aux armées et à la sagesse de Rome.

Qu'un homme de ce caractère auroit porté loin la vertu, s'il eût été tourné au bien! mais les circonstances malheureuses le poussent au crime. Catilina étoit né avec un amour ardent pour les plaisirs, que la sévérité des lois aigrissoit et contraignoit ; sa dissipation et ses débauches l'engagèrent peu à peu à des projets criminels 2: ruiné, décrié, traversé, il se trouva dans un état où il lui étoit moins facile de gouverner la république que de la détruire; ne pouvant être le héros de sa patrie, il en méditoit la conquête. Ainsi les hommes sont souvent portés au crime par de fatales rencontres, ou par leur situation: ainsi leur vertu dépend de leur fortune. Que manquoit-il à César, que d'ê

⚫ Lucius Sergius Catilina. Voyez l'histoire de sa conjuration par Salluste. F.

2 Il seroit plus exact de dire, l'engagerent peu à peu dans des projets criminels. S.

tre né souverain? Il étoit bon, magnanime, généreux, hardi, clément; personne n'étoit plus capable de gouverner le monde et de le rendre heureux s'il eût eu une fortune égale à son génie, sa vie auroit été sans tache; mais parcequ'il s'étoit placé lui-même sur le trône par la force, on a cru pouvoir le compter avec justice parmi les tyrans.

Cela fait sentir qu'il y a des vices qui n'ex-cluent pas les grandes qualités, et par conséquent de grandes qualités qui s'éloignent de la vertu. Je reconnois cette vérité avec douleur : il est triste que la bonté n'accompagne pas toujours la force, et que l'amour de la justice ne prévale pas nécessairement dans tous les hommes et dans tout le cours de leur vie, sur tout autre amour; mais non seulement les grands hommes se laissent entraîner au vice, les vertueux même se démentent et sont inconstants dans le bien. Cependant ce qui est sain est sain, ce qui est fort est fort, etc. Les inégalités de la vertu, les foiblesses qui l'accompagnent, les vices qui flétrissent les plus belles vies, ces défauts inséparables de notre nature, mêlée si manifestement de grandeur et de petitesse, n'en détruisent pas les perfections. Ceux qui veulent que les hommes soient tout bons ou tout méchants, absolument grands ou petits, ne connoissent pas la nature. Tout est mélangé dans les hommes; tout y est limité; et le vice même y a ses bornes.

XLV.

Du courage.

Le vrai courage est une des qualités qui supposent le plus de grandeur d'ame. J'en remarque beaucoup de sortes: un courage contre la fortune, qui est philosophie; un courage contre les misères, qui est patience; un courage à la guerre, qui est valeur; un courage dans les entreprises, qui est hardiesse; un courage fier et téméraire, qui est audace; un courage contre l'injustice, qui est fermeté; un courage contre le vice, qui est sévérité; un courage de réflexion, de tempérament, etc.

Il n'est pas ordinaire qu'un même homme assemble tant de qualités. Octave, dans le plan

Caius Julius Cæsar Octavianus porta le nom d'Octave dans

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de sa fortune, élevée sur des précipices, bravoit des périls éminents; mais la mort, présente à la guerre, ébranloit son ame. Un nombre innombrable de Romains qui n'avoient jamais. craint la mort dans les batailles, manquoient de cet autre courage qui soumit la terre à Auguste.

On ne trouve pas seulement plusieurs sortes de courages, mais dans le même courage bien des inégalités. Brutus, qui eut la hardiesse d'attaquer la fortune de César, n'eut pas la force de suivre la sienne : il avoit formé le dessein de détruire la tyrannie avec les ressources de son seul courage, et il eut la foiblesse de l'abandonner avec toutes les forces du peuple romain, faute de cette égalité de force et de sentiment qui surmonte les obstacles et la lenteur des succès.

Je voudrois pouvoir parcourir ainsi en détail toutes les qualités humaines : un travail si long ne peut maintenant m'arrêter. Je terminerai cet écrit par de courtes définitions.

Observons néanmoins encore que la petitesse est la source d'un nombre incroyable de vices: de l'inconstance, la légèreté, la vanité, l'envie, l'avarice, la bassesse, etc.; elle rétrécit notre esprit autant que la grandeur d'ame l'élargit; mais elle est malheureusement inséparable de l'humanité, et il n'y a point d'ame si forte qui en soit tout-à-fait exempte. Je suis mon dessein. La probité est un attachement à toutes les vertus civiles 1.

La noblesse est la préférence de l'honneur à l'intérêt; la bassesse, la préférence de l'intérêt à l'honneur.

L'intérêt est la fin de l'amour-propre ; la générosité en est le sacrifice.

La méchanceté suppose un goût à faire du mal; la malignité, une méchanceté cachée; la noirceur, une méchanceté profonde.

L'insensibilité à la vue des misères peut s'appe ler dureté; s'il y entre du plaisir, c'est cruauté. La sincérité me paroît l'expression de la vérité; la franchise, une sincérité sans voiles2; la candeur, une sincérité douce; l'ingénuité, une sincérité innocente; l'innocence, une pureté sans tache.

L'imposture est le masque de la vérité; la fausseté, une imposture naturelle; la dissimulation, une imposture réfléchie; la fourberie, une imposture qui veut nuire; la duplicité, une imposture qui a deux faces.

La libéralité est une branche de la générosité; la bonté, un goût à faire du bien et à pardonner le mal; la clémence, une bonté envers nos ennemis.

La simplicité nous présente l'image de la vérité et de la liberté.

L'affectation est le dehors de la contrainte et du mensonge la fidélité n'est qu'un respect pour nos engagements; l'infidélité, une dérogeance; la perfidie, une infidélité couverte et criminelle.

La bonne foi est une fidélité sans défiance et

La droiture est une habitude des sentiers de sans artifice. la vertu.

L'équité peut se définir par l'amour de l'égalité; l'intégrité paroît une équité sans tache, et la justice une équité pratique.

sa jeunesse, et celui d'Anguste quand les Romains furent entiè

rement asservis. F.

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La force d'esprit est le triomphe de la réflexion; c'est un instinct supérieur aux passions, qui les calme ou qui les possède 3; on ne peut pas savoir d'un homme qui n'a pas les passions ardentes, s'il a de la force d'esprit ; il n'a jamais

été dans des épreuves assez difficiles.

La modération est l'état d'une ame qui se possède; elle naît d'une espèce de médiocrité dans les desirs, et de satisfaction dans les pensées, qui dispose aux vertus civiles.

L'immodération, au contraire, est une ardeur

Amour-propre encore employé ici pour amour de soi. S.

2 C'est-à-dire qui ne réserve rien. La sincérité ne dit que ce qu'on lui demande; la franchise dit souvent ce qu'on ne lui demande pas. S.

3 Posséder n'est pas le mot propre. On ne dit pas posséder les passions. On diroit mieux ou qui les domine. B.

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